Mois : mars 2016

Shlomo Sand : “Il y a une décadence de la pensée française”

L’autre jour, à l’occasion d’une visite médicale, on a découvert une anomalie cardiaque à Shlomo Sand, 69 ans. Inquiet, il demande au médecin s’il risque d’en mourir. «A priori non. En tout cas, moins que d’une attaque nucléaire iranienne», promet ce dernier. L’Iran ayant récemment mis un peu d’eau dans son vin concernant ses menaces de vitrifier Tel-Aviv, nous voilà rassurés.

Mais on retiendra de cette anecdote racontée par un Shlomo Sand mi-figue mi-raisin que son destin personnel est lié, qu’il le veuille ou non, à celui d’Israël. Drôle de paradoxe pour un homme qui doit sa renommée internationale à sa critique virulente de l’Etat hébreu, du sionisme et de leurs mythes fondateurs. Une veine dont il s’écarte dans son dernier livre «la Fin de l’intellectuel français?» (La Découverte), qui vient de paraître, et dans lequel il règle leur compte aux «intellectuels médiatiques».

« Il y a une décadence de la pensée française. Qui, aujourd’hui, traduit Finkielkraut ou BHL comme hier Sartre et Foucault? L’hégémonie des clercs conservateurs est une trahison de la tradition de critique du pouvoir par les intellectuels», explique cet historien spécialiste des idées politiques françaises qu’il enseigne à l’universit&eacute

« Des femmes », ces irréductibles qui luttent contre la dictature du phallus

Ce 18 mars, au Salon du livre de Paris, des portraits de femmes grandeur nature trônent sur le stand des éditions Des femmes. On reconnaît Clarice Lispector, Hélène Cixous, Ana Maria Machado, Assia Djebar ou encore Patricia Rodriguez, psychiatre mexicaine venue dédicacer son dernier livre, «À la recherche de l’utérus perdu».

Entourées de plusieurs bénévoles, «militantes de longue date», nous dit-on, les deux codirectrices de la maison, Michèle Idels et Christine Villeneuve, interviennent tour à tour pour retracer l’histoire de cette institution du féminisme français. L’ambiance effervescente a le charme old school des manifs d’antan. Il y a deux ans, la fondatrice, Antoinette Fouque, est morte. Son absence ne se sent pas. Son nom surgit dans toutes les phrases. Son esprit plane au-dessus du stand, peut-être parce que son nom est placardé partout. On comprend vite qu’elle est une sorte de divinité païenne, un totem anti-phallique. La maison d’édition qu’elle a dirigée pendant quarante ans a pris son nom, et s’appelle désormais «Des femmes – Antoinette Fouque». Les codirectrices perpétuent la tradition militante et innovante d’une maison d’édition où les femmes parlent de leur condition.

Cofondatrice du Mouvement de Libération des Femmes (MLF), Antoinette Fouque a créé les éditions Des femmes en 1973, pour promouvoir une «écriture qui ne serait pas phallocentrée», comme elle le dira dans un entretien de 1990. La maison prend racine dans la «démarche de lutte» chère au MLF. Dans son «Acte de naissances», en 1974, Fouque écrivait: «Aujourd’hui, nous sommes devenues poètes et nous écrivons nous-mêmes notre condition.»

Antoinette Fouque à l'imprimerie

Antoinette Fouque et les militantes, en1974. / ©Des femmes

Nous étions sexistes. Nous voilà bien accordé.e.s

Du MLF aux FEMEN

Depuis la fondation du MLF, en 1968 ou 1970 (la datation du mouvement est l’objet d’une polémique âpre chez les féministes), la situation des femmes s’est améliorée, sans changer tout à fait. Dans le monde de la culture, les discours sont plus paritaires que la réalité: selon des chiffres de 2013, 88% des centres dramatiques nationaux sont dirigés par des hommes, et seuls 3% des concerts et des spectacles sont dirigés par des femmes.

Le féminisme lui aussi a changé. Peu avant de mourir, Antoinette Fouque a adressé un soutien remarqué aux FEMEN. Dans la préface du «Dictionnaire des créatrices», l’antique brûleuse de soutiens-gorge rendait un hommage vibrant aux militantes torse nu: «La poitrine nue des héros, ici, n’a rien d’impudique: aujourd’hui les FEMEN exposent leur dignité bafouée.» Des femmes et les FEMEN, même combat? «On dialogue avec elles, on soutient leurs actions, on les admire, on les accueille, dit Michèle Idels. Elles lèvent une chape de silence. Antoinette Fouque disait d’elles qu’elles étaient le front médiatique du MLF.»

Le problème avec le féminisme islamique

L’impérialisme du phallus

Des femmes est né d’un constat fait par Antoinette Fouque pendant Mai-68: il était alors difficile d’être publiée quand on était une femme. «Celles quiavaient une parole libre étaient refoulées des éditeurs traditionnels», dit Michèle Idels. La féministe Colette Aubry avait créé une collection consacrée aux femmes chez Denoël, et c’était tout. «Plutôt que de nous limiter à dénoncer l’industrie littéraire, nous traçons notre petite-bonne-femme de route», disait Antoinette Fouque.

« C’est important que des femmes écrivent, car les femmes ne se voient pas comme les hommes les voient», dit Michèle Idels, qui a vu naître la maison d’édition. En 1968, l’année de ses 18 ans, elle a rejoint le MLF, puis le collectif «Psychanalyse et Politique», animé par Antoinette Fouque, avant de participer à son aventure éditoriale. La maison compte aujourd’hui cinq salariées et une dizaine de bénévoles. Michèle Idels dit miser sur des textes qui lui semblent «nécessaires pour accroître la connaissance». La politique de la maison n’est pas «dictée par un but capitaliste», dit-elle. Financé au départ par la mécène et réalisatrice Sylvina Boissonnas, la maison vit grâce à une aide financière des militantes, pour qui Des femmes est bien plus qu’une maison d’édition.

La maison est logée rue Jacob, dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés, où on trouve aussi une librairie et un «Espace des femmes», qui sert de galerie d’art, de lieu de rendez-vous pour débats et lectures. Antoinette Fouque disait de cet endroit qu’il était «un lieu d’engendrement et de création incessante», à la fois «terre d’asile et d’hospitalité». Dans le monde de l’art, les femmes artistes ne représentent que 5% des acquisitions des musées et 1% des expositions. La galerie «Des femmes», elle, expose des femmes artistes depuis 1981.

La maison entend «mettre les femmes en lumière», dans tous les domaines de la création. En 2013, elle a publié le «Dictionnaire universel des créatrices», vieux projet qu’Antoinette Fouque évoquait déjà il y a quarante ans dans «le Torchon brûle», le journal du MLF.

L'annonce de la maison d'édition dans le "Torchon brûle", le journal du MLF.

L’annonce de la création de la maison d’édition dans « le Torchon brûle », le journal du MLF en 1973. / ©Des femmes

Le «Dictionnaire» a fait des émules. La même année, les éditions EpOke publient le catalogue des expertes à destination des journalistes. En 2015 se sont lancées les Journées du Matrimoine. Selon Christine Villeneuve, le «Dictionnaire», soutenu par l’Unesco, «va permettre à des générations d’accéder à des connaissances dont ils étaient privées», et souligne que les femmes sont peu présentes dans les programmes scolaires. Michèle Idels estime quant à elle que «la haute culture académique est complètement misogyne».

C’est ce qu’Antoinette Fouque nomme «l’impérialisme du phallus», un concept qu’elle a employé pour expliquer la misogynie d’un monde dicté par un «Universalisme monosexué à tous les niveaux, économique, sexuel, politique et symbolique» («Si c’est une femme», 1999). C’est d’ailleurs le thème du prochain livre qui sort en avril de la maison, tout simplement intitulé «l’Impérialisme du phallus». Roger Dadoun, Jean-Joseph Goux et Laurence Zordan reviennent sur ce concept matriciel de l’anti-patriarcat. Pour Michèle Idels, c’est «le plus long et le plus universel des impérialismes, et le moins attaqué sans doute».

