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JAZZ IN MARCIAC, 39e marche vers le ciel

La scène se passe à Marciac, le 12 mars dernier, dans l’une des pièces de l’Astrada, après l’époustouflant concert du trio du pianiste Kenny Barron. Les trois musiciens ont donné le meilleur. Le bus les attend pour rentrer, dans la nuit, à Toulouse. Kiiyoshi Kitagawa (contrebasse), Jonathan Blake (batterie), et le leader, se plient néanmoins de la meilleure grâce du monde, au cocktail du team organisateur avec sponsors et journalistes. Je félicite l’Américain. Depuis ce concert mémorable au Sunside, en 2005, Barron est passé dans la division des grands. A Marciac, sidéré, les titres des deux morceaux de Thelonious Monk que Barron vient de jouer m’échappent. Le fondateur du festival, Jean-Louis Guilhaumon, lui aussi abasourdi par le niveau de la prestation vole à mon secours : «Light Blue et Shuffle Boil». Le nom du morceau composé par Barron en hommage à Bud Powell me revient : Budlike. Deux pièces de Monk, une perle dédiée à Bud : trois élans du dernier CD (Book of Intuition). Le spectateur se retrouve collé au fond du siège. Virtuosité, invention, respect de l’esprit des compositeurs, chorégraphie des mains, swing ininterrompu, pointure supérieure des accompagnateurs, interactivité sidérante du trio. On en prend plein le buffet. Reste un miracle. Comment Barron réussit-il successivement à exécuter avec une ébouriffante maestria, les improvisations sous la loi de Monk, celles dans le royaume de Bud, le tout en ne portant aucun ombrage à leurs suzerainetés respectives? Barron considère ma question avec incrédulité, comme si la réponse tenait dans le moindre livre de comptines. Il tend le doigt vers chacune de ses oreilles : «je les ai écoutés, c’est tout. J’ai passé mon enfance à écouter Monk, à écouter Bud. Sans interruption. Monk et Bud étaient mes préférés.» Désorienté par mon ahurissement et l’insistance pour saisir le secret («oui mais quand même, Monsieur Barron, vous avez pratiqué sans arrêt, n’est-ce pas?»), le natif de Philadelphie porte à nouveau le doigt vers l’oreille. «Je n’ai fait que cela, vous comprenez : les écouter. Les é-cou-ter»… Le jazz semble limpide avec lui. Le parcours de l’Américain, (il monta avec Stan Getz en 1990 sur la scène du village gersois), jaillit comme une source. Quand il remplace Lalo Schifrin au sein du quintette de Dizzy Gillespie, Barron a vingt ans. Il a joué avec Roy Haynes. Connaît les boppers et leurs icônes du piano par coeur (Monk et Bud). C’est James Moody qui le clame. Le saxophoniste le recommande à Dizzy. La pensée m’émeut. Dizzy-Moody! L’un de mes tous premiers concerts à Marciac, en 1991. Dizzy mène alors le United Nations All-Star Orchestra. Je me souviens d’un solo de Moody, majestueux. Dizzy fait le clown en djellaba blanche. Soulève la salle. Se dandine comme une fatma. Tape avec un sourire épanoui sur les fesses de Moody, qui, sérieux comme un prélat remonte vers le pupitre. La salle en délire, déjà. Les rappels. Depuis 39 ans, le feu d’artifice musical de Marciac imprime les souvenirs heureux de deux générations d’amateurs. Combien de coeurs la manifestation a-t-elle soulevé dans les tentes et sous les parasols du village? L’affiche de 2016 (des centaines d’étoiles comme autant de visages), rend hommage au public. A un an de la quarantième, Jean-Louis directeur artistique de JIM (Jazz in Marciac), le plus grand festival de jazz français, a dévoilé, en préliminaire de la prestation de Kenny Barron, les surprises de la 39e édition (du 29 juillet au 15 août 2016).

La première? Monumentale ! Ahmad Jamal donnera son seul concert de l’année. Après une période sabbatique, le pianiste de génie prendra résidence ici pendant dix jours pour enregistrer deux albums de nouvelles compositions (un solo, un quartet). Un coup de maître de Guilhaumon. Car Jamal ne se borne pas à incarner un géant du jazz. C’est un personnage. Me revient un tête à tête informel avec lui, organisé par ses producteurs (moment de grâce, merci Catherine et Seydou Barry). On s’est retrouvés au dernier étage d’un hôtel parisien. Panorama sur Paris. Jamal, branché en permanence sur l’aspect spirituel des choses : «vous savez, Monsieur Pfeiffer (Jamal vous appelle par votre nom), la richesse n’est pas un but. Steve Jobs vient de mourir. Il possédait 72 millions de dollars? Un montant vertigineux, vous en convenez. Il ne lui a pas permis d’acheter une seconde de plus!» Une heure de Jamal : de l’or en barre. Pas uniquement au piano.

Autres vedettes (parmi trente-six) sous l’immense tente blanche : les guitaristes John Scofield et John Mc Laughlin (le même soir!), Kamasi Washington, Archie Shepp (il revient avec Lucky Peterson), Jamie Cullum, Dianne Reeves, Stephane Belmondo, Snarky Puppy,Lisa Simone, Fred Wesley, Yaron Herman (avec M), Gonzalo Rubalcaba, Roberto Fonseca, Maceo Parker, Cyrille Aimée… Sans omettre, au Château de Sabazan, dans le fief des producteurs Plaimont, le concert attendu du Brésilien Ed Motta, le 6 août.

Autant de prestations alléchantes sous l’aura tutélaire du trompettiste Wynton Marsalis. L’indiscutable mascotte du festival se produira sous des formules diverses. Dans un ouvrage paru en 2005, Lettres à un jeune musicien de jazz, le Louisianais place l’échange et le partage, au centre du jeu de l’artiste. La somme de conseils du maître-jazzman résume à merveille l’incarnation de respect, d’humilité, d’écoute de l’autre, de travail… et de prise de risque que l’équipe de Marciac, issue depuis les origines de l’éducation populaire, montre en exemple, à la planète entière, depuis bientôt quarante ans.

