L’Histoire se répète. Ce qui s’est produit aux Etats-Unis se répète ici. Depuis les attaques qui se sont produits le 13 novembre, il semble que nous avons mis de côté la défense de la vie privée au profit du tout sécuritaire. Dans le cadre du dernier meeting auquel j’ai participé à Las Vegas, la question […]
A la fin 2009, le philosophe Alain Badiou avait accepté pour la première fois de débattre avec Alain Finkielkraut. Un dialogue publié dans « l’Obs », et qui fut à l’origine d’un livre paru l’année suivante: «l’Explication. Conversation avec Aude Lancelin» (éditions Lignes, 2010). Aujourd’hui il refuse ses invitations et s’en explique dans un courrier rendu public.
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Lors des discussions, publiques et publiées, que nous avons eues naguère, je vous avais mis en garde contre le glissement progressif de votre position, et singulièrement de votre crispation identitaire, que je savais être à l’époque sans doute déjà très réactive, mais que je considérais comme loyale et sincère, du côté d’un discours qui deviendrait indiscernable de celui des extrêmes-droite de toujours.
C’est évidemment le pas que, malgré mes conseils éclairés, vous avez franchi avec le volume «l’Identité malheureuse» et le devenir central, dans votre pensée, du concept proprement néo-nazi d’Etat ethnique. Je n’en ai pas été trop surpris, puisque je vous avais averti de ce péril intérieur, mais, croyez-le, j’en ai été chagrin: je pense toujours en effet que n’importe qui, et donc vous aussi, a la capacité de changer, et – soyons un moment platoniciens – de se tourner vers le Bien.
Mais vous vous êtes irrésistiblement tourné vers le Mal de notre époque: ne savoir opposer à l’universalité, abstraite et abjecte, du marché mondial capitaliste, que le culte, mortifère dès qu’il prétend avoir une valeur politique quelconque, des identités nationales, voire, dans votre cas, «ethniques», ce qui est pire.
J’ajoute que votre instrumentation sur ce point de «la question juive» est la forme contemporaine de ce qui conduira les Juifs d’Europe au désastre, si du moins ceux qui, heureusement, résistent en nombre à cette tendance réactive ne parviennent pas à l’enrayer. Je veux dire, la bascule du rôle extraordinaire des Juifs dans toutes les formes de l’universalisme (scientifique, politique, artistique, philosophique…) du côté du culte barbare et sans issue autre que meurtrière d’un Etat colonial. Je vous le dis, comme à tous ceux qui participent à ce culte: c’est vous qui, aujourd’hui, par cette brutale métamorphose d’un sujet-support glorieux de l’universalisme en fétichisme nationaliste, organisez, prenant le honteux relais de l’antisémitisme racialiste, une catastrophe identitaire sinistre.
Dans le groupe des intellectuels qui vous accompagnent dans cette vilenie anti-juive, on me traite volontiers d’antisémite. Mais je ne fais que tenir et transformer positivement l’universalisme hérité non seulement d’une immense pléiade de penseurs et de créateurs juifs, mais de centaines de milliers de militants communistes juifs venus des milieux ouvriers et populaires. Et si dénoncer le nationalisme et le colonialisme d’un pays déterminé est «antisémite» quand il s’agit d’Israël, quel nom lui donner quand il s’agit, par exemple, de la France, dont j’ai critiqué bien plus radicalement et continûment, y compris aujourd’hui, les politiques, tant coloniales que réactionnaires, que je ne l’ai fait s’agissant de l’Etat d’Israël ? Direz-vous alors, comme faisaient les colons en Algérie dans les années cinquante, que je suis «l’anti-France» ? Il est vrai que vous semblez apprécier le charme des colons, dès qu’ils sont israéliens.
Vous vous êtes mis vous-même dans une trappe obscure, une sorte d’anti-universalisme borné et dépourvu de tout avenir autre qu’archi-réactionnaire. Et je crois deviner (je me trompe ?) que vous commencez à comprendre que là où vous êtes, ça sent le moisi, et pire encore. Je me dis que si vous tenez tant à ce que je vienne à l’anniversaire de votre émission (à laquelle j’ai participé quatre fois, du temps où vous étiez encore fréquentable, quoique déjà avec quelques précautions), ou que je participe encore à ladite émission, c’est que cela pourrait vous décoller un peu de votre trou. «Si Badiou, le philosophe platonicien et communiste de service, accepte de venir me voir dans la trappe où je suis» – pensez-vous peut-être – «cela me donnera un peu d’air au regard de ceux, dont le nombre grandit, qui m’accusent de coquetterie en direction du Front National.»
Voyez-vous, j’ai déjà été critiqué dans ce que vous imaginez être mon camp (une certaine «gauche radicale», qui n’est nullement mon camp, mais passons) pour avoir beaucoup trop dialogué avec vous. Je maintiens, sans hésitation, que j’avais raison de le faire. Mais je dois bien constater, tout simplement, que je n’en ai plus envie. Trop c’est trop, voyez-vous. Je vous abandonne dans votre trou, ou je vous laisse, si vous préférez, avec vos nouveaux «amis». Ceux qui ont fait le grand succès des pleurs que vous versez sur la fin des «Etats ethniques», qu’ils prennent désormais soin de vous. Mon espoir est que quand vous comprendrez qui ils sont, et où vous êtes, le bon sens, qui, si l’on en croit la philosophie classique, est le propre du sujet humain, vous reviendra.
Ce 18 août de 1936, à 4h45 du matin, près de ce lieu nommé « barranca de Alfacar », le ravin d’Alfacar, entre le village du même nom et celui de Viznar, à quelque neuf kilomètres de Grenade, Federico Garcia Lorca était assassiné par des franquistes. Six hommes de la Phalange, parmi lesquels le plus ignoble de tous, Benavides, un parent de la première épouse de son père qui s’était enrôlé spontanément pour avoir la jouissance de l’exécuter.
