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EXCLU. Hyphen Hyphen reprend Kid Wise : l’effet Miroir

Entre les Kid Wise et Hyphen Hyphen, c’est l’effet « Miroir ». Ce titre, issu de l’album des premiers (« L’innocence »), vient en effet d’être revisité par les seconds. Le résultat : un excellent remix et un clip que O vous propose de découvrir en avant-première.

Made in Toulouse et faits pour conquérir le monde, les Kid Wise grandissent encore. Pour preuve, les six Toulousains que vous aviez pu découvrir en concert dans les locaux de « l’Obs » s’offrent déjà une collaboration avec l’excellente bande electro-pop niçoise d’Hyphen Hyphen à travers ce « Miroir ».

Ce dont Augustin Charnet, le chanteur des Kid Wise, se réjouit bien sûr.

On aimait déjà beaucoup les Hyphen Hyphen avant-même ce travail en commun. Avec Vincent (guitariste du groupe, NDLR), il y a deux ou trois ans, alors que nous étions encore au lycée, on les écoutait et on allait les voir en concert ! Et dès que nous avons reçu leur remix, on a eu le plaisir de constater qu’ils s’étaient réapproprié le morceau. »

Ce qui ne s’est pas résumé à un simple bidouillage de studio puisque Kid Wise a dû réenregistrer les voix pour cet arrangement. D’où une création VRAIMENT originale.

Ce que confirme, de son côté, Zaccharie, batteur d’Hyphen Hyphen :

On avait rencontré les Kid Wise à Toulouse lors d’un concert. C’était super cool. Ils avaient d’ailleurs eux-même fait une reprise d’un vieux morceau à nous ! Et puis il y avait ce titre, « Miroir », sur leur formidable album. Comme eux, on conçoit la musique comme une façon de dire quelque chose d’intéressant de façon compréhensible. Donc, de faire de la pop avec du fond. »

N’oublions pas les images de T&C. Pour la petite histoire, elles avaient été tournées dans un premier temps pour le morceau originel et on y retrouve Fred Hotier parmi les quatre protagonistes, un acteur déjà présent dans le clip de « Hope », autre titre du premier album des Kid Wise.

Et s’il ne s’agit pas de danseurs, les gesticulations, au départ auto-parodiques, du quatuor de jeunes gens se subliment dans une intensité telle qu’on pourrait la croire parfaitement chorégraphiée. D’où un clip attachant, très attachant. Comme les Kid Wise et Hyphen Hyphen (1).

Jean-Frédéric Tronche

(1) : Hyphen Hyphen sort son album « Times » le 18 septembre.

A Béziers, une connaissance de Merah en comparution immédiate pour apologie du terrorisme

Un homme considéré comme une connaissance des frères Merah sera jugé en comparution immédiate pour apologie du terrorisme, acquisition et détention irrégulières d’arme et de munitions, le tout en récidive, a annoncé jeudi le parquet de Béziers. Le prévenu, interpellé mardi, a été placé jeudi en détention provisoire par le juge des libertés et de la détention dans l’attente de sa comparution, a précisé le parquet dans un communiqué. Le procès du prévenu ne devrait pas avoir lieu immédiatement, son avocat, Me Luc Abrakiewicz ayant décidé de demander un report pour mieux préparer la défense.

Ce patron d’un snack a été interpellé devant son établissement sur l’allée Paul-Riquet à Béziers par le SRPJ de Montpellier, suite à un signalement. Dans son restaurant, dont le nom comporte un T écrit sous forme de fusil, le suspect qui se défend en affirmant qu’il s’agit de marketing, proposait des menus, dont les noms sont des armes ou des explosifs. La carte de fidélité comporte, elle neuf impacts et lorsque le client atteint le 10e, il reçoit un menu «Grenade». De surcroît, sur plusieurs de ses comptes Facebook, le suspect a relayé des documents de propagandes islamistes, ce qui constitue le délit d’apologie du terrorisme, a indiqué une source judiciaire.

Selon Europe 1, après l’interpellation du suspect, son fils a retiré les menus incriminés ainsi que des décorations, notamment des répliques d’armes accrochées dans le snack entre deux versets du Coran. Lors de la perquisition de son domicile, un fusil et des munitions avaient été découverts.

Le suspect a déjà été condamné à deux ans de prison, dont un an avec sursis, pour la détention de six kilos de cannabis, de deux fusils d’assaut et d’une arme de poing. Cet homme, qui avait pris un nom à consonance musulmane, la religion à laquelle il s’était converti, faisait l’objet d’une fiche S de la DGSI. En outre, il avait également déjà été interpellé à Toulouse où il avait côtoyé les frères Merah, avant de s’éloigner de la ville.

Mohamed Merah avait semé l’effroi en France en mars 2012 en tuant sept personnes au nom du jihad à Toulouse et Montauban avant d’être tué par les forces du raid. Son frère et complice présumé, Abdelkader Merah est toujours incarcéré.

AFP

Tony Parker, l’hagard du Nord

Son regard n’est plus le même depuis quelque temps déjà. On eut beau chercher, la pupille noire avait disparu. En passant dans la zone mixte biscornue du stade Pierre-Mauroy, à peine une minute après que l’Espagne avait flingué l’Euro des Bleus (80-75 a.p), jeudi soir, Tony Parker ne prononçait que des phrases de moins de dix mots. De sa bouche, rien de construit ne sortait. Le mec était hagard, écrasé, détruit. Un journaliste tenta bien de le rappeler, mais, anéanti, il passait définitivement derrière le rideau. Cette demi-finale, il le savait, risquait d’être le dernier match de sa carrière sur le sol français. Le qualifier de cauchemar ne sera jamais aussi fort que le souvenir qu’il en gardera.

Dès les premières minutes du match, on pressentait qu’il faudrait ramasser le meneur des Spurs à la petite cuillère. C’était comme si TP, killer parmi les killers, s’était soudain évanoui en découvrant la mariée dans sa robe. La plus grande salle de l’histoire du basket européen, 27 000 spectateurs, était magnifique et n’attendait que sa rédemption après un début de compétition indigne de son ramage. Défensivement, il se fit enfoncer comme jamais. Offensivement, il finit avec un 4/17 dramatique, et tomba à la renverse sur la dernière possession française en prolongation après avoir raté deux lancers francs cruciaux quelques instants plus tôt. Si la grandeur d’un sportif s’évalue à la charge émotionnelle qu’il est capable d’endosser, alors Parker est indétrônable dans l’histoire du basket français. Mais la quête éperdue de records et de titres a eu raison de lui. Peut-être attendait-on trop.

