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Suisse : poussée de la droite aux élections législatives

La poussée de la droite aux élections législatives suisses se confirmait dimanche, la question de l’immigration ayant constitué la première préoccupation des électeurs. Le mouvement touche la plupart des 26 cantons, confirmant ce qu’annonçaient les sondages. Dans ce scrutin proportionnel pour les 200 élus de la chambre basse, les deux formations de la droite gagnent des voix et dans certains cas des sièges : l’UDC populiste anti-européen et anti-immigration et le PLR, des libéraux qui défendent les relations avec l’Union Européenne et une solidarité contrôlée devant la crise des migrants.

Déjà premier parti du pays, l’Union démocratique du centre (UDC) pourrait battre son score record de 2007 (28,9%), prévoient  des commentateurs. Il devance largement le parti socialiste (second parti) et la droite libérale.  

Virage à droite

Les questions de l’asile et de l’immigration constituent la «première priorité» à traiter pour 48% des sondés par l’institut gfs.bern, loin devant les relations avec l’Union européenne, priorité pour seulement 9% des sondés. Alors que la Suisse a pour le moment été épargnée par la vague de migrants qui arrivent en Europe, cette question mobilise les électeurs.

«Nous voulons une immigration contrôlée […] Pas question de surcharger les finances publiques et le budget social en ouvrant toutes grandes les frontières, quand tant de jeunes ici restent sur le carreau», avait résumé Roger Golay, élu sortant candidat à Genève où il préside le MCG, le Mouvement des citoyens genevois, une petite formation de la droite populiste qui entretient des relations avec le Front national, le parti de l’extrême droite française.

Les petits partis du centre, les verts-libéraux et les verts, payent ce virage à droite, les écologistes perdant au moins une dizaine de sièges.

Pour sa campagne, l’UDC, qui s’est choisi comme slogan «rester libres», n’a pas hésité à recourir aux photos montages, des photos de femmes en burka avec pour légende «Islam bientôt chez nous ?». L’affiche la plus radicale revient aussi aux jeunes UDC du Canton de Vaud avec une caricature de jihadiste portant un brassard UE, sur fond le drapeau de l’Union européenne, qui s’apprête à décapiter une jeune blonde baillonée vêtue d’un drapeau suisse. «Gardez la tête sur les épaules», clame l’affiche «votez pour la liste UDC». 

AFP

Rabah Slimani, la foi du pilier

Quand la tempête approche et que tout s’apprête à foutre le camp, il ne reste plus qu’à s’abriter derrière un mur solide et à prier pour qu’il tienne. Ce samedi soir, le XV de France finira sans doute par être emporté par les ouragans noirs, mais le pilier droit de sa mêlée aura résisté jusqu’au bout. Il s’appelle Rabah Slimani, il aura 26 ans dimanche, il pèse 112 kilos, il mesure 1,78m, et il garde le cap. Voici les cinq piliers de Slim’.  

Rabah et le vice du métier. Le jeune pilier est une victime. Rabah Slimani se rappelle très bien de sa douloureuse première comme pilier droit au Stade Français : «Le tandem Jacques Delmas – Didier Faugeron était à la tête de l’équipe, il y avait des blessés, et on était en plein tournoi des Six Nations. Mathieu Bastareaud a même dépanné en n°8. Je me suis retrouvé face au Racing, à Colombes, j’avais Andrea Lo Cicero en face.» Lo Cicero, Il Barone chez les Ritals, l’impitoyable baron des mêlées, l’équivalent du barbu Martin Castrogiovanni. Slimani poursuit : «Il y a une série de mêlées, c’était très très compliqué, tout le monde criait en tribunes : ‘‘La mêlée ! La mêlée ! La mêlée !’’ Avec les gars, on s’est dit : ‘‘On serre les dents et on tient’’. Les jours suivants ont été durs.»

Rabah n’a pas été surpris quand son petit frère Chérif, choisi comme joker à son poste par le Stade Français pendant la Coupe du monde, a souffert le martyr à Brive, lors de la deuxième journée de Top 14. «Il s’est bloqué le dos après le match. Je l’ai vu joué, c’était dur, mais bon, c’est normal. Premières mêlées en Top 14. On est tous passés par là. On a bien débriefé après.» Chérif, 22 ans, est toujours convalescent. «Je suis plus lourd et plus grand que Rabah, raconte le petit frère. Lui, c’est un cauchemar pour le pilier gauche adverse, qui va essayer de rentrer sous lui, en dessous du torse, pour le faire sauter. Mais il est très bas, très fort athlétiquement, très fort en poussée. Tu as du mal à le bouger. Et puis surtout, il aime ça, la mêlée, il adore défier l’adversaire.»

Rabah et le rugby terroir. Slimani commence à avoir l’expérience d’un vieux briscard : «La mêlée, c’est beaucoup de ressenti. Il faut sentir les pressions, quand appuyer comme ci ou comme ça. Aucun pilier ne pousse pareil. J’ai appris sur le tas. J’ai connu des grands joueurs au club, les Roncero, les Marconnet, les Attoub. Avec eux, on apprend le vice.» Quelles sont ses marottes pour faire péter l’autre comme du pop-corn ? «Ça, je le garde pour moi! Tu sais, parfois tu as l’impression de prendre le dessus et en fait… pas du tout ! On peut être bien sur une mêlée, et partir à la mer sur la suivante. Le combat se renouvelle, perpétuellement. L’excès de confiance, le pilier adverse qui se réveille, et on peut vite déchanter.»

Slimani a découvert le rugby à 8 ans, via son école, avant de s’y mettre quelques saisons plus tard à l’AAS Sarcelles. Le petit gars de la cité des Rosiers a vite délaissé le foot de l’enfance, qui se jouait sur tout type de terrain : «L’herbe derrière la maison, le synthétique du quartier, ou le goudron devant les garages.» Il va voir les copains de l’AASS dès qu’il peut, a créé un groupe WhatsApp pour partager les conneries avec eux, mais refuse d’endosser l’habit du rugbyman des quartiers, trop cliché à son goût. «Il y a des talents à foison en banlieues, il faut peut-être juste les pousser un peu plus que les autres. Je le vois à chaque fois qu’on fait un petit match : les jeunes sont tout contents de faire des passes, de jouer, mais ils ne suivent pas assidûment le rugby.» Lui se levait le dimanche à 8 heures du matin pour ne pas manquer l’émission Rencontres à XV, rythmée par l’accent chantant du Montalbanais Jean Abeilhou : «Que j’ai joué la veille ou pas, que je sois fatigué, j’étais devant ma télé. J’ai découvert une autre partie du rugby, celle du fin fond de la France. Moi je ne connaissais que le rugby de région parisienne. C’est franchement dommage qu’elle ait été arrêtée.»