Bruno Pfeiffer

JIM, 39 édition, du 29 juillet au 15 août 2016

CD Kenny Barron Trio, Book of Intuition, IMPULSE! /Universal

Casse-Noisette » et « Iolanta »: deux ouvrages de Tchaïkovsky à l’Opéra

Quelle belle initiative que celle qui a voulu reprendre en une seule soirée le bref opéra de Tchaïkovsky, « Iolanta », et l’une des plus célèbres musique de ballet du compositeur russe, « Casse-Noisette », tout comme ce fut le cas au jour de leur création, en 1892, au Théâtre Marie, à Saint-Pétersbourg !

Tendresse et humanité

L’idée sans doute vient du metteur en scène Dimitri Tcherniakov qui donne de « Iolanta » une vision toute en tendresse et en humanité, fortement nimbée de spiritualité, très russe en un mot (loin de l’onirisme élégant de la réalisation de Robert Carsen au Festival d’Aix-en-Provence et à l’Opéra de Lyon), et offerte dans un cadre de blancheur douce et lumineuse. Il en fait aussi un ouvrage lyrique offert à la jeune Marie, l’héroïne de « Casse-Noisette », en prologue à la fête qui va suivre : par un délicieux tour de passe-passe, les personnages de l’opéra, évidemment interprétées par des artistes lyriques, se glissent sans transition dans le monde du ballet où les danseurs endossent les mêmes costumes que les chanteurs.

Et voilà que le boudoir où Iolanta a recouvré la vue se meut en simple alcôve d’un vaste et lumineux salon où l’on fête l’anniversaire de Marie. Cette première partie du ballet découvre une fête de famille joyeuse, aimable, toute en fraîcheur, où chacun s’épanouit dans des costumes d’une élégante simplicité (dus au talent d’Elena Zaitseva), des costumes de ville aux coloris dont l’harmonie est admirable. Rien d’exceptionnel sans doute dans cette chorégraphie entraînante et festive, mais beaucoup de naturel, de gaieté, et le plaisir sans mélange de découvrir les danseurs de l’Opéra éclatants de jeunesse, heureux et débridés, exécutants des pas inédits sur ces pages si connues de « Casse-Noisette ».

C’est à un chorégraphe d’origine portugaise, mais né en Afrique du Sud et formé en Grande-Bretagne, Arthur Pita, que l’on doit cette fête, et c’est aux danseurs que l’on doit cette interprétation si vivante et si naturelle.

Saisissante tempête de neige

En toute logique, Tcherniakov a réécrit l’argument de « Casse-Noisette » pour briser avec l’aspect sucré et féérique qui est l’apanage de ce ballet dont une version traditionnelle due à Rudolf Noureev demeure bien évidemment au répertoire du Ballet de l’Opéra. Mais avec la volonté d’élever l’ouvrage au rang de conte philosophique, il n’a fait preuve ici que de confusion, et son argument douteux, psychanalytico-philosophique, a grand ouvert la porte aux errements des deux faiseurs qui ont pris la suite d’Arthur Pita dans le déroulement du ballet.


(Agathe Poupeney)

Au cœur d’un environnement visuel saisissant dû aux images extraordinaires d’Andrey Zelenin qui précipitent les danseurs dans une tempête de neige, un blizzard sibérien, la réponse chorégraphique de Sidi Larbi Cherkaoui, dans ce qui est baptisé « valse des flocons », des flocons de neige bien entendu, est d’une rare pauvreté.

Musicalement inculte

Même chose avec Edouard Lock qui lui succède dans les tableaux intitulés « la forêt » et « divertissement ». Si la faiblesse de l’argument dicté par Tcherniakov est sans doute la première coupable de cette déroute, le travail de Lock est pire encore.

Quand l’une des plus spirituelles musiques de ballet aurait dû servir de levier à l’imagination la plus folle, Lock, musicalement inculte et insensible à la partition, met en scène d’énormes poupées construites en pure perte et sans doute à grand frais, plantées là sans rime, ni raison, cependant qu’il impose à une poignée de danseuses une chorégraphie indigente.

Dans des robes claires des années 1930, les dites danseuses sont d’un charme irrésistible : mais cela ne tient qu’à leur beauté et à leur tenue. Nullement à ce qu’elles exécutent. Quant à Marie, qui ne quitte pas la scène, Lock en fait une malade mentale que sa gestuelle déréglée de fille gravement perturbée pourrait conduire droit aux petites maisons.

Qui a choisi de faire appel à Cherkaoui et à Lock ? Benjamin Millepied ? Dimitri Tcherniakov ? C’est un ratage monumental, que de s’être ainsi laissé aveugler par deux hommes au parcours chorégraphique si décevant.

Raphaël de Gubernatis

« Iolanta » et « Casse-Noisette« . Opéra de Paris, Palais Garnier. Jusqu’au 1er avril 2016. 08 92 89 90 90.

Alex Beaupain, Maissiat, Jeff Buckley… La sélection musicale de la semaine

Le choix de « l’Obs »

♥♥♥♥ « Loin« , par Alex Beaupain (AZ).

L’an passé, Alex Beaupain mettait en musique « les Gens dans l’enveloppe », le livre d’Isabelle Monnin, qui inventait la vie d’inconnus à partir de leurs photos de famille. Bientôt, on découvrira qu’il a aussi composé les chansons des « Malheurs de Sophie », adapté au cinéma par Christophe Honoré, son ami d’enfance. Entre-temps, Beaupain a enregistré son cinquième album. Le chanteur, adepte des chansons d’amour nostalgiques et mélancoliques, se dévoile plus encore dans ces titres qui, pour l’essentiel, évoquent la douleur de la disparition et du deuil. Barbara disait qu’on pouvait être « orpheline à 40 ans ». Beaupain, plus jeune, a perdu sa petite amie, puis sa mère et récemment son père. Ces êtres aimés traversent ce très bel album.