Nicolas Batum, 25 ans, l’ailier qui est appelé dans les années futures à devenir le nouveau leader offensif des Bleus, ne s’en est pas mieux sorti. Excepté le shoot irréel qui a propulsé les Bleus en prolongations, il a tout gâché, finissant à 3/14. A la fin du troisième quart, la France menait pourtant de 11 points et on ne voyait pas bien ce qui pouvait lui arriver. Rudy Gobert arrachait tout dans la raquette (8 points, 13 rebonds), mais commit la faute de trop. Celle qui laissa le champ libre à l’Espagne et au grandiose Pau Gasol. Le pivot des Bulls (40 points et 11 rebonds) se fit alors l’honneur de rendre aux Français l’humiliation qu’il avait subi il y a quasiment un an jour pour jour, lorsque les Bleus avaient sorti la Roja en quart de finale de sa Coupe du monde à Madrid.

La France pouvait-elle chuter contre une autre équipe que l’Espagne ? Depuis le début des années 2000, la rivalité entre les deux pays est épique. Le ressentiment suinta parfois sur le parquet mais un peu aussi en conférence de presse lorsque le sélectionneur Vincent Collet pestait contre un arbitrage conciliant envers Gasol. Sans chauvinisme aucun, il n’avait pas totalement tort. Mais à ce moment-là, le géant espagnol, 2,15 m, dansait avec ses coéquipiers et leurs supporteurs dans les gradins de Villeneuve-d’Ascq.

Willy Le Devin Envoyé spécial à Villeneuve-d’Ascq

Boualem Sansal : le kamikaze

Le nouveau roman de Boualem Sansal s’intitule «2084». Il a tout pour provoquer une nouvelle éruption épistolaire. Il dépeint un lugubre empire théocratique futur, l’Abistan, soumis à un dieu cruel qui s’appelle Yölah. Un territoire clos né d’une «Grande Guerre sainte»«rien ne différencie un village d’un cimetière». Où des «commissaires de la foi» surveillent la population et combattent «la Grande Mécréance». L’islam est à peine déguisé. Chaque année, l’Abistan se fige lors d’une «semaine sacrée de l’Abstinence absolue», et les croyants doivent à Yölah neuf prières par jour. On suit un fonctionnaire nommé Ati, dont la foi vacille et qui découvre un «ghetto» sous-terrain peuplé de gens qui ne croient pas en Yölah.

En tant que fable, « 2084 » souffre d’un didactisme qui rend le récit abstrait, et empêche de s’intéresser au sort des personnages. Le texte est en revanche porté par une joie du sacrilège : Sansal éprouve un plaisir manifeste à parodier le dogme musulman et les mécanismes qui transforment la foi en instrument de domination politique. La référence au «1984» d’Orwell n’est pas là pour rien: elle rattache l’islamisme à la grande famille des totalitarismes. «La dangerosité de l’islamisme est très sous-estimée, dit-il.

Le monde islamiste est jeune, bouillonnant, agressif, tandis que l’autre est amorphe et vieillissant. Nous avons construit des outils pour dénoncer le soviétisme et le nazisme. Mais on peine à analyser ce phénomène-là, alors qu’il n’est pas si différent.»

Les premiers lecteurs de « 2084 » ont tout de suite pensé que l’Abistan désignait Daech. C’est aussi une parabole sur l’Algérie contemporaine. Les meilleures pages sont celles qui font l’anthropologie de l’Abistan. Sansal s’amuse à raconter son histoire et décrire ses structures symboliques, linguistiques, sociales.

On y retrouve les motifs récurrents de son oeuvre: sa colère contre une langue arabe surchargée de piété, «chant sidéral et envoûtant» qui ne laisse pas d’autre choix que la soumission à Dieu; contre la falsification de l’histoire algérienne, son arabisation forcée, l’effacement de son origine berbère et de son héritage français; contre le culte du martyr omniprésent dans l’islam; contre un pouvoir religieux qui a transformé des pays entiers en enclaves moribondes, où rien ne peut se passer parce que tout est interdit.

“Ma vie a été ravagée par les islamistes”

Sansal s’est installé à Boumerdès en 1972, jeune ingénieur sortant de l’Ecole polytechnique d’Alger. C’était une ville universitaire, dévolue au savoir et à la science, qui comptait une quinzaine d’instituts de recherche. Une centaine de nationalités étaient représentées. Les centres fonctionnaient en partenariat avec des universités françaises, américaines, canadiennes, russes. L’Algérie finançait ce coûteux système grâce à sa rente pétrolière. Quand le prix du baril a chuté, lors du contre-choc pétrolier de 1986, le pays a rompu ses onéreuses relations avec l’Occident, et Boumerdès s’est vidé.

« L’Etat a mené une politique d’algérianisation à la va-vite, raconte Sansal.

Pour remplacer les enseignants, il a fait venir n’importe qui du Liban, d’Irak, de Syrie. Ces pays en ont profité pour se débarrasser de leurs islamistes, qui sont tous arrivés en même temps, avec de faux diplômes. Ça a cassé le niveau scientifique et culturel, d’autant que ça a coïncidé avec la politique d’arabisation. En trois mois, on est passé du tout-français au tout-arabe. Mais nous le parlions très mal, alors qu’eux le maîtrisaient parfaitement.

On s’est retrouvés tout petits, humiliés, dans une situation de dyslexie mentale. S’est installé un culte de la pureté : nous devions être des Arabes purs, la religion devait être pure. Nous devions avoir honte d’avoir été communistes, colonisés, d’avoir parlé des langues de mécréants.»

En juin 1972, Sansal avait passé quinze jours à Prague, lors d’un programme d’échanges interuniversitaires. Il avait rencontré Anicka, une étudiante tchèque en anthropologie. En 1974, ils se mariaient à Boumerdès. En 1976 naissait leur fille, Nanny.