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La solidarité comme ligne éditoriale

En 2013, Antoinette Fouque décrivait le sens de son travail, toujours munie de son solide lyrisme fouquien: «J’ai depuis longtemps la passion de cette épopée des survivantes, des migrantes, qui, malgré la guerre immémoriale qui leur est faite, malgré l’esclavage domestique et sexuel non abolis, continuent de mettre le monde au monde.» Publier des livres serait aider les femmes à mettre au monde leur texte. Un travail de sage-femme, une aide à la gestation. «Il y a toujours eu une articulation entre création et procréation», explique aujourd’hui Christine Villeneuve. Mais les hommes n’en sont pas pour autant exclus. Joseph Bougot ou Jacques Derrida ont été publiés, «soit parce qu’ils écrivaient sur les femmes, soit parce que leur démarche était innovante», poursuit-elle.

Publier est aussi un acte politique. Des femmes publie des femmes pour «leurs droits mais aussi pour la démocratie», dit-elle. La maison édite plusieurs auteures en danger dans leur pays. Au temps du soviétisme, des femmes russes menacées par le KGB pour leur «Almanach Femmes et Russie». En 1979, les fouquettes vont manifester à Téhéran aux côtés des Iraniennes auxquelles on impose le voile. En 1995, Antoinette Fouque rencontre Aung San Suu Kyi qu’elle a publiée et soutenue durant toute sa détention dans sa maison de Birmanie.

En 1994, Taslima Nasreen, médecin, journaliste et écrivain du Bangladesh, condamnée à mort pour son livre «Femmes, manifestez-vous!», publiée en France par les éditions Des femmes, écrit une lettre à Antoinette Fouque. Elle lui dit: «Je suis en grave danger. Les fondamentalistes peuvent me tuer à tout moment. S’il vous plaît, sauvez-moi.» Fouque mobilise aussitôt la communauté internationale. Quelques mois plus tard, Talisma Nasreen est extradée en Suède. Elle enseigne aujourd’hui à Harvard. «C’est les protéger que de leur permettre d’exister», dit Christine Villeneuve.

Le militantisme passe aussi par l’éducation. En 1974, les éditions ont publié un essai de la pédagogue féministe italienne Elena Gianini Belotti, «Du côté des petites filles», qui traite des stéréotypes de genre, avant l’essor des études de genre aux Etats-Unis. Face au succès du livre, qui reste aujourd’hui l’un des plus vendus de la maison, les éditrices créent en 1977 une collection éponyme d’ouvrages consacrés aux petites filles pour les aider à se construire sans la contrainte qu’impose leur sexe.

Au début des années 2000, les éditions Des femmes entrent dans un processus de traduction de femmes du monde entier, des féministes jamais traduites en France alors qu’elles connaissaient un succès retentissant dans leur pays. «Nous voulons publier les grandes femmes, réparer cette injustice», affirme Michèle Idels. Comme «le Féminisme irréductible» de Catherine MacKinnon, juriste qui défend les femmes violées, et fait passer la loi sur le harcèlement sexuel aux Etats-Unis.

Cette redécouverte des grandes femmes se traduit aussi par une collection classique. George Sand, Anaïs Nin, Madame de Lafayette, Madame de Staël, Virginia Woolf sont rééditées. Les éditrices estiment que le féminisme a parfois été expurgé de leurs œuvres. Par exemple, «Trois guinées», le texte le plus politique de Virginia Woolf, n’a jamais été traduit en français, et n’apparaît même pas dans La Pléiade. À un journaliste qui lui demande ce qu’elle ferait avec trois guinées pour éviter la guerre, l’Anglaise répond qu’elle les utiliserait pour l’éducation des filles. L’absence de ce texte interpelle les éditrices, qui publient une traduction en 1977. «Elle est châtrée de sa position politique de femme», dit Michèle Idels.

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Féministes mais pas que

Aux Etats-Unis, il existe un équivalent à la maison, «Feminist Press», créé en 1970 (qui ne publie toutefois pas de fiction). Antoinette Fouque, étonnamment, était réticente à se dire féministe. Elle se qualifiait de «féminologue». «Féministe c’est restrictif, c’est une idéologie», explique Michèle Idels. Raison pour laquelle la maison s’appelle Des femmes.

« On ne veut pas non plus coller une étiquette aux femmes qui sont publiées, dit Christine Villeneuve. Il y a des textes féministes, mais pas que.» Ce qui ne les empêche pas de chanter toutes deux en cœur: «Mais bien sûr que nous on se considère comme féministes.» D’ailleurs, les actions «Des femmes» lancées par l’hebdo «Des femmes en mouvement» de 1977 à 1982 avaient largement une visée féministe.

L'hebdo "Des femmes" le 8 mars 1982.

La une du magazine « Des femmes en mouvement » le 8 mars 1982./ ©Des femmes

« Antoinette Fouquepensait que le féminisme était une étape nécessaire, mais qu’au-delà du féminisme, il y avait des femmes», souligne Michèle Idels. C’est là que réside son désaccord célèbre avec Simone de Beauvoir, qui lui a valu une certaine marginalité dans le mouvement. Pour Beauvoir, les femmes sont «le Deuxième sexe», et l’idéal politique à atteindre est l’égalité. Pour Fouque, ce projet revient à faire de l’homme un modèle. Elle voit dans le féminin une essence autre, liée à la procréation – idée qui semble aujourd’hui désuète, et qui est même combattue par les féministes.

« Éditer les femmes, dit Michèle Idels, c’est leur permettre de sortir de la victimisation, sans nier l’existence du génocide féminin qui se perpètre actuellement, tout en affirmant que c’est la force des femmes et leur créativité qui est visée, et non pas un deuxième sexe faible. La démarche du MLF était d’affirmer que ce monde fait par des hommes ne nous convenait pas. L’idée n’était pas de devenir comme les hommes mais de fabriquer un autre monde, où les femmes existeraient.» Ce monde nouveau, disait Antoinette Fouque dans sa préface testamentaire au «Dictionnaire universel des créatrices», serait «une civilisation d’amour et de gratitude».

Virginie Cresci

Le site des éditions Des femmes est ici.

Comment peut-on être féministe et antiraciste ? Les luttes de l’intersectionnalité

La Belgique résiste à l’état d’urgence

Au soir des attentats les plus meurtriers qu’ait connu la Belgique, le 22 mars, nulle déclaration martiale déclarant la guerre à Daesh, nul coup de menton pour proclamer l’état d’urgence ou la « fermeture des frontières », comme l’a fait François Hollande le 13 novembre dernier, alors que Paris était encore ravagée par les tirs des terroristes. Le petit Royaume de 11 millions d’habitants a, au contraire, choisi la retenue, le refus de la stigmatisation : « Dans ce moment noir pour notre pays, je veux appeler chacun à faire preuve de calme, mais aussi de solidarité. Nous devons faire face à cette épreuve en étant unis, solidaires, rassemblés », a déclaré Charles Michel, le Premier ministre belge (libéral francophone), évoquant, avec émotion, « des vies fauchées par la barbarie la plus extrême ».« Face à la menace, nous continuerons à répondre ensemble avec fermeté, avec calme et dignité », a pour sa part déclaré le chef de l’Etat, le roi Philippe, dans une brève adresse au pays : « gardons confiance en nous-même. Cette confiance est notre force ».