Avec Garcia Lorca étaient tués un malheureux instituteur de village, José Dioscoro Galindo, qui avait eu le malheur de prôner la laïcité, ainsi que deux jeunes banderilleros de Grenade, Francisco Galadi et Joaquin Arcollas, qualifiés d’anarchistes pour avoir espéré plus de justice sociale et adhéré à la Confédération nationale des travailleurs (CNT).
Le fantôme de Garcia Lorca hante la conscience collective
Les quatre corps furent jetés par les tueurs dans une excavation. Alentour, près de deux mille autres victimes du fascisme espagnol auront été dispersées là, dans des fosses communes, après avoir été exécutées sommairement dans les premiers temps de la guerre civile. Et bien des années plus tard, comme ce fut le cas en France pour les victimes de la Terreur, on ne savait plus exactement qui avait été assassiné ici, qui gisait sous terre au sein de cette immense nécropole en pleine nature.
Federico Garcia Lorca, photographié à son domicile de Grenade (Famille Lorca/Sipa)
Aujourd’hui, près de huit décennies après ces effroyables tueries, et pour la troisième fois, on tente de retrouver les restes mortels de l’écrivain. Avec ceux de tant d’autres martyrs en Espagne, le fantôme de Federico Garcia Lorca hante à tout jamais la conscience collective.
Une plaie toujours purulente
Son assassinat par les phalangistes, par des Espagnols, sa mort due tout à la fois au fascisme, au catholicisme le plus intransigeant, à de vieilles haines familiales, au machisme aussi, car on tua non seulement un écrivain célèbre, un poète, un dramaturge, un homme libre, mais encore, et avec plus de rage sans doute, un homosexuel, sa mort est, parmi tant d’autres, un crime qui a sali toute l’Espagne.
Et alors que les horreurs de la guerre civile ont été longtemps tues et cachées par la dictature franquiste quand il s’agissait des victimes venues du camp des vaincus, l’on peut voir aujourd’hui, dans cette recherche acharnée du corps du poète, outre un besoin légitime de rendre hommage au martyr comme à l’écrivain, un acte d’expiation, une nécessité de laver une plaie toujours purulente.
La Ley de Memoria historica
Votée par les Cortes en 2007, à l’époque où le socialiste Jose Luis Rodriguez Zapatero était le chef du gouvernement de Madrid, la « Ley de Memoria historica de Espana » (Loi sur la mémoire historique) permet désormais, sous contrôle de l’Etat espagnol et des gouvernements autonomes, et à la demande expresse des familles, que soient enfin ouvertes les fosses communes où furent précipitées des dizaines de milliers de victimes. Et que soit reconnue officiellement l’injustice qui leur a été faite, à elles comme à leur parenté. En Andalousie seulement, là où mourut Garcia Lorca, ces fosses, on a recensé 595, tout en ignorant aujourd’hui encore combien de dépouilles elles abritent.
Tuer un poète
Tuer un jeune poète : quand on aborde l’assassinat de Garcia Lorca et les conditions dans lesquelles il fut exécuté après avoir été sans doute humilié, battu, torturé, l’émotion demeurée toujours très vive fait de lui le symbole le plus terrifiant de la barbarie des milices franquistes, mais aussi de la société espagnole tout entière.
En 2009, déjà, sous l’égide de l’ « Oficina de Victimas de la Guerra civil y la dictatura », aujourd’hui supprimée par le gouvernement de droite de Rajoy, on effectua sans succès des fouilles au pied d’un antique olivier qui marque l’entrée du parc Garcia Lorca, un site jouxtant le village d’Alfacar. On s’appuyait alors sur les indications données par le plus connu des biographes du poète, l’hispaniste irlandais Ian Gibson, auteur de « Vie, passion et mort de Federico Garcia Lorca », livre au grand retentissement publié en 1998. Dans son ouvrage, Gibson se basait entre autres sur le témoignage d’un homme qui avait été sur les lieux en septembre 1936, un mois après l’assassinat.
Nouvelles fouilles en novembre 2014
De nouveaux éléments semblaient désormais avoir déterminé avec plus d’exactitude le lieu où avaient été jetés les corps de Garcia Lorca et de ses malheureux compagnons.
Lors des fouilles le 18 novembre 2014 (JORGE GUERRERO / AFP)
Parmi plusieurs confidences inédites de phalangistes, un général aujourd’hui à la retraite avait livré ses souvenirs. Fils de celui qui était le commandant militaire de la zone au moment de l’exécution, il fut conduit sur les lieux par deux ou trois des assassins, dont le plus fanfaron, Benavides, celui qui avait été le plus cruel, celui qui s’était vanté « d’avoir tué un rouge, un ami des rouges, un sale pédé ». C’était dans les années 1960, quand le témoin était un tout jeune homme. Et ce témoignage permettait désormais de circonscrire une zone de 160 mètres carrés où l’équipe de chercheurs était sûre de retrouver les dépouilles.
Avec une aide financière de la Junta de Andalucia, le gouvernement autonome de l’Andalousie, une équipe d’historiens et d’archéologues conduite par Miguel Caballero Pérez, auteur des « Treize dernières heures dans la vie de Federico Garcia Lorca », reprit donc les travaux. A un kilomètre environ des fouilles de 2009 Las ! Après vingt jours de recherches infructueuses, des chutes de neige inopinées dans la Sierra de Alfaguara ruinèrent le projet et obligèrent l’excavatrice retenue pour les fouilles à dégager les voies routières de la région.
Troisièmes fouilles
Lors des fouilles le 18 novembre 2014 (JORGE GUERRERO / AFP)
Aujourd’hui, avec le reliquat des subventions du gouvernement andalou et après une campagne de levées de fonds internationale, Miquel Caballero et l’archéologue Javier Navarro relancent les recherches à quelques pas de celles de 2014. Car on a pu, ces derniers mois, affiner encore les données que l’on possédait. Et l’on est sûr désormais de retrouver les corps des quatre suppliciés au sein d’un espace d’une centaine de mètres carrés, à vingt mètres à peine des recherches de l’an dernier.