Quelques années plus tard, Sansal va la chercher à l’école, et ne la voit nulle part. Il finit par la trouver au bras d’un imam : un programme d’islamisation a été institué pour les enfants nés de couples mixtes, donc de mères chrétiennes. (La plupart des épouses étrangères ont dû se convertir, dans ces années-là.) Paniqué, il envoie les siens à Prague, où il multiplie les allers-retours. Son mariage n’y survit pas. Dans la préface du «Quarto» qui réunit ses romans, Sansal dit:

Ma vie personnelle et celle de ma famille ont vraiment été ravagées par les islamistes.»

Sansal, qui n’a jamais cru en Dieu, décrit l’islamisation de l’Algérie comme un épidémiologiste parlerait d’un raz de marée viral.

L’environnement verdit à notre insu. Tu retrouves un ami au café et, l’air contrit, il refuse de boire une bière. Il te dit : “Je fais la prière, maintenant.” Au début, tu t’en amuses. Puis un autre fait pareil, puis encore un autre.»

Au début des années 1980, il n’y avait qu’une mosquée à Boumerdès, une ancienne bâtisse de style ottoman, qui pouvait accueillir plus d’un millier de personnes. On en trouve aujourd’hui plus d’une dizaine.

Elles sont gigantesques, suréquipées, alors que la ville se délabre. Et ça ne suffit pas. Le vendredi, les rues sont bondées. La circulation est figée. Ces gens qui s’entassent pour prier, je les reconnais : ce sont des ingénieurs, des médecins, des étudiants.»

Boualem Sansal(©Ferhat Bouda – Agence VU)

“Alors parle et meurs”

Dans les années 1990, Boualem Sansal intègre le ministère du Commerce, puis celui de l’Industrie, en tant que «directeur général de l’industrie et de la restructuration». Pendant ce temps, la guerre entre l’armée et les islamistes ensanglante le pays. Des femmes enceintes sont éventrées vivantes, des jeunes filles kidnappées, des enfants coupés en morceaux:

En 1996, Alger se trouvait presque dans la situation de Kobané. Les islamistes étaient à quelques kilomètres au sud. Chaque jour, on se disait que la ville allait tomber le surlendemain.»

Des intellectuels, des artistes, des journalistes sont assassinés par centaines, comme l’écrivain Tahar Djaout, qui prend une balle dans la tête alors qu’il démarre sa voiture devant son domicile, dans la banlieue algéroise. Djaout avait ce mot que Sansal répète souvent:

Si tu parles, tu meurs; si tu ne parles pas, tu meurs. Alors parle et meurs.»

Aujourd’hui, il se rappelle cette guerre civile comme une «intense humiliation» :

Nous étions fiers de nous, d’avoir fait des études, d’occuper des fonctions importantes, et on s’est retrouvés réduits au silence par des petits caïds islamistes de 17 ans.»

Fin lecteur, Sansal n’avait jamais pensé devenir écrivain. Mais, en ces temps de guerre, il se met à son ordinateur et écrit, entre le journal intime et l’exercice de gymnastique intellectuelle. Mois après mois, le texte grossit. Lorsqu’il atteint les 300 pages, Sansal décide d’arranger cette masse «tout à fait illisible». En décembre 1998, il envoie «le Serment des Barbares» à Gallimard, seul éditeur dont il a l’adresse.

Pendant qu’il devient écrivain, la guerre se termine, et personne ne sait qui l’a gagnée. En 1999, Boumerdès devient un fief du Groupe salafiste pour la Prédication et le Combat. Les islamistes amnistiés pactisent avec le pouvoir, et obtiennent des ministères. A l’Industrie, Sansal se retrouve sous les ordres d’un ancien maquisard nommé El Hachemi Djaâboub. Leurs rapports sont difficiles. Djaâboub parle arabe, dans un ministère très francophone. (Les hauts fonctionnaires parlant français sont surnommés les «chrétiens», ou les «infidèles».) Les prises de bec sont quotidiennes. «Le problème avec les islamistes, dit Sansal, c’est qu’ils ne sont pas là pour travailler.

Djaâboub avait un énorme bureau, où il passait ses journées à zapper devant la télévision. Je l’ai moi-même surpris, absorbé devant des dessins animés stupides.»

Le succès littéraire pousse alors Sansal à prendre la parole. En France, en Allemagne, les journalistes prennent l’habitude de l’appeler. Il a la formule facile, n’a peur d’aucun gros mot. Il n’est pas un stratège qui épargne les ennemis de ses ennemis. Il s’en prend à tout le monde, indistinctement: à Bouteflika, aux religieux, aux intellectuels qui ont capitulé, à la société algérienne. En 2003, sur ordre de Bouteflika, il est démis de ses fonctions.

“Je suis allé à Jérusalem…”

Il est, depuis, dans une situation étrange. Il vit reclus avec sa femme (il s’est remarié). Il n’est pas persécuté par le pouvoir. On le laisse voyager. Il est invité partout. Il a une liberté de parole presque totale. Il n’est pas le seul. En Algérie, la presse francophone est assez virulente. Les «dissidents» sont nombreux. Le régime est une drôle d’entité politique, une dictature à faux nez, mouvante et lunatique, tantôt débonnaire, tantôt intraitable. Les livres de Sansal, là-bas, circulent de manière erratique. Certains sont censurés. Les autres, il faut les trouver. Ses lecteurs se les passent sous le manteau.

Sansal est souvent invité par des groupuscules d’admirateurs, pour des lectures et des conférences informelles en appartement. Le jour où on lui parle, il vient de recevoir l’e-mail d’un journaliste local de Tizi Ouzou, qui lui écrit : «J’ai appris que votre nouveau roman sortait. Venez nous en parler. Nous serons une vingtaine. Il y aura du vin.»

Bien sûr, dit Sansal, tous ces lieux sont infiltrés par la police. Le pouvoir laisse faire, tant qu’il n’y a pas de trop gros débordements, pour que les gens décompressent.»

Sansal décrit sa ville comme gangrenée par les moukhabarat, les informateurs.