Rabah et le petit frère. Formé au Stade Français, Chérif Slimani s’est gravement blessé au dos. Direction l’infirmerie, puis le Foot Locker du coin où il vend les dernières Stan Smith et autres paires de pompe. «C’est Rabah qui m’a remis dans le rugby», glisse-t-il. L’international revient souvent au quartier, où sa mère et sa sœur Anissa habitent toujours. La maman était femme de ménage, le papa œuvrait dans la restauration des trains SNCF. «Mais attention, pas le club sandwich, la vraie cuisine, sur les lignes entre Paris et l’Allemagne.» Il est parti au printemps, et les funérailles ont été l’occasion d’un retour au bled, à Aït Bouaddou, près de Tizi Ouzou, dans la Grande Kabylie algérienne. Jeunots, Chérif et Rabah venaient chaque été, dans la maison construite par le paternel. Le rugby a eu raison des vacances outre-Méditerranée. 

Rabah et les copains du Stade Français. A Marcoussis, on l’a vu emmener une tasse de café au pilier gauche Vincent Debaty, faire un geste affectueux au peu commode Pascal Papé, ou prendre les nouvelles de Mathieu Bastareaud. Rabah Slimani n’est pas un leader autoproclamé, mais il aimante les collègues. On va vers lui sans se forcer, parce que c’est tout sauf un rabat-joie. Il l’a senti à la prison de Fresnes, quand, avec des partenaires du Stade Français, il venait jouer au toucher avec des taulards. «On a bien rigolé, dit-il. J’ai croisé des mecs de Fresnes dehors. Un au stade Jean-Bouin, un autre avec sa femme sur les Champs Elysées, un dernier avec des potes à Boulogne. Ce sont eux qui m’ont reconnu. Chacun fait sa vie, mais ils sont quand même super cools.» Il ne juge pas.

Plus jeune, il a vu ses potes Bastareaud ou Djibril Camara lâcher totalement prise, boire comme des trous ou enchaîner les conquêtes. Lui grandit d’un coup : «Je ne suis pas un gros fêtard, je me suis vite mis en ménage, ça joue beaucoup aussi. Puis j’ai eu mes enfants, mon aîné (4 ans aujourd’hui), et mes jumelles (bientôt deux printemps). Les copains ont vu que ça marchait bien, alors ils se sont tous mis à faire des enfants. Hugo (Bonneval) a un petit, Djibril aussi. Ils se demandaient si ma vie allait devenir une prison, et en fait, même si on se calme au niveau des sorties, ça aide beaucoup mentalement. La preuve avec Djibril, mon colocataire d’antan. On faisait les soirées ensemble. Aujourd’hui, il est casé, il a son enfant, et ça se passe beaucoup mieux sur le terrain, ça lui réussit vraiment. Avoir une femme à la maison, c’est une grosse responsabilité, finie la vie de célibataire, finies les soirées. Et un enfant, là, mentalement, ça nous oblige à aller un peu plus loin.»

Il garde toujours un œil attentif sur Basta l’ultrasensible, dont il connaît la moindre fragilité : «Il a beaucoup changé, mûri, il a coupé le cordon en partant à Toulon, mais pas trop, sa maman est souvent avec lui. Mais ça lui a fait du bien de couper avec la vie parisienne.» Avec les biberonnés au Stade Français qui sont restés au club, les Plisson, Danty, Camara et même le pauvre Bonneval, blessé depuis un an, il a décroché le bouclier de Brennus en juin : «Les années de galère vécues ensemble, ça s’est ressenti la saison dernière. On en a tous chié, à un moment donné, on ne jouait plus beaucoup. Le tandem Auradou – Laussucq a su nous relancer, en 2012-2013. Et après, tout s’est enchaîné avec Quesada.»

Rabah et son entrecôte. Il se dit comme Bastareaud, à grossir rien qu’en regardant un paquet de M&M’s. Enfant, il était le plus mastoc du lot, et de loin. «Son seul défaut, c’était vraiment la bouffe, sourit Chérif. Si tu avais le malheur de toucher à son assiette, son caractère devenait explosif.» En 2015, Slimani hallucine devant les gabarits modernes. «Quand je vois les mecs de maintenant, ils s’entraînent beaucoup plus, se développent beaucoup plus. On se le disait récemment à Marcoussis, avec Sofiane Guitoune : on n’était pas aussi gaillards quand nous étions au Pôle Espoirs.» Pour se remettre des émotions, rien de mieux qu’un petit tour au Sous Bock, rue Saint-Honoré, dans le 1er arrondissement parisien : «Je l’ai découvert grâce à Mathieu (Bastareaud). Le patron est un Agenais, enfin, maintenant, il est pro Mathieu et pro Stade Français, il vient à tous nos matches. Mon menu ? Tartine de saumon, puis entrecôte ! La base.» Quand il descend voir Basta à Carqueiranne (Var), ils vont déguster des tapas près de la plage. La vie de pilier a aussi ses bons côtés. 

Mathieu Grégoire Envoyé spécial à Cardiff (Pays de Galles)

Andy Warhol, au-delà de l’icône pop

Tout le monde connaît l’artiste pop Andy Warhol : ses perruques, ses fêtes débridées, ses lithographies de Marilyn reproduites jusqu’à la nausée. Alors une é-nième exposition sur son travail, était-ce bien raisonnable ? La réponse est oui. Avec « Warhol unlimited », le Musée d’art moderne (MAM) de la ville de Paris balaie nos craintes. La Warholmania est plutôt un bon virus, contrairement à la Picassomania, souche plus ancienne qui terrasse le Grand-Palais dans une exposition fourre-tout dont aucun artiste présenté ne sort indemne (hormis Picasso).

Aux clichés sur la star du pop art, cette exposition répond un « oui mais pas seulement ». Elle présente des œuvres inédites d’un artiste touche-à-tout à l’œuvre multi-dimensionnelle – espace, volume, temps. Elle fait aussi écho à « Warhol underground », exposition tout aussi réussie au Centre Pompidou-Metz, qui se poursuit jusqu’au 23 novembre prochain.

Dessin et peinture

Depuis l’enfance, Andy Warhol (1928-1987) dessine, peint, collecte des images, découpe des photos de stars, photographie et développe ses tirages. Après des études d’illustration et de graphisme (1945-1949), il travaille à New York pour la presse et la publicité pendant une dizaine d’années. Il rencontre un grand succès mais il veut devenir artiste.