« Tierra seca, tierra quieta de noches inmensas »
Tierra seca, tierra quieta de noches inmensas »
Terre sèche, terre tranquille sous les nuits immenses) : ce vers de Garcia Lorca semble avoir annoncé le lieu où il sera massacré.
C’est un site désolé de pierres et de terre aride, du type que l’on nomme en Espagne « secano » et qui s’étend non loin du « camino del arzobispo », le chemin de l’archevêque, par où les quatre victimes de l’assassinat du 18 août (d’autres disent du 19), parvinrent à ce qui serait leur tombeau. Hélas, il y a bien des années, un maire de village y fit déverser des tonnes de terre en vue d’aménager là… un terrain de football. Il fallut un appel de la soeur de Garcia Lorca, alors âgée de 87 ans, adressé au président de la Junte d’Andalousie, pour que celui-ci fît cesser d’urgence les travaux en ce lieu dont on savait pourtant qu’il abritait des restes mortels.
Mais le mal était fait. Le sol de jadis est enfoui, dit-on, sous huit mètres de remblais. Et avant même cet acte idiot, le régime franquiste avait installé là un camp d’instruction militaire dont on fit par la suite un terrain de moto-cross. Tout aura donc été fait pour faire oublier cette nécropole où gisent sans doute près de deux mille corps, mais aussi pour dissiper la mauvaise conscience de leurs assassins, des familles de ceux-ci et de toute une classe politique elle aussi criminelle.
« Lorca eran todos »
Aujourd’hui, les familles des quatre victimes sont une nouvelle fois divisées quant à l’opportunité d’effectuer des recherches. Et chacune pour des raisons très nobles. Rejointe par la famille de l’un des deux banderilleros, la petite fille de l’instituteur Francisco Galadi veut retrouver les ossements de son aïeul. Elle a vu son propre père, qui tout jeune alors avait assisté à l’arrestation du « maestro » et tenté de suivre le prisonnier, se tourmenter toute sa vie de savoir sans sépulture celui qui lui avait donné le jour.
Tout au contraire, et pour d’aussi nobles raisons, la famille de Federico Garcia Lorca ne voit pas d’un bon œil l’exhumation possible du poète, sans toutefois s’y opposer désormais, par égard aux familles des trois autres victimes. Car cette famille, que représente aujourd’hui la nièce de l’écrivain, Laura Garcia Lorca y de Los Rios, redoute à juste titre que la célébrité universelle de l’auteur suscite un intérêt public tel que cette découverte et une possible exhumation déboucheraient immanquablement sur un ouragan médiatique en quoi on pourrait voir une douloureuse profanation. Un excès de vacarme, de curiosité et de fureur après le silence étouffant imposé par la mort et par la dictature franquiste, laquelle aurait bien voulu bannir à tout jamais le souvenir de Garcia Lorca et d’autres poètes comme Cernuda de la mémoire universelle.
Dressée dans le ravin, sous les arbres, parmi les fosses communes, une stèle de granit dit bien la pensée de la famille : « Lorca eran todos » (Tous étaient Lorca). Une noble manière de signifier que toutes les victimes du fascisme sont égales dans la mort. Et que cette tragique nécropole, dans sa désolation, recèle plus de grandeur et dégage plus d’émotion que n’importe quel tombeau de marbre.
La vie en rose ? Le stand le plus flashy de Paris photo est, sans aucun doute, celui de Suzanne Tarasieve. On pouvait s’en douter. La galeriste n’allait pas céder à l’esprit désincarné et mélancolique de notre temps !
Juergen Teller, Kanye, Juegen and Kim, N°.70, Château d’Ambleville, Paris, 2015 C-type 182,88 x 274,32 cm
En plaçant sous l’égide du film de Claude Sautet Les choses de la vie, sa participation à la plus prestigieuse foire mondiale de photographie, Suzanne Tarasieve se met véritablement en scène avec un texte de présentation bouleversant, à l’image de sa vie et des œuvres qu’elle défend.
Un éloge de la vie
On ne sera donc pas étonné par le choix des photographes qu’elle présente. Tous sont très éloignés d’une esthétique contemplative et soporifique ! Ils témoignent au contraire d’une vie intense aux confins, parfois, du sordide et de l’abject.
Que ce soient pour Delphine Balley, Stanislas Guigui, Jeffrey Silverthorne, Boris Mikhaïlov ou Juergen Teller, la photographie implique pleinement le corps dans tous ses états.
Stanislas Guigui Prostituée Bogota, 2015 Tirage pigmentaires, papier Baruyta, Hahnemühle 350 g, 85 x 58 cm
Ces photographies de transsexuels, de prostitués ou de masochistes, etc. ne sont en rien la manifestation morbide d’une existence épuisée et perverse. Elles semblent, bien plus, l’expression d’une affirmation de la vie, y compris dans ses formes les plus infâmes ! A l’instar du programme deleuzien d’une existence artiste, il s’agit encore d’ouvrir et d’expérimenter de nouvelles formes de vie, fût-ce au prix de la maladie ou de l’épuisement, de la perversion, de la drogue ou du jeûne, de la trahison ou de l’infamie.
Esthétique du «So far»
On ne trouvera donc pas chez Suzanne Tarasieve une photographie dominée par le référent barthien du «ça-a-été», mais plutôt un éloge du «So far» : Jusque là ça va … Poursuivons, la vie !
« L’accident. Celui dont on échappe et qui transforme une vie. C’est l’histoire de Suzanne Tarasieve. Celle d’un combat mené seule pour survivre au sortir de l’adolescence. Depuis, la vie est un cadeau, une grande fête que l’on doit célébrer tous les jours.
Ces moments où tout peut basculer, elle les donne à voir dans toute leur noirceur, leur violence et leur extravagance.