Ils recrutent partout : une femme de ménage, un gamin qui vend des clopes. Ils tournent autour de moi, bien sûr. Ils tournent autour de tout le monde. Ils doivent me soupçonner d’intriguer avec le Mossad ou les Français. Le téléphone est écouté, le courrier lu. Ils doivent bien s’ennuyer, mais ils continuent.»

Lui aussi s’ennuie beaucoup.

A Boumerdès, il n’y a aucun loisir. Les cinémas ont fermé. Les bars aussi. Les gens boivent en cachette, dans leur voiture ou des clairières. On trouve un peu partout des cimetières de canettes. Il y a deux mondes, comme en Iran : une façade arabo-islamique triste, et une vie clandestine.»

Si le pouvoir le laisse tranquille, les ennuis viennent de la population. En 2012, Sansal est invité au Salon du Livre de Jérusalem. Il prend un avion pour Tel- Aviv, ce que personne en Algérie ne lui a pardonné. La presse se déchaîne contre ce «traître» vendu au «lobby sioniste». Revenant d’Israël, il répond à la foule en colère avec une tribune : «Je suis allé à Jérusalem… et j’en suis revenu riche et heureux» – titre qui illustre bien son espièglerie presque kamikaze. Puis il se rend à un dîner du Crif, ce qui fait hurler, dans un pays rongé par l’antisémitisme.

Son épouse Naziha, qui enseigne les mathématiques dans un lycée de Boumerdès, se fait alors traiter de «sale juive» par ses élèves. Les parents réclament sa tête, parce qu’ils craignent qu’elle «contamine» les enfants avec son «judaïsme». Elle a dû démissionner. Naziha Sansal vient d’une famille pieuse et traditionnelle. «Elle vit assez mal cette situation, dit son époux.

En général, je ne lui dis pas de quoi mes livres vont parler. Elle lit la presse arabophone, qui m’est très hostile et tient un discours lourd, fort, religieux, plein d’imprécations. Ce sont pour moi des malades mentaux, mais ils sont lus par beaucoup de monde.»

Même la presse « dissidente » en a après lui. «Il a eu des prises de position qui lui ont valu l’hostilité des laïques, des gens de son propre camp, dit Abdou Semmar, directeur du site Algérie-Focus.

Son voyage en Israël a beaucoup choqué. Ses positions flirtent avec celles des lobbies intellectuels français. Il est édité là-bas, il y passe du temps: un mécanisme le pousse à regarder l’Algérie avec des yeux français. On a l’impression que ça lui fait perdre sa lucidité. Son tableau est plus noir que noir. Le camp islamo-conservateur est fort, mais il existe des niches de résistance. Les policières n’ont pas le droit de porter le voile, par exemple. Ces mécanismes, Sansal n’en parle jamais. Il est dans une logique de sinistrose.»

Les intellectuels et universitaires algériens s’en prennent fréquemment à ses ouvrages. «Gouverner au nom d’Allah», pamphlet anti-islamiste paru en 2013, ou «le Village de l’Allemand» lui ont valu d’être qualifié de penseur grossier et d’islamophobe pathologique. Chez nous, il est traité en héros par une presse de droite hostile à l’islam, ce qui ne l’émeut pas. Fait-il une différence entre l’islamisation despotique des pays arabes et la place de l’islam en France, où les musulmans sont minoritaires et où la question relève de la liberté de culte?

Les débats que vous avez sont à la virgule près ceux que nous avons eus il y a trente ans. Nous avions voté une loi en 1993 sur l’interdiction de la tenue islamique, et pas seulement du voile, dans l’espace public. Nous discutions, comme vous : peut-on interdire? Les ennemis de la démocratie ont-ils le droit de s’exprimer? L’islam est-il un ennemi de la démocratie? Il y avait des pour, des contre. On disait que les religieux étaient des exclus, qu’il fallait les comprendre. Et puis, un jour, c’était trop tard. C’était la guerre, les clivages étaient irréparables. Ça a détruit une société. Il faut toujours couper le sifflet aux radicaux, quels qu’ils soient.»

David Caviglioli

2084, Gallimard, 274 p., 19,50 euros.

Romans 1999-2011, Gallimard,

coll. «Quarto», 1248 p., 29 euros.

Bio express

Né en 1949, Boualem Sansal est notamment l’auteur du «Serment des barbares» (1999), du «Village de l’Allemand» (2008) et «Rue Darwin» (2011). Il a reçu le prestigieux prix de la paix des libraires allemands en 2011. Son nouveau roman, «2084», figure actuellement sur la liste du Goncourt 2015.

Paru dans « L’Obs » du 10 septembre 2015.

Les 1ères pages de « 2084 »

Les diesel dans le gaz

Tous les grands constructeurs automobiles vendent des voitures diesels plus polluantes qu’il n’y paraît. C’est ce qu’affirme un rapport sur la pollution atmosphérique en Europe publié jeudi par la Fédération européenne pour les transports et l’environnement (Transport & Environment) qui regroupe cinquante ONG et associations favorables aux transports «durables» en Europe – dont le Réseau Action Climat (Rac) et la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut), basés en France.

Les voitures et camionnettes roulant au diesel seraient en moyenne cinq fois plus polluantes que ce à quoi les règles européennes les y autorisent, selon le rapport, qui compile plusieurs études menées sur des véhicules dans des conditions réelles de trafic. «Le pire d’entre eux, de la marque Audi, affichait des émissions 22 fois supérieures à la limite autorisée par l’Union européenne», assure Transport & environment.

Un véhicule conforme sur dix

Au total, seul un véhicule sur dix serait conforme à la nouvelle norme Euro 6 entrée en vigueur le 1er septembre. Connue depuis 2007, celle-ci oblige notamment les constructeurs à «prouver que tous les véhicules neufs vendus, immatriculés ou mis en service sont conformes aux normes en matière d’émissions fixées dans le règlement». A savoir : 5 mg/km pour les particules et 60 mg/km pour les oxydes d’azote.

Les voitures à essence, réputées moins polluantes pour ce qui est des particules fines, sont également montrées du doigt dans ce rapport : une sur cinq ne respecterait pas la norme Euro 6.