Robert Rauschenberg, autre grande figure pop, dit de lui :

Il avait un coup de crayon extraordinaire. Or cette facilité aurait pu lui être fatale. Il dut s’en défier et éviter d’y céder, comme en témoignent toute ses œuvres. »

Rauschenberg aurait pu ajouter qu’il avait aussi un sens formidable de la couleur et de la composition. »Shadows » (Ombres), un ensemble de 102 tableaux présentés au MAM et pour la première fois en France, en est la démonstration.

Réalisés en 1978 pour un couple de collectionneurs, ces tableaux de formats identiques (193 x 132) sont des sérigraphies d’une image non identifiable (flamme ? sexe ? pliure de journal ?) repeintes une à une par Warhol et ses assistants en 17 couleurs différentes.

« Shadows » d’Andy Warhol 1978-1979 (photo : Bill Jacobson Studio, New York © Courtesy Dia Art Foundation, New York © The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc. / ADAGP, Paris 2015)

L’effet de saturation de l’espace rappelle les Nymphéas de Claude Monnet (au Musée de l’Orangerie à Paris). Mais le nombre effarant de tableaux interdit au visiteur de les embrasser d’un seul regard. Il faut donc marcher au côté d’eux pour voir « Shadows » en entier.

Voilà donc une œuvre en deux dimensions qui, par son format, oblige à se déplacer comme on le fait pour une sculpture. Enfin pour en faire le tour complet, il faut y passer du temps, dimension réservée au cinéma. C’est en somme une « séance » dont le seul mouvement est celui du spectateur !

Sérigraphie et photo

Revenons au début des années 60. Warhol fait tout pour être remarqué par des galeristes. Dans les vitrines d’un grand magasin de luxe qu’il agence, il installe des peintures de Superman et d’autres « super-héros » qu’il a réalisées, à mille lieux de ses dessins soignés et romantiques de son métier d’illustrateur.

A cette époque, Andy Warhol découvre aussi les peintures très proches des siennes d’un jeune artiste, Roy Lichtenstein. Dans « Andy Warhol, la biographie » (Folio), Mériam Korichi le cite :

Je décidai que, puisque Roy faisait si bien les bandes dessinées, je ferai mieux de cesser les miennes aussitôt et de m’engager dans une autre direction où je serai le premier, par exemple la quantité et la répétition. »

Grâce à Jasper Johns, autre jeune peintre américain, il découvre la figuration sans sentiment, à l’opposé de l’expressionnisme abstrait, courant artistique dominant des années 50 dont Jackson Pollock est la figure de proue.

Warhol se tourne alors vers le pochoir puis la sérigraphie pour reproduire des images de biens de consommation courants. « Je voudrais être une machine » déclare-t-il. Marquée du sceau de son style, sa production reste pourtant unique.

« Jackie » (Gold) par Andy Warhol, 1964 © The Sonnabend Collection, on loan from Antonio Homem © The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc. / ADAGP, Paris 2015)

En 1960, il reproduit une bouteille de coca-cola, en 1961-62, des dollars, des photos de presse de Marilyn qui vient de mourir et de Jackie Kennedy, lors des obsèques de son mari.

Warhol recourt encore à la peinture pour ses 32 « portraits » de boîtes de soupe Campbell (tous présentés au centre Pompidou-Metz). En 1963, pour sa série « Dead and disasters » (mort et désastres), il utilise des photos d’accidents de la route particulièrement violents, de suicides et de la chaise électrique de la prison de Sing Sing prise en 1953, quelques jours avant l’exécution des militants communistes Ethel et Julius Rosenberg.

L’une des sérigraphies « Electric chair » accrochée sur le papier peint Vache par Andy Warhol, au MAM à Paris. (© The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc. / ADAGP, Paris, 2015)

Mais Warhol n’est pas un artiste engagé, il ne parle jamais de politique ou de justice. En 2007, le critique d’art Michel Gauthier écrit dans le catalogue de la « collection Art contemporain » du Centre Pompidou :

Pareille peinture traduit avant tout le commerce fasciné de l’artiste avec le rien, dont la frivolité, la surface, la répétition, la mort ne sont que les différents avatars. »

En 1971, pour la rétrospective que lui consacre le Whitney Museum à New York, Warhol tapisse les murs du musée et son entrée d’un papier peint à motif tête de vache. Tous ses tableaux, y compris les « Electrics chairs » sont accrochés dessus, comme aujourd’hui au MAM. Vaches pop ou chaises électriques, tout se vaut dans le monde d’Andy Warhol. Mais est-ce si différent dans la vraie vie ?

Sculptures et installations

En 1964, Warhol expose des centaines de fac-similés de boîtes de lessive Brillo (visibles au MAM et à Metz), de céréales, ketchup … Mais ses premières œuvres en trois dimension, tout comme l’installation qu’elles forment, n’ont aucun succès.

Deux ans plus tard, dans la prestigieuse galerie Leo Castelli, avec ses « silvers clouds » (nuages argents), sortes de coussins argentés gonflés à l’hélium, il revient au volume. Le chorégraphe Merce Cunningham (1919-2009) qui intègre le hasard, la répétition, la notion de temps dans ses ballets et rejette la narration et l’expression de sentiments est séduit par ses nuages.

En 1968, pour « Rainforest », les silvers clouds dansent au milieu des danseurs, au hasard des mouvements créés par un ventilateur.

« Rainforest » chorégraphie de de Merce Cunningham, scénographie d’Andy Warhol, interprétée par six danseurs (sur la photo Merce Cunningham et Meg Harper) lors d’une représentation à Paris en 1970 (James Klosty © The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc. / ADAGP, Paris 2015)

Cunningham est l’un des premiers chorégraphes à filmer ses ballets, non pour en conserver une trace mais comme une œuvre en tant que telle. Le Centre Pompidou-Metz projette le film « Rainforest » sur un grand écran entouré de silvers clouds, restitution formidable de l’esprit de l’installation. En revanche au MAM, quelques silvers clouds un peu pauvrets stagnent dans une salle vide.

Films, style camp et superstars

Dès 1963, Warhol se tourne vers le cinéma. Dans son loft-atelier, la Factory, il tourne plus de 400 « test screens », des plans fixes de trois minutes de personnalités (Dali, Marcel Duchamp..) ou d’inconnus qu’il projette au ralenti (16 images par seconde).

Ces films tout comme « Empire » (l’Empire state building filmé en plan fixe durant 8 heures) ou « Sleep » (son amant le poète John Giorno endormi pendant plus de 5 heures) ne sont pas inédits en France. Mais 50 ans après leur réalisation, ils rappellent le rôle essentiel de Warhol dans le cinéma expérimental et l’art vidéo.