Avec les artistes dont elle partage l’engagement pour exister et dénoncer, Suzanne Tarasieve a sélectionné des séquence de vie où la tragédie rime avec la comédie. Chez Delphine Balley, la lecture de faits divers est prétexte à des mises en scène théâtrales et poétiques.
Delphine Balley La réunion de famille. Série «L’album de famille», 2007 Photographie à la chambre, 107 x 130 cm
Pour Stanislas Guigui, la rencontre avec les prostituées de Bogota donne lieu à des clairs obscurs vertigineux et chaotiques. Boris Mikhaïlov exprime la violence de la naissance et se représente dans un simulacre de dérision sur l’angoisse de la mort. Avec Jeffrey Silverthorne, on plonge dans le monde de la nuit, des travesti et du morbide.
Jeffrey Silverthorne
Juergen Teller aborde la question de la représentation du corps dans tous ses paradoxes. Ces photographes ont tous en commun une approche frontale et sans condition humaine.«
Béatrice Andrieux
Suzanne Tarasieve préparant le stand C37 à Paris Photo
PARIS PHOTO
12 – 15 NOV. 2015 Suzanne Tarasieve Stand / Booth C37 — Les choses de la vie
DELPHINE BALLEY STANISLAS GUIGUI BORIS MIKHAÏLOV JEFFREY SILVERTHORNE JUERGEN TELLER
PARIS PHOTO – GRAND PALAIS : Avenue Winston Churchill, 75008 Paris + info
Une cour d’appel fédérale a rejeté jeudi une précédente décision de la justice américaine et déclaré conforme à la constitution le principe de la peine capitale en Californie, où des détenus peuvent passer plusieurs décennies dans le couloir de la mort. Cette décision vient en renverser une précédente prise par un autre juge fédéral, qui avait déclaré inconstitutionnelle la peine de mort dans l’Etat de l’ouest américain, considérée comme particulièrement cruelle en raison du temps passé en prison par les condamnés avant d’être exécutés, certains n’étant même jamais mis à mort.
Pour la cour d’appel, la Californie ne fait que respecter la loi fédérale des Etats-Unis et son système judiciaire. Dire que les sentences infligées aux détenus se trouvant dans le couloir de la mort «ont été une lente transformation d’une peine de mort en une peine qui présente une sérieuse incertitude et de la torture» n’a pas de fondement logique, ont affirmé les trois juges de cette cour, rejetant unanimement la décision précédente. «Beaucoup s’accordent […] à dire que le système de la peine capitale en Californie ne fonctionne pas et que le délai entre le prononcé de la condamnation et l’exécution est extraordinaire», ont-ils toutefois reconnu.
La Californie est l’Etat qui compte le plus grand nombre de détenus en attente d’être exécutés, soit 747 personnes qui passent en moyenne 17,9 années dans le couloir de la mort. La dernière exécution y remonte à 2006. La décision prise en appel par le panel de trois juges est liée au cas d’Ernest Dewayne Jones, condamné à mort en 1995 pour avoir violé puis tué la mère de sa petite amie, trois ans auparavant.
Ça n’a pas l’air comme ça, mais le sujet est sérieux. Dans le seul amphithéâtre de 150 places de l’Ileri, école de relations internationales à Paris, on se presse et on s’entasse sur les gradins pour assister à la conférence événement de la journée : « James Bond est-il un héros de géopolitique? »
Sur l’estrade, quatre chercheurs mais aussi grands fans de la saga, Alexandre Adler, Isabelle Safa, Pierre Fayard et David Vauclair, aussi sages que leur public. Pendant deux heures, ils vont disserter sur l’agent 007. Mais que vient faire l’espion le plus célèbre du monde, en salles ce mercredi, au milieu d’étudiants qui se destinent à des carrières dans les plus grandes organisations internationales ?
Le lien entre James Bond et la géopolitique est frappant. Jamais un tel personnage de fiction n’a exercé autant d’attrait dans les plus hautes sphères du pouvoir. John Kennedy avait placé « Bons baisers de Russie » en bonne position dans son top 10 des meilleurs livres. Sa femme en recommandait la lecture au patron de la CIA, Allen Dulles, qui en fut l’un des plus importants admirateurs.
Des soviétiques aux risques environnementaux et au cyberterrorisme
C’est que, né dans un double contexte de guerre froide et de décolonisation, James Bond a épousé les mutations politiques et socio-économiques du monde occidental.
Fleming était un anti-communiste virulent. L’agent britannique s’est donc bien sûr mesuré aux services secrets soviétiques, sur fond :
de crises des euromissiles, par exemple, dans « Octopussy » en 1983,
d‘occupation de l’Afghanistan par les troupes soviétiques dans « Tuer n’est pas jouer« ,
de menaces de guerre nucléaire dans « Moonraker » en 1979.
Bond s’est aussi confronté au pouvoir des grands médias internationaux dans « Demain ne meurt jamais » en 1997. Il s’est heurté aux ultimes bastions des systèmes totalitaires chinois et coréen dans « Meurs un autre jour« , notamment, en 2002. Il a répondu aux risques environnementaux dans « Le monde ne suffit pas » en 1999, aux problèmes hydriques dans « Quantum of Solace » en 2008. Enfin, il s’est mesuré à la finance mondiale, au cyberterrorisme, aux réseaux criminels internationaux dans « Permis de tuer », « Casino Royal », « Skyfall » et « Spectre« .
Zone d’influence britannique
Conséquence de cet ancrage dans le réel géopolitique : bon nombre de pays ont choisi d’interdire le film. Le bloc soviétique bien sûr, mais aussi une partie du Moyen-Orient, où l’Egyptien Nasser a dénoncé James Bond devant ses députés comme l’incarnation de l’impérialisme occidental, ou encore en Algérie où Houari Boumediene a interdit le film. En Chine, il a fallu attendre 2006 et « Casino Royal » pour qu’il soit diffusé.
