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Vincent Peillon publie un thriller : “A 20 ans, je voulais être écrivain”

Jusqu’ici, Vincent Peillon ne publiait que des livres très sérieux sur Merleau-Ponty, «l’Epaisseur du cogito» ou la refondation de l’école. Tour à tour porte-parole du PS, député de la Somme, ministre de l’Education nationale dans le gouvernement Ayrault, membre de la commission des Affaires étrangères au Parlement européen, il se lance aujourd’hui dans le thriller avec «Aurora».

Fils d’un banquier communiste et d’une directrice de recherche à l’Inserm, il a hésité entre la philosophie, l’écriture et la contrebande avant de choisir la politique. Son livre lui ressemble. Ample, truffé de personnages malfaisants et de vengeurs juifs, réflexion sur l’état d’un monde paranoïaque, «Aurora» est le récit de l’affrontement entre des réseaux internationaux obscurs. Est-ce vraiment de la fiction? Nous avons rencontré l’auteur.

«Indignés» de République, Azerbaïdjan et justice : le point sur l’actu

«Indignés» de République. Plusieurs centaines de personnes ont continué d’occuper la place de la République, à Paris, tout le week-end. Leurs revendications vont souvent bien plus loin que la simple contestation du projet de loi travail, comme ils l’expliquent à Libération. Inspiré du mouvement des indignés en Espagne, l’objectif est d’occuper le terrain tout en créant de nouvelles formes de démocratie. 

Justice. Une justice française «à bout de souffle», avec un ministère qui «n’a plus les moyens de payer ses factures» : un peu plus de deux mois après sa nomination, le garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas estime que le système judiciaire français est dans un état financier déplorable et dans un «état d’urgence absolue».

Azerbaïdjan. Le pays a annoncé dimanche un «cessez-le-feu unilatéral» mais conditionnel au Nagorny-Karabakh où des combats d’une rare intensité ont éclaté entre les forces armées arméniennes et azerbaïdjanaises dans la nuit de vendredi. Il s’agit des affrontements les plus violents depuis le cessez-le-feu signé en 1994. 

Syrie. L’armée syrienne s’est emparée dimanche de la ville d’Al-Qaryatayn, l’un des derniers fiefs du groupe jihadiste Etat islamique (EI) dans le centre du pays.

Bruxelles. Douze jours après les attentats, l’aéroport international de Bruxelles a rouvert ce dimanche avec trois décollages dans l’après-midi, synonymes d’un redémarrage très partiel et d’un début de retour à la normale en Belgique.

Violences policières. Après les manifestations contre la loi travail, une nouvelle plainte pour violences policières devrait être déposée devant l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) la semaine prochaine. Cette fois-ci, ce ne sont pas des lycéens qui estiment avoir été violentés par les forces de l’ordre mais un syndicaliste rennais de 60 ans avec une vidéo à l’appui.

Marseille. Trois hommes ont été abattus samedi soir dans une fusillade probablement liée au trafic de drogue dans une cité des quartiers nord de Marseille, ce qui porte à dix le nombre de personnes tuées par balle dans l’agglomération depuis le début de l’année.

Accident. Deux pompiers ont été légèrement blessés en intervenant lors d’un incendie survenu dimanche matin au sein d’une société spécialisée dans le transport de matières dangereuses, près de Bordeaux, qui a provoqué l’explosion de plusieurs camions-citernes.

Marathon de Paris. Le Kenyan Cybrian Kotut a remporté dimanche la 40e édition du marathon de Paris en 2h07 et 10 secondes. Chez les dames, la victoire est revenue à la Kenyane Visiline Jepkesho en 2h25 et 52 secondes. 

Natation. Florent Manaudou a remporté la finale du 50 m libre aux Championnats de France dimanche à Montpellier et s’est qualifié pour les jeux Olympiques de Rio de Janeiro.

 

LIBERATION

Faire vivre l’égalité citoyenne, une urgence démocratique

L’actualité fourmille d’exemples de contestations collectives, et de volonté des citoyens de tous âges et de toutes conditions sociales de prendre part au débat public. Il est urgent de prendre acte de cette richesse démocratique. Agathe Cagé, politiste, présidente du think tank Cartes sur table, en fait ici l’analyse.

L’annonce par François Hollande, mi-février, de la tenue d’un référendum sur le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes a ouvert nombre de sujets difficiles, du périmètre de la consultation à la nature juridique à attacher à son résultat. Mais elle a eu le mérite de mettre sur la table la question centrale auxquels gouvernants et citoyens doivent s’attaquer aujourd’hui : comment faire pleinement vivre la démocratie française en 2016 ?

C’est à l’aune de cette même question – et sans tarder – qu’il faudra faire l’effort d’analyser la mobilisation significative, ces dernières semaines, de lycéens et d’étudiants dans le mouvement social autour de la loi travail, et ce qu’elle nous dit de la nécessité de réinventer la place de la jeunesse dans le débat public.

Il ne s’agit en effet pas d’une question de principe. L’approfondissement démocratique n’est pas une fin en soi. Il n’a de sens que par ce qu’il permet d’atteindre : la confiance entre gouvernants et gouvernés ; la reconnaissance de la légitimité des décisions prises ; le renforcement du sentiment d’appartenance à la société. Sentiment d’appartenance qui est le défi majeur auquel est confrontée aujourd’hui la communauté nationale, dans sa diversité, des sexagénaires des zones pavillonnaires périurbaines aux vingtenaires des banlieues dites sensibles, des quinquagénaires en recherche d’emploi aux agriculteurs trentenaires jouant chaque année leur survie.

