Vous prenez un zeste de promesses sociales, vous saupoudrez de xénophobie et vous ajoutez quelques bonnes mœurs catholiques, et vous avez le retour des conservateurs au pouvoir. Cette victoire aux législatives en Pologne était d’ailleurs attendue depuis mai, quand leur candidat, Andrzej Duda, un quadragénaire quasi inconnu, a remporté la présidentielle. Elle est cependant plus nette que prévue. Selon un sondage à la sortie des urnes diffusé après la fermeture des bureaux de vote, le parti Droit et Justice (PiS) mène avec 39,1% des suffrages devant les libéraux de la Plate-forme civique (PO), crédités de 23,4% des voix seulement. Si les résultats confirment cette tendance, Beata Szydlo, une ethnographe de formation qui a grandi dans l’ombre de son mentor, Jaroslaw Kaczyński, est pratiquement assurée d’avoir une courte majorité pour gouverner le pays pendant les quatre années à venir.
Les politologues discuteront sans doute pendant des semaines pour savoir s’il s’agit d’abord d’un succès de Droit et Justice (Pis), la formation créée par les frères Jaroslaw et Lech Kaczyński, qui avaient à eux deux tenu toutes les rênes du pouvoir (gouvernement et présidence) pendant deux ans, ou avant tout d’une défaite de la coalition libérale sortante de la Plateforme civique (PO).
La PO, qui faisait figure de parti du «miracle polonais», la seule économie d’Europe qui n’a pas été touchée par la crise de 2008, affichant une croissance annuelle de 3,5 %, a certes été victime de l’usure du pouvoir. Plusieurs de ses cadres ont été mêlés à divers scandales – le dernier ayant eu lieu deux jours avant le scrutin, avec le limogeage d’une vice-ministre de la Justice arrêtée par la police alors qu’elle conduisait en état d’ébriété – qui ont donné aux électeurs l’impression d’être dirigés par une classe politique arrogante. «La Po n’a pas su communiquer avec les gens. Donald Tusk avait du charisme, mais on ne l’a pas vu [l’ex-Premier ministre devenu président du Conseil européen après avoir laissé sa place l’an dernier à Ewa Kopacz, ndlr], explique le professeur Ireneusz Krzemiński, de l’Institut de sociologie de l’Université de Varsovie. Les gens disent : « On veut que les politiciens nous parlent. » C’est là le grand succès de la campagne du Pis.» Mais ceci n’explique pas tout.
«Les Polonais en ont assez de l’Europe»
Si la bonne santé de l’économie polonaise n’a pas joué en faveur de l’équipe sortante, c’est aussi parce que le dynamisme de Varsovie masque des disparités régionales et salariales. A quelques centaines de kilomètres des tours rutilantes de la capitale, des régions entières, agricoles ou minières, souffrent du chômage, même si celui-ci est en baisse à l’échelle de tout le pays (désormais en dessous de la barre des 10 % de la population active). Environ 2,5 millions de Polonais (sur les 38 millions que compte le pays), des jeunes surtout, ont dû s’expatrier, la plupart en Europe occidentale. A tous ces exclus du boom polonais, le Pis a promis de l’aide : baisse des impôts pour les ménages modestes et les petites entreprises, retour de la retraite de 67 à 65 ans, allocations familiales généreuses pour les familles nombreuses. «En termes de PIB, la Pologne s’est enrichie, mais un grand nombre de Polonais se sont appauvris, souligne le politologue Kazimierz Kik, de l’Université de Varsovie. La PO n’a pas trouvé de politique créatrice d’emplois. Elle a ouvert le pays au capital étranger, qui possède la moitié de l’économie du pays et est à l’origine de 44 % de ses exportations. Le marché du travail a lui cessé d’être protégé, 30 % des Polonais vivent en dessous du minimum vital, les autres sont endettés. Il y a de plus en plus d’emplois précaires et une nouvelle catégorie a fait son apparition : les pauvres qui travaillent.» Cette fracture sociale profite au Pis, une formation créée par d’anciens de Solidarność qui «copine avec les syndicats» et «rejette le capital étranger en disant : l’important, ce sont les Polonais».
Dans ce pays très catholique et traditionaliste, explique le politologue, la nouvelle gauche apparaît trop «européanisée», or, «aujourd’hui, les Polonais en ont assez de l’Europe». C’est pour les mêmes raisons qu’ils refusent par exemple les quotas de réfugiés proposés par la Commission européenne : «Ils n’aiment pas l’idée que ce soit une décision de Bruxelles, une chose imposée. Pour un Polonais, un étranger, c’est d’abord un occupant, un envahisseur, soit allemand, soit russe.» S’il ne réclame pas la sortie de l’Union européenne – comme le fait le Front national en France ou l’Ukip au Royaume-Uni –, le Pis se déclare défavorable à l’adoption de l’euro. Une des premières mesures de son gouvernement sera de démanteler le bureau qui doit préparer l’entrée de la Pologne dans la monnaie unique.
Le Pis, un parti relooké
La PO a tenté sans succès de jouer sur la peur du retour au pouvoir du Pis. Mais les mots de la Première ministre sortante, Ewa Kopacz, prêtant au Pis l’intention de faire de la Pologne une «République confessionnelle», sont tombés à plat. Huit ans après, le Pis s’est relooké. Ses cadres sont plus jeunes – Andrzej Duda a 43 ans et Beata Szydlo 52 – et plus proches des réalités des gens. Oubliés, les thèses de la remoralisation de la vie politique au travers d’une Quatrième République, les effets pervers de la lutte contre la corruption ou de la décommunisation, le Pis d’aujourd’hui ressemble à s’y méprendre à n’importe quel parti populiste européen, même s’il a une connotation chrétienne plus marquée. Les plus radicaux, comme Jaroslaw Kaczyński, fondateur du parti, sont restés dans l’ombre. Certaines questions comme le décès en 2010 de son frère, Lech, président de Pologne, dans un accident d’avion à Smolensk, en Russie, ont été laissées de côté. Mais nul ne doute qu’il saisira de nouveau la justice dès l’entrée en fonction du Pis car il ne croit pas en la thèse de l’accident, persuadé qu’il est le fait d’un complot russe.
Les conservateurs peuvent-ils réaliser leur programme économique ? A Varsovie, on s’interroge. «Le Pis ne risque pas grand-chose en promettant autant», souligne le politologue Kazimierz Kik. Premier pays bénéficiaire de fonds européens, la Pologne recevra 82,5 milliards d’euros entre 2014 et 2020, soit l’équivalent de son budget annuel.
Hélène Despic-Popovic , Maja ZOLTOWSKA à Varsovie