James Bond, nous disent les spécialistes et Ian Fleming lui-même, est un miroir de notre temps. « L’art de la saga est de coller à la réalité, sans jamais entrer dans le débat international », souligne Jean-Antoine Duprat, auteur de « James Bond dans le spectre géopolitique » (L’esprit du temps, octobre 2015).
Surtout, l’espion a redoré le blason de la Grande-Bretagne. Il n’y a qu’à observer la manière avec laquelle chaque sortie est célébrée outre-Manche. L’apparition surprise d’Elisabeth II dans son propre rôle au côté de Daniel Craig, le temps d’un court-métrage, lors de la cérémonie d’ouverture des JO de Londres en 2012 en dit long sur le rôle de James Bond dans la représentation de la Grande-Bretagne sur la scène internationale.
« James Bond est une projection de l’image que veut se faire un peuple de lui-même », explique Jean-Antoine Duprat, qui ajoute :
James Bond arrive à la fin de la Seconde Guerre mondiale, au moment où l’Angleterre perd de sa dimension mondiale, détrônée par les Etats-Unis. Et là, on va avoir un personnage qui s’applique à toute la planète, même en terme de diffusion cinématographique. »
L’illusion d’un empire
Les chercheurs invités de l’Ileri en sont d’accord : James Bond est le fantasme d’une Angleterre encore puissante et James Bond est le garant de ce prestige. « Les nombreuses missions à l’étranger du personnage inscrivent l’action du MI6 dans la défense d’un empire présenté comme éternel et intemporel, comme s’il était encore intact », explique Isabelle Safa, docteur en littérature et enseignante à l’IEP de Lille.
On est dans une logique compensatoire. Après Suez, tout est perdu, fors l’honneur. »
En effet, les James Bond naissent au moment de la démission sans gloire de Winston Churchill, de la crise de Suez, en 1956, de la fin des empires coloniaux. Les dernières illusions de l’empire britannique s’effondrent avec fracas.
« Ce n’est pas un hasard si le premier film ‘James Bond contre Dr. No’ débute aux Bahamas, là où furent conclus les accords de Nassau qui lièrent à jamais la destinée de la Grande-Bretagne aux Etats-Unis à travers le ‘special relationship' », raconte Alexandre Adler. L’Angleterre se résout alors « à passer le témoin aux Etats-Unis ».
Cette illusion d’un empire en réalité perdu se retrouve essentiellement dans la représentation de l’Orient. Une représentation caricaturale. Dans « L’espion qui m’aimait », les scènes en Egypte offrent un large panorama d’images de cartes postales et de préjugés coloniaux très forts: des pyramides, des chameaux, des repas qui se déroulent sous une grande tente, des danseuses du ventre voilées (Bond s’en ira bien évidemment avec l’une d’elles)…
Dans « Octopussy », les tigres et les éléphants sont là pour nous rappeler qu’on est bien en Inde !
Les Arabes sont, eux, des cavaliers barbus. L’agent 007 est dans un espace d’aventure et de romantisme, façon Lawrence d’Arabie.
Cet Orient est toujours représenté comme un espace territorial conquis, colonisé », souligne Isabelle Safa.
« On est dans cet orientalisme théorisé par Edouard Saïd qui explique qu’un ensemble de stéréotypes de l’Orient produites par l’Occident serait au service d’une domination matérielle et idéologique de cet Occident sur l’Orient », poursuit Isabelle Safa. « Si on ne peut y voir de la part de Fleming un tel complot machiavélique, en revanche on est bien dans la nostalgie ».
Ainsi, ici ou là, dans les James Bond, le modèle colonial est mentionné. C’est ce marchand d’armes, Brad Whitaker, qui fait référence à une bataille remportée en 1895 par les Anglais sur des troupes afghanes plus nombreuses. C’est ce chant patriotique de propagande impériale du XIXe siècle, « Rule Britania », siffloté par Bond dans « Tuer n’est pas jouer » pour déclencher un gaz dissimulé par Q. dans un porte-clés.
Les allusions à l’Empire sont récurrentes et mettent en scène un héros civilisateur confronté à un Orient archaïque, arriéré », ajoute Isabelle Safa.
Elle cite en exemple un James Bond qui n’hésite pas à enfreindre une coutume tribale pour mettre fin à un combat à mort entre deux Gitanes amoureuses d’un même homme dans « Bons baisers de Russie ». Ou encore quand il sauve une Kim Basinger en détresse, exposée en petite tenue pour être vendue dans un marché aux esclaves nord-africain qui grouille d’acheteurs lubriques, dans « Jamais plus jamais ».
Par ailleurs, Isabelle Safa insiste sur le fait que dans le monde bondien, l’Orient n’est « qu’un terrain d’affrontement entre l’Ouest et l’Est », complètement dépolitisé où les gouvernements locaus n’apparaissent presque pas.
L’Angleterre des savants
Cette hyper représentation de la Grande-Bretagne, démesurément fantasmée est d’autant plus importante que les Britanniques ne digèrent pas d’être devenus les obligés des Etats-Unis. Pour redonner de la hauteur à la Grande-Bretagne face aux Etats-Unis, James Bond utilise un levier imparable : l’intelligence scientifique incarnée par Q. Lui, c’est le savant de Cambridge et d’Oxford, c’est le geek des années 2000 paré pour les cyberguerres. Dans « Skyfall », il dit justement à James Bond : « J’ose arguer que je puis faire plus de dégâts avec mon ordinateur portable et en pyjama avant ma première tasse de Earl Grey que vous en un an sur le terrain. »
La saga Bond exprime l’idée d’une Angleterre avec « de beaux restes », affirme Alexandre Adler. « Ses ingénieurs ont inventé le radar dès 1940, les premiers ordinateurs, l’intelligence artificielle. Malgré les apparences, malgré le mobilier ancien, l’Angleterre reste une grande puissance technologique grâce à sa capacité à faire usage de sa science. » De fait le personnage de Q. qui invente la montre qui cisaille des barbelés, l’étui à cigarette qui met en action un missile est finalement beaucoup plus important que celui de M., le directeur du MI6.