En bleu ce que les véhicules sont censés émettre, en noir ce qu'ils rejetteraient réellement, selon Transport & environment.

Ces résultats sont d’autant plus préoccupants que le trafic routier est aujourd’hui le principal responsable de la pollution atmosphérique, «qui coûte des dizaines de milliers de vies et plus de 100 milliards d’euros en France chaque année», selon le Réseau Action Climat. En Ile-de-France, il pèse pour 56% des émissions d’oxydes d’azote (NOx) et 28% des rejets de particules (PM10), d’après Airparif, l’association locale de surveillance de la qualité de l’air.

Un système d’homologation «inefficace»

Si les constructeurs vendent des voitures qui ne sont pas dans les clous, c’est d’abord parce que le système d’homologation est «inefficace», estime Transport & Environment. Le cycle de test mené en laboratoire pour vérifier la conformité des véhicules à la norme – 11 km à 34 km/h de moyenne – «n’a pas été pensé pour refléter la conduite réelle mais […] pour faciliter sa répétition exacte», afin de ne pas trop varier d’un véhicule à un autre, déplorent les auteurs du rapport. Qui dénoncent aussi la frilosité des grands constructeurs à installer des filtres efficaces (qui existent déjà) au profit d’équivalents low-cost. «Tout le monde sait que ce cycle d’homologation ne reflète pas la conduite en conditions réelles», reconnaît un porte-parole de PSA. Mais le constructeur français se dit prêt à soumettre ses véhicules à des tests «plus fidèles quand ils entreront en vigueur au niveau européen».

«Il incombe aux décideurs européens, dont fait partie la France, de résister aux pressions des lobbies automobiles pour s’assurer du respect des normes avec la mise en place du nouveau test en conditions réelles avant 2018 et sans échappatoires», réclamait lundi le Réseau Action Climat sur la base de l’étude. Sollicités en fin de matinée, plusieurs constructeurs, dont Audi, n’avaient pas encore donné suite en début d’après-midi. Du côté de PSA, on assurait que tous les véhicules de la marque sont «conformes» à la réglementation, alors qu’un modèle Citroën est pointé du doigt par l’étude de la Fédération européenne pour les transports et l’environnement.

Gabriel Siméon

«De la fosse, je me fais l’avocat de Mozart»

Cette semaine de postrentrée, Jérémie Rhorer décrypte le sens de l’Enlèvement au sérail, l’Académie de l’Opéra de Paris est officiellement lancée, la directrice du département musique nous parle des 2 millions de partitions de la BNF et le Quatuor Artemis exhume deux quatuors de Brahms, avant une surprise.

L’empire du sens : «l’Enlèvement au sérail» avec Jérémie Rhorer

On avait laissé le chef d’orchestre Jérémie Rhorer sur la scène du théâtre de l’Archevêché après la première de l’Enlèvement au sérail, le 2 juillet à Aix-en-Provence. Heureux d’avoir mené à bien son entreprise, il saluait avec vigueur alors que la salle tétanisée, sous le choc de la mise en scène de Martin Kusej, applaudissait à cadence lente ou sifflait : «Débâcle intellectuelle», «cliché». Chez Mozart, les quatre Occidentaux sont libérés, fruit de la mansuétude du pacha ; dans cette mise en scène, ils sont libérés, puis assassinés en coulisse par des islamistes. Au moment des saluts, l’oasis d’énergie entretenue par Rhorer au milieu d’un désert houleux en forme de catastrophe scénique nous avait émus.

Le 21 septembre, Jérémie Rhorer dirigera au Théâtre des Champs-Elysées une version de concert de l’Enlèvement au sérail, avec les mêmes interprètes et sans mise en scène. Nous lui avons donc demandé pour l’occasion de revenir sur ce projet controversé et mal accueilli, mené en collaboration avec l’Autrichien Martin Kusej.

Jérémie Rhorer dirigeant Don Giovanni au Théâtre des Champs-Elysée en 2013. (Photo Yannick Coupannec)

Le soir de la première, vous étiez content alors que la salle sifflait la mise en scène…

Oui, ça montre bien que, même en façade, il n’y avait pas de collaboration avec Martin Kusej. Je conçois l’œuvre de Mozart comme un projet intellectuel et humaniste. C’est un objet façonné dans la voie de l’humanisme, avec un message extravagant pour l’époque : le pardon n’est pas l’apanage des civilisations occidentales. Moi, de la fosse, je me fais l’avocat de la valeur de ce propos. C’est là que nous différons avec Martin Kusej.

Qui, lui, a transposé la suite du pacha en une bande d’islamistes…

Oui, mais Kusej n’allait pas tout le temps à l’encontre de ce que disait Mozart. Quand il transforme Osmin, le gardien du sérail, en islamiste, pourquoi pas ? Osmin est un personnage bouffon, mais par convention. Au fond, il est très ambigu. A la limite, le radicaliser ainsi peut même aller dans le sens de Mozart. En revanche, la dernière image de sa mise en scène [Osmin brandit les vêtements ensanglantés des protagonistes tués en coulisse, ndlr] dénature le propos de Mozart.

Mais pourquoi ? Justement, Osmin est ambigu, et les violons montrent qu’il y a une tension. Il peut très bien tuer tous les Occidentaux, c’est tordu mais acceptable…

Je pense que le message de Mozart est différent. Sur ce dernier air, justement, le livret pose que rien n’est plus haïssable que la vengeance. Il y a des accents sur hässlich, laid, et Rache, vengeance. C’est clair, c’est ce que Mozart veut dire, il ne veut pas au contraire montrer la haine. Durant les réunions préparatoires, j’avais dit à Martin Kusej : «Je peux te suivre jusqu’à un certain point, mais pas dans cette interprétation finale.» En plus, on ne sait pas vraiment si le pacha [une figure du pardon pour Mozart, ndlr], est d’accord ou pas avec ce que vient de faire Osmin.

Tout est dans les forte. Photo Gallica. BNF

Et alors ?

En réunion, Kusej disait qu’il changerait des choses pour la première.

Vous n’avez pas l’impression d’avoir été instrumentalisé ?