Il rappelle aussi le choc que fut pour Warhol la représentation en 1963 de « Vexations » d’Erik Satie, répétition d’un même motif musical au piano pendant… 18 heures d’affilée.

Warhol s’intéresse aussi aux pratiques sexuelles dites déviantes dans l’Amérique puritaine des années 60 : homosexualité, sado-masochisme, exhibitionnisme, transformisme, parties fines… Et pour les filmer avec des acteurs improvisés de la Factory, il ne s’embarrasse pas d’intrigues amoureuses. Ses films sont classés X.

Image de « Blow job » (Fellation), film de 1964 (© 2015 The Andy Warhol Museum Pittsburgh, PA, a Museum of Carnegie Institute. All rights reserved)

Avec ses « superstars », filles et garçons décadents au look étudié qu’il intronise lui-même et filme constamment, il sort du ghetto gay le style camp (du français camper, prendre la pose), attitude ironique et théâtrale des dandys efféminés et des filles de bonne famille qui veulent rompre avec leur milieu.

Dix ans plus tard, ce seront les années disco où les « party-girls » s’habilleront comme des drag-queens (brushing à boucles et sandales à plate-forme) et les garçons virils comme des « superstars » (Michel Sardou et ses bouclettes).

Musique et performance

En 1964, Gerard Malanga, poète, performeur et fidèle assistant de Warhol, lui fait découvrir le Velvet underground, un groupe de rock sombre au son saturé dont Lou Reed est le guitariste et le chanteur. Warhol les invite à répéter à la Factory. Nico, ancienne mannequin allemande et chanteuse à la beauté glaçante, rejoint la bande.

Gerard Malanga (2e à gauche), the Velvet Underground, Nico et Andy Warhol, Los Angeles, 1966 (Steve Schapiro © The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc. / ADAGP, Paris 2015)

Warhol produit leur premier disque, édite la pochette (la fameuse banane) et conçoit un spectacle où se mêlent la musique (forte et lancinante), des jeux de lumière sur les musiciens, une danse au fouet de Malanga et des projections d’images. Spectacle total, performance pop, Exploding Plastic Inevitable (EPI), reconstitué dans les deux expositions, n’a pas pris une ride.

Claire Fleury

♦ « Warhol Unlimited », au musée d’art moderne (MAM) de la Ville de Paris, jusqu’au 7 février 2016.

« Warhol Underground » au Centre Pompidou-Metz, jusqu’au 23 novembre 2015.

Andy Warhol, Self portrait (Autoportrait), 1986 (© 2015 The Andy Warhol Museum Pittsburgh, PA, a Museum of Carnegie Institute. All rights reserved)

GRAND FORMAT. Emeric Feher, un Instagramer avant l’heure ?

Emmanuelle Hirschauer

Par Emmanuelle Hirschauer

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Publié le 15-10-2015 à 20h27

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Format carré, noir et blanc, regard humaniste et talentueux : nul doute que les caractéristiques des images d’Emeric Feher lui auraient valu beaucoup de succès sur Instagram s’il avait eu un compte sur l’application de partage de photos.

Seulement voilà, l’artiste, né en 1904, est décédé en 1966, bien avant l’heure d’internet et des smartphones.

Pourtant, si Emeric Feher, qui a immortalisé tous azimuts la France des années 1930 aux années 1960, témoigne d’un passé révolu, il s’inscrit surtout dans la modernité, tant dans la forme de ses photos que dans les sujets traités.

Emeric Feher, le premier des Instagramers ? Alors que le Centre des monuments nationaux lui consacre, jusqu’au 17 janvier, une exposition au château d’Angers, « l’Obs » vous propose de découvrir 20 de ses œuvres, accompagnées de hashtags, comme si elles avaient été réellement postées sur Instagram.

Grand Paris : Manuel Valls garnit sa liste

Avec la même régularité que le changement d’heure, le comité interministériel du Grand Paris revient deux fois l’an depuis que Manuel Valls est Premier ministre. A pareille époque de surcroît. Mais cette troisième édition télescope aussi une campagne régionale. Cela rend cette revue de ce qui a été fait par la gauche dans la région capitale un brin suspecte.

Interrogé là-dessus lors de la conférence de presse qui a suivi le comité, Manuel Valls réplique avec un argument imparable. Il a «fait partie de ceux qui se sont félicité de l’engagement de Nicolas Sarkozy dans le Grand Paris» et ont «salué l’intuition de Christian Blanc», le secrétaire d’Etat sarkozien qui dessina le schéma du futur Grand Paris Express. «Nous avons continué avec les financements», dit-il.

Seul détour politique. Pour le reste, les comités interministériels sur le Grand Paris ressemblent de plus en plus à une to-do list sur laquelle le Premier ministre a tracé deux colonnes : «point d’étape sur les mesures annoncées dans les précédents CIM» et «mesures nouvelles». La deuxième résume évidemment les enjeux.

«Nouveau zonage» de la redevance

D’abord, le développement économique. «Les opportunités perdues se déplacent vers Londres ou encore Berlin», a prévenu Manuel Valls. Il a souligné que les chantiers du Grand Paris Express «vont permettre la création de près de 18 000 emplois» et que «les entreprises du Grand Paris estiment à 108 milliards d’euros les marchés supplémentaires engendrés par ce projet».

Plus largement, pour soutenir les emplois à l’est et en grande couronne, le Premier ministre mettra au débat dans la loi de finances «un nouveau zonage» de la redevance sur les créations de bureaux qui sera divisée par trois en Seine-Saint-Denis et dans le Val-de-Marne et par deux en grande couronne.

Côté transports, les grands mots sont de sortie. «Le chantier du siècle a commencé», pose-t-il. Avec l’équivalent du réseau actuel à construire en quinze ans, la formule n’est pas excessive. «Tous les processus de déclaration d’utilité publique auront été lancés avant la fin de l’année 2016» et, martèle le Prenier ministre, «tous les chantiers du Grand Paris Express sont aujourd’hui financés».

Reste l’épineuse question de la liaison Charles-de-Gaulle-Express, destinée au seul aéroport et hors financements publics. «La société de projet sera créée début 2016», promet le chef du gouvernement. Il voit dans cette avancée un pas vers une desserte de l’aéroport «à la mesure de son envergure».

Un passe culture unique

Moins luxueux mais plus préoccupant pour les Franciliens : l’état des RER. Alors que la ligne A n’a pas cessé de tomber en carafe ces derniers jours, Manuel Valls insiste sur les «7,5 milliards d’euros» de la rénovation d’ici 2020. En fin connaisseur de la ligne D, qui dessert Evry dont il fut maire, il annonce que son invraisemblable exploitation sera «simplifiée».