Smart power
Par cette particularité bondienne, la Grande-Bretagne se veut indispensable à la marche du monde. Et l’agent 007 est partout chez lui. « James Bond peut se trouver n’importe où sur la planète, tout de suite, il a des alliés qui lui fournissent costumes, cravates, invitations, armement, renseignements. En fait, tout se passe comme si l’Empire était omniprésent et pouvait mobiliser où qu’il aille, en Asie, dans les Caraïbes ou en Amérique latine », raconte Pierre Fayard, docteur en sciences de l’information et professeur d’université à l’IAE de Poitiers.
Alors James Bond n’a jamais peur, car l’Empire est toujours derrière lui. »
Umberto Eco, pionnier des « James Bond studies », parlait même d’un isolationnisme victorien puisque Bond profitait du mode de vie et des institutions britanniques, où qu’il soit dans le monde.
« C’est aussi une manière de dire que les Etats-Unis ne peuvent pas y arriver seuls, malgré leur gros sous-marins et leurs bateaux. Quand les Américains arrivent, James Bond a déjà tout fait grâce à son intelligence, son individualisme, son anti-conformisme », assure Alexandre Adler. Doublé à son permis de tuer, signe de la force coercitive de la Grande-Bretagne, James Bond peut être interprété comme le symbole du smart power à l’anglaise.
La mue de l’agent secret
James Bond a su constamment renaître. Pour Alexandre Adler, l’arrivée de Pierce Brosnan puis, et surtout, de Daniel Craig, illustre une nouvelle étape dans la volonté britannique de rayonner à travers la planète.
« Avec Pierce Brosnan, l’Angleterre gagne en modestie. En Inde, les anglais ne sont plus rois, les Russes sont parfois plus malins. Il y a une dépréciation de soi par rapport aux grandes prétentions du début. Et puis arrive Daniel Craig ».
Par sa « trogne », son physique « repoussant », son accent « prolo », sa tristesse, ses traumatismes d’enfance, son obscurité, Daniel Craig donne à voir une Grande-Bretagne en « déflation complète » mais qui est en train de « se réinventer », poursuit Alexandre Adler. « Elle veut quitter l’Europe, elle est en train de rompre avec les Etats-Unis, elle se précipite en Chine, elle ne restera probablement pas une monarchie. L’Angleterre a fini sa mue, elle ne se raconte plus d’histoires. Exactement ce qui arrive à la Russie actuelle qui veut se réinventer un empire. En fait Daniel Craig… c’est Poutine. »
La lecture de son livre est un délice : s’y côtoient des illustrations, des graffitis, des collages, des photos et une autoanalyse sans concession. Il prétend être devenu cinéaste «pour acquérir les profondes blessures émotionnelles et spirituelles dont [s]on enfance outrageusement heureuse [l]’a si cruellement privé».
Gamin, il donnait un coup de main aux cirques de passage, faisait des parties de cartes avec les nains, apprenait des tours de magie, jouait du cor d’harmonie en rêvant d’Elvis Presley, communiquait en morse, et se persuada assez vite, en regardant Nixon, que «la politique est le show-business des moches». Son éducation sexuelle fut élémentaire: il fit la cour à sa première fiancée en se déguisant en prise électrique mâle, puis il se mit à lire Dostoïevski, et tout se gâta. Il devint romantique.
Le « barbare » des Monty Python
Monté à New York, Terry Gilliam réalisa des romans-photos avec un acteur débutant, Woody Allen, fit travailler Robert Crumb dans une revue, exécuta des dessins pour Goscinny dans «Pilote», et fut révulsé par la «bêtise absolue et hypocrite de la guerre du Vietnam». Son divorce avec les Etats- Unis a débuté là : Terry Gilliam, depuis plus de trente ans, est devenu anglais, rebuté par les âneries des présidents américains successifs.
Adopté par la bande des Monty Python, il a mis en oeuvre leur philosophie, «faire rire le commun des mortels avec des trucs complètement idiots». Dans le groupe, il fut le «barbare» et eux, les «êtres supérieurs». D’où le tournage bizarre de son premier film, «Sacré Graal» (1975): «On avait repéré un mouton mort au bord de la route alors que nous en cherchions un pour le balancer du haut des remparts. Mais tout le monde s’était mis à vomir…» Ambiance.
On connaît la suite : « la Vie de Brian » (1979), épopée biblique kitsch signée par un autre Monty Python, Terry Jones, parti d’une idée simple: «Jésus-Christ : la soif de gloire». A sa sortie, le film rassembla catholiques, protestants et juifs contre cette oeuvre «sacrilège».
Dans la tête de Terry Gilliam
« Brazil » (1985) fut un mélange des contes de Grimm et des errances de Kafka, qui provoqua l’ire des producteurs (ils exigèrent des coupes. Réponse de Gilliam : «Allez vous faire foutre !»).
«Les Aventures du baron de Münchhausen» (1988) débutèrent avec la volonté d’engager Marlon Brando. Celui-ci vint au rendez-vous, toucha ses orteils et repartit. Pendant le tournage, les costumes s’égarèrent quelque part en Afrique du Sud, alors que l’équipe était à Cinecittà… Dès lors, Terry Gilliam prit conscience de son statut artistique : «clairement un emmerdeur».
« L’Armée des douze singes » (1995) fut un cauchemar; «Las Vegas Parano» (1998), une entreprise folle («comme attirer un coyote dans une cabine téléphonique») ; «Don Quichotte», une catastrophe grandiose; et «l’Imaginarium du Dr Parnassus» (2009), une débâcle due à la mort de l’acteur principal. Scoumoune ? Non. Comme le dit Gilliam : «J’ai une incroyable aptitude à ne jamais faire les choses dans les règles de l’art.»