Même les nationalistes flamands de la N-VA, actuellement au pouvoir avec les démocrates-chrétiens néerlandophones et les libéraux francophones, pourtant habitués aux sorties sécuritaires à l’emporte-pièce et aux propos peu amènes à l’égard de la communauté musulmane, ont évité tout dérapage. « En Belgique, nous n’avons pas la même culture politique qu’en France, un pays où l’on aime les déclarations définitives et fracassantes », analyse la députée socialiste francophone Ozlem Özem : « on est plus calme, on réagit plus à froid et c’est tant mieux ». L’hymne national belge, la Brabançonne, qui ne parle pas de « sang impur », ne se termine-t-il pas par ces mots : « le Roi, la loi, la liberté » ?

« Nous n’avons pas eu de dérive sécuritaire à la française », se réjouit Manuel Lambert, conseiller juridique de la Ligue des droits de l’homme : « Charles Michel, depuis le début de la vague d’attentats, a répété que la Belgique agirait dans le cadre de l’Etat de droit et qu’il n’était pas question d’adopter un Etat d’urgence à la française ». De fait, il n’existe aucune loi équivalente dans le droit belge, pas plus d’ailleurs que dans les autres législations européennes, l’Etat d’urgence étant un héritage de la guerre d’Algérie. « Alors que la France a notifié au Conseil de l’Europe, en novembre dernier, la suspension de plusieurs articles garantissant le respect des droits de l’homme, comme on peut le faire en cas de danger public menaçant la vie de la nation, la Belgique ne l’a pas fait et n’a pas l’intention de le faire ».

Interrogé mercredi matin sur la RTBF, Jan Jambon, le ministre de l’Intérieur, membre de la N-VA, a balayé d’un revers de main l’instauration de « pouvoirs spéciaux » qui permettraient à l’exécutif de statuer sans passer par le Parlement (sur le modèle des ordonnances à la française) : « ce n’est pas dans la culture de notre démocratie. Je ne sais pas ce que ça rapporte. On a pris beaucoup de mesures (…) Je pense qu’on doit rester cool, vraiment maîtriser la situation et voir si on doit ajouter des mesures ».Bart De Wever, le leader du parti nationaliste, est sur la même longueur d’ondes, comme il l’a déclaré dans le journal L’Écho de samedi : « Ce serait une erreur que d’annoncer de nouvelles mesures après chaque attentat ».Bref, rien à voir avec la frénésie législative française depuis les attentats de Charlie Hebdo.

Pour autant, « tout n’est pas rose en matière d’équilibre entre sécurité et liberté », tempère Manuel Lambert : « l’appareil répressif se développe depuis quelques années et on cherche, comme en France, à dépouiller le juge judiciaire, un juge indépendant, de ses prérogatives au profit du parquet qui est soumis à l’autorité politique du ministre de la justice ». Dans le cadre de la réforme des codes belges, poétiquement appelée « pot pourri » (PP), des mesures d’exception ont été adoptées sans guère de débats. Ainsi, depuis le 1er mars, les perquisitions peuvent avoir lieu 24h sur 24 et sont désormais ordonnées par le parquet et non par un juge du siège, les écoutes téléphoniques obtenues illégalement seront toujours valides ou encore le jugement des terroristes relèvera des tribunaux correctionnels qui pourront prononcer des peines allant jusqu’à 40 ans de prison et non plus des cours d’assises… « Ce n’est pas une loi antiterroriste, mais la lutte contre le terrorisme imprègne la réforme du Code pénal », constate Manuel Lambert. Une loi antiterroriste a cependant été adoptée le 20 juillet 2015 afin de rendre punissable le fait de sortir ou d’entrer dans le pays avec une « intention terroriste », de faciliter la déchéance de nationalité si elle ne crée pas d’apatridie ou encore de permettre la confiscation des papiers des personnes soupçonnées de vouloir partir combattre à l’étranger.

D’autres mesures coincent devant le Parlement : « la détention préventive doit être confirmée par la chambre du Conseil (un juge) tous les mois, ce qui oblige le juge d’instruction à faire avancer son dossier. Le gouvernement voudrait faire passer ce délai à deux mois, ce qui n’est pour l’instant pas passé », explique Ozlem Özem, membre de la commission justice de la chambre des députés. De même, la prolongation de la garde à vue en matière terroriste de 24 h à 72 h, qui nécessite une modification de la Constitution, est toujours dans les tuyaux législatifs, tout comme le port d’un bracelet électronique par les personnes fichées par les services de renseignements…

« Je préfèrerais, à tout prendre, qu’on ait un état d’urgence à la française, plutôt que de toucher au corps même de notre droit pénal, car cela menace l’Etat de droit et donc la situation de l’ensemble des citoyens », tranche Christophe Marchand, un avocat pénaliste qui défend de nombreux « returnees », c’est-à-dire les combattants rentrant de Syrie et d’Irak. « La situation est effrayante, ces jeunes ont subi un lavage de cerveau et beaucoup d’entre eux ont commis des crimes de guerre : il faut des mesures exceptionnelles, mais qui s’appliquent seulement à eux, car le risque est gigantesque », insiste ce ténor du barreau bruxellois. Le danger, il en convient, est que l’état d’urgence devienne le droit commun, comme en France, où le gouvernement veut introduire dans le Code pénal les principales mesures de cet état d’exception. « Même si les dérives sont pour l’instant limitées, rien n’est écrit pour l’avenir », met en garde Manuel Lambert. D’ailleurs, le gouvernement belge envisage bien de proposer l’instauration d’un niveau d’alerte 5 (4 actuellement) afin de créer une sorte d’état d’urgence « light » pour une période limitée permettant d’interdire les rassemblements, d’instaurer un couvre-feu ou encore d’assigner administrativement à résidence des personnes fichées… La mesure est en discussion entre les partenaires de la majorité gouvernementale.

N.B.: version longue et mise à jour de mon article paru dans Libération du 24 mars.

JAZZ IN MARCIAC, 39e marche vers le ciel

La scène se passe à Marciac, le 12 mars dernier, dans l’une des pièces de l’Astrada, après l’époustouflant concert du trio du pianiste Kenny Barron. Les trois musiciens ont donné le meilleur. Le bus les attend pour rentrer, dans la nuit, à Toulouse. Kiiyoshi Kitagawa (contrebasse), Jonathan Blake (batterie), et le leader, se plient néanmoins de la meilleure grâce du monde, au cocktail du team organisateur avec sponsors et journalistes. Je félicite l’Américain. Depuis ce concert mémorable au Sunside, en 2005, Barron est passé dans la division des grands. A Marciac, sidéré, les titres des deux morceaux de Thelonious Monk que Barron vient de jouer m’échappent. Le fondateur du festival, Jean-Louis Guilhaumon, lui aussi abasourdi par le niveau de la prestation vole à mon secours : «Light Blue et Shuffle Boil». Le nom du morceau composé par Barron en hommage à Bud Powell me revient : Budlike. Deux pièces de Monk, une perle dédiée à Bud : trois élans du dernier CD (Book of Intuition). Le spectateur se retrouve collé au fond du siège. Virtuosité, invention, respect de l’esprit des compositeurs, chorégraphie des mains, swing ininterrompu, pointure supérieure des accompagnateurs, interactivité sidérante du trio. On en prend plein le buffet. Reste un miracle. Comment Barron réussit-il successivement à exécuter avec une ébouriffante maestria, les improvisations sous la loi de Monk, celles dans le royaume de Bud, le tout en ne portant aucun ombrage à leurs suzerainetés respectives? Barron considère ma question avec incrédulité, comme si la réponse tenait dans le moindre livre de comptines. Il tend le doigt vers chacune de ses oreilles : «je les ai écoutés, c’est tout. J’ai passé mon enfance à écouter Monk, à écouter Bud. Sans interruption. Monk et Bud étaient mes préférés.» Désorienté par mon ahurissement et l’insistance pour saisir le secret («oui mais quand même, Monsieur Barron, vous avez pratiqué sans arrêt, n’est-ce pas?»), le natif de Philadelphie porte à nouveau le doigt vers l’oreille. «Je n’ai fait que cela, vous comprenez : les écouter. Les é-cou-ter»… Le jazz semble limpide avec lui. Le parcours de l’Américain, (il monta avec Stan Getz en 1990 sur la scène du village gersois), jaillit comme une source. Quand il remplace Lalo Schifrin au sein du quintette de Dizzy Gillespie, Barron a vingt ans. Il a joué avec Roy Haynes. Connaît les boppers et leurs icônes du piano par coeur (Monk et Bud). C’est James Moody qui le clame. Le saxophoniste le recommande à Dizzy. La pensée m’émeut. Dizzy-Moody! L’un de mes tous premiers concerts à Marciac, en 1991. Dizzy mène alors le United Nations All-Star Orchestra. Je me souviens d’un solo de Moody, majestueux. Dizzy fait le clown en djellaba blanche. Soulève la salle. Se dandine comme une fatma. Tape avec un sourire épanoui sur les fesses de Moody, qui, sérieux comme un prélat remonte vers le pupitre. La salle en délire, déjà. Les rappels. Depuis 39 ans, le feu d’artifice musical de Marciac imprime les souvenirs heureux de deux générations d’amateurs. Combien de coeurs la manifestation a-t-elle soulevé dans les tentes et sous les parasols du village? L’affiche de 2016 (des centaines d’étoiles comme autant de visages), rend hommage au public. A un an de la quarantième, Jean-Louis directeur artistique de JIM (Jazz in Marciac), le plus grand festival de jazz français, a dévoilé, en préliminaire de la prestation de Kenny Barron, les surprises de la 39e édition (du 29 juillet au 15 août 2016).