Le Grand Paris doit aussi servir à développer l’aménagement et, surtout, la création de logements. Pour cela, le Premier ministre possède l’arme fatale : l’OIN, opération d’intérêt national, dans laquelle l’Etat reprend la main, même si les préfets assurent qu’on ne fait rien sans les élus. L’Etat agira «en faveur de quinze territoires dits d’intérêt national», a annoncé Manuel Valls. Les élus ne sont pas toujours ravis de le voir ainsi se mêler de leurs affaires mais le chef du gouvernement veut souligner qu’après les temps «des polémiques», il faut s’«engager ensemble». Les procédures nécessaires doivent être signées dans les six mois.

Dans la liste du Grand Paris, il y a aussi des mesures attrayantes. La programmation de la future cité Médicis de Clichy-sous-Bois «commencera dès 2016». Et un passe culture unique «qui devrait donner accès à tous les lieux culturels publics du Grand Paris» sera instauré. «Nous devons travailler avec le Stif pour qu’il fonctionne avec le passe Navigo unique». Bonne idée.

Sibylle Vincendon

DSK, union de la gauche, climatosceptiques et Israël-Palestine : le point sur l’actualité

DSK. Après les affaires du Carlton et du Sofitel, DSK est cette-fois ci mêlé à une affaire financière : le parquet de Paris a ouvert en juillet dernier une enquête préliminaire pour escroquerie et abus de biens sociaux visant notamment Dominique Strauss-Kahn. LSK, le groupe qu’il présidait au Luxembourg, a laissé une ardoise de 100 millions d’euros avant de faire faillite. Deux créanciers ont porté plainte.

Balkany. Et une de plus. Le maire de Levallois-Perret (LR) a été mis examen hier cette fois pour fraude fiscale, dans l’enquête sur le patrimoine de son couple, notamment des villas à Saint-Martin aux Antilles et à Marrakech.

Union de la gauche. Le référendum pour l’union de la gauche aux élections régionales est organisé à partir d’aujourd’hui par le PS. Un parti politique qui consulte le peuple, c’est plutôt bien, sauf que ur le terrain, c’est un peu plus compliqué.

Le Drian. Le ministre de la Défense va confirmer aujourd’hui qu’il est tête de liste régionale en Bretagne, sans toutefois quitter son poste. Mais ce qui se passera après les élections de décembre s’il l’emporte ?

Retraites complémentaires. Syndicats et organisations patronales se réunissent aujourd’hui pour une énième sixième séance de négociation sur l’avenir financier des régimes de retraites complémentaires Agirc (cadres) et Arrco (tous les salariés du privé), très déficitaires

Climatosceptiques. «On ne sait pas ce qui va se passer entre un mois et trente ans.» : à l’instar du Monsieur météo de France 2, certains climatosceptiques sortent du bois avant la COP 21. Une bonne raison pour les envoyer en désintox.

Israël-Palestine. L’histoire d’Ahmad, un ado qui a attaqué à Jérusalem un jeune juif au couteau lundi avant d’être blessé par balles, est exploitée par les deux camps. Les groupes palestiniens appellent aujourd’hui à un «vendredi de la révolution», des manifestations sont prévues en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.

« Si on s’en tenait à Renoir, les arbres ne seraient que des gribouillis »

Ils sont remontés, mais contre quelque chose de plutôt surprenant : Pierre-Auguste Renoir. L’auteur du « Déjeuner des Canotiers » ou du « Bal du Moulin de la Galette ». Qui ne doit plus vraiment embêter personne vu qu’il est mort en 1919. Toujours est-il que le compte Instagram @renoir_sucks_at_painting (Renoir est nul en peinture) estime que le peintre impressionniste est un terrible artiste et que ses oeuvres devraient même être retirées des musées.

Le mouvement, mené par un certain Max Geller, est même allé jusqu’à manifester il y a une semaine devant le Museum of Fine Arts de Boston – qui expose le fameux « Danse à Bougival ». La poignée de contestataires avait même confectionné des panneaux avec les messages suivants : « Terrorisme esthétique », « Retirez-les ! Renoir est nul ! » ou « Dieu déteste Renoir » (en toute simplicité).

Max Geller a initié « Renoir sucks at painting » après une visite à la Barnes Foundation à Philadelphie, qui comprend une large collection de tableaux du maître. Interrogé par le « Guardian » sur cette haine démesurée, Max Geller a répliqué :

Pourquoi tant de gens pensent qu’il est bon ? Vous avez regardé ses tableaux ? » Et : « Dans la vie réelle, les arbres sont magnifiques. Si on s’en tenait à Renoir, les arbres ne seraient que des gribouillis verts ».

Sur @renoir_sucks_at_painting, on trouve des photos de Geller et de ses acolytes faisant des gestes de dégoût devant les tableaux du maître. Plus drôle, des détails des tableaux sont commentés avec colère. Visages étranges, membres déformés, proportions problématiques, couleurs : tout est passé à la moulinette. On en éclaterait de rire : « Qu’est-ce qui est arrivé à son putain de bras ? Elle est mutilée ! Entourée de #végérationpourrissante. Sommes-nous les seuls à avoir de la compassion ? », « BON DIEU ! Pourquoi ce bébé est en enfer ? » ou « Portrait d’un enfant mangeant sa propre tête ».

This is scoundrel-level #aestheticterrorism. Turn down your phone’s brightness. Deeply troubling. Look at her face, clearly wincing from a phantom pain in her lopped-off left arm. What happened to her fucking arm? She’s mutilated! Surrounded by #rottingvegetation. Are we the only ones with any compassion? #renoirsucksatpainting

Une photo publiée par Renoir Sucks At Painting (@renoir_sucks_at_painting) le 13 Oct. 2015 à 11h36 PDT

GOOD GOD! Why is this baby in Hell? #renoirsucksatpainting #sharpie_eyes #rosacea

Une photo publiée par Renoir Sucks At Painting (@renoir_sucks_at_painting) le 26 Sept. 2015 à 11h16 PDT

Portrait of child consuming a chunk of its own scalp. (L’enfant se mange la tête). #renoirsucksatpainting

Une photo publiée par Renoir Sucks At Painting (@renoir_sucks_at_painting) le 10 Sept. 2015 à 7h41 PDT

Encore un :

Regardez ce vide entre sa main et la cuillère, gardez à l’esprit que cette abomination est dans un musée, et vous allez commencer à avoir des visions de l’Archange et de l’Apocalypse. Et ce n’est même pas la partie la plus troublante des mains de Cthulhu de cette mutante désarticulée. REGARDEZ SON PUTAIN DE PETIT DOIGT. »