Il ne s’agit pas non plus d’une question de résultats électoraux. Confondre dans une même analyse montée de l’abstention et montée du vote pour les extrêmes ou les partis antisystèmes, c’est ignorer que ce vote est, par le mouvement de participation électorale qu’il concrétise, déjà une adhésion au fonctionnement démocratique. Ceux qui souhaitent une dynamisation de la participation politique en France doivent accepter que le verdict des urnes ne soit pas nécessairement similaire à leurs propres préférences politiques.

Il ne s’agit pas, enfin, d’une question institutionnelle, même si partisans et contempteurs de la Cinquième ou d’une fantasmée Sixième République s’en donneront encore à cœur joie dans dix ans. Depuis 2003, la Constitution prévoit un mécanisme de référendum décisionnel local. Depuis 2008, l’option d’un mécanisme de référendum d’initiative partagé existe. Depuis 2009, la possibilité d’un référendum d’initiative populaire est ouverte par les textes européens. Pourquoi si peu de personnes s’en saisissent-elles ? Parce que ces mécanismes n’existent pas dans les consciences et les habitudes citoyennes. Et l’enjeu n’est pas de savoir, contrairement à ce que pensent ceux qui réclament une évolution des textes, si le soutien doit venir d’un dixième ou d’un cinquième des électeurs français, ou de 500.000 plutôt que d’un million de citoyens européens. Non, l’enjeu est de créer les conditions d’une appropriation citoyenne des nouveaux dispositifs de participation politique.

La société française a besoin d’un nouveau ciment et celui-ci sera démocratique : donner à chaque citoyen la même voix au chapitre – non pas dans les textes mais dans les faits – sur les décisions qui impactent son quotidien.

Faire vivre pleinement la démocratie française en 2016 est avant tout une question d’égalité. Notre modèle économique et social n’est plus à même – l’a-t-il jamais été ? – de promettre une convergence des revenus, des conditions de vie, des horizons d’attente. Mais notre modèle démocratique pourrait faire vivre le principe « une personne égale une voix » non plus seulement dans les urnes, mais également en dehors. La participation politique ne s’est jamais réduite à la seule participation électorale. Il nous revient aujourd’hui, après avoir fait l’égalité des électeurs, de faire celle des citoyens.

Les situations d’urgence politique, les grands projets d’aménagement du territoire, les décisions porteuses de risques technologiques à court, moyen et long terme, ne peuvent plus relever, une fois le temps des élections passé, de la seule responsabilité des élus indépendamment de tout mécanisme de consultation et de participation citoyennes. Des mécanismes qui ne doivent plus seulement exister sur le papier mais vivre en pratique.

Des premières pierres ont depuis des années déjà été posées, notamment sous la forme des budgets participatifs qui, nés dans les quartiers de Porto Alegre, ont essaimé en France de Paris à Metz, de Montreuil à Grenoble. Il s’agit à présent de s’atteler à bâtir un édifice démocratique cohérent et global, offrant à la participation citoyenne des espaces d’expression mais aussi d’action, tant dans le champ des finances que dans celui de l’urbanisme, s’agissant tout autant des décisions aux conséquences irréversibles sur le temps long que des virages à prendre dans l’urgence.

Ce défi démocratique devra être relevé par les élus en place et par ceux qui aspirent à exercer demain leurs responsabilités. Il devra également l’être par chacun d’entre nous en tant que citoyen. Car si, à la suite de la victoire du «non» à un référendum sur un projet d’aménagement du territoire, les gouvernants doivent s’engager à réellement abandonner le projet et à ne pas tenter de le faire revivre sous une forme déguisée, les citoyens-opposants au projet doivent également s’engager, à la suite de la victoire du «oui», à mettre fin à toute tentative d’entrave à sa mise en œuvre. Or, ainsi que l’illustrent des expériences récentes en Allemagne, les lendemains de référendum peuvent s’avérer douloureux.

Participer au débat public en en acceptant les règles n’a rien d’une évidence. Interpeller est plus aisé qu’argumenter. Contester est plus facile que proposer. Apprendre à écouter toutes les prises de parole – et avant tout les plus hésitantes et les moins sophistiquées – sera le premier défi à relever. Il faut également apprendre à renoncer à l’argument d’autorité de la supériorité de l’âge et de la prééminence de l’expérience passée. Nous ne manquerons pas sinon de voir les débats immédiatement confisqués par les minorités économiquement favorisées, les professionnels de la politique en herbe, et les boomers bohèmes. Ce qui n’a jamais été source d’innovation et d’inventivité. Mais toujours facteur d’inégalité démocratique.

Si la Grèce est le berceau de la démocratie, la France peut en devenir sa championne. Seule une nouvelle respiration démocratique ressoudera la communauté citoyenne. Et sera à même de donner un sens nouveau et concret à l’étendard français de l’égalité. L’occasion nous en est offerte aujourd’hui.

« Sunset Song » : les damnés de la terre

Une vie. Celle de Chris Guthrie (le mannequin Agyness Deyn), blonde fille d’Ecosse dont les aspirations se heurtent aux murs dressés dans la campagne du comté d’Aberdeen à la veille de la Première Guerre mondiale. Elève la plus douée de l’école, elle rêve de devenir institutrice, mais son destin sera celui des femmes de son temps et de sa condition.