La première? Monumentale ! Ahmad Jamal donnera son seul concert de l’année. Après une période sabbatique, le pianiste de génie prendra résidence ici pendant dix jours pour enregistrer deux albums de nouvelles compositions (un solo, un quartet). Un coup de maître de Guilhaumon. Car Jamal ne se borne pas à incarner un géant du jazz. C’est un personnage. Me revient un tête à tête informel avec lui, organisé par ses producteurs (moment de grâce, merci Catherine et Seydou Barry). On s’est retrouvés au dernier étage d’un hôtel parisien. Panorama sur Paris. Jamal, branché en permanence sur l’aspect spirituel des choses : «vous savez, Monsieur Pfeiffer (Jamal vous appelle par votre nom), la richesse n’est pas un but. Steve Jobs vient de mourir. Il possédait 72 millions de dollars? Un montant vertigineux, vous en convenez. Il ne lui a pas permis d’acheter une seconde de plus!» Une heure de Jamal : de l’or en barre. Pas uniquement au piano.

Autres vedettes (parmi trente-six) sous l’immense tente blanche : les guitaristes John Scofield et John Mc Laughlin (le même soir!), Kamasi Washington, Archie Shepp (il revient avec Lucky Peterson), Jamie Cullum, Dianne Reeves, Stephane Belmondo, Snarky Puppy,Lisa Simone, Fred Wesley, Yaron Herman (avec M), Gonzalo Rubalcaba, Roberto Fonseca, Maceo Parker, Cyrille Aimée… Sans omettre, au Château de Sabazan, dans le fief des producteurs Plaimont, le concert attendu du Brésilien Ed Motta, le 6 août.

Autant de prestations alléchantes sous l’aura tutélaire du trompettiste Wynton Marsalis. L’indiscutable mascotte du festival se produira sous des formules diverses. Dans un ouvrage paru en 2005, Lettres à un jeune musicien de jazz, le Louisianais place l’échange et le partage, au centre du jeu de l’artiste. La somme de conseils du maître-jazzman résume à merveille l’incarnation de respect, d’humilité, d’écoute de l’autre, de travail… et de prise de risque que l’équipe de Marciac, issue depuis les origines de l’éducation populaire, montre en exemple, à la planète entière, depuis bientôt quarante ans.

Bruno Pfeiffer

JIM, 39 édition, du 29 juillet au 15 août 2016

CD Kenny Barron Trio, Book of Intuition, IMPULSE! /Universal

Casse-Noisette » et « Iolanta »: deux ouvrages de Tchaïkovsky à l’Opéra

Quelle belle initiative que celle qui a voulu reprendre en une seule soirée le bref opéra de Tchaïkovsky, « Iolanta », et l’une des plus célèbres musique de ballet du compositeur russe, « Casse-Noisette », tout comme ce fut le cas au jour de leur création, en 1892, au Théâtre Marie, à Saint-Pétersbourg !

Tendresse et humanité

L’idée sans doute vient du metteur en scène Dimitri Tcherniakov qui donne de « Iolanta » une vision toute en tendresse et en humanité, fortement nimbée de spiritualité, très russe en un mot (loin de l’onirisme élégant de la réalisation de Robert Carsen au Festival d’Aix-en-Provence et à l’Opéra de Lyon), et offerte dans un cadre de blancheur douce et lumineuse. Il en fait aussi un ouvrage lyrique offert à la jeune Marie, l’héroïne de « Casse-Noisette », en prologue à la fête qui va suivre : par un délicieux tour de passe-passe, les personnages de l’opéra, évidemment interprétées par des artistes lyriques, se glissent sans transition dans le monde du ballet où les danseurs endossent les mêmes costumes que les chanteurs.

Et voilà que le boudoir où Iolanta a recouvré la vue se meut en simple alcôve d’un vaste et lumineux salon où l’on fête l’anniversaire de Marie. Cette première partie du ballet découvre une fête de famille joyeuse, aimable, toute en fraîcheur, où chacun s’épanouit dans des costumes d’une élégante simplicité (dus au talent d’Elena Zaitseva), des costumes de ville aux coloris dont l’harmonie est admirable. Rien d’exceptionnel sans doute dans cette chorégraphie entraînante et festive, mais beaucoup de naturel, de gaieté, et le plaisir sans mélange de découvrir les danseurs de l’Opéra éclatants de jeunesse, heureux et débridés, exécutants des pas inédits sur ces pages si connues de « Casse-Noisette ».

C’est à un chorégraphe d’origine portugaise, mais né en Afrique du Sud et formé en Grande-Bretagne, Arthur Pita, que l’on doit cette fête, et c’est aux danseurs que l’on doit cette interprétation si vivante et si naturelle.

Saisissante tempête de neige

En toute logique, Tcherniakov a réécrit l’argument de « Casse-Noisette » pour briser avec l’aspect sucré et féérique qui est l’apanage de ce ballet dont une version traditionnelle due à Rudolf Noureev demeure bien évidemment au répertoire du Ballet de l’Opéra. Mais avec la volonté d’élever l’ouvrage au rang de conte philosophique, il n’a fait preuve ici que de confusion, et son argument douteux, psychanalytico-philosophique, a grand ouvert la porte aux errements des deux faiseurs qui ont pris la suite d’Arthur Pita dans le déroulement du ballet.


(Agathe Poupeney)

Au cœur d’un environnement visuel saisissant dû aux images extraordinaires d’Andrey Zelenin qui précipitent les danseurs dans une tempête de neige, un blizzard sibérien, la réponse chorégraphique de Sidi Larbi Cherkaoui, dans ce qui est baptisé « valse des flocons », des flocons de neige bien entendu, est d’une rare pauvreté.

Musicalement inculte

Même chose avec Edouard Lock qui lui succède dans les tableaux intitulés « la forêt » et « divertissement ». Si la faiblesse de l’argument dicté par Tcherniakov est sans doute la première coupable de cette déroute, le travail de Lock est pire encore.

Quand l’une des plus spirituelles musiques de ballet aurait dû servir de levier à l’imagination la plus folle, Lock, musicalement inculte et insensible à la partition, met en scène d’énormes poupées construites en pure perte et sans doute à grand frais, plantées là sans rime, ni raison, cependant qu’il impose à une poignée de danseuses une chorégraphie indigente.