If you stare into the void of her dead #sharpie_eyes, you feel, as usual, nothing. But stare in the void between her hand and the spoon, keeping in mind this abomination hangs in a museum, and you start to get visions of the #archangel and the #apocalypse. And that’s not even the most unsettling part of this boneless #renoir #mutant’s #cthulhu hands. LOOK AT HER FUCKING PINKIE. Just. Look. At. It. #renoirsucksatpainting

Une photo publiée par Renoir Sucks At Painting (@renoir_sucks_at_painting) le 23 Août 2015 à 15h36 PDT

Plus de 9.000 personnes se sont abonnées au compte Instagram, mais une en particulier a été touchée : Genevieve Renoir, qui se présente comme une descendante du peintre. Sur une photo, elle a posté le commentaire suivant :

Quand votre arrière-arrière-grand-père peindra quelque chose qui vaut 78,1 millions de dollars […], vous pourrez critiquer. En attendant, on peut dire que le marché a parlé et que Renoir n’était pas nul en peinture. »

Geller a répondu sur l’appli : « Je pense que c’est l’un des arguments les plus absurdes et insensés, l’idée que nous devons laisser le marché dicter la qualité ». Il a ensuite listé pour Geneviève Renoir des choses « déclenchées par le marché », parmi lesquelles, selon lui, le changement climatique, l’esclavage, le colonialisme, la destruction de l’habitat des loutres, l’évisceration du prolétariat ou les pubs TV.

On ne sait pas si la démarche de Max Geller relève du happening, de la performance, ou s’il est juste très ironique. Ou s’il a quelque chose à promouvoir avec ce compte. Genevieve Renoir s’est elle fait son idée :

Je pense que Max Geller pourrait être en fait le plus grand fan de Renoir et il a juste une façon très marrante de le montrer. Il a vraiment l’air ému par les [peintures] et je pense que c’est le but de l’art. »

A.S.

Des marionnettes traditionnelles chinoises au Festival de l’Imaginaire

Des costumes de soie aux couleurs éclatantes et richement brodés, des figurines fines ou grotesques d’une fascinante expressivité quand elles sont en mouvement : les marionnettes à fils manipulées par les membres de la troupe taïwanaise Jin Fei Feng procèdent d’une tradition chinoise vieille de plus de 2.000 ans et transposée à Taïwan lors des grandes migrations sur l’île aux XVIIe et XVIII siècles.

Spectacles et attractions de la Chine ancienne

Hsueh Ying-Yuan, le père ; Chang Hsueh-Hsiang, la mère ; Hsueh Wan-Yu et Hsueh Yung-Chu, leurs filles, ainsi que Hsueh Yi-Yang, leur fils, constituent le noyau dur de la troupe Jin Fei Feng. A l’exception de Yung-Chu qui les accompagne au luth, tous manipulent les marionnettes : un travail d’une extrême virtuosité où l’on évoque, en famille et en musique, des héros et des divinités lors de représentations données devant les temples, ou alors des scènes de la vie quotidienne au cours de spectacles donnés dans les théâtres.

La vie quotidienne, elle déferle lors de cette « Promenade à la Fête des Lanternes » représentée à Paris au théâtre du Musée du Quai Branly, dans le cadre du Festival de l’Imaginaire porté par la Maison des Cultures du Monde. Y sont figurés spectacles et attractions qui aujourd’hui encore attirent les Chinois durant cette journée des plus festives qui achève les manifestations du Nouvel An chinois. Et l’argument du spectacle qui met en scène un couple de comédie n’est en fait qu’un prétexte pour donner à voir défiler toute la richesse des fêtes populaires chinoises.

Quatre générations de marionnettistes

La famille Hsueh, on l’a rencontrée au sein du parc culturel de Soulangh, non loin de Kaoshiung, la mégapole située au sud de Taïwan et dotée de l’un des plus grands ports du monde. Dans ce site aménagé à l’emplacement d’une raffinerie sucrière au temps où il y avait encore sur l’île de vastes étendues pour cultiver la canne à sucre, à l’abri d’un bâtiment de la défunte manufacture aujourd’hui transformé en salle d’exposition, la famille a aménagé le castelet de couleurs vives sur lequel les idéogrammes annoncent : Théâtre de marionnettes à fils Chin Fei Feng.

Fondée en 1920 par le grand-père paternel de Hsueh Yi-Yang, Hsueh Pu, la troupe aura bientôt cent ans et a déjà embrigadé quatre générations de la famille. Avec une innovation de taille : dans l’histoire des marionnettes à fils de Taïwan, un art jusque là dévolu exclusivement aux hommes, Chang Hsueh-Hsiang a été la première femme à manipuler les petites créatures qui enchantent encore le public chinois. C’était à la demande de son époux et ce fut, avoue cette pionnière, une bien rude épreuve pour une femme que d’affronter le public et de s’affirmer comme artiste.

Confectionnées en Chine, dans le Fujian

Dans la troupe, s’ils sont quatre à faire vivre les marionnettes, seuls les parents font entendre leur voix. Des voix qu’ils sont conduits à moduler de mille façons tant les personnages de leur théâtre sont nombreux. « A chaque caractère correspond une voix, souligne Madame Chang, et le spectateur doit pouvoir identifier aussitôt un personnage dès que l’on parle pour lui. Aussi, pour enrichir notre répertoire, et à chaque création de nouveau spectacle, sommes nous amenés à inventer différentes façons de parler, de nouvelles voix, d’autres intonations ».

Les marionnettes ont été confectionnées en Chine continentale, celle tenue par le parti communiste. En République de Chine, c’est à dire à Taïwan, ce travail est infiniment trop coûteux et d’ailleurs en ce domaine les artisans sont rares. Aussi Monsieur Hsueng doit-il traverser le détroit qui sépare les deux Chines pour faire exécuter de nouveaux personnages dans le Fujian, la province d’où sont venus d’ailleurs de nombreux ancêtres des Taïwanais, à l’époque des Ming et des Qing.

Faites de bois dur, mesurant près de 65 centimètres, dotées de membres articulés, de doigts mobiles, d’un menton qui lui aussi se met en mouvement, les figurines sont quasi éternelles. Bien entretenus, mais évidemment plus fragiles, leurs costumes de soie chatoyante peuvent avoir une durée de vie de vingt années. Ce qui est beaucoup, car ces petits personnages, animés par des fils dont le nombre court de seize à vingt-deux et qui les rendent infiniment expressifs et mobiles, ces petits personnages sont infiniment sollicités. Ils ne connaissent pas les temps creux de nos intermittents du spectacle.