Alex Beaupain : « Il ne se passe pas grand-chose quand on est heureux »

Pourtant, même si ces souvenirs viennent assombrir le disque, Beaupain parvient à y instiller un peu de légèreté dans ses accents pop. « Loin », qui donne son titre à ce nouvel opus, revient sur les souvenirs lumineux d’une enfance à tout jamais enfuie. Chanson après chanson, Beaupain retrace le chemin de sa vie dans ce qu’elle a de beau et de tragique. « Je te supplie », sur une mélodie de Julien Clerc, est une lettre adressée à son amoureuse perdue. « Les voilà » tente de faire revivre ses défunts parents, tout comme « Rue Battant ». Cette dernière, signée Vincent Delerm, paroles et musique, est une errance dans Besançon, la ville natale de Beaupain, à la recherche des figures évanouies. Qu’on ne se méprenne pas sur l’intention : cet album est celui d’un amoureux fou de la vie.

Chanson

♥♥♥♥ « Grand Amour« , par Maissiat (Cinq/7).

Il y a trois ans sortait « Tropiques », le premier album de cette inconnue au nom mystérieux. Maissiat, auteur et compositeur, y interprétait « le Départ », une ballade sur la mort qui a forcément marqué ceux qui l’ont entendue. Aujourd’hui, son deuxième disque confirme combien Maissiat est douée. Elle y parle d’amour, l’amour quand il est profond, lumineux, sensuel, douloureux parfois.

Le plus souvent, le piano accompagne cette voix qui ressemble à s’y méprendre à celle de Françoise Hardy – cette dernière avait d’ailleurs souhaité la rencontrer à l’époque du « Départ ». Alors, oui, c’est dit : Maissiat excelle dans la grande ballade sentimentale. Ecoutez « Grand Huit », « Ce bleu sentimental », « Bilitis » ou encore « la Beauté du geste ». Autant de chansons à la fois personnelles et universelles, interprétées d’une voix rare et fragile qui semble vouloir atteindre les nuages.

Blues rock

♥♥♥ « Opération Aphrodite« , par Gérard Manset (Parlophone/Warner).

Quarante-cinq ans après « la Mort d’Orion », premier space opera rock français, Manset récidive avec une nouvelle symphonie métaphysique. L’homme-orchestre déroule son blues rock lyrique et ses ballades névralgiques, entrecoupés de lectures de Pierre Louÿs. Le concept album est illustré par René Brantonne, créateur de l’esthétique de la légendaire collection « Anticipation » chez Fleuve noir. En couverture, Manset reproduit celle du n° 47 : « Opération Aphrodite » (roman de Jimmy Guieu).

Nostalgique d’une époque où il découvrait les odyssées intergalactiques, le voyageur solitaire pioche dans les 273 couvertures du maître et nous propose encore « Terminus 1 » (Stefan Wul) ou « Créatures des neiges » (Jimmy Guieu). Seconde clé : « Aphrodite », sous-titré « roman de mœurs antiques » que publia Louÿs au lendemain des « Chansons de Bilitis ». Le rocker invisible souscrirait-il à ce culte de la beauté sur fond de décadence libertine ou faut-il y voir les interrogations crépusculaires de l’artiste ? Ce vieil enfant d’Aphrodite se penche sur les cruelles lèvres du passé et voit la mort dans ces « divinités amies [qu’il va] retrouver pour mille ans, dans ces allées de fruits où les jours sont des nuits ».

Inédits

♥♥ « You and I« , par Jeff Buckley (Columbia).

Evidemment, faire du business avec les brouillons d’un malheureux qui s’est noyé dans le Mississippi à 30 ans, ce n’est pas joli-joli. Bien sûr, tout le monde aurait préféré que Jeff Buckley continue sur sa lancée après « Grace », cet unique album que les étudiantes de 1994 écoutaient en allumant des bougies, dans un frisson mystique.

Seulement voilà, en février 1993, seul avec sa guitare et son harmonium, ce jeune surdoué au lyrisme un peu emphatique avait aussi mis en boîte ces dix chansons. Elles n’ont rien de médiocre. Ce sont surtout des reprises (Dylan, Led Zeppelin, les Smiths…), car ce garçon-là était capable de tout jouer, ou presque : de la ballade sensuelle (« Just Like a Woman ») au funk velouté (« Everyday People ») en passant par la country old school (« Poor Boy Long Way from Home ») ou ses propres compositions (« Grace », déjà parfaitement en place). Et le doute n’est pas permis : s’il cherchait encore sa voie, il avait trouvé sa voix.

Les autres sorties

♥♥ « God don’t never change : The songs of blind Willie Johnson« (Alligator Records/Socadisc).

BLUES. Blind Willie Johnson est mort en 1945 (un 18 septembre, comme Hendrix), mais pas son gospel rauque, pas le blues mystique et rustique qu’il arrachait à sa guitare. La preuve avec cet album, où une dizaine d’artistes rendent hommage au prophète aveugle du Texas : le trop rare Tom Waits offre ses manières d’ours mal léché à « The Soul of a Man » et « John the Revelator » ; les Cowboys Junkies promettent que « Jesus Is Coming Soon » ; et Rickie Lee Jones fait un sort à « Dark Was the Night… », cette poignante complainte qui fut expédiée dans les étoiles par la NASA en 1977, avec un concerto de Bach, un quatuor de Beethoven et une poignée d’autres oeuvres capables de plaider la cause, pourtant désespérée, de l’humanité.

♥♥♥ « Sérénades interrompues« , par Quatuor Bedrich (Bion Records).

CLASSIQUE. On a souvent transcrit du quatuor vers le piano, mais rarement dans l’autre sens, allez savoir pourquoi, comme si un pont était univoque. En tout cas, cela marche du tonnerre. Les Bedrich ont adapté pour cet enregistrement Chabrier, Bizet, Fauré, Debussy, Satie, Poulenc, Falla, et c’est un régal. Ils ont trouvé mille manières de rendre les effets pianistiques, mille traductions, mille effets, mille équivalences. Ils font si bien qu’ils nous trompent : le prélude du « Tombeau de Couperin » de Ravel, on dirait son quatuor.