Dans des robes claires des années 1930, les dites danseuses sont d’un charme irrésistible : mais cela ne tient qu’à leur beauté et à leur tenue. Nullement à ce qu’elles exécutent. Quant à Marie, qui ne quitte pas la scène, Lock en fait une malade mentale que sa gestuelle déréglée de fille gravement perturbée pourrait conduire droit aux petites maisons.

Qui a choisi de faire appel à Cherkaoui et à Lock ? Benjamin Millepied ? Dimitri Tcherniakov ? C’est un ratage monumental, que de s’être ainsi laissé aveugler par deux hommes au parcours chorégraphique si décevant.

Raphaël de Gubernatis

« Iolanta » et « Casse-Noisette« . Opéra de Paris, Palais Garnier. Jusqu’au 1er avril 2016. 08 92 89 90 90.

Alex Beaupain, Maissiat, Jeff Buckley… La sélection musicale de la semaine

Le choix de « l’Obs »

♥♥♥♥ « Loin« , par Alex Beaupain (AZ).

L’an passé, Alex Beaupain mettait en musique « les Gens dans l’enveloppe », le livre d’Isabelle Monnin, qui inventait la vie d’inconnus à partir de leurs photos de famille. Bientôt, on découvrira qu’il a aussi composé les chansons des « Malheurs de Sophie », adapté au cinéma par Christophe Honoré, son ami d’enfance. Entre-temps, Beaupain a enregistré son cinquième album. Le chanteur, adepte des chansons d’amour nostalgiques et mélancoliques, se dévoile plus encore dans ces titres qui, pour l’essentiel, évoquent la douleur de la disparition et du deuil. Barbara disait qu’on pouvait être « orpheline à 40 ans ». Beaupain, plus jeune, a perdu sa petite amie, puis sa mère et récemment son père. Ces êtres aimés traversent ce très bel album.

Alex Beaupain : « Il ne se passe pas grand-chose quand on est heureux »

Pourtant, même si ces souvenirs viennent assombrir le disque, Beaupain parvient à y instiller un peu de légèreté dans ses accents pop. « Loin », qui donne son titre à ce nouvel opus, revient sur les souvenirs lumineux d’une enfance à tout jamais enfuie. Chanson après chanson, Beaupain retrace le chemin de sa vie dans ce qu’elle a de beau et de tragique. « Je te supplie », sur une mélodie de Julien Clerc, est une lettre adressée à son amoureuse perdue. « Les voilà » tente de faire revivre ses défunts parents, tout comme « Rue Battant ». Cette dernière, signée Vincent Delerm, paroles et musique, est une errance dans Besançon, la ville natale de Beaupain, à la recherche des figures évanouies. Qu’on ne se méprenne pas sur l’intention : cet album est celui d’un amoureux fou de la vie.

Chanson

♥♥♥♥ « Grand Amour« , par Maissiat (Cinq/7).

Il y a trois ans sortait « Tropiques », le premier album de cette inconnue au nom mystérieux. Maissiat, auteur et compositeur, y interprétait « le Départ », une ballade sur la mort qui a forcément marqué ceux qui l’ont entendue. Aujourd’hui, son deuxième disque confirme combien Maissiat est douée. Elle y parle d’amour, l’amour quand il est profond, lumineux, sensuel, douloureux parfois.

Le plus souvent, le piano accompagne cette voix qui ressemble à s’y méprendre à celle de Françoise Hardy – cette dernière avait d’ailleurs souhaité la rencontrer à l’époque du « Départ ». Alors, oui, c’est dit : Maissiat excelle dans la grande ballade sentimentale. Ecoutez « Grand Huit », « Ce bleu sentimental », « Bilitis » ou encore « la Beauté du geste ». Autant de chansons à la fois personnelles et universelles, interprétées d’une voix rare et fragile qui semble vouloir atteindre les nuages.

Blues rock

♥♥♥ « Opération Aphrodite« , par Gérard Manset (Parlophone/Warner).

Quarante-cinq ans après « la Mort d’Orion », premier space opera rock français, Manset récidive avec une nouvelle symphonie métaphysique. L’homme-orchestre déroule son blues rock lyrique et ses ballades névralgiques, entrecoupés de lectures de Pierre Louÿs. Le concept album est illustré par René Brantonne, créateur de l’esthétique de la légendaire collection « Anticipation » chez Fleuve noir. En couverture, Manset reproduit celle du n° 47 : « Opération Aphrodite » (roman de Jimmy Guieu).

Nostalgique d’une époque où il découvrait les odyssées intergalactiques, le voyageur solitaire pioche dans les 273 couvertures du maître et nous propose encore « Terminus 1 » (Stefan Wul) ou « Créatures des neiges » (Jimmy Guieu). Seconde clé : « Aphrodite », sous-titré « roman de mœurs antiques » que publia Louÿs au lendemain des « Chansons de Bilitis ». Le rocker invisible souscrirait-il à ce culte de la beauté sur fond de décadence libertine ou faut-il y voir les interrogations crépusculaires de l’artiste ? Ce vieil enfant d’Aphrodite se penche sur les cruelles lèvres du passé et voit la mort dans ces « divinités amies [qu’il va] retrouver pour mille ans, dans ces allées de fruits où les jours sont des nuits ».

Inédits

♥♥ « You and I« , par Jeff Buckley (Columbia).

Evidemment, faire du business avec les brouillons d’un malheureux qui s’est noyé dans le Mississippi à 30 ans, ce n’est pas joli-joli. Bien sûr, tout le monde aurait préféré que Jeff Buckley continue sur sa lancée après « Grace », cet unique album que les étudiantes de 1994 écoutaient en allumant des bougies, dans un frisson mystique.

Seulement voilà, en février 1993, seul avec sa guitare et son harmonium, ce jeune surdoué au lyrisme un peu emphatique avait aussi mis en boîte ces dix chansons. Elles n’ont rien de médiocre. Ce sont surtout des reprises (Dylan, Led Zeppelin, les Smiths…), car ce garçon-là était capable de tout jouer, ou presque : de la ballade sensuelle (« Just Like a Woman ») au funk velouté (« Everyday People ») en passant par la country old school (« Poor Boy Long Way from Home ») ou ses propres compositions (« Grace », déjà parfaitement en place). Et le doute n’est pas permis : s’il cherchait encore sa voie, il avait trouvé sa voix.

Les autres sorties

♥♥ « God don’t never change : The songs of blind Willie Johnson« (Alligator Records/Socadisc).

BLUES. Blind Willie Johnson est mort en 1945 (un 18 septembre, comme Hendrix), mais pas son gospel rauque, pas le blues mystique et rustique qu’il arrachait à sa guitare. La preuve avec cet album, où une dizaine d’artistes rendent hommage au prophète aveugle du Texas : le trop rare Tom Waits offre ses manières d’ours mal léché à « The Soul of a Man » et « John the Revelator » ; les Cowboys Junkies promettent que « Jesus Is Coming Soon » ; et Rickie Lee Jones fait un sort à « Dark Was the Night… », cette poignante complainte qui fut expédiée dans les étoiles par la NASA en 1977, avec un concerto de Bach, un quatuor de Beethoven et une poignée d’autres oeuvres capables de plaider la cause, pourtant désespérée, de l’humanité.

♥♥♥ « Sérénades interrompues« , par Quatuor Bedrich (Bion Records).

CLASSIQUE. On a souvent transcrit du quatuor vers le piano, mais rarement dans l’autre sens, allez savoir pourquoi, comme si un pont était univoque. En tout cas, cela marche du tonnerre. Les Bedrich ont adapté pour cet enregistrement Chabrier, Bizet, Fauré, Debussy, Satie, Poulenc, Falla, et c’est un régal. Ils ont trouvé mille manières de rendre les effets pianistiques, mille traductions, mille effets, mille équivalences. Ils font si bien qu’ils nous trompent : le prélude du « Tombeau de Couperin » de Ravel, on dirait son quatuor.