Ces « Mémoires » nous permettent d’être dans la tête de Terry Gilliam. Mais, comme il le souligne page 233 : «Merde ! C’est bien le dernier endroit où j’ai envie d’être.»
Dans son édition du 12 novembre, Libération publie un long entretien avec le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve. Terrorisme, Calais, Sivens, débats sur l’action de la police, il revient sur les dossiers sensibles et sur les promesses envolées du candidat Hollande. Extraits.
Tout récemment à Toulon, comme près de Perpignan cet été, des jihadistes frappés d’une interdiction administrative de sortie de territoire envisagent de passer à l’acte en France. N’est-ce pas un effet pervers inattendu de la loi de 2014, qui, en interdisant de sortie de territoire ceux qui cherchent à rejoindre le jihad, fixe la menace sur le sol français ?
C’est tout l’inverse, ne nous y trompons pas : les individus les plus dangereux sont ceux qui ont assisté à des combats et à des exactions au sein des groupes terroristes. Ils sortent de ces crimes psychologiquement détruits, sans aucune inhibition et conditionnés en vue de commettre des attentats. Le cas de Toulon est emblématique : le suivi de cet individu a permis d’empêcher par deux fois son départ, puis de l’arrêter avant qu’il ne mette son projet à exécution.
Les associations présentes à Calais affirment que les violences envers les forces de l’ordre ces derniers jours sont le résultat du désespoir des migrants, provoqué par votre volonté de rendre hermétique la frontière. Que répondez-vous ?
Il s’agit là d’une idée absurde qui ne tient pas compte des faits. Si la frontière n’était pas étanche, les Britanniques, qui ne sont pas dans Schengen, la rendraient infranchissable de leur côté. Et ces mêmes associations me reprocheraient alors d’être responsable de drames humanitaires, et de laisser les migrants mourir en nombre en prenant la mer, ou percutés par des trains. Vingt migrants ont déjà perdu la vie depuis le début de l’année dans ces tentatives de passage. Continuer à les encourager dans cette voie, comme le font certains acteurs, est totalement irresponsable.
Retrouvez l’intégralité de l’entretien jeudi en kiosque et dès ce soir dans notre édition numérique.
Après l’annonce, début juillet, d’un projet d’attentat déjoué contre le sémaphore de Béart (Pyrénées-Orientales), les militaires étaient une nouvelle fois visés par un jihadiste. Mardi, Canal+ a révélé l’interpellation, le 29 octobre, d’un Toulonnais de 25 ans, Hakim M., qui ambitionnait une attaque contre la base navale de la marine nationale du Var. En garde à vue, l’homme est passé rapidement aux aveux. Mis en examen le 2 novembre pour «association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste», il était connu depuis l’été 2014 par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) pour ses velléités de départs en Syrie et son activité ostentatoire sur Facebook. Les enquêteurs ont notamment découvert des posts glorifiant l’action de l’Etat islamique (EI), ainsi que des échanges éloquents avec un autre Toulonnais, Mustapha M., parti, lui, en Syrie en décembre 2014.
Alertés par le contenu de leurs conversations, les services intérieurs ont intercepté deux colis, commandés par Hakim M. sur un site internet chinois, dont l’un contenait deux cagoules noires et un «couteau de combat». Le jihadiste présumé avait choisi d’acheter du matériel en ligne après avoir échoué à se procurer une kalachnikov en Corse. Ces colis avaient pour destination le foyer Adoma, dans lequel résidait Hakim M., qui avait coupé les ponts avec sa famille et ses amis depuis plusieurs mois. «Même si son passage à l’acte n’était pas encore totalement clair, son profil est un peu plus sérieux et déterminé que les trois jeunes impliqués dans le projet d’attaque près de Perpignan [Les trois suspects, Ismaël K. (17 ans), Djebril A. (23 ans) et Antoine F. (19 ans) consultaient tout de même des documents de propagande de l’EI et des manuels de confection d’engins explosifs, ndlr]. Toutefois, on observe désormais des similitudes dans de nombreux dossiers. Des consignes sont données par des connaissances en Syrie et certains, sur le territoire français, sont désignés ou se portent volontaires pour les appliquer», confie un policier antiterroriste haut placé.
C’est en effet en dialoguant avec Mustapha M. qu’Hakim M. se serait fortement radicalisé. Agé de 21 ans, Mustapha M.a lui-même un lourd passif. Il a été interpellé en septembre 2012 pour des menaces formulées à l’encontre de Charlie Hebdo après la publication de caricatures de Mahomet. A l’époque, les policiers tentent de mettre au jour ses différentes connexions, notamment celles dont il dispose dans la cellule jihadiste dite Cannes-Torcy. Son démantèlement avait conduit à 21 mises en examen. Deux de ses membres supposés s’étaient manifestés par le jet d’une grenade dans une épicerie casher de Sarcelles (Val-d’Oise) le 19 septembre 2012.
Si Mustapha M. n’est pas directement impliqué dans cette équipée, plusieurs discussions sur les réseaux sociaux entre lui et Jérémy Bailly, l’un des leaders de la cellule Cannes-Torcy, et Yann Nsaku, un autre protagoniste, ont fortement intéressé les policiers à l’époque. Le 20 septembre 2012, il nie pourtant farouchement ses desseins lors de sa garde à vue : «Aujourd’hui, j’ai renoncé à mon projet [de frapper Charlie, ndlr]. Vous me demandez précisément pourquoi ? C’est effectivement parce que je suis seul et que je n’aurais pas les moyens de réaliser ce genre d’action en agissant seul. […] Je crois que je serais capable de revenir à ce projet si j’étais entouré de gens pour m’aider.» Toutefois, des perquisitions effectuées à son domicile avaient permis de mettre la main sur plusieurs couteaux. Libéré sous contrôle judiciaire en avril 2013, il cesse de pointer au commissariat en décembre 2014, période à laquelle il gagne la Syrie. Il se serait alors basé un temps à Raqqa, la capitale syrienne du califat de l’Etat islamique (EI), et se targue «d’avoir combattu» selon une source des services de renseignements.