♥♥♥« It calls on me« , par Doug Tuttle (Trouble In Mind Records).

POP ROCK. Bien que la pochette fasse penser à un disque de rock gothique de 1984, où sauter dans un lac gelé reste une solution pour quitter ce monde, il n’en est rien. Doug semble plus attiré par les scintillements psyché et les carillons pop, les arrangements délicats et les guitares ciselées qui lorgnent sur les Byrds.

On a le sentiment de découvrir un nouveau trésor exhumé de la fi n des sixties, mais c’est pourtant en 2015 que ce fan de Peter Buck (R.E.M.) a enregistré seul dans l’appart de sa copine ce disque laid back aux mélodies subtiles. Avec des titres comme « Painted Eye » ou « Falling to Believe », aucun doute, c’est Gene Clark, White Fence et Jacco Gardner réunis. Guitare 12 cordes et tambourin de rigueur.

Sophie Delassein, Grégoire Leménager, Jacques Drillon, Frantz Hoëz et François Armanet

Fin des bouches cousues pour les Iraniens de Calais

Après vingt-quatre jours bouche cousue, neuf Iraniens de la «jungle» de Calais viennent de mettre fin à leur grève de la faim. Mokhtar, enseignant, Esmaïl, cadre dans la pétrochimie, Mohammad, mécanicien dans l’aéronautique, Hamed, vendeur de voitures, Davoud, agent immobilier et tatoueur, Sassan et Hossein, étudiants, Réza, prof de body-building, et Mohammad Réza, joaillier, installés dans l’ancienne cabane des No Border réclamaient, entre autres, «l’arrêt de la démolition de la jungle», mais aussi «la sécurité», «un représentant des Nations unies pour parler avec nous». Ce qu’ils ont obtenu? Selon leur communiqué, ils disent considérer comme une «victoire», le fait que le gouvernement «ait été obligé d’abandonner le projet de démantèlement de la zone nord de la jungle» et de «commencer à améliorer […] la sécurité, l’accès aux soins, l’accès au droit, l’assistance pour les personnes vulnérables, notamment les mineurs, l’accès à l’eau potable et la construction d’une route pavée afin de permettre aux services d’urgence d’entrer dans le camp». Ils poursuivent: «Nous exhortons l’Etat à respecter ces engagements et à rompre avec la pratique d’annonces politiciennes auxquelles il nous a tristement habitués.» Ils ajoutent: «Nous avons décidé de mettre fin à notre grève de la faim, non pas en réaction aux négociations avec l’Etat français, mais par respect pour ceux qui nous soutiennent, qui sont inquiets pour notre bien-être, ainsi que comme preuve de confiance dans les intentions de l’Etat de nous protéger et d’améliorer les conditions de vie des habitants de la zone nord du bidonville.»

 «On est content qu’ils arrêtent»

Les neuf grévistes de la faim ont rencontré à cinq reprises des représentants de la Direction départementale de la cohésion sociale qui leur a proposé des solutions d’hébergement, identiques à celles mises à disposition de tous les migrants de la jungle, mais aussi «la possibilité d’être représentés dans des réunions hebdomadaires», des rencontres avec l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) et des responsables du Home Office -le ministère de l’Intérieur britannique-, ainsi que des explications sur le système d’empreintes palmaires à l’entrée du centre d’accueil provisoire -les conteneurs blancs-, système qui fait craindre aux migrants d’être identifiés à leur arrivée au Royaume-Uni.

Les exilés Iraniens disent avoir aussi rencontré des représentants de l’UNHCR (l’Agence des Nations unies pour les réfugiés) et du Défenseur des droits. «Ils nous ont assurés qu’ils publieraient des rapports sur les conditions de vie dans le bidonville.»

Pendant vingt-quatre jours, les neuf Iraniens n’ont consommé que de l’eau, des jus de fruit et des bouillons salés. «Ils sont très affaiblis, ont beaucoup maigri. Leur état n’est pas catastrophique, mais on est content qu’ils arrêtent», indique Olivier Marteau, responsable de Médecins sans frontières à Calais, l’ONG qui les a suivis. Les neuf hommes, dont un n’a que 17 ans, s’étaient cousu la bouche par leurs propres moyens. Leur communiqué débute par un hommage aux victimes des attentats de Bruxelles, et des condoléances aux habitants de la capitale Belge. Ils ont ajouté: «C’est cette même violence que les habitants de la jungle ont fui.»

Haydée Sabéran Lille, de notre correspondante

Arrêt de la chaîne Numéro 23 : le rapporteur du Conseil d’Etat suit l’avis du CSA

Le rapporteur du Conseil d’Etat a préconisé vendredi le rejet de la requête de Numéro 23, chaîne de la TNT condamnée à disparaître après s’être vue retirer son autorisation d’émettre par le CSA. «La mauvaise foi de la société requérante, et sa volonté de se soustraire de manière tout à fait délibérée à ses obligations, au minimum de transparence, nous paraît établie», a estimé le rapporteur Laurence Marion, recommandant le rejet de la requête en annulation par le Conseil d’Etat et, de facto, la mort de la chaîne. Le Conseil d’Etat doit rendre sa décision avant le jeudi 31 mars, dans ce dossier qualifié de «difficile» par le rapporteur.

Le canal de la chaîne, au numéro 23, devrait être libre au plus tard le 1er juillet si la décision du CSA est confirmée par le Conseil d’Etat, qui juge en dernière instance. Le canal 23 intéressera au plus haut point la future chaîne d’info du service public, prévue pour le mois de septembre, mais aussi LCI, qui passe sur la TNT gratuite le 5 avril et pourrait ainsi se rapprocher de ses concurrentes BFMTV et iTélé.