♥♥♥« It calls on me« , par Doug Tuttle (Trouble In Mind Records).

POP ROCK. Bien que la pochette fasse penser à un disque de rock gothique de 1984, où sauter dans un lac gelé reste une solution pour quitter ce monde, il n’en est rien. Doug semble plus attiré par les scintillements psyché et les carillons pop, les arrangements délicats et les guitares ciselées qui lorgnent sur les Byrds.

On a le sentiment de découvrir un nouveau trésor exhumé de la fi n des sixties, mais c’est pourtant en 2015 que ce fan de Peter Buck (R.E.M.) a enregistré seul dans l’appart de sa copine ce disque laid back aux mélodies subtiles. Avec des titres comme « Painted Eye » ou « Falling to Believe », aucun doute, c’est Gene Clark, White Fence et Jacco Gardner réunis. Guitare 12 cordes et tambourin de rigueur.

Sophie Delassein, Grégoire Leménager, Jacques Drillon, Frantz Hoëz et François Armanet

Fin des bouches cousues pour les Iraniens de Calais

Après vingt-quatre jours bouche cousue, neuf Iraniens de la «jungle» de Calais viennent de mettre fin à leur grève de la faim. Mokhtar, enseignant, Esmaïl, cadre dans la pétrochimie, Mohammad, mécanicien dans l’aéronautique, Hamed, vendeur de voitures, Davoud, agent immobilier et tatoueur, Sassan et Hossein, étudiants, Réza, prof de body-building, et Mohammad Réza, joaillier, installés dans l’ancienne cabane des No Border réclamaient, entre autres, «l’arrêt de la démolition de la jungle», mais aussi «la sécurité», «un représentant des Nations unies pour parler avec nous». Ce qu’ils ont obtenu? Selon leur communiqué, ils disent considérer comme une «victoire», le fait que le gouvernement «ait été obligé d’abandonner le projet de démantèlement de la zone nord de la jungle» et de «commencer à améliorer […] la sécurité, l’accès aux soins, l’accès au droit, l’assistance pour les personnes vulnérables, notamment les mineurs, l’accès à l’eau potable et la construction d’une route pavée afin de permettre aux services d’urgence d’entrer dans le camp». Ils poursuivent: «Nous exhortons l’Etat à respecter ces engagements et à rompre avec la pratique d’annonces politiciennes auxquelles il nous a tristement habitués.» Ils ajoutent: «Nous avons décidé de mettre fin à notre grève de la faim, non pas en réaction aux négociations avec l’Etat français, mais par respect pour ceux qui nous soutiennent, qui sont inquiets pour notre bien-être, ainsi que comme preuve de confiance dans les intentions de l’Etat de nous protéger et d’améliorer les conditions de vie des habitants de la zone nord du bidonville.»

 «On est content qu’ils arrêtent»

Les neuf grévistes de la faim ont rencontré à cinq reprises des représentants de la Direction départementale de la cohésion sociale qui leur a proposé des solutions d’hébergement, identiques à celles mises à disposition de tous les migrants de la jungle, mais aussi «la possibilité d’être représentés dans des réunions hebdomadaires», des rencontres avec l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) et des responsables du Home Office -le ministère de l’Intérieur britannique-, ainsi que des explications sur le système d’empreintes palmaires à l’entrée du centre d’accueil provisoire -les conteneurs blancs-, système qui fait craindre aux migrants d’être identifiés à leur arrivée au Royaume-Uni.

Les exilés Iraniens disent avoir aussi rencontré des représentants de l’UNHCR (l’Agence des Nations unies pour les réfugiés) et du Défenseur des droits. «Ils nous ont assurés qu’ils publieraient des rapports sur les conditions de vie dans le bidonville.»

Pendant vingt-quatre jours, les neuf Iraniens n’ont consommé que de l’eau, des jus de fruit et des bouillons salés. «Ils sont très affaiblis, ont beaucoup maigri. Leur état n’est pas catastrophique, mais on est content qu’ils arrêtent», indique Olivier Marteau, responsable de Médecins sans frontières à Calais, l’ONG qui les a suivis. Les neuf hommes, dont un n’a que 17 ans, s’étaient cousu la bouche par leurs propres moyens. Leur communiqué débute par un hommage aux victimes des attentats de Bruxelles, et des condoléances aux habitants de la capitale Belge. Ils ont ajouté: «C’est cette même violence que les habitants de la jungle ont fui.»

Haydée Sabéran Lille, de notre correspondante

Arrêt de la chaîne Numéro 23 : le rapporteur du Conseil d’Etat suit l’avis du CSA

Le rapporteur du Conseil d’Etat a préconisé vendredi le rejet de la requête de Numéro 23, chaîne de la TNT condamnée à disparaître après s’être vue retirer son autorisation d’émettre par le CSA. «La mauvaise foi de la société requérante, et sa volonté de se soustraire de manière tout à fait délibérée à ses obligations, au minimum de transparence, nous paraît établie», a estimé le rapporteur Laurence Marion, recommandant le rejet de la requête en annulation par le Conseil d’Etat et, de facto, la mort de la chaîne. Le Conseil d’Etat doit rendre sa décision avant le jeudi 31 mars, dans ce dossier qualifié de «difficile» par le rapporteur.

Le canal de la chaîne, au numéro 23, devrait être libre au plus tard le 1er juillet si la décision du CSA est confirmée par le Conseil d’Etat, qui juge en dernière instance. Le canal 23 intéressera au plus haut point la future chaîne d’info du service public, prévue pour le mois de septembre, mais aussi LCI, qui passe sur la TNT gratuite le 5 avril et pourrait ainsi se rapprocher de ses concurrentes BFMTV et iTélé.

Dans une décision inédite pour une chaîne de télé, le régulateur de l’audiovisuel avait sanctionné en 2015 les fondateurs de la chaîne pour s’être livrés à une spéculation frauduleuse sur une fréquence attribuée gratuitement. Quelques semaines après l’arrivée de Numéro 23 sur la TNT, une société russe avait acquis 15% de Diversité TV, la maison-mère de la chaîne fondée par Pascal Houzelot. Le nouveau pacte d’actionnaires comprenait une clause poussant à sa revente rapide, que Diversité TV a tardé à communiquer au CSA, selon le rapporteur du Conseil d’Etat. Si elle ne constitue pas une «fraude à la loi», cette modification de l’actionnariat de la chaîne devait pourtant être examinée par le CSA, selon le rapporteur. «La société s’est délibérément placée en situation d’être sanctionnée», a-t-elle conclu. «Aucun acteur du secteur n’aurait pu imaginer que la présence d’un actionnaire minoritaire puisse amener cette sanction dramatique», a plaidé l’avocat de Diversité TV, condamnant une décision «extravagante» de la part du CSA.

Décidée en 2012, la procédure d’attribution par le CSA d’un canal de la TNT à Numéro 23 pourrait également être examinée par les députés. Dans un rapport publié en janvier, le député PS Marcel Rogemont a demandé l’ouverture d’une enquête parlementaire sur cette attribution, qui devrait être discutée mardi par le groupe socialiste, a annoncé le député vendredi à l’AFP.

AFP

« Rosalie Blum », « Médecin de campagne »… Les films à voir (ou pas) cette semaine

Le choix de « l’Obs »

♥♥♥♥ « In Jackson Heights« , par Frederick Wiseman. Documentaire américain (3h10).

En immersion. Comme toujours chez Frederick Wiseman, personne ne parle à la caméra, pas un mot de commentaire, pas une explication, pas de souci didactique apparent. Juste des images, des sons, des mots. Ceux-ci sont le plus souvent hispaniques, mais c’est bien de New York qu’il s’agit, de Jackson Heights précisément, ce quartier du Queens situé à moins de trente minutes de métro du cœur de Manhattan.