Complètement. Kusej est un personnage intéressant, et sur l’Enlèvement… son travail comporte des points de force, comme l’enfermement dans le désert, mais il n’a absolument pas respecté les solutions communes. Il n’a pas beaucoup de considération pour ses collaborateurs. Il appréciait par exemple mon travail au premier degré sur la direction, mais refusait que je donne mon interprétation de l’œuvre. Alors que, de mon côté, je refuse que la mise en scène s’arroge le monopole du sens. Le manque de considération de la partie musicale est un des symptômes inquiétants de l’opéra d’aujourd’hui, hérité du «Regietheater» [liberté de transposition accordée à la mise en scène, ndlr]. En France, les metteurs en scène sont tout de même plus respectueux de la musique.

Comment faites-vous ensuite pour tenir six dates avec ce hiatus artistique ?

C’est difficile, il faut porter un spectacle avec une mise en scène sur laquelle vous êtes en désaccord. Alors que le metteur en scène, lui, est absent. Ensuite nous l’avons tourné en version demi-scénique, en Allemagne notamment. Et nous le jouons lundi prochain au Théâtre des Champs-Elysées.

L’Enlèvement au sérail de Wolfgang Amadeus Mozart, en version concert au Théâtre des Champs-Elysées le 21 septembre.

Opéra de Paris: l’Académie des 9 musiciens

Jeudi 10 septembre, dans son bureau en demi-cercle de l’Opéra Bastille à la vue imprenable, Stéphane Lissner, son directeur, organisait une conférence de presse pour lancer l’Académie de l’Opéra de Paris. Du moins son extension, car le principe existe déjà, avec l’Atelier lyrique, mais n’était jusque-là cantonné qu’au chant.

Une Académie, pourquoi faire ?

«La transmission est une mission de service public», explique Stéphane Lissner. Le but du projet est d’accompagner des artistes sur le chemin de la professionnalisation. La formation est reconnue par l’Afdas (Assurance formation des activités du spectacle) et les élèves bénéficient d’un contrat rémunéré. Lissner n’en est pas à son coup d’essai : il a déjà monté de telles structures pour le festival d’Aix-en-Provence et à la Scala de Milan. L’Académie coûtera 3,5 millions d’euros, financée pour l’instant à hauteur de 2 millions par le mécénat. Philippe Jordan, le directeur de la musique, regard clair et arcades sombres, en vieilles baskets, passé en coup de vent dans le bureau avant des répètes à la Philharmonie  – il y présente le 16 un programme Mahler-Schönberg (le musicien phare de la programmation 2015-2016) –, explique : «Nous avions l’idée depuis cinq ans avec les musiciens de monter une académie. Et, évidemment, Stéphane Lissner en a fait un projet plus vaste.»

Quels champs couvrira-t-elle ?

Plus vaste. Cela signifie qu’à l’Atelier lyrique seront adjointes des formations pour musiciens, chorégraphes et metteurs en scène, qui aboutiront ensuite à un travail sur des productions. La sélection, drastique, privilégie les profils déjà mûrs : l’Académie pouvait accueillir 12 musiciens, au terme de plus de 350 auditions, elle n’en a sélectionné que 9. Il y aura donc pour cette première année 11 chanteurs, 4 chefs de chant, 1 metteur en scène, 9 musiciens et 4 chorégraphes qui, pour l’instant, ont été recrutés parmi les danseurs du ballet de l’Opéra, mais dont la filière de sélection s’ouvrira à l’extérieur la saison prochaine. Tout cela avant d’élargir encore l’éventail pédagogique de l’Académie, les saisons suivantes, aux métiers d’art – la perruquerie a été prise en exemple.

Quelles retombées pour l’Opéra ?

Cette Académie produira des musiciens qui interviendront dans l’orchestre, comme des musiciens supplémentaires. Par exemple, l’opéra pour enfants Vol retour, de la compositrice Joanna Lee, mis en scène par la Britannique Katie Mitchell, verra en décembre les musiciens en résidence à l’Académie intégrés à l’orchestre et sera interprété par des chanteurs de l’Atelier lyrique – tout comme Orfeo de Monteverdi en mai 2016. Cette initiative s’inscrit aussi dans des démarches destinées aux jeunes, existantes ou sur le point d’être mises sur pied, comme Dix Mois d’école et d’opéra, les Petits Violons ou la sensibilisation à la musique des élèves décrocheurs de Sarcelles.

BNF : «Chaque partition a une histoire»

C’était la grande nouvelle de la semaine dernière : la découverte des partitions du Chant funèbre, œuvre de Stravinsky d’une douzaine de minutes composée en 1908 à la mémoire de Rimsky-Korsakov, dont Stravinsky avait été l’élève, puis considérée comme disparue, y compris par son auteur, peut-être détruite, et retrouvée par hasard par une bibliothécaire, Natalia Braguinskaïa, lors d’un déménagement au conservatoire de Saint-Pétersbourg.

Une histoire qui tient du conte de fées. «Oui, mais encore faut-il une fée, explique Elizabeth Giuliani, directrice du département musique de la Bibliothèque nationale de France, que nous avons interrogée pour l’occasion. On peut retrouver dans les archives des écoles, des conservatoires ou encore des orchestres, les partitions des jeunes années. Mais il faut savoir reconnaître l’écriture et l’évolution du compositeur. Il faut une fée.» Continuons avec Elizabeth Giuliani sur le fonds de la BNF et ses trésors, passés ou à venir.

Combien avez-vous de partitions ?

Plus de 2 millions. Dont 80 000 manuscrites, et 30 000 manuscrites autographes, c’est-à-dire écrites de la main de l’artiste. C’est l’un des fonds les plus riches avec ceux de Munich, Berlin et Londres.

Pour combien de titres ?

Il n’y a pas de doublons concernant les manuscrits : tous ont des différences. Jusqu’au début du XIXsiècle, par exemple, les amateurs s’adressaient à des copistes professionnels pour des transpositions, des simplifications, des adaptations… chacune a sa particularité.

Le répertoire français est-il plus important dans votre collection ?