Pour sa part, Hakim M. a tenté de rejoindre les zones de combat en octobre et décembre 2014. La première fois, sa famille l’en a empêché en confisquant ses documents de voyage. Hakim M. les a alors déclarés volés, avant, semble-t-il, de réussir à reprendre les originaux à ses parents. En décembre, il tente de quitter la France par la route, et rejoint la frontière italienne où ses documents déclarés volés font tiquer les autorités lors d’un contrôle. Quelques semaines plus tard, en février 2015, une interdiction administrative de sortie de territoire, permise par la loi antiterroriste votée en novembre 2014, est prononcée à son encontre. Contraint de rester à Toulon, il aurait, sur conseils deMustapha M., choisi de s’en prendre à des marins de la base navale, les militaires étant des cibles récurrentes de la propagande de l’Etat islamique.
André Glucksmann est un homme aux aguets. Depuis sa jeunesse maoïste, qu’il regrettera – quand d’autres s’enorgueillissent encore de leurs égarements-, il n’a jamais cessé d’être sur la brèche. Fils de communistes juifs autrichiens, membres du Komintern, réfugiés en France pendant la guerre – son père meurt en 1940, sa mère rejoint la Résistance -, il entre dans la vie en combattant.
Ses titres de gloire sont nombreux : chef de file des nouveaux philosophes, un temps assistant de Raymond Aron, il acclimate Soljenitsyne en France contre le scepticisme d’une gauche encore éblouie par le mirage soviétique, dénonce le totalitarisme dans des livres percutants, prend langue avec les dissidents tchèques, russes, polonais, se lie d’amitié avec Václav Havel, réconcilie Sartre et Aron pour défendre les boat people vietnamiens, est salué par Michel Foucault et Roland Barthes.
L’un des tout premiers, il pointe l’agression serbe à Vukovar en 1991, prend parti pour le pouvoir algérien contre les islamistes au moment de la guerre civile de 1992, s’alarme de la brutalité de Moscou en Tchétchénie, s’enthousiasme pour les révolutions de velours en Géorgie et en Ukraine et fustige sans relâche le maître du Kremlin et ses complices allemands.
Communisme et nazisme, « abjections jumelles »
S’il s’est éloigné de la gauche officielle, se rapprochant de positions atlantistes, il reste le défenseur inconditionnel des minorités, des errants, des Roms, dans une sorte de gauchisme libertaire qui ne l’a point quitté. Il s’est trompé parfois, accordant sa confiance à des politiciens qui l’ont utilisé, mais il n’a jamais quêté aucun honneur, passe-droit, faveur, titre, vivant tout entier pour ses livres et ses convictions dans un ascétisme de l’engagement qui force le respect.
Dans l’ouvrage qu’il publie aujourd’hui, synthèse de son oeuvre, il érige le «Candide» de Voltaire en discours de la méthode d’une Europe fatiguée, incapable d’identifier les périls qui la menacent. Le conte philosophique est un «récit qui pense», sorte de petite bombe dont les effets de déflagration se font sentir sans relâche depuis trois siècles. Glucksmann trouve en Voltaire un frère en ironie : comme lui, il sait que les hommes ne s’entendent jamais sur un bien mais contre un mal précis qui risque de les dévorer. Les citoyens, s’ils se divisent sur la définition du meilleur, s’unissent au moins contre le pire.
Communisme et nazisme, « abjections jumelles », intégrismes, nationalismes, tribalismes se donnent la main pour asservir, massacrer au nom d’absolus terrestres. Il faut donc dévisager l’épouvante pour détecter, derrière les belles proclamations, «les mangeurs d’hommes les plus féroces». Face à la barbarie qui renaît sans cesse, deux camps semblent se donner la main, les optimistes, à l’image de Pangloss, pour qui tout mal recèle un bien caché, et les nihilistes, qui ont pris acte de la folie humaine et s’en lavent les mains, cessant de croire à quelque chose puisqu’ils ne peuvent croire en tout.
« Solidarité des ébranlés »
La grande révolution voltairienne au XXe siècle a été incarnée peut-être par la Charte 77 lancée à Prague en 1977 par Václav Havel et inspirée du philosophe tchèque Jan Patocka au nom de «la solidarité des ébranlés». Des artistes, des intellectuels, des ouvriers se sont associés contre le mensonge officiel, les illusions lyriques, l’espérance trompeuse. Si beaucoup de choses les séparaient, seul les réunissait leur combat contre le socialisme réel.
Au final, l’auteur tire du « Candide » de Voltaire une conclusion toute en modestie : nous devons cultiver et défendre notre jardin, l’Europe, la seule civilisation sans transcendance qui laisse fleurir la diversité des modes de vie. Guetteur halluciné de l’abjection, André Glucksmann termine par un sourire amusé sur la comédie humaine. La vigilance n’exclut pas la bienveillance.
Pascal Bruckner
Paru dans « L’Obs » du 13 novembre 2014.
Autour de la mort d’André Glucksmann
> Le philosophe André Glucksmann est mort
> André Glucksmann par Michel Foucault
> André Glucksmann, ce que je lui dois, par Michel Crépu
> Le testament philosophique d’André Glucksmann, par Pascal Bruckner
> ENTRETIEN. Quand Glucksmann analysait le nihilisme contemporain
> ENQUÊTE. Que reste-t-il des « nouveaux philosophes »?
> 40 ans après, l’incroyable histoire de « l’Archipel du Goulag »
> DOSSIER. En 2015, qui sont les intellectuels de gauche?
Les 1ères pages de « Voltaire contre-attaque », d’André Glucksmann
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