Un conseiller municipal l’affirme avec une fierté légitime : « Cette communauté est la plus diverse au monde. » Une diversité traduite par un chiffre : à Jackson Heights peuvent s’entendre 167 langues différentes. Tous les habitants sont venus d’ailleurs, ce qu’aucun d’entre eux n’a oublié, pas même les plus anciens, dont les ancêtres ont traversé l’Atlantique, quand certains des plus récents ont, eux, franchi le Río Grande. Tous sont américains, ou se préparent à le devenir, et cela aussi le film le montre. Comme il montre les salons de coiffure et les cours de danse, les manucures et les abattoirs où l’on sacrifie les volailles, les bars gay, la synagogue, l’église, l’école coranique, le temple hindou, les réunions de prostitués, transsexuels ou pas, la formation des aspirants chauffeurs de taxi, les boutiques de bimbeloterie catholique, les salons de beauté pour chiens, les réunions à la mairie, enfin tout ce qui fait la vie au quotidien de ces gens qui ont trouvé leur unité dans la diversité.

Une diversité menacée. La proximité de Manhattan excite l’appétit des sociétés immobilières, les baux des petits commerçants ne sont pas renouvelés, de grandes enseignes s’implantent. Demain, les plus modestes seront partis, et l’argent coulera à flots. Demain, Jackson Heights ne sera plus Jackson Heights. Pour l’heure, une dame très riche de 98 ans se désole que personne ne lui parle, l’employé latino d’une pizzeria travaille 65 heures par semaine, le maire de New York prend part à la parade des gays, les Colombiens s’enflamment pour l’équipe de foot de leur (premier) pays.

Le cameraman de Frederick Wiseman filme, lui-même enregistre les sons et, dans la salle de montage, donne forme à son film, qui doit être quelque chose comme son quarantième (les treize plus anciens viennent d’être réunis dans un somptueux coffret DVD édité par Blaq Out, premier volume d’une intégrale indispensable). « In Jackson Heights » est une nouvelle merveille, qui vient compléter l’extraordinaire tableau composé par un des maîtres du cinéma d’aujourd’hui, qui a fêté ses 86 ans le 1er janvier dernier.

Les autres sorties

♥♥♥ « Keeper« , par Guillaume Senez. Drame belge, avec Kacey Mottet Klein, Galatea Bellugi, Catherine Salée, Sam Louwyck, Laetitia Dosch (1h35).

Maxime n’a que 15 ans, mais quand Mélanie, sa petite amie, lui annonce qu’elle est enceinte, il souhaite garder l’enfant. Maxime est un gardien (« keeper »). Un gardien de but, pour commencer, entraîné par son père, qui espère qu’il fera carrière dans le foot, mais les grands clubs dont il rêve sont encore loin.

Voilà, les données du premier film de Guillaume Senez sont en place. Mais l’essentiel, c’est l’énergie dont le jeune cinéaste et ses acteurs font montre. Elle est portée à son point d’incandescence par une réalisation au plus près des personnages, qui privilégie le tempo et réussit à maintenir du début à la fin un rythme d’enfer.

Kacey Mottet Klein, que l’on verra bientôt dans le nouveau film d’André Téchiné, et Galatea Bellugi (Mélanie) sont extraordinaires, mais aussi les interprètes des parents, la mère de Maxime, aimante et accommodante, celle de Mélanie, aimante elle aussi, mais refusant de voir sa fille vivre ce qu’elle-même a vécu, qui l’a blessée à jamais et s’opposant donc aux désirs des deux jeunes. Un petit coup de force scénaristique aide les personnages à aller là où les auteurs ont décidé qu’ils iraient. Il y a là un talent, une maîtrise, une attention aux autres et une confiance dans le cinéma qui conduisent à penser que l’on reparlera de Guillaume Senez.

♥♥ « Médecin de campagne« , par Thomas Lilti. Comédie dramatique, avec François Cluzet et Marianne Denicourt (1h42).

Comme il y a une médecine de proximité, voici du cinéma de proximité. Où tout est filmé à hauteur d’homme, dans une commune rurale où le généraliste tient autant du thérapeute que du compagnon, tutoie ses patients, soigne des corps rugueux et des accidentés de la ferme, connaît leurs drames personnels (ici, des enfants handicapés mentaux), se déplace en bottes, affronte les chiens et les jars, se dévoue jour et nuit, sans jamais compter ses heures ni mesurer sa fatigue.

Deux ans après le très autobiographique « Hippocrate », le Dr Thomas Lilti, 39 ans, qui a lui-même exercé en Normandie et dans les Cévennes, poursuit sa chronique balzacienne d’un très vieux sacerdoce que notre époque voudrait rationaliser, moderniser et parfois éradiquer. Pour illustrer ce débat, il y fait le portrait d’un médecin de campagne qui refuse de dételer malgré le cancer contre lequel il se bat et qui voit débarquer, pour le seconder et bientôt le remplacer, une interne hospitalière venue de la ville.

François Cluzet et Marianne Denicourt, tous les deux aussi justes et sobres, apprennent peu à peu, non sans mises à l’épreuve, à cohabiter et à fraterniser. C’est, avec la maladie du Dr Werner, la seule part romanesque de ce film naturaliste d’une touchante humanité, d’une attachante honnêteté, et dont le propos est clairement politique.

♥♥♥ « Chala, une enfance cubaine« , par Ernesto Daranas. Comédie dramatique cubaine, avec Alina Rodriguer, Armando Valdes Freire, Silvia Aguila (1h48).

Le hasard fait bien les choses. Au lendemain de la visite historique et intéressée de Barack Obama à La Havane, et à la veille du concert historique et gratuit que les Rolling Stones vont y donner, sort en France « Chala, une enfance cubaine », d’Ernesto Daranas. Ce film est une très bonne nouvelle. D’abord, il est aussi bien réalisé qu’interprété – preuve que le cinéma cubain, depuis longtemps étouffé par le castrisme, n’est pas mort. Ensuite, il ne cache rien des problèmes économiques, sociaux, éducatifs et politiques que rencontrent aujourd’hui les Cubains. Enfin, il a la force et la portée d’une fable universelle, dont la candeur est toujours un leurre.

Son héros, Chala, est un préado sans père et presque sans mère – elle partage en effet sa vie entre l’alcool, la drogue, le tapin et la dèche. Pour se faire de l’argent, Chala dresse des chiens de combat et élève des pigeons sur le toit. Sa seule conscience morale est incarnée ici par une institutrice âgée, Carmela, qui l’instruit, le discipline, le protège et surtout l’aime –c’est la magnifique Alina Rodriguez, disparue l’été dernier, sur le visage sans rides de laquelle semble passer toute l’histoire, à la fois sombre et solaire, de Cuba.

Quant au gamin débrouillard, mélange d’insolence et de tendresse, il représente l’avenir de cette île dont, loin de la misère et de la dictature, on n’a jamais aussi bien filmé les grands ciels et représenté l’espérance. Ce Gavroche de La Havane, filmé par un cinéaste de 54 ans doué pour déjouer la censure, s’appelle Armando Valdes Freire et il est encore au collège. Il mérite le tableau d’honneur.

♥ « Comme des lions« , par Françoise Davisse. Documentaire français (1h55).

Un film de lutte. Pendant deux ans, Françoise Davisse a suivi le combat des salariés de l’usine PSA d’Aulnay, elle a capté leurs mots, surpris leurs visages, saisi les moments de doute et les instants d’espoir, débusqué les mensonges des puissants, patrons et responsables politiques mêlés.

Rencontres, discussions, contradictions, manifestations, confrontations, les mots disent le désarroi, la colère, les corps tendus traduisent la volonté, la rage, les corps contraints, entraînés de force par les représentants de la loi, expriment un découragement souvent passager, mais bien réel. Une phrase inscrite sur les tee-shirts clame : « On se battra comme des lions. » Oui, ils ont tenu parole, c’est ce que montre le film, qui porte haut son ambition de proposer les modèles à suivre pour les luttes à venir.