Adaptant un roman de Lewis Grassic Gibbon (1901-1935), premier volume d’une trilogie achevée peu avant la mort de son auteur, Terence Davies a retrouvé les thèmes qui lui sont chers, présents notamment dans le magnifique « Chez les heureux du monde », d’Edith Wharton, autre histoire d’une vie gâchée, mais située dans un milieu radicalement opposé.

Chris Guthrie l’affirme dans « Sunset Song », elle et les siens n’appartiennent pas à la gentry, ils sont au contraire les damnés de la terre. Cette terre que son père (Peter Mullan) et son frère aîné cultivent, le premier se comportant en tyran familial ; son épouse, désespérée par ses grossesses répétées, finira par s’empoisonner, entraînant dans la mort ses deux plus jeunes enfants, des jumeaux. Chris a, quant à elle, plus de chance avec l’homme qu’elle se choisit pour mari, du moins dans un premier temps : la guerre transformera en brute ce brave garçon, qui sera fusillé pour lâcheté, scène superbement filmée.

Choix musicaux contestables

Tout cela est épouvantable, mais le souhait apparent de Terence Davies est de débarrasser le récit de ses trop grandes cruautés. Le film passe sur les drames de la vie de Chris comme le temps fait son œuvre sur la jeune femme, anéantissant ses aspirations et effaçant peu à peu de sa personnalité toute son orgueilleuse singularité. L’entreprise est ardue et expose le film au risque d’une certaine fadeur, qu’accentuent des choix musicaux contestables, mais la direction est bien dans le ton du cinéma de Terence Davies, dont on se souvient qu’il sublima sa propre enfance, aussi étouffante et frustrante fût-elle, dans ses deux films majeurs, « Distant Voices, Still Lives » et « The Long Day Closes ».

Le cinéaste peut compter ici sur la rayonnante Agyness Deyn, presque débutante, qui illumine de sa sensibilité et de sa beauté un film qui doit beaucoup à la splendeur des images captées tant en Ecosse qu’en Nouvelle-Zélande, où certaines séquences ont été filmées de telle sorte que le cours de « Sunset Song » épouse le rythme des saisons.

Pascal Mérigeau

♥♥♥ « Sunset Song« , par Terence Davies. Drame britannique, avec Agyness Deyn, Peter Mullan, Kevin Guthrie (2h12).

« L’attentat », le nouvel épisode des « Cahiers d’Esther »

Elle s’appelle Esther, a maintenant 11 ans, a un grand frère nommé Antoine (« un con ») et se rend tous les matins dans une école privée parce que son père ne veut pas la mettre dans le public (trop dangereux). Voilà un an et demi que la fillette mise en scène par Riad Sattouf, dessinateur adulé pour sa série « L’Arabe du futur », a pris place à la dernière page de « l’Obs ». Le premier tome de ses aventures, « Les Cahiers d’Esther »(1), est maintenant disponible en librairie.

Il est presque certain que les sociologues des années 2050 se pencheront sur « Les Cahiers d’Esther », et pour cause : si Riad Sattouf brouille les pistes pour qu’elle ne soit pas reconnaissable, Esther existe dans la vraie vie ! C’est une écolière parisienne de 11 ans, fille d’un couple d’amis, qu’il soumet presque chaque semaine à un petit interrogatoire dont, ensuite, il fait son miel. Si la vraie Esther ne porte pas ce prénom et n’habite pas dans le 17e arrondissement, tout ce qu’elle raconte est d’une justesse indiscutable.

« Tout est presque vrai » : rencontre avec Esther, l’héroïne de Riad Sattouf

Arnaud Gonzague

(1) « Les Cahiers d’Esther. Histoires de mes 10 ans », de Riad Sattouf (Allary Editions, janvier 2016, 16,90 euros).

L’asperge, pointe de vert et séduction

Faut bien l’avouer : on a longtemps pratiqué l’asperge dans sa version Modes et travaux 1969, c’est-à-dire endimanchée et chapeautée comme une bourgeoise de préfecture dans sa tranche de jambon, sa farandole de macédoine et son onction de mayonnaise. C’était un rituel de printemps programmé et réglé comme la vidange de la 504. L’asperge débarquait un dimanche, entre Pâques et le 1er mai, sur un plat fleuri où elle faisait des bouquets en étoiles avec sa jupe de jambon. Elle était souvent «molle de la pointe», comme disait avec un zeste de lubricité l’oncle Bob avant d’enchaîner sur les performances respectives de la 504 et de la R16. Rien que d’y penser, s’imaginant noyé dans la fumée des Gitanes maïs sur la banquette arrière, on avait déjà mal au cœur. «Tu n’aimes pas les asperges ?», qu’elle s’inquiétait la tante Germaine. «Si, si», qu’on faisait car on n’allait pas lui dire que c’était la perspective de la 504 nicotinée qui nous filait la gerbe. Et que c’était reparti pour une cure d’asperges qui nous faisait le pipi aussi désagréablement odorant que les vespasiennes de la place nationale. La faute à l’acide asparagusique contenu dans ce légume.