Dans une décision inédite pour une chaîne de télé, le régulateur de l’audiovisuel avait sanctionné en 2015 les fondateurs de la chaîne pour s’être livrés à une spéculation frauduleuse sur une fréquence attribuée gratuitement. Quelques semaines après l’arrivée de Numéro 23 sur la TNT, une société russe avait acquis 15% de Diversité TV, la maison-mère de la chaîne fondée par Pascal Houzelot. Le nouveau pacte d’actionnaires comprenait une clause poussant à sa revente rapide, que Diversité TV a tardé à communiquer au CSA, selon le rapporteur du Conseil d’Etat. Si elle ne constitue pas une «fraude à la loi», cette modification de l’actionnariat de la chaîne devait pourtant être examinée par le CSA, selon le rapporteur. «La société s’est délibérément placée en situation d’être sanctionnée», a-t-elle conclu. «Aucun acteur du secteur n’aurait pu imaginer que la présence d’un actionnaire minoritaire puisse amener cette sanction dramatique», a plaidé l’avocat de Diversité TV, condamnant une décision «extravagante» de la part du CSA.

Décidée en 2012, la procédure d’attribution par le CSA d’un canal de la TNT à Numéro 23 pourrait également être examinée par les députés. Dans un rapport publié en janvier, le député PS Marcel Rogemont a demandé l’ouverture d’une enquête parlementaire sur cette attribution, qui devrait être discutée mardi par le groupe socialiste, a annoncé le député vendredi à l’AFP.

AFP

« Rosalie Blum », « Médecin de campagne »… Les films à voir (ou pas) cette semaine

Le choix de « l’Obs »

♥♥♥♥ « In Jackson Heights« , par Frederick Wiseman. Documentaire américain (3h10).

En immersion. Comme toujours chez Frederick Wiseman, personne ne parle à la caméra, pas un mot de commentaire, pas une explication, pas de souci didactique apparent. Juste des images, des sons, des mots. Ceux-ci sont le plus souvent hispaniques, mais c’est bien de New York qu’il s’agit, de Jackson Heights précisément, ce quartier du Queens situé à moins de trente minutes de métro du cœur de Manhattan.

Un conseiller municipal l’affirme avec une fierté légitime : « Cette communauté est la plus diverse au monde. » Une diversité traduite par un chiffre : à Jackson Heights peuvent s’entendre 167 langues différentes. Tous les habitants sont venus d’ailleurs, ce qu’aucun d’entre eux n’a oublié, pas même les plus anciens, dont les ancêtres ont traversé l’Atlantique, quand certains des plus récents ont, eux, franchi le Río Grande. Tous sont américains, ou se préparent à le devenir, et cela aussi le film le montre. Comme il montre les salons de coiffure et les cours de danse, les manucures et les abattoirs où l’on sacrifie les volailles, les bars gay, la synagogue, l’église, l’école coranique, le temple hindou, les réunions de prostitués, transsexuels ou pas, la formation des aspirants chauffeurs de taxi, les boutiques de bimbeloterie catholique, les salons de beauté pour chiens, les réunions à la mairie, enfin tout ce qui fait la vie au quotidien de ces gens qui ont trouvé leur unité dans la diversité.

Une diversité menacée. La proximité de Manhattan excite l’appétit des sociétés immobilières, les baux des petits commerçants ne sont pas renouvelés, de grandes enseignes s’implantent. Demain, les plus modestes seront partis, et l’argent coulera à flots. Demain, Jackson Heights ne sera plus Jackson Heights. Pour l’heure, une dame très riche de 98 ans se désole que personne ne lui parle, l’employé latino d’une pizzeria travaille 65 heures par semaine, le maire de New York prend part à la parade des gays, les Colombiens s’enflamment pour l’équipe de foot de leur (premier) pays.

Le cameraman de Frederick Wiseman filme, lui-même enregistre les sons et, dans la salle de montage, donne forme à son film, qui doit être quelque chose comme son quarantième (les treize plus anciens viennent d’être réunis dans un somptueux coffret DVD édité par Blaq Out, premier volume d’une intégrale indispensable). « In Jackson Heights » est une nouvelle merveille, qui vient compléter l’extraordinaire tableau composé par un des maîtres du cinéma d’aujourd’hui, qui a fêté ses 86 ans le 1er janvier dernier.

Les autres sorties

♥♥♥ « Keeper« , par Guillaume Senez. Drame belge, avec Kacey Mottet Klein, Galatea Bellugi, Catherine Salée, Sam Louwyck, Laetitia Dosch (1h35).

Maxime n’a que 15 ans, mais quand Mélanie, sa petite amie, lui annonce qu’elle est enceinte, il souhaite garder l’enfant. Maxime est un gardien (« keeper »). Un gardien de but, pour commencer, entraîné par son père, qui espère qu’il fera carrière dans le foot, mais les grands clubs dont il rêve sont encore loin.

Voilà, les données du premier film de Guillaume Senez sont en place. Mais l’essentiel, c’est l’énergie dont le jeune cinéaste et ses acteurs font montre. Elle est portée à son point d’incandescence par une réalisation au plus près des personnages, qui privilégie le tempo et réussit à maintenir du début à la fin un rythme d’enfer.

Kacey Mottet Klein, que l’on verra bientôt dans le nouveau film d’André Téchiné, et Galatea Bellugi (Mélanie) sont extraordinaires, mais aussi les interprètes des parents, la mère de Maxime, aimante et accommodante, celle de Mélanie, aimante elle aussi, mais refusant de voir sa fille vivre ce qu’elle-même a vécu, qui l’a blessée à jamais et s’opposant donc aux désirs des deux jeunes. Un petit coup de force scénaristique aide les personnages à aller là où les auteurs ont décidé qu’ils iraient. Il y a là un talent, une maîtrise, une attention aux autres et une confiance dans le cinéma qui conduisent à penser que l’on reparlera de Guillaume Senez.

♥♥ « Médecin de campagne« , par Thomas Lilti. Comédie dramatique, avec François Cluzet et Marianne Denicourt (1h42).

Comme il y a une médecine de proximité, voici du cinéma de proximité. Où tout est filmé à hauteur d’homme, dans une commune rurale où le généraliste tient autant du thérapeute que du compagnon, tutoie ses patients, soigne des corps rugueux et des accidentés de la ferme, connaît leurs drames personnels (ici, des enfants handicapés mentaux), se déplace en bottes, affronte les chiens et les jars, se dévoue jour et nuit, sans jamais compter ses heures ni mesurer sa fatigue.