Il est important, mais il ne se résume pas à cela. Nous avons une collection autographe de Beethoven – il y a beaucoup d’études, mais nous avons par exemple la sonate Appassionata, qui nous a été donnée par une pianiste au XIX–, ou encore de Schumann. Nous avons la partition autographe de Don Giovanni, qui avait été achetée par la cantatrice Pauline Vierdot au gendre de l’éditeur Johann André, qui l’avait lui-même achetée à Constance Mozart à la mort de ce dernier. Pauline Vierdot en avait fait don au Conservatoire, dont nous avons récupéré le fonds en 1935. Chaque partition a une histoire. Une partie de ces partitions a été numérisée et est disponible sur le site Gallica.

La partition autographe de Don Giovanni. Photo Gallica. BNF

Combien de partitions faites-vous rentrer par an ?

Entre 1 000 et 1 200 par le dépôt légal. Environ 500, selon le budget, par l’achat d’éditions musicales étrangères. Et assez peu, une dizaine, d’acquisitions patrimoniales. Lorsque cela dépasse un certain montant [de l’ordre de plusieurs dizaines de milliers d’euros, ndlr], il faut l’aval du directeur de collection, mais aussi l’autorisation de la BNF et de son président, après consultation d’une commission des acquisitions exceptionnelles. Il y a aussi la possibilité de passer par le ministère de la Culture, dans le cadre d’un classement «trésor national», c’est-à-dire une œuvre, même étrangère, qui porte sur un point de la culture française. Ces temps-ci, par exemple, nous faisons une recherche de mécénat pour l’acquisition d’une réduction piano-voix des Troyens de Berlioz.

Nous avons aussi beaucoup de dons, des compositeurs ou des ayants droit. Le but étant qu’ainsi les documents restent disponibles pour les chercheurs.

Qui consulte ces partitions ?

Des musicologues, des chercheurs, mais aussi des interprètes. Notamment avec la redécouverte du baroque, dans un souci de reconstitution des interprétations, il y a eu toute une vague. Encore aujourd’hui par exemple, Sébastien Daucé est venu se documenter pour son Ballet royal de la nuit. Et puis il y a les grands amateurs, qui cherchent souvent des versions différentes des œuvres, des réductions.

Vous trouvez-vous souvent face à des faux ?

Oui, il y a des faux, mais il y a longtemps qu’on n’en a pas vus. Nous avons beaucoup de critères, les faux sont rares. Le marché des partitions est moins important que celui des textes littéraires.

Avez-vous eu une bonne surprise à la façon de la redécouverte de Stravinsky ?

Oui, mais plus modeste et plus récente. Par exemple, nous accueillons les archives Messiaen-Loriod, et nous y avons trouvé une partition autographe de Pierre Boulez, annotée de sa main et de celle d’Yvonne Loriod. Dans les archives du conservatoire, parmi les copies d’examen, nous avons aussi trouvé une partition autographe d’une cantate de Bizet composé pour le prix de Rome, David. Et qui a été jouée en 2009. A propos de Bizet, d’ailleurs, il existe une partition réputée perdue, celle des Pêcheurs de perles.

Le disque : les quatuors 1 et 3 de Brahms par le Quatuor Artemis

A la question bête : dans le corps de quel compositeur mort aimeriez-vous être réincarné ? le chef Jérémie Rhorer a lâché : «Brahms.» Vie compliquée. «Oui, mais quelle inventivité !» On pourra une nouvelle fois s’en rendre compte, au large des œuvres symphoniques, en se penchant sur sa musique de chambre, et par exemple ces 1er et 3quatuors du Hambourgeois enregistrés par le Quatuor Artemis, et qui sortent le 18 septembre chez Erato.

Quatuor Artemis (gauche à droite) : Eckart Runge, Gregor Sigl, Vineta Sareika et Friedemann Weigle. (Photo DR)

«Ce n’est pas difficile de composer, ce qui est incroyablement difficile, c’est de faire tomber sous la table toutes les notes inutiles», écrivait Brahms au dédicataire du quatuor numéro 1, écrit sur une période de huit ans, et décrit comme accouché «au forceps». Schumann, vingt ans avant la publication de cette première œuvre, parlait déjà de quatuor à cordes écrits par Brahms, et l’on évoque une vingtaine de partitions détruites par Brahms (et ne cherchez pas, il n’y a aucune partition autographe de Brahms disponible sur Gallica).

L’enregistrement boisé et brillant, équilibré et à bonne distance, voit les instrumentistes d’Artemis se répartir les pans et laisser libre le centre de l’écoute où résonnent parfois les pizzi de la contrebasse et où débordent des coulées impromptues de descentes à l’unisson. L’ensemble dégouline et frappe d’un même allant, «progressiste dans un domaine [de la musique de chambre] alors en friche», écrivait Arnold Schönberg. Inventif, donc. Et on n’ose pas imaginer ce qu’il y a «sous la table».

Brahms, String Quartets Numéro 1 & 3, Artemis Quartet (Erato). Sortie le 18.

Le Quatuor Artemis sera en concert le 30 septembre à Anvers (De Singel).

Coda bonus : la fosse du TCE

En 1928, Strawinsky s’écriwait awec un w. (Photo DR)

En 2010, des travaux ont été réalisés dans la fosse d’orchestre du Théâtre des Champs-Elysées. Pourquoi ?

1. Parce qu’elle avait disparu. Dans un souci de rentabilité, les directeurs successifs avaient d’année en année rogné l’espace de la fosse et rajouté des premiers rangs aux premiers rangs. La supercherie a été découverte quand il n’est plus resté, en 2009, que la place du chef d’orchestre entre les chanteurs et les spectateurs.

2. Parce qu’elle n’avait jamais existé. Le Théâtre des Champs-Elysées est la seule institution du monde qui éparpille ses musiciens dans la salle selon un système de spatialisation mis en place en 1913 par Stravinsky avant la présentation du Sacre du printemps : l’immanophonie.

3. Parce qu’il n’y avait pas d’eau. Or, la Convention internationale des musiciens de scène signée en mars 1936 oblige les salles de spectacle à fournir de l’eau courante à l’orchestre pendant les représentations, notamment pour prévenir les départs d’incendie.

