Le choix de « l’Obs »
♥♥♥ « Je suis en vie« , par Akhenaton (Universal).
♥♥♥ « Le Film« , par Katerine (Wagram, sortie le 8 avril).
Ils chantent la chair de leur chair. Le rappeur marseillais Akhenaton publie, en 2014, « Souris, encore », une ode à sa fille adolescente ; le chanteur vendéen Katerine célèbre ses petits dans la chanson « 3 ans », sur un album à venir. Tous les deux sont nés en 1968, mais tout oppose ces deux modèles de paternité. Akhenaton, 47 ans, c’est le père vertical, non pas fouettard, mais prêchard : « Je m’en fous d’avoir le mauvais rôle. » Katerine, 47 ans, c’est le père horizontal, le cher petit papa post-soixante-huitard.
Akhenaton use de l’impératif et de la défense, en mode « Fais pas ci fais pas ça » : « Ne sors pas s’te-plaît. » On note que cette autorité se veloute, modernité oblige, d’un « s’te-plaît ». Akhenaton fixe des limites à sa fille, sans étouffer sa féminité qu’il défend contre la bêtise fondamentaliste : « Si tu t’promènes en ville, ne cache pas ces beaux cheveux. » En bonne copine patriarcale, il lui recommande de goûter au « militant de Greenpeace » plutôt qu’au « ‘bad boy' ». Fertile en sentences, il condamne la dictature de la télé, de l’argent, le pétard et le gin-fizz. Parfois, il enferme sa fille dans le Guantánamo d’une double injonction contradictoire : « Ta life c’est la tienne et pas un mec ne va la guider », dit ce mec qui est en train de guider la life de sa fille. Il régente même le fiancé de sa progéniture : « Inutile de la couvrir de cadeaux. »
Là où Akhenaton juge, tranche, coache et légifère, en père pharaon, Katerine, papa brioche, se pâme et s’abîme dans la fascination jouisseuse et la béatitude descriptive. Pour ce père Narcisse, l’enfant est un double idéal : « On dirait toujours qu’ils sont un peu bourrés. » Katerine observe et adhère tout entier à la poésie pop du premier âge : « Ils disent : c’est beau d’une bouteille en plastique/C’est vrai que c’est beau les bouteilles en plastique. » Commander ? Non. Communier ? Oui. Katerine immole avec volupté l’autorité paternelle à l’extase parentale. Le sublime limon de l’incontinence enfantine l’émerveille : « Ils restent une heure dans leur caca/Et ça ne les dérange pas », dit-il comme avec envie.
Les sorties
♥♥ « Toybloïd« , par Toybloïd (Bellevue Music/Differ-Ant).
ROCK. Avec deux filles pour un garçon, Toybloïd est un trio made in France qui a un temps d’avance sur le gouvernement en matière de parité. Il a surtout assez d’énergie pour avoir séduit Liam Watson, qui après avoir produit The Kills et les White Stripes a enregistré ces trois-là dans son studio londonien. Le résultat est un premier album ultra-efficace, qui ressemble au produit d’un accouplement sauvage entre les Breeders (pour l’acidité des voix féminines) et les Offspring (pour le son punk un peu gras). Ceux qui aiment le rock énervé vont pouvoir bondir comme des kangourous en état d’ébriété.
♥♥ « Coffee Dreamer« , par Volage (Howlin Banana/Modulor).
FOLK ROCK. Au-delà de l’influence évidente de la scène californienne avec guitares fuzz et haute énergie, on avait été séduit par la touche pop anglaise sixties qui vibrait sur le premier album de Volage, « Heart Healing ». Les voici de retour avec un EP où ils s’affranchissent du pouvoir de l’électricité. La pédale fuzz débranchée, les harmonies vocales et l’émotion prennent le dessus, avec une compo originale (« Coffee Dreamer »), une reprise de Neil Young (« Cowgirl in the Sand ») et quatre vieux titres passés à la moulinette folk, aussi bien maîtrisée par ces jeunes Berrichons que la fureur.
« Bach : le Clavier bien tempéré, livre I« , par Christophe Rousset (clavecin) (2 CD Aparté).
♥♥ CLASSIQUE. Il ne fallait peut-être pas enregistrer cette œuvre sur le grand Rückers/Blanchet (1628 et 1706) du château de Versailles, opulent, fastueux, mais terriblement nasal, monochrome, et pour tout dire épuisant. Il faut le talent de Christophe Rousset pour conserver, en dépit de cette débauche sonore, la clarté polyphonique de l’écriture. D’autant que l’appartement du Dauphin est très réverbéré. Mais sa manière stricte, son expression discrète, redonnent un peu de densité à cette matière quelque peu ramollie.
Chanson
♥♥ « De quoi faire battre mon cœur« , par Clarika (Athome).
C’est une rupture amoureuse que Clarika raconte tout au long de ce septième album. Le disque débute vraiment avec « Je ne te dirai pas ». Soutenu par une rythmique pop plutôt banale, le texte puissant évoque la douleur crue de l’absence et le vertige qu’elle peut provoquer. L’autre chanson-clé, « Il s’en est fallu de peu », une ballade au piano d’une tristesse folle, fait le constat de la rupture. Ces titres marquent le grand retour de Clarika, à croire qu’il fallait qu’un événement fort survienne pour voir la chanteuse interpréter des titres qui retiennent à nouveau l’attention, comme ce fut le cas jusqu’à la fin des années 2000. Seule ombre au tableau ici : les mélodies et les arrangements ne brillent guère par leur originalité.
Ça ressort
♥♥♥♥ « Born Like This« , par MF Doom, Lex Records (shop.lexrecords.com).
MF Doom a signé parmi les meilleurs albums de rap de tous les temps, et ce « Born Like This », sorti en 2009, compte parmi ses meilleures productions. Lex Records le ressort en vinyle, « à la demande du peuple », disent-ils. Daniel Dumile de son vrai nom a commencé sa carrière à la fin des années 1980, sous le pseudonyme vintage de Zev Love X, en duo avec son frère. A cause d’une jaquette d’album jugée un peu trop hardcore pour l’industrie, son groupe s’est retrouvé sur la liste noire des maisons de disques. Puis son frère est mort, fauché par une voiture. Dumile a basculé dans la dépression et vécu quelques années dans la rue.
Il réapparaît en 1997 sous le pseudonyme de MF Doom, et se construit un personnage de super-vilain psychotique. Il porte un masque, ce qui lui permet d’envoyer d’autres rappeurs donner des concerts à sa place. De 1999 à 2009, sous divers noms de scène, il fabrique une œuvre extrêmement riche et poétique, servie par son écriture presque parfaite et sa voix d’outre-tombe. « Born Like This », qui a donc clos cette décennie prolifique, est plein de cuivres lugubres et de samples menaçants, avec en prime une apparition surprise de Charles Bukowski, frère de tous les vagabonds crépusculaires. Un album pesant, à écouter les soirs d’apocalypse.
Fabrice Pliskin, David Caviglioli, Sophie Delassein, Grégoire Leménager, Frantz Hoëz et Jacques Drillon