Deux ans après le très autobiographique « Hippocrate », le Dr Thomas Lilti, 39 ans, qui a lui-même exercé en Normandie et dans les Cévennes, poursuit sa chronique balzacienne d’un très vieux sacerdoce que notre époque voudrait rationaliser, moderniser et parfois éradiquer. Pour illustrer ce débat, il y fait le portrait d’un médecin de campagne qui refuse de dételer malgré le cancer contre lequel il se bat et qui voit débarquer, pour le seconder et bientôt le remplacer, une interne hospitalière venue de la ville.

François Cluzet et Marianne Denicourt, tous les deux aussi justes et sobres, apprennent peu à peu, non sans mises à l’épreuve, à cohabiter et à fraterniser. C’est, avec la maladie du Dr Werner, la seule part romanesque de ce film naturaliste d’une touchante humanité, d’une attachante honnêteté, et dont le propos est clairement politique.

♥♥♥ « Chala, une enfance cubaine« , par Ernesto Daranas. Comédie dramatique cubaine, avec Alina Rodriguer, Armando Valdes Freire, Silvia Aguila (1h48).

Le hasard fait bien les choses. Au lendemain de la visite historique et intéressée de Barack Obama à La Havane, et à la veille du concert historique et gratuit que les Rolling Stones vont y donner, sort en France « Chala, une enfance cubaine », d’Ernesto Daranas. Ce film est une très bonne nouvelle. D’abord, il est aussi bien réalisé qu’interprété – preuve que le cinéma cubain, depuis longtemps étouffé par le castrisme, n’est pas mort. Ensuite, il ne cache rien des problèmes économiques, sociaux, éducatifs et politiques que rencontrent aujourd’hui les Cubains. Enfin, il a la force et la portée d’une fable universelle, dont la candeur est toujours un leurre.

Son héros, Chala, est un préado sans père et presque sans mère – elle partage en effet sa vie entre l’alcool, la drogue, le tapin et la dèche. Pour se faire de l’argent, Chala dresse des chiens de combat et élève des pigeons sur le toit. Sa seule conscience morale est incarnée ici par une institutrice âgée, Carmela, qui l’instruit, le discipline, le protège et surtout l’aime –c’est la magnifique Alina Rodriguez, disparue l’été dernier, sur le visage sans rides de laquelle semble passer toute l’histoire, à la fois sombre et solaire, de Cuba.

Quant au gamin débrouillard, mélange d’insolence et de tendresse, il représente l’avenir de cette île dont, loin de la misère et de la dictature, on n’a jamais aussi bien filmé les grands ciels et représenté l’espérance. Ce Gavroche de La Havane, filmé par un cinéaste de 54 ans doué pour déjouer la censure, s’appelle Armando Valdes Freire et il est encore au collège. Il mérite le tableau d’honneur.

♥ « Comme des lions« , par Françoise Davisse. Documentaire français (1h55).

Un film de lutte. Pendant deux ans, Françoise Davisse a suivi le combat des salariés de l’usine PSA d’Aulnay, elle a capté leurs mots, surpris leurs visages, saisi les moments de doute et les instants d’espoir, débusqué les mensonges des puissants, patrons et responsables politiques mêlés.

Rencontres, discussions, contradictions, manifestations, confrontations, les mots disent le désarroi, la colère, les corps tendus traduisent la volonté, la rage, les corps contraints, entraînés de force par les représentants de la loi, expriment un découragement souvent passager, mais bien réel. Une phrase inscrite sur les tee-shirts clame : « On se battra comme des lions. » Oui, ils ont tenu parole, c’est ce que montre le film, qui porte haut son ambition de proposer les modèles à suivre pour les luttes à venir.

♥♥ « Rosalie Blum« , par Julien Rappeneau. Comédie sentimentale française, avec Kyan Khojandi, Noémie Lvovsky, Alice Isaaz, Anémone (1h35).

Il a hérité du salon de coiffure de son père. Sa mère (Anémone, au numéro parfaitement rodé) vit dans le même immeuble que lui et ne lui laisse pas un instant de répit. Il n’a pas vu sa copine depuis plus de six mois. Heureusement, il y a Rocky, son chat. La vie de Vincent (Kyan Khojandi) n’a rien de bien palpitant. Jusqu’au jour où il fait la connaissance de l’épicière (Noémie Lvovsky), qui vit en solitaire dans cette petite ville de province.

Sans savoir bien pourquoi, il l’épie, la suit, trop timide pour l’aborder. Elle remarque son manège et demande à sa nièce (Alice Isaaz), qui n’a rien de mieux à faire et a vraiment beaucoup de charme, de le surveiller pareillement. Adaptant les BD de Camille Jourdy, Julien Rappeneau (le fils du cinéaste Jean-Paul Rappeneau) livre un premier film techniquement irréprochable, qui renoue par moments avec la tradition d’un réalisme poétique que l’on imaginait passé de mode. Le principe « Comtesse aux pieds nus » (le même événement repris selon des points de vue différents) dont procède le scénario produit un effet tuyau-de-poêle qui, même s’il fait long feu, est assez amusant. Tous les acteurs s’acquittent avec talent de leur mission

C’est raté

◊ « Remember« , par Atom Egoyan. Drame canadien, avec Christopher Plummer, Martin Landau, Bruno Ganz, Jürgen Prochnow (1h35).

Ce n’est pas une bonne nouvelle, mais Atom Egoyan n’y arrive plus. Il suit cette fois-ci un survivant d’Auschwitz, veuf depuis peu et souffrant de démence sénile, lancé par un de ses compagnons de maison de retraite (Martin Landau) sur la piste d’un SS ayant sévi au camp. Tandis que Zev Guttman, qui pendant soixante-dix ans s’est appliqué à oublier les horreurs vécues en Allemagne, traverse une partie de l’Amérique du Nord et perd peu à peu les derniers repères qui lui restent, le cinéaste ne parvient pas à retrouver les siens.