Il nous a fallu pas mal de bottes pour comprendre que l’asperge pouvait se manger dans le plus simple appareil, débarrassée de la charcutaille et de la mayo, blanche mais aussi verte et surtout cuite al dente. Essayez donc une poignée d’asperges crues coupées en petits tronçons (1 à 2 cm), réservez les pointes. Faites dorer à feu vif les tronçons à l’huile d’olive dans une poêle ou un wok (environ cinq minutes). Ajoutez les pointes, de la coppa émincée, et continuez la cuisson environ dix minutes. Déglacez d’un trait de vinaigre balsamique, donnez un tour de moulin à poivre et servez bien chaud avec de généreux copeaux de parmesan.

Vous pouvez également tenter les «asperges rôties aux anchois», une recette débusquée dans un épatant opuscule1 consacré à l’huile d’olive et à tous ses usages (cuisine, beauté, bien-être…). Il vous faut 24 asperges vertes ; 6 branches de thym ; 6 filets d’anchois à l’huile ; 6 tranches très fines de poitrine fumée ; 4 cuillères à soupe d’huile d’olive ; poivre du moulin ; un demi-citron ; ficelle de cuisine. Préchauffez votre four à 210 degrés. Coupez les extrémités dures des asperges. Ficelez-les quatre par quatre avec un anchois, un brin de thym et 1 tranche de poitrine fumée. Salez très légèrement et donnez un tour de moulin à poivre. Arrosez d’huile d’olive et enfournez pour 8 à 10 minutes de cuisson. A la sortie du four, arrosez d’un trais de jus de citron.

(1) Que faire avec ? L’huile d’olive (ed. Hachette cuisine, Elle à table, 6,95 euros)

Jacky Durand

Ces pays où l’on pleure moins et Véra, le «petit chat» de Nabokov : deux longs formats à lire ce week-end

Le privilège des larmes

Un correspondant de Charles Darwin en Nouvelle-Zélande lui rapporta un jour cette anecdote : un chef maori avait été vu «pleurant comme un enfant parce que les marins avaient sali sa cape préférée». Darwin y vit une preuve que «les Sauvages versent des larmes en abondance pour des motifs très futiles». Il précisait qu’au contraire, «les Anglais pleurent rarement, sauf lorsqu’ils sont sous le coup d’un grand chagrin». (L’Expression des émotions chez l’homme et les animaux, 1872). En 2011, une équipe de chercheurs néerlandais donna raison à Darwin sur un point : les larmes sont bien fonction de la culture. Mais pas dans le sens où le croyait le père de la théorie de l’évolution. Selon des données récoltées dans trente-sept pays, «les personnes qui vivent dans des pays plus prospères, démocratiques […] et individualistes ont tendance à déclarer pleurer plus souvent». Les champions en la matière sont les Américains, les Australiens et les Néo-Zélandais. Les Nigérians, les Bulgares et les Malais ferment la marche. D’après un historien des émotions, ces résultats peuvent s’interpréter comme le signe que les larmes sont l’expression «d’une émotion négative mais supportable». Plus les hommes vivent dans des conditions difficiles (pauvreté, inégalités, guerres, violences endémiques), plus les larmes seraient «un luxe».

Source : 1843, mars-avril 2016, 24 000 signes. Auteur : Matthew Sweet est un journaliste et écrivain anglais. Il produit notamment une émission de philosophie sur BBC Radio 4.

Nabokov amoureux

Elle était son «petit chat», son «oie», sa «souris», son «oiseau de paradis». Il lui faisait part de tout : de son admiration pour Madame Bovary, de la couleur de la neige, de sa peur d’aller au bureau de poste, de ce qu’il mangeait, de Freud. Elle lui servait de muse, de relectrice, d’agent et de secrétaire («Je t’envoie, ma chérie, deux factures qui ont évidemment besoin d’être payées»). Elle en Allemagne, lui en France – où il effectua de longs séjours dans les années 1930, pour se faire un nom – les jeunes époux Véra et Vladimir Nabokov se sont beaucoup écrit. Ou plutôt : Monsieur a beaucoup écrit à Madame, y compris pendant les quelques mois où il entretint une liaison à Paris. En plein adultère, le futur auteur de Lolita semblait ne pas pouvoir se passer de Véra. «Tous les bonheurs, toutes les richesses, le pouvoir et les aventures, toutes les promesses des religions, tous les enchantements de la nature» ne pouvaient égaler pour Nabokov le plaisir de recevoir une lettre de se femme.

Source : New York Review of Books, 19 novembre 2015, 22 000 signes. Auteur : Stacy Schiff est l’auteure de Véra Nabokov (Grasset), Pulitzer de la biographie en 2000. Elle collabore à de nombreux journaux et magazines américains.

Retrouvez le magazine Books en kiosques chaque mois, sur son site et ses applications.

Delphine Veaudor De la rédaction de «Books»

Imre Kertész, le juste, est mort

La stratégie de la mouche : pourquoi le terrorisme est-il efficace ?

Le théâtre de la terreur

Un terroriste, c’est comme une mouche qui veut détruire un magasin de porcelaine. Petite, faible, la mouche est bien incapable de déplacer ne serait-ce qu’une tasse. Alors, elle trouve un éléphant, pénètre dans son oreille, et bourdonne jusqu’à ce qu’enragé, fou de peur et de colère, ce dernier saccage la boutique. C’est ainsi, par exemple, que la mouche Al-Qaeda a amené l’éléphant américain à détruire le magasin de porcelaine du Moyen-Orient.