♥♥ « Rosalie Blum« , par Julien Rappeneau. Comédie sentimentale française, avec Kyan Khojandi, Noémie Lvovsky, Alice Isaaz, Anémone (1h35).

Il a hérité du salon de coiffure de son père. Sa mère (Anémone, au numéro parfaitement rodé) vit dans le même immeuble que lui et ne lui laisse pas un instant de répit. Il n’a pas vu sa copine depuis plus de six mois. Heureusement, il y a Rocky, son chat. La vie de Vincent (Kyan Khojandi) n’a rien de bien palpitant. Jusqu’au jour où il fait la connaissance de l’épicière (Noémie Lvovsky), qui vit en solitaire dans cette petite ville de province.

Sans savoir bien pourquoi, il l’épie, la suit, trop timide pour l’aborder. Elle remarque son manège et demande à sa nièce (Alice Isaaz), qui n’a rien de mieux à faire et a vraiment beaucoup de charme, de le surveiller pareillement. Adaptant les BD de Camille Jourdy, Julien Rappeneau (le fils du cinéaste Jean-Paul Rappeneau) livre un premier film techniquement irréprochable, qui renoue par moments avec la tradition d’un réalisme poétique que l’on imaginait passé de mode. Le principe « Comtesse aux pieds nus » (le même événement repris selon des points de vue différents) dont procède le scénario produit un effet tuyau-de-poêle qui, même s’il fait long feu, est assez amusant. Tous les acteurs s’acquittent avec talent de leur mission

C’est raté

◊ « Remember« , par Atom Egoyan. Drame canadien, avec Christopher Plummer, Martin Landau, Bruno Ganz, Jürgen Prochnow (1h35).

Ce n’est pas une bonne nouvelle, mais Atom Egoyan n’y arrive plus. Il suit cette fois-ci un survivant d’Auschwitz, veuf depuis peu et souffrant de démence sénile, lancé par un de ses compagnons de maison de retraite (Martin Landau) sur la piste d’un SS ayant sévi au camp. Tandis que Zev Guttman, qui pendant soixante-dix ans s’est appliqué à oublier les horreurs vécues en Allemagne, traverse une partie de l’Amérique du Nord et perd peu à peu les derniers repères qui lui restent, le cinéaste ne parvient pas à retrouver les siens.

Guttman ne connaît de sa cible que le nom d’emprunt. Il passe ainsi d’un suspect à un autre. Il rencontre tour à tour un ancien de l’Afrika Korps (Bruno Ganz), le fils d’un nazi convaincu mort récemment, lui-même bien trop jeune pour être le bourreau traqué (la scène est sans doute la meilleure du film, car la seule réellement inattendue), et enfin un grand-père dont le visage boursouflé de latex laisse espérer un temps que le personnage a été vieilli à dessein, et non l’acteur (Jürgen Prochnow). Une scène de révélation-explication en forme de coup de théâtre entièrement dépendant des dialogues met un terme à une odyssée qui vaut uniquement par Christopher Plummer, impressionnant de maîtrise et de sensibilité.

Pascal Mérigeau et Jérôme Garcin

10 choses à savoir sur la YouTubeuse Andy, « Princesse 2.0 »

A 29 ans, la numéro 1 des YouTubeuses françaises sort des écrans et publie son premier livre, un journal intime fictif à la morale adolescente. Dix choses à savoir sur Andy.

1 Lol

Elle aurait pu miser sur son minois et faire comme les autres YouTubeuses : des tutoriels beauté pour collégiennes. Mais Andy, Nadège de son vrai prénom, a choisi la déconnade, à base de sketchs : « Et si Barbie était vivante », « Si les réseaux sociaux étaient des personnes »… Et c’est fichtrement bien troussé. Selon elle :

« C’est de l’humour de nanas, sur leurs habitudes. »

Bilan, après trois ans d’existence : près de 2,4 millions d’abonnés à sa chaîne, moins que Cyprien, avec ses 8,7 millions de fans, mais mieux qu’Enjoy Phoenix et Natoo.

2Bricolage

Andy fait la mariole, usant avec autodérision de son physique de poupée. Au départ, tout était filmé… à l’iPhone. Maintenant, la jeune femme s’adjoint les services d’un cadreur et d’un ingé son pour des vidéos plus léchées. Il faut une semaine pour boucler un sketch : un jour de tournage, trois à quatre de montage.

3Mecs

Les filles, ça parle garçons. C’est donc le fil rouge d’ »Andy, princesse 2.0″ (404 Editions). Pitch : Andy-Lindsay, la narratrice, matche sur Tinder avec Anthony. Le garçon se révélera être un parfait c…..d, et la donzelle tombera dans les bras de son meilleur ami, qu’elle s’obstinait bêtement à « friendzoner ». Ça parle d’ex, de princesses et de « coucher ou pas le premier soir ? » C’est rose girly. Pour ados uniquement.

4« Money, money, money »

Andy ne parle pas volontiers d’argent. « Je vis bien, mais je ne gagne pas 10.000 euros par mois non plus. J’économise pour m’acheter un appart. » Et ça fait combien ? Mystère. Andy fait « très peu de placement de produits » : elle a choisi de ne (quasiment) pas vanter de marques dans ses vidéos, malgré d’importantes sollicitations.

5Ex-mannequin

Oui, elle a été miss Berry-Val de Loire à 20 ans, mais ne souhaite plus évoquer ce passé, ni son passage éclair dans « Secret Story » en 2007. Elle a ensuite été mannequin, aux Etats-Unis.

« Je bossais dans une très bonne agence, entre Miami et New York, mais c’était difficile à supporter : la question du poids, la pression. J’ai tenu six ans. »

A son retour en France, à 26 ans, elle se demande quoi faire. « Je passais mes journées à regarder des vidéos de Norman et de Cyprien. » Outre-Atlantique, les YouTubeuses cartonnaient. Pourquoi pas elle ?

6Dessin

Après un bac arts appliqués, souhaitant devenir designer, elle commence une école d’arts… qui l’a dégoûtée. « Après, je n’ai plus jamais mis les pieds dans un musée. Ni dessiné ni peint. Un vrai traumatisme. »

7Notoriété

C’est le propre des YouTubeurs : les ados sont hystériques quand ils les voient ; les adultes ne savent même pas qu’ils existent. « Il y a des horaires où je peux sortir, et d’autres, non. J’ai un public de filles entre 15 et 20 ans. Je suis comme leur grande soeur. »

8404 Editions


Andy a été éditée grâce à Lola Salines, jeune éditrice de Gründ assassinée au Bataclan, qui portait le projet chez 404 Editions. « Je l’ai rencontrée une fois, elle avait commencé à me lire. Ça a été très dur. » En hommage, Lola apparaît sur un petit dessin, montée sur le dos d’une licorne.

9Netiquette


Ses potes sont YouTubeurs. « Ma meilleure amie, c’est Shera, que je connais depuis un an. » Andy croise Norman et Cyprien en soirée et a invité la comique Natoo à son anniversaire. Seul hic : l’étiquette YouTube. « Tu ne parles jamais en premier à un YouTubeur qui a plus d’abonnés que toi, car il ne faut pas avoir l’air intéressé [passer dans une vidéo d’une star peut faire grimper sa propre notoriété, NDLR]. Ça crée des rapports bizarres. »


(404 Editions)

10Série-addict

« ‘Game of Thrones’, c’est toute ma vie. » Elle ne jure que par la noble Brienne, aime l’affreux Ramsay Snow, affiche des posters dans ses W-C et a même accroché la maxime « Valar morghulis » (« Tout homme doit mourir ») au-dessus de sa télé. En cas de grosse tête, ça vous remet les idées en place.

Cécile Deffontaines

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