Devant les temples ou à l’école

La troupe Jin Fei Feng se produit en moyenne 200 fois par an. Et pour trois types de manifestations bien définis : à l’occasion de cérémonies religieuses devant les temples, dans les théâtres éparpillés sur l’île, dans les écoles enfin, car ce patrimoine artistique exceptionnel est reconnu comme tel par les autorités taïwanaises. Elles subventionnent, modestement, la troupe, et celle-ci assure des matinées scolaires pour maintenir vivante cette tradition antique aux yeux des nouvelles générations.

« Malgré la concurrence de la télévision, de la vidéo, du cinéma, des dessins animés, une concurrence très rude évidemment, souligne Hsueh Ying-Yuan, la demande du public reste forte. A Taipei, où nous donnons une trentaine de représentations par an, les salles sont pleines. Et cela dans un théâtre de 300 places coûtant quelque 800 dollars taïwanais chacune, ce qui représente environ 20 euros. On y retrace ces scènes comiques de la vie quotidienne dont raffole le public. Quant aux enfants, ils sont fascinés par l’aspect technique, par ces créatures qui prennent vie à volonté. Dans les écoles leur sont fournis des manuels traçant l’art du marionnettiste. Les clubs d’amateurs sont nombreux et les concours également qui leur permettent de se manifester publiquement ».

En famille

Avec les musiciens qui accompagnent les marionnettistes (luth « pipa », luth « sanxion », percussion, vièle « erxian », flûte « xiao ») ainsi qu’un technicien et une administratrice, les membres de la troupe Jin Fei Feng seront onze à venir à Paris. La famille Hsueh en tête. « Peu de gens veulent apprendre et faire perdurer le métier, regrette Hsueh Ying-Yuan qui le tient de son propre père, Hsueh Chung-Hsin. Il faut tout de même beaucoup militer pour l’ouvrir au grand public. Et créer de nouveaux spectacles coûte cher ». Mais son fils, Yi-Yang, qui adule son père, veut assurer la relève. Et ses sœurs avec lui. « C’est joyeux de travailler en famille, ajoute le pater familias et directeur artistique de 46 ans. Nos enfants sont nos partenaires. Et après les spectacles, nous allons nous promener ou dîner tous ensemble ».

Raphaël de Gubernatis

« Promenade à la Fête des lanternes ». Marionnettes à fils* de la troupe taïwanaise Jin Fei Feng. Le 16 octobre à 14h, le 17 à 18h, le 18 à 17h ; Musée du Quai Branly. Festival de l’Imaginaire ; 01-45-44-72-30.

* Ces marionnettes à fils extraordinairement vivantes constituent le premier volet d’une série de représentations découvrant dans le cadre du Festival de l’Imaginaire quelques autres pans de la diversité des arts traditionnels chinois, marionnettes à gaine ou théâtre d’ombres, tels qu’ils ont été préservés dans ce conservatoire des cultures populaires qu’est Taïwan.

Pour le pape compassion n’est pas raison

Le pape, compassion n’est pas raison ?
Le pape François, l’Independence Hall, à Philadelphie (Pennsylvanie), le 26 septembre 2015. Photo Vincenzo Pinto / AFP

Le pape François soucieux des pauvres, interpelle les gouvernements à propos des migrants et des réfugiés, il combat le lien fait entre la femme et le mal, se dit lassé du machisme contemporain, mais il se bat pour l’égalité des sexes dans l’imaginaire. Quid de la réalité, alors que se déroule la journée mondiale pour l’avortement.

La compassion est voisine de la sollicitude. Le Pape redonne à la compassion, sentir, souffrir avec, toute son importance sociale. La pensée de la sollicitude, ou care, se développe. La compassion traite du présent de la souffrance, ainsi que d’une souffrance passée, quand la sollicitude veut penser l’avenir, nouveau lien social ; soit.

Le pape récupère le retard de l’Eglise : ne plus honnir les divorcé-e-s comme dans les années 60, condamner et ne plus cacher les prêtres pédophiles de ces dernières décennies, ne plus ignorer les homosexuel-l-es de plus en plus visibles depuis les années 70. On appréciera que le pape rattrape le temps perdu; et plus encore : condamner la peine de mort, c’est très bien… Mais avec qui faut-il être sévère ? Avec le parent violeur de petite fille, comme au Paraguay ? Ou avec cette même petite fille qu’on ne saurait faire avorter et qui accoucha l’été dernier ? La compassion reconnaît la souffrance du présent et du passé mais n’enchaîne pas avec la sollicitude d’un présent tourné vers l’avenir. Pourquoi ?

Telle est la question que nous pourrions poser au pape. On rétorquera tout de suite que si, il y pense à l’avenir puisqu’il fait de la politique, de la vraie ; à propos des migrants et des réfugiés, à l’égard des pauvres et des exclus. Il interpelle les gouvernements, et les chroniqueurs politiques ne s’y trompent pas. Le pape est un chef d’Etat et son territoire est le monde entier. Peu importe le petit bout de terre qu’est le Vatican. La compassion peut donc faire de la politique, produire du politique ; la sollicitude n’en ferait pas.

Le pape François, lors du Festival de la famille à Philadelphie (Pennsylvanie) le 26 septembre 2015. Photo Eric Thayer / Pool / AFP

Cependant, la compassion universelle n’est pas raison. On saisit clairement que la politique ici renouvelée est celle de l’Eglise, celle d’un Etat qui ne légifère pas. Certes, ce n’est pas au pape de faire le tri des lois, entre les pays hostiles à l’avortement et ceux qui ne le sont pas ; par exemple. Mais comment la compassion peut-elle tenir son rang face au droit ?

Quelle raison ?

D’où la réflexion sur la justice. Le juste et le droit, le juste et la morale. Le contenu du croisement entre la justice et la morale, j’avoue ne pas le connaître. J’ai plus l’habitude, de lier la justice avec le droit ; tout simplement parce que le «droit des femmes» est un pivot incontournable. Il ne s’agit pas d’oublier la subversion et l’utopie, mais sans droit, pas d’émancipation des femmes, pas d’égalité des sexes. Alors que se passe-t-il quand la compassion mêle justice et morale pour faire bonne figure face aux questions troublantes de la sexualité, de la conjugalité, de la promiscuité des générations ? Quelle justice pour et dans la famille ?