Comme son nom l’indique, la terreur est une stratégie militaire qui vise à modifier la situation politique en répandant la peur plutôt qu’en provoquant des dommages matériels. Ceux qui l’adoptent sont presque toujours des groupes faibles, qui n’ont pas, de toute façon, la capacité d’infliger d’importants dommages matériels à leurs ennemis. Certes, n’importe quelle action action militaire engendre de la peur. Mais dans la guerre conventionnelle, la peur n’est qu’un sous-produit des pertes matérielles, et elle est généralement proportionnelle à la force de frappe de l’adversaire. Dans le cas du terrorisme, la peur est au cœur de l’affaire, avec une disproportion effarante entre la force effective des terroristes et la peur qu’ils parviennent à inspirer.

Modifier une situation politique en recourant à la violence n’est pas chose aisée. Le premier jour de la bataille de la Somme, le 1er juillet 1916, l’armée britannique a déploré 19.000 morts et 40.000 blessés. À la fin de la bataille, en novembre, les deux camps réunis comptaient au total plus d’un million de victimes, dont 300.000 morts. Pourtant, ce carnage inimaginable ne changea quasiment pas l’équilibre des pouvoirs en Europe. Il fallut encore deux ans et des millions de victimes supplémentaires pour que la situation bascule.

En comparaison, le terrorisme est un petit joueur. Les attentats de Bruxelles du 22 mars 2016 ont fait trente et un morts. En 2002, en plein cœur de la campagne de terreur palestinienne contre Israël, alors que des bus et des restaurants étaient frappés tous les deux ou trois jours, le bilan annuel a été de 451 morts dans le camp israélien. La même année, 542 Israéliens ont été tués dans des accidents de voiture. Certaines attaques terroristes, comme l’attentat du vol Pan Am 103 de 1988, qui a explosé au-dessus du village de Lockerbie, en Écosse, font parfois quelques centaines de victimes. Les 3000 morts des attentats du 11 Septembre constituent un record à cet égard. Mais cela reste dérisoire en comparaison du prix de la guerre conventionnelle.

Faites le compte de toutes les victimes (tuées ou blessées) d’attaques terroristes en Europe depuis 1945 (qu’elles aient été perpétrées par des groupes nationalistes, religieux, de gauche ou de droite…), vous resterez toujours très en-deçà du nombre de victimes de n’importe quelle obscure bataille de l’une ou l’autre guerre mondiale, comme la 3e bataille de l’Aisne (250.000 victimes) ou la 10e bataille de l’Isonzo (225.000 victimes). Aujourd’hui, pour chaque Européen tué dans une attaque terroriste, au moins un millier de personnes meurent d’obésité ou des maladies qui lui sont associées. Pour l’Européen moyen, McDonalds est un danger bien plus sérieux que l’État islamique.

Comment alors les terroristes peuvent-ils espérer arriver à leurs fins ? À l’issue d’un acte de terrorisme, l’ennemi a toujours le même nombre de soldats, de tanks et de navires qu’avant. Ses voies de communication, routes et voies ferrées, sont largement intactes. Ses usines, ses ports et ses bases militaires sont à peine touchées. Ce qu’espèrent pourtant les terroristes, quand bien même ils n’ébranlent qu’à peine la puissance matérielle de l’ennemi, c’est que, sous le coup de la peur et de la confusion, ce dernier réagira de façon disproportionnée et fera un mauvais usage de sa force préservée.

Leur calcul est le suivant: en tournant contre eux son pouvoir massif, l’ennemi, fou de rage, déclenchera une tempête militaire et politique bien plus violente que celle qu’eux-mêmes auraient jamais pu soulever. Et au cours de ces tempêtes, ce qui n’était jamais arrivé arrive: des erreurs sont faites, des atrocités sont commises, l’opinion publique se divise, les neutres prennent position, et les équilibres politiques sont bouleversés. Les terroristes ne peuvent pas prévoir exactement ce qui sortira de leur action de déstabilisation, mais ce qui est sûr, c’est que la pêche a plus de chance d’être bonne dans ces eaux troubles que dans une mer politique calme.

Voilà pourquoi un terroriste ressemble à une mouche qui veut détruire un magasin de porcelaine. Petite, faible, la mouche est incapable de déplacer ne serait-ce qu’une simple tasse. Alors, elle trouve un éléphant, pénètre dans son oreille, et bourdonne jusqu’à ce qu’enragé, fou de peur et de colère, ce dernier saccage la boutique. C’est ce qui est arrivé au Moyen-Orient ces dix dernières années. Les fondamentalistes islamiques n’auraient jamais pu renverser eux-mêmes Saddam Hussein. Alors ils s’en sont pris aux États-Unis, et les États-Unis, furieux après les attaques du 11 Septembre, ont fait le boulot pour eux: détruire le magasin de porcelaine du Moyen-Orient. Depuis, ces décombres leur sont un terreau fertile.

L’histoire d’homo sapiens, par Yuval Noah Harari

Rebattre les cartes

Le terrorisme est une stratégie militaire peu séduisante, parce qu’elle laisse toutes les décisions importantes à l’ennemi. Comme les terroristes ne peuvent pas infliger de dommages matériels sérieux, toutes les options que l’ennemi avait avant une attaque terroriste sont encore à sa disposition après, et il est complètement libre de choisir entre elles. Les armées régulières cherchent normalement à éviter une telle situation à tout prix. Quand elles attaquent, leur but n’est pas d’orchestrer un spectacle terrifiant qui attise la colère de l’ennemi et l’amène à répliquer.