4. Parce qu’elle était rongée. En l’espace de cent ans, la fosse était progressivement passée de 100 à 60 musiciens, l’espace s’étant transformé en volume de stockage, notamment pour un système hydraulique encombrant empilant des cadres métalliques sous la scène.

Réponse : 4 (toutes les autres sont fausses, évidemment). Elle peut donc à nouveau accueillir 92 musiciens, comme lors de la création du Sacre du printemps le 29 mai 1913.

Guillaume Tion

PHOTOS. Les héros de « Star Wars » sont timbrés

Nous savons, grâce à Maître Yoda, que la Force est partout : dans les arbres, dans la roche, dans l’air… Eh bien désormais, elle sera même présente sur les enveloppes postales britanniques, puisque le « Royal Mail » a fait imprimer 18 timbres inspirés de « Star Wars » en l’honneur du prochain épisode de la saga, « L’Éveil de la Force ». Ces œuvres philatéliques, commandables en ligne, seront disponibles à partir du 20 octobre. À tout seigneur (Sith), tout honneur : voici le timbre de Dark Vador.

(Royal Mail)

Forum citoyen au Gabon

L’Afrique fut le berceau d l’humanité. Est-elle désormais son avenir ? Dans trois décennies, les Africains formeront un quart de la population mondiale. Depuis dix ans, le taux de croissance du continent, au nord comme au sud, est nettement supérieur à celui de l’économie de la planète. Un remarquable effort d’éducation lui a permis de rattraper progressivement dans ce domaine les autres régions du globe. Héritière d’une riche histoire où se sont succédé les grands empires et les royaumes puissants, elle est sortie peu à peu des confrontations coloniales et post-coloniales, maîtrisant, malgré les convulsions, son indépendance chèrement acquise. L’abondance d’une main d’œuvre formée et l’émergence d’une classe moyenne industrieuse, conjuguées avec l’immensité de ses ressources naturelles, lui ouvrent les portes du 21ème siècle. Ouverte sur le monde, dotée d’une jeunesse ambitieuse, progressant vers la stabilité et la modernité, elle est maintenant la terre de l’espoir.

Depuis 2007, Libération organise dans les villes de France des grands forums citoyens destinés à débattre des affaires publiques. Ces forums sont ouverts, libres et gratuits. Ils rencontrent partout un grand succès parce qu’il permettent à tous les citoyens intéressés d’écouter et d’interpeller les responsables de tous bords, les experts, les intellectuels ou les journalistes. Notre journal a décidé d’étendre ces débats d’idées à l’étranger en commençant par le continent africain, en raison des enjeux décisifs qui le traversent. Ces forums africains obéiront aux mêmes règles, qui sont réunies dans la charte qui gouvernent depuis l’origine cette activité civique. Comme toujours, nous travaillons avec des partenaires engagés dans le combat démocratique. Les deux premières réunion auront lieu à Fes, au Maroc et à Libreville au Gabon, en coopération avec Reporters Sans Frontières, Transparency International, la Banque Mondiale, l’OCDE et le réseau des Défenseurs des droits de l’Homme en Afrique centrale. La liste des participants, qui mêle responsables et militants locaux de tous les horizons, représentant la société civile autant que le monde politique, et les experts africains ou internationaux spécialisés dans les questions qui concernent l’Afrique comme les pays du nord : développement économique, progrès social, avenir de la jeunesse, combat pour l’environnement, lutte pour le pluralisme et les droits humains. Les tribunes des intervenants sont d’ores et déjà disponibles sur notre site ; les discussions seront couvertes en direct par notre rédaction et par une équipe d’étudiants en journalisme issus les écoles et des universités africaines. Ces forums sont ouverts à tous et l’inscription s’effectue sur le site Liberation.fr. Le débat est ouvert.

Laurent Joffrin

Les enjeux climatiques, une opportunité pour une croissance verte en Afrique

Les pays Africains sont parmi les moins responsables du dérèglement climatique mais aussi parmi les plus vulnérables et les moins bien équipés pour faire face à ces dérèglements, en particulier dans le domaine agricole. A ce titre ils sont les plus légitimes pour défendre les intérêts des pays en développement dans les négociations climatiques à venir à Paris en décembre 2015. 

L’esprit de la compensation carbone à l’origine était la solidarité entre les pays riches et pauvres pour faire face à la crise climatique. Mais cet esprit a été oublié au profit du développement d’un marché des crédits carbone, centré surtout sur les bénéfices environnementaux, et financiers. Perdant ainsi dans de nombreux cas, l’essence même de ce mécanisme de développement. 

Les négociations du Climat à Paris (COP21) seront un moment clé pour défendre à nouveau cette vision solidaire, et mobiliser des fonds pour investir dans des projets climatiques créateurs de valeurs multiples. Dans le domaine agricole, l’agroforesterie par exemple, qui consiste à planter des arbres au sein et autour des cultures agricoles, est un excellent outil, tant pour compenser une empreinte Co2, qu’aider à l’adaptation aux dérèglements climatiques, les arbres protégeant les cultures. Ceux-ci génèrent de nombreux bénéfices pour les fermiers et leurs écosystèmes : ils séquestrent du carbone, enrichissent les sols, dépolluent et stockent l’eau, préservent la biodiversité et diversifient les revenus des fermiers. Nous avons ainsi listé plus de 100 bénéfices de l’arbre, sur des plans multiples : économique, social, environnemental, culturel, spirituel…

Avec l’agroforesterie, et plus globalement la forêt, au menu des négociations a venir, c’est une grande opportunité pour l’Afrique d’accompagner la transition agricole directement vers l’agro-écologie et la valorisation de son écosystème, de ses terroirs, grâce a ces programmes climatiques. Dans certains cas sans même passer par le modèle de l’agriculture intensive, en accompagnant les petits producteurs directement de l’agriculture traditionnelle à l’agro-écologie.

L’injustice climatique envers les pays pauvres doit être réparée, c’est un préalable pour qu’il y ait un accord à Paris et aussi une opportunité pour accompagner cette transition agricole et une croissance verte en Afrique. Une opportunité pour tous, de montrer notre humanité et d’arriver a un accord commun, pour le bénéfice de tous.

 

Tristan Lecomte co-fondateur et président de Pur Projet

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