Alors, on passe du rapport ancien (et bien connu) entre la loi et les mœurs, on passe au lien nouveau, à l’époque contemporaine, entre privé et public. Je vais vite, trop vite. Aux hommes la fabrique de la loi, aux femmes la responsabilité des mœurs, telle fut la conviction de penseurs de l’Ancien Régime comme de l’ère démocratique qui lui succéda. L’Eglise chrétienne se retrouve, sans conteste, dans ce schéma sexué de l’organisation sociale : moins quant à la répartition des responsabilités entre femmes et hommes, que face à la «nécessaire» séparation entre privé et public. La famille séparée de la cité, telle est sans doute la conviction fondamentale.

Sexualité et liens singuliers, d’amour et de subsistance, telle est la famille. Il y a un désir de famille, dit le pape, mais les familles sont blessées, ajoute-t-il. Alors, il n’y a aucune obligation d’y appliquer la représentation du sujet de droit, de l’individu à part entière. La petite fille du Paraguay qui subit une césarienne pour accoucher, au mois d’août, est un corps par où l’espèce passe, en l’occurrence l’enfant à naître. Qui est-elle comme sujet de droit ? On comprend que les lois du sexe et de la famille ne sont pas les lois du droit. Reste la miséricorde, qui n’est pas la justice ; dans ce lieu même du fondement de la société, dirait le pape, à savoir la famille.

Un «pape rouge»

J’entends un journaliste lancer l’image d’un «pape rouge». Rouge parce que soucieux des pauvres, rouge parce qu’insolent et exigeant à l’égard des puissants. L’image ne tient pas vraiment, pas longtemps, mais elle renvoie à une tradition socialiste, influente, celle de Proudhon et du mouvement ouvrier français. Proudhon, qu’on dit antiféministe et misogyne, est un penseur de la famille dissociée de l’espace social: la famille est le lieu de la justice, dit-il, justice fabriquée et incarnée par la dualité du couple. Mais ce n’est pas le lieu de l’égalité. Oui, le juste et l’égal ne marchent pas toujours ensemble, pensent ces penseurs, révolutionnaires et chrétiens.

C’est alors qu’on peut changer de perspective, et considérer l’arc politique dans toute sa largeur : de l’avortement, un habeas corpus, à la parité, partage du pouvoir (ordination des femmes), le pape n’y voit pas une question de droit des femmes, de nécessité de liberté et d’égalité, principes démocratiques. Une femme n’est pas propriétaire de son corps, une femme ne peut être prêtre : ni propriété de soi ni gouvernement des autres. Mais la femme n’est pas l’égale de l’homme ? Si, dira le pape, qui se dit lassé du machisme contemporain. Et là il ouvre un nouveau champ critique, celui du lien archaïque entre la femme et le mal. Le pape François conteste ce lien : la faute d’Eve doit être mise en question, la responsabilité de l’émancipation des femmes dans la crise de la famille actuelle est trop facile… Il se bat pour l’égalité des sexes dans l’imaginaire, imaginaire historique, imaginaire social. Certes, c’est bien intéressant de s’attaquer à la prétendue culpabilité des femmes. Quant au réel de la petite fille du Paraguay, il peut attendre.

Voyage en terres rêvées

La Terre de Feu, L’Eldorado, Troie ou le Pays des Amazones… Le Gondwana, l’Atlantide ou Mû… Qui n’a jamais eu vent de ces extraordinaires terres mythiques? Certainement pas Dominique Lanni qui, dans Atlas des contrées rêvées, propose non pas du vent mais un réel voyage à travers une trentaine de lieux légendaires, par-delà le monde. Paru aux éditions Arthaud, l’ouvrage aux allures de recueil met en scène de fantastiques histoires subtilement illustrées par Karin Doering-Froger. Des récits qui font revivre Marco Polo, Homère, Gengis Kahn.

Le livre à la reliure séduisante est de ceux que l’on aime mettre en avant sur une bibliothèque. À l’intérieur, on découvre une écriture poétique particulièrement appropriée au sujet. Pas question d’ennuyer le lecteur d’une flopée de détails, de références ou de citations sans âme, Dominique Lanni, pourtant universitaire, sait raconter des histoires. En guise d’illustrations, les cartes proposées par Karin Doering-Froger mêlent astucieusement cartographies d’antan et nouveaux critères esthétiques et numériques. «On a trouvé un maximum d’anciens documents desquels s’est inspirée l’illustratrice», précise l’auteur.

Les régions présentées dans l’ouvrage ne sont pas toutes le fruit de l’imagination de nos aïeux. Nombre d’entre elles ont vraiment existé. «Le but n’était pas de parler des lieux inventés par les romanciers. Il fallait qu’il y ait un socle à ces mythes, que des voyageurs se soient dit: « on va aller là car on l’a vu sur de vieilles cartes, car on en parle »…», explique ainsi Dominique Lanni.

Cités perdues ou englouties, civilisations mystérieuses, îles fabuleuses ou contrées peu explorées… «En Amérique du sud, la fièvre de l’or explique toutes ces légendes. Puisqu’on n’a pas trouvé l’or où on le pensait, on l’a cherché ailleurs, on a déplacé le lieu. À y regarder de plus près, on remarque ainsi toute une série de délocalisations des lieux rêvés…»

A lire aussi: Tour du monde des lieux maudits,

par Catherine Calvet et Fabrice Drouzy.

«Sur les cartes anciennes, Monomotapa s’étale ainsi en larges majuscules sur l’Afrique australe […] pour combler un immense vide en bas du continent.» Constat toujours surprenant que d’imaginer une telle partie du monde plongée dans l’inconnu et son cortège de peurs et d’affabulations «Dans l’imaginaire collectif on décrivait les Africains comme des cannibales. D’ailleurs, une fois vérifiée, l’anthropophagie de certaines tribus ne surprendra pas les Européens», précise Dominique Lanni qui ajoute cette anecdote: nos ancêtres pensaient qu’une fois le Cap Bojador passé (Sahara occidental), les rayons de soleil étaient si puissants que l’on devenait aussitôt noir au cheveu crépu…

Et aujourd’hui? Reste-t-il des terres à découvrir? «Si les mythes antiques sont prodigues en récits propices à la rêverie, l’époque moderne a, elle, eu à cœur de chercher les preuves qui donnent un peu de réalité à ces belles légendes», note l’auteur. Au risque de détruire le mythe? «Les archéologues, ça a été un cauchemar!», conclut en souriant Dominique Lanni.

Que lui et ses lecteurs se rassurent: ces lieux rêvés peuvent ressurgir du passé. Le temps d’un livre, tout du moins…

Atlas des contrées rêvées. Dominique Lanni. Editions Arthaud. 144 pages. 25 €

Maxime Beaufils

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