Au contraire, elles essaient d’infliger à leur ennemi des dommages matériels sérieux afin de réduire sa capacité à répliquer. Elles cherchent notamment à le priver de ses armes et de ses solutions tactiques les plus dangereuses. C’est, par exemple, ce qu’a fait le Japon en décembre 1941, avec l’attaque surprise qui a coulé la flotte américaine à Pearl Harbor. Ce n’était pas un acte terroriste; c’était un acte de guerre. Les Japonais ne pouvaient prévoir avec certitude quelle seraient les représailles, à part sur un point : quel que soit ce qu’ils décideraient de faire, il ne leur serait plus possible d’envoyer une flotte dans le Sud-Est asiatique en 1942.

Provoquer l’ennemi sans le priver d’aucune de ses armes ou de ses possibilités de répliquer est un acte de désespoir, un dernier recours. Quand on a la capacité d’infliger de gros dommages matériels à l’ennemi, on n’abandonne pas cette stratégie pour du simple terrorisme. Imaginez que, en décembre 1941, les Japonais aient, pour provoquer les États-Unis, torpillé un navire civil sans toucher à la flotte du Pacifique à Pearl Harbor: ç’aurait été de la folie !

Mais les terroristes n’ont pas trop le choix. Ils sont si faibles qu’ils n’ont pas les moyens de couler une flotte ou de détruire une armée. Ils ne peuvent pas mener de guerre régulière. Alors, ils choisissent de faire dans le spectaculaire pour, espèrent-ils, provoquer l’ennemi, et le faire réagir de façon disproportionnée. Un terroriste ne raisonne pas comme un général d’armée, mais comme un metteur en scène de théâtre: c’est là un constat intuitif, qu’illustre bien, par exemple, ce que la mémoire collective a conservé des attentats du 11 Septembre. Si vous demandez aux gens ce qu’il s’est passé le 11 Septembre, ils répondront probablement que les tours jumelles du World Trade Center sont tombées sous le coup d’une attaque terroriste d’Al-Qaeda. Pourtant, en plus des attentats contre les tours, il y a eu ce jour-là deux autres attaques, notamment une attaque réussie contre le Pentagone. Comment se fait-il qu’aussi peu de gens s’en souviennent?

Si l’opération du 11 Septembre avait relevé d’une campagne militaire conventionnelle, l’attaque du Pentagone aurait retenu la plus grande attention. Car elle a permis à Al-Qaeda de détruire une partie du QG ennemi, tuant et blessant au passage des dirigeants et des experts de haut rang. Comment se fait-il que la mémoire collective accorde bien plus d’importance à la destruction de deux bâtiments civils et à la disparition de courtiers, de comptables et d’employés de bureaux?

C’est que le Pentagone est un bâtiment relativement plat et arrogant, tandis que le World Trade Center était un grand totem phallique dont l’effondrement a produit un énorme effet audiovisuel. Qui a vu les images de cet effondrement ne pourra jamais les oublier. Le terrorisme, c’est du théâtre, nous le comprenons intuitivement – et c’est pourquoi nous le jugeons à l’aune de son impact émotionnel plus que matériel. Rétrospectivement, Oussama ben Laden aurait peut-être préféré trouver à l’avion qui a frappé le Pentagone une cible plus pittoresque, comme la statue de la Liberté. Il y aurait certes eu peu de morts, et aucun atout militaire de l’ennemi n’aurait été détruit, mais quel puissant geste théâtral !

À l’instar des terroristes, ceux qui les combattent devraient aussi penser en metteurs en scène plutôt qu’en généraux. Pour commencer, si l’on veut combattre le terrorisme efficacement, il faut prendre conscience que rien de ce que les terroristes font ne peut vraiment nous détruire. C’est nous seuls qui nous détruisons nous-mêmes, si nous surréagissons et donnons les mauvaises réponses à leurs provocations.

Les terroristes s’engagent dans une mission impossible, quand ils veulent changer l’équilibre des pouvoirs politiques par la violence, alors qu’ils n’ont presque aucune capacité militaire. Pour atteindre leur but, ils lancent à nos États un défi tout aussi impossible : prouver qu’ils peuvent protéger tous leurs citoyens de la violence politique, partout et à tout moment. Ce qu’ils espèrent, c’est que, en s’échinant à cette tâche impossible, ils vont rebattre les cartes politiques, et leur distribuer un as au passage.

Certes, quand l’État relève le défi, il parvient en général à écraser les terroristes. En quelques dizaines d’années, des centaines d’organisations terroristes ont été vaincues par différents États. En 2002-2004, Israël a prouvé qu’on peut venir à bout, par la force brute, des plus féroces campagnes de terreur. Les terroristes savent parfaitement bien que, dans une telle confrontation, ils ont peu de chance de l’emporter. Mais, comme ils sont très faibles et qu’ils n’ont pas d’autre solution militaire, ils n’ont rien à perdre et beaucoup à gagner. Il arrive parfois que la tempête politique déclenchée par les campagnes de contre-terrorisme joue en faveur des terroristes: c’est pour cette raison que cela vaut le coup de jouer. Un terroriste, c’est un joueur qui, ayant pioché au départ une main particulièrement mauvaise, essaye de convaincre ses rivaux de rebattre les cartes. Il n’a rien à perdre, tout à gagner.