Guttman ne connaît de sa cible que le nom d’emprunt. Il passe ainsi d’un suspect à un autre. Il rencontre tour à tour un ancien de l’Afrika Korps (Bruno Ganz), le fils d’un nazi convaincu mort récemment, lui-même bien trop jeune pour être le bourreau traqué (la scène est sans doute la meilleure du film, car la seule réellement inattendue), et enfin un grand-père dont le visage boursouflé de latex laisse espérer un temps que le personnage a été vieilli à dessein, et non l’acteur (Jürgen Prochnow). Une scène de révélation-explication en forme de coup de théâtre entièrement dépendant des dialogues met un terme à une odyssée qui vaut uniquement par Christopher Plummer, impressionnant de maîtrise et de sensibilité.

Pascal Mérigeau et Jérôme Garcin

10 choses à savoir sur la YouTubeuse Andy, « Princesse 2.0 »

A 29 ans, la numéro 1 des YouTubeuses françaises sort des écrans et publie son premier livre, un journal intime fictif à la morale adolescente. Dix choses à savoir sur Andy.

1 Lol

Elle aurait pu miser sur son minois et faire comme les autres YouTubeuses : des tutoriels beauté pour collégiennes. Mais Andy, Nadège de son vrai prénom, a choisi la déconnade, à base de sketchs : « Et si Barbie était vivante », « Si les réseaux sociaux étaient des personnes »… Et c’est fichtrement bien troussé. Selon elle :

« C’est de l’humour de nanas, sur leurs habitudes. »

Bilan, après trois ans d’existence : près de 2,4 millions d’abonnés à sa chaîne, moins que Cyprien, avec ses 8,7 millions de fans, mais mieux qu’Enjoy Phoenix et Natoo.

2Bricolage

Andy fait la mariole, usant avec autodérision de son physique de poupée. Au départ, tout était filmé… à l’iPhone. Maintenant, la jeune femme s’adjoint les services d’un cadreur et d’un ingé son pour des vidéos plus léchées. Il faut une semaine pour boucler un sketch : un jour de tournage, trois à quatre de montage.

3Mecs

Les filles, ça parle garçons. C’est donc le fil rouge d’ »Andy, princesse 2.0″ (404 Editions). Pitch : Andy-Lindsay, la narratrice, matche sur Tinder avec Anthony. Le garçon se révélera être un parfait c…..d, et la donzelle tombera dans les bras de son meilleur ami, qu’elle s’obstinait bêtement à « friendzoner ». Ça parle d’ex, de princesses et de « coucher ou pas le premier soir ? » C’est rose girly. Pour ados uniquement.

4« Money, money, money »

Andy ne parle pas volontiers d’argent. « Je vis bien, mais je ne gagne pas 10.000 euros par mois non plus. J’économise pour m’acheter un appart. » Et ça fait combien ? Mystère. Andy fait « très peu de placement de produits » : elle a choisi de ne (quasiment) pas vanter de marques dans ses vidéos, malgré d’importantes sollicitations.

5Ex-mannequin

Oui, elle a été miss Berry-Val de Loire à 20 ans, mais ne souhaite plus évoquer ce passé, ni son passage éclair dans « Secret Story » en 2007. Elle a ensuite été mannequin, aux Etats-Unis.

« Je bossais dans une très bonne agence, entre Miami et New York, mais c’était difficile à supporter : la question du poids, la pression. J’ai tenu six ans. »

A son retour en France, à 26 ans, elle se demande quoi faire. « Je passais mes journées à regarder des vidéos de Norman et de Cyprien. » Outre-Atlantique, les YouTubeuses cartonnaient. Pourquoi pas elle ?

6Dessin

Après un bac arts appliqués, souhaitant devenir designer, elle commence une école d’arts… qui l’a dégoûtée. « Après, je n’ai plus jamais mis les pieds dans un musée. Ni dessiné ni peint. Un vrai traumatisme. »

7Notoriété

C’est le propre des YouTubeurs : les ados sont hystériques quand ils les voient ; les adultes ne savent même pas qu’ils existent. « Il y a des horaires où je peux sortir, et d’autres, non. J’ai un public de filles entre 15 et 20 ans. Je suis comme leur grande soeur. »

8404 Editions


Andy a été éditée grâce à Lola Salines, jeune éditrice de Gründ assassinée au Bataclan, qui portait le projet chez 404 Editions. « Je l’ai rencontrée une fois, elle avait commencé à me lire. Ça a été très dur. » En hommage, Lola apparaît sur un petit dessin, montée sur le dos d’une licorne.

9Netiquette


Ses potes sont YouTubeurs. « Ma meilleure amie, c’est Shera, que je connais depuis un an. » Andy croise Norman et Cyprien en soirée et a invité la comique Natoo à son anniversaire. Seul hic : l’étiquette YouTube. « Tu ne parles jamais en premier à un YouTubeur qui a plus d’abonnés que toi, car il ne faut pas avoir l’air intéressé [passer dans une vidéo d’une star peut faire grimper sa propre notoriété, NDLR]. Ça crée des rapports bizarres. »


(404 Editions)

10Série-addict

« ‘Game of Thrones’, c’est toute ma vie. » Elle ne jure que par la noble Brienne, aime l’affreux Ramsay Snow, affiche des posters dans ses W-C et a même accroché la maxime « Valar morghulis » (« Tout homme doit mourir ») au-dessus de sa télé. En cas de grosse tête, ça vous remet les idées en place.

Cécile Deffontaines

La manifestation contre la loi Travail dégénère : une voiture brûlée, plus de 20 interpellations

La manifestation des lycéens et étudiants contre le projet de loi sur le travail a dégénéré jeudi après-midi à Paris, avec deux voitures incendiées et plus de vingt personnes interpellées. Deux policiers auraient également été blessés, selon une source policière, qui a précisé que la manifestation rassemblait de 4 800 à 5 200 personnes. Des CRS ont utilisé du gaz lacrymogène pour disperser des jeunes, dont certains étaient cagoulés, qui criaient «Tous à l’Assemblée».