Une petite pièce dans une jarre vide

Pourquoi l’État devrait-il accepter de rebattre les cartes ? Puisque les dommages matériels causés par le terrorisme sont négligeables, l’État pourrait théoriquement en faire peu de cas, ou bien prendre des mesures fermes mais discrètes loin des caméras et des micros. C’est d’ailleurs bien souvent ce qu’il fait. Mais d’autres fois, les États s’emportent, et réagissent bien trop vivement et trop publiquement, faisant ainsi le jeu des terroristes. Pourquoi les États sont-ils aussi sensibles aux provocations terroristes?

S’ils ont souvent du mal à supporter ces provocations, c’est parce que la légitimité de l’État moderne se fonde sur la promesse de protéger l’espace public de toute violence politique. Un régime peut survivre à de terribles catastrophes, voire s’en laver les mains, du moment que sa légitimité ne repose pas sur le fait de les éviter. Inversement, un problème mineur peut provoquer la chute d’un régime, s’il est perçu comme sapant sa légitimité. Au XIVe siècle, la peste noire a tué entre un quart et la moitié de la population européenne, mais nul roi n’a perdu son trône pour cela, nul non plus n’a fait beaucoup d’effort pour vaincre le fléau. Personne à l’époque ne considérait que contenir les épidémies faisait partie du boulot d’un roi. En revanche, les monarques qui laissaient une hérésie religieuse se diffuser sur leurs terres risquaient de perdre leur couronne, voire d’y laisser leur tête!

Aujourd’hui, un gouvernement peut tout à fait fermer les yeux sur la violence domestique ou sexuelle, même si elle atteint de hauts niveaux, parce que cela ne sape pas sa légitimité. En France, par exemple, plus de mille cas de viols sont signalés chaque année aux autorités, sans compter les milliers de cas qui ne font pas l’objet de plaintes. Les violeurs et les maris abusifs, au demeurant, ne sont pas perçus comme une menace existentielle pour l’État parce que historiquement ce dernier ne s’est pas construit sur la promesse d’éliminer la violence sexuelle. A contrario, les cas, bien plus rares, de terrorisme, sont perçus comme une menace fatale, parce que, au cours des siècles derniers, les États occidentaux modernes ont peu à peu construit leur légitimité sur la promesse explicite d’éradiquer la violence politique à l’intérieur de leurs frontières.

Au Moyen Âge, la violence politique était omniprésente dans l’espace public. La capacité à user de violence était de fait le ticket d’entrée dans le jeu politique; qui en était privé n’avait pas voix au chapitre. Non seulement de nombreuses familles nobles, mais aussi des villes, des guildes, des églises et des monastères avaient leurs propres forces armées. Quand la mort d’un abbé ouvrait une querelle de succession, il n’était pas rare que les factions rivales – moines, notables locaux, voisins inquiets – recourent aux armes pour résoudre le problème.

Le terrorisme n’avait aucune place dans un tel monde. Qui n’était pas assez fort pour causer des dommages matériels substantiels était insignifiant. Si, en 1150, quelques musulmans fanatiques avaient assassiné une poignée de civils à Jérusalem, en exigeant que les Croisés quittent la terre sainte, ils se seraient rendus ridicules plutôt que d’inspirer la terreur. Pour être pris au sérieux, il fallait commencer par s’emparer d’une ou deux places fortes. Nos ancêtres médiévaux se fichaient bien du terrorisme: ils avaient trop de problèmes bien plus importants à régler.

Au cours de l’époque moderne, les États centralisés ont peu à peu réduit le niveau de violence politique sur leur territoire, et depuis quelques dizaines d’années les pays occidentaux l’ont pratiquement abaissé à zéro. En Belgique, en France ou aux États-Unis, les citoyens peuvent se battre pour le contrôle des villes, des entreprises et autres organisations, et même du gouvernement lui-même sans recourir à la force brute. Le commandement de centaines de milliards d’euros, de centaines de milliers de soldats, de centaines de navires, d’avions et de missiles nucléaires passe ainsi d’un groupe d’hommes politiques à un autre sans que l’on ait à tirer un seul coup de feu. Les gens se sont vite habitués à cette façon de faire, qu’ils considèrent désormais comme leur droit le plus naturel. Par conséquent, des actes, même sporadiques, de violence politique, qui tuent quelques dizaines de personnes, sont vus comme une atteinte fatale à la légitimité et même à la survie de l’État. Une petite pièce, si on la lance dans une jarre vide, suffit à faire grand bruit.

C’est ce qui explique le succès des mises en scène terroristes. L’État a créé un immense espace vide de violence politique – un espace qui agit comme une caisse de résonance, amplifiant l’impact de la moindre attaque armée, si petite soit-elle. Moins il y a de violence politique dans un État, plus sa population sera choquée face à un acte terroriste. Tuer trente personnes en Belgique attire bien plus d’attention que tuer des centaines de personnes au Nigeria ou en Iraq. Paradoxalement, donc, c’est parce qu’ils ont réussi à contenir la violence politique que les États modernes sont particulièrement vulnérables face au terrorisme. Un acte de terreur qui serait passé inaperçu dans un royaume médiéval affectera bien davantage les États modernes, touchés au cœur.

L’État a tant martelé qu’il ne tolérerait pas de violence politique à l’intérieur de ses frontières qu’il est maintenant contraint de considérer tout acte de terrorisme comme intolérable. Les citoyens, pour leur part, se sont habitués à une absence totale de violence politique, de sorte que le théâtre de la terreur fait naître en eux une peur viscérale de l’anarchie, comme si l’ordre social était sur le point de s’effondrer. Après des siècles de batailles sanglantes, nous nous sommes extraits du trou noir de la violence, mais ce trou noir, nous le sentons, est toujours là, attendant patiemment le moment de nous avaler à nouveau. Quelques atrocités, quelques horreurs – et nous voilà, en imagination, en train de retomber dedans.

Afin de soulager ces peurs, l’État est amené à répondre au théâtre de la terreur par un théâtre de la sécurité. La réponse la plus efficace au terrorisme repose sans doute sur de bons services secrets et sur une action discrète contre les réseaux financiers qui alimentent le terrorisme. Mais ça, les gens ne peuvent pas le voir à la télévision. Or ils ont vu le drame terroriste de l’effondrement des tours du World Trade Center. L’État se sent donc obligé de mettre en scène un contre-drame aussi spectaculaire, avec plus de feu et de fumée encore. Alors au lieu d’agir calmement et efficacement, il déclenche une énorme tempête qui, bien souvent, comble les rêves les plus chers des terroristes.

Comment l’État devrait-il faire face au terrorisme ? Pour réussir, la lutte devrait être menée sur trois fronts. Les gouvernements, d’abord, devraient se concentrer sur une action discrète contre les réseaux terroristes. Les médias, ensuite, devraient relativiser les événements et éviter de basculer dans l’hystérie. Le théâtre de la terreur ne peut fonctionner sans publicité. Or malheureusement, les médias ne font souvent que fournir cette publicité gratuitement: ils ne parlent que des attaques terroristes, de façon obsessionnelle, et exagèrent largement le danger, parce que de tels articles sensationnels font vendre les journaux, bien mieux que les papiers sur le réchauffement climatique.

Le troisième front, enfin, est celui de notre imagination à tous. Les terroristes tiennent notre imagination captive, et l’utilisent contre nous. Sans cesse, nous rejouons les attaques terroristes dans notre petit théâtre mental, nous repassant en boucle les attaques du 11 Septembre ou les attentats de Bruxelles. Pour cent personnes tuées, cent millions s’imaginent désormais qu’il y a un terroriste tapi derrière chaque arbre. Il en va de la responsabilité de chaque citoyen et de chaque citoyenne de libérer son imagination, et de se rappeler quelles sont les vraies dimensions de la menace. C’est notre propre terreur intérieure qui incite les médias à traiter obsessionnellement du terrorisme et le gouvernement à réagir de façon démesurée.

Que dire encore du terrorisme nucléaire ou bio-terrorisme? Que se passerait-il si ceux qui prédisent l’Apocalypse avaient raison? si les organisations terroristes venaient à acquérir des armes de destruction massive, susceptibles, comme dans la guerre conventionnelle, de causer d’immenses dommages matériels? Quand cela arrivera (si cela arrive), l’État tel que nous le connaissons sera dépassé. Et du même coup, le terrorisme tel que nous le connaissons cessera également d’exister, comme un parasite meurt avec son hôte.

Si de minuscules organisations représentant une poignée de fanatiques peuvent détruire des villes entières et tuer des millions de personnes, l’espace public ne sera plus vierge de violence politique. La vie politique et la société connaîtront des transformations radicales. Il est difficile de savoir quelle forme prendront les batailles politiques, mais elles seront certainement très différentes des campagnes de terreur et de contre-terreur du début du XXIe siècle. Si en 2050 le monde est plein de terroristes nucléaires et de bio-terroristes, leurs victimes songeront au monde occidental d’aujourd’hui avec une nostalgie teintée d’incrédulité: comment des gens qui jouissaient d’une telle sécurité ont-ils pu se sentir aussi menacés ?

© Yuval Harari 2016

© Albin Michel pour la traduction française 2016, par Clotilde Meyer

Yuval Noah Harari, bio express

Yuval Harari (©Rami Zarnegar)

Docteur en histoire médiévale, spécialiste des croisades, Yuval Noah Harari, 39 ans, est diplômé d’Oxford. Né en Israël de parents juifs libanais, il enseigne depuis 2003 à l’université hébraïque de Jérusalem. Il vient de publier en France «Sapiens. Une brève histoire de l’humanité» (Albin Michel), déjà traduit en une quarantaine de langues. (PHOTO ©Rami Zarnegar)

Affaire de prêtre pédophile à Lyon : un nouveau suspect

Un nouveau prêtre lyonnais est soupçonné d’agressions sexuelles, a-t-on appris jeudi de source proche du dossier alors que le diocèse et son évêque, le cardinal Barbarin, sont dans la tourmente depuis la révélation de plusieurs affaires.

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Selon le site internet M6info, qui a révélé l’information, il s’agit d’un prêtre du deuxième arrondissement de la ville, déjà ciblé par une enquête en 2006 et classée quelques mois plus tard. Celle-ci a été «réactivée» il y a quelques jours par la justice, a confirmé la source proche du dossier.

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AFP

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