Plusieurs milliers d’étudiants et de lycéens, rejoints par des salariés, avaient commencé à manifester en début d’après-midi, du quartier Montparnasse aux Invalides, derrière une banderole «La nuit c’est fait pour baiser, pas pour travailler». Sept syndicats et organisations de jeunes (CGT, FO, FSU, Solidaires, Unef, UNL et Fidl) sont à l’origine de cet appel à manifester, à Paris et en province, contre le projet de loi travail, présenté jeudi matin en Conseil des ministres.

Lors de cette manifestation un cortège de 150 à 200 personnes s’est éloigné du trajet officiel, et a improvisé une manifestation sauvage dans les rues entre les Invalides et le champs de Mars. Rapidement pris en chasse par les CRS, et après quelques affrontements, les manifestants se sont rapidement dispersés sur le champs de Mars sous le regard médusé des touristes, a rapporté l’un de nos photographes sur place.

LIBERATION

Olivier Py: en Avignon «il y a du possible à inventer»

La mairie socialiste d’Avignon avait annoncé une baisse de budget de 5% et la fermeture de plusieurs lieux l’an dernier. Quels sont, aujourd’hui, vos rapports avec elle?

La mairie n’est pas revenue sur sa baisse de subvention. Plusieurs lieux restent fermés, comme le verger et le potager Urbain V ou l’espace Jeanne-Laurent [initiatrice de la décentralisation théâtrale sous la IVe République, ndlr] qui, par son nom, est un lieu emblématique. En revanche, ont rouvert le gymnase Paul Giéra et le jardin de la rue Mons.

En quoi les Damnés, jouée dans la cour d’honneur, est-elle la pièce phare du Festival?

Le metteur en scène Ivo Van Hove a travaillé sur le scénario plutôt que sur le film de Luchino Visconti dont il avait déjà tiré Ludwig et Rocco et ses frères. Pour lui, il y a une montée du populisme en Europe. Cette histoire raconte la complicité des grandes puissances économiques. Par l’entremise de ma vieille amitié avec Eric Ruf -nous étions élèves ensemble au conservatoire- j’ai proposé à la troupe de la Comédie-Française de revenir en Avignon après vingt-trois ans d’absence.

De votre côté, pourquoi monter Eschyle en toute discrétion?

J’avais envie de faire ce que j’avais déjà mis en place au Théâtre de l’Odéon [que Py a dirigé de 2007 à 2012, ndlr], à savoir, un théâtre de tréteaux ultraléger qui permet d’aller dans différents lieux avec des acteurs et un texte. C’est une décentralisation de 3 kilomètres que j’avais envie de faire au moins une fois en Avignon. J’ai déjà monté trois pièces d’Eschyle mais pas Prométhée: or, c’est la figure du révolté, du prisonnier politique qui est au cœur de cette édition. L’affiche (dessinée par l’artiste Adel Abdessemed) représente un cheval qui rue, signe que quand les choses sont impossibles, il reste du possible à inventer.

La programmation du Festival ne remplit toujours pas les critères paritaires, une exigence des ministres de la culture successives.

C’est difficile à mettre en place, on a toujours 50 projets d’homme pour un projet de femme. On n’a jamais eu autant de femmes au Festival [un tiers des spectacles, ndlr]. Je ne m’engage pas à réussir l’année prochaine mais cela viendra.

Clémentine Gallot

« In Jackson Heights », dernière merveille de Frederick Wiseman

En immersion. Comme toujours chez Frederick Wiseman, personne ne parle à la caméra, pas un mot de commentaire, pas une explication, pas de souci didactique apparent. Juste des images, des sons, des mots. Ceux-ci sont le plus souvent hispaniques, mais c’est bien de New York qu’il s’agit, de Jackson Heights précisément, ce quartier du Queens situé à moins de trente minutes de métro du cœur de Manhattan.

Un conseiller municipal l’affirme avec une fierté légitime : « Cette communauté est la plus diverse au monde. » Une diversité traduite par un chiffre : à Jackson Heights peuvent s’entendre 167 langues différentes. Tous les habitants sont venus d’ailleurs, ce qu’aucun d’entre eux n’a oublié, pas même les plus anciens, dont les ancêtres ont traversé l’Atlantique, quand certains des plus récents ont, eux, franchi le Río Grande.

Un cosmopolitisme menacé

Tous sont américains, ou se préparent à le devenir, et cela aussi le film le montre. Comme il montre les salons de coiffure et les cours de danse, les manucures et les abattoirs où l’on sacrifie les volailles, les bars gay, la synagogue, l’église, l’école coranique, le temple hindou, les réunions de prostitués, transsexuels ou pas, la formation des aspirants chauffeurs de taxi, les boutiques de bimbeloterie catholique, les salons de beauté pour chiens, les réunions à la mairie, enfin tout ce qui fait la vie au quotidien de ces gens qui ont trouvé leur unité dans la diversité.

Une diversité menacée. La proximité de Manhattan excite l’appétit des sociétés immobilières, les baux des petits commerçants ne sont pas renouvelés, de grandes enseignes s’implantent. Demain, les plus modestes seront partis, et l’argent coulera à flots. Demain, Jackson Heights ne sera plus Jackson Heights. Pour l’heure, une dame très riche de 98 ans se désole que personne ne lui parle, l’employé latino d’une pizzeria travaille 65 heures par semaine, le maire de New York prend part à la parade des gays, les Colombiens s’enflamment pour l’équipe de foot de leur (premier) pays.

Le cameraman de Frederick Wiseman filme, lui-même enregistre les sons et, dans la salle de montage, donne forme à son film, qui doit être quelque chose comme son quarantième (les treize plus anciens viennent d’être réunis dans un somptueux coffret DVD édité par Blaq Out, premier volume d’une intégrale indispensable). « In Jackson Heights » est une nouvelle merveille, qui vient compléter l’extraordinaire tableau composé par un des maîtres du cinéma d’aujourd’hui, qui a fêté ses 86 ans le 1er janvier dernier.

Pascal Mérigeau

♥♥♥♥ « In Jackson Heights« , par Frederick Wiseman. Documentaire américain (3h10).

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