Mois : mars 2016

La manifestation contre la loi Travail dégénère : une voiture brûlée, plus de 20 interpellations

La manifestation des lycéens et étudiants contre le projet de loi sur le travail a dégénéré jeudi après-midi à Paris, avec deux voitures incendiées et plus de vingt personnes interpellées. Deux policiers auraient également été blessés, selon une source policière, qui a précisé que la manifestation rassemblait de 4 800 à 5 200 personnes. Des CRS ont utilisé du gaz lacrymogène pour disperser des jeunes, dont certains étaient cagoulés, qui criaient «Tous à l’Assemblée».

Plusieurs milliers d’étudiants et de lycéens, rejoints par des salariés, avaient commencé à manifester en début d’après-midi, du quartier Montparnasse aux Invalides, derrière une banderole «La nuit c’est fait pour baiser, pas pour travailler». Sept syndicats et organisations de jeunes (CGT, FO, FSU, Solidaires, Unef, UNL et Fidl) sont à l’origine de cet appel à manifester, à Paris et en province, contre le projet de loi travail, présenté jeudi matin en Conseil des ministres.

Lors de cette manifestation un cortège de 150 à 200 personnes s’est éloigné du trajet officiel, et a improvisé une manifestation sauvage dans les rues entre les Invalides et le champs de Mars. Rapidement pris en chasse par les CRS, et après quelques affrontements, les manifestants se sont rapidement dispersés sur le champs de Mars sous le regard médusé des touristes, a rapporté l’un de nos photographes sur place.

LIBERATION

Olivier Py: en Avignon «il y a du possible à inventer»

La mairie socialiste d’Avignon avait annoncé une baisse de budget de 5% et la fermeture de plusieurs lieux l’an dernier. Quels sont, aujourd’hui, vos rapports avec elle?

La mairie n’est pas revenue sur sa baisse de subvention. Plusieurs lieux restent fermés, comme le verger et le potager Urbain V ou l’espace Jeanne-Laurent [initiatrice de la décentralisation théâtrale sous la IVe République, ndlr] qui, par son nom, est un lieu emblématique. En revanche, ont rouvert le gymnase Paul Giéra et le jardin de la rue Mons.

En quoi les Damnés, jouée dans la cour d’honneur, est-elle la pièce phare du Festival?

Le metteur en scène Ivo Van Hove a travaillé sur le scénario plutôt que sur le film de Luchino Visconti dont il avait déjà tiré Ludwig et Rocco et ses frères. Pour lui, il y a une montée du populisme en Europe. Cette histoire raconte la complicité des grandes puissances économiques. Par l’entremise de ma vieille amitié avec Eric Ruf -nous étions élèves ensemble au conservatoire- j’ai proposé à la troupe de la Comédie-Française de revenir en Avignon après vingt-trois ans d’absence.

De votre côté, pourquoi monter Eschyle en toute discrétion?

J’avais envie de faire ce que j’avais déjà mis en place au Théâtre de l’Odéon [que Py a dirigé de 2007 à 2012, ndlr], à savoir, un théâtre de tréteaux ultraléger qui permet d’aller dans différents lieux avec des acteurs et un texte. C’est une décentralisation de 3 kilomètres que j’avais envie de faire au moins une fois en Avignon. J’ai déjà monté trois pièces d’Eschyle mais pas Prométhée: or, c’est la figure du révolté, du prisonnier politique qui est au cœur de cette édition. L’affiche (dessinée par l’artiste Adel Abdessemed) représente un cheval qui rue, signe que quand les choses sont impossibles, il reste du possible à inventer.

La programmation du Festival ne remplit toujours pas les critères paritaires, une exigence des ministres de la culture successives.

C’est difficile à mettre en place, on a toujours 50 projets d’homme pour un projet de femme. On n’a jamais eu autant de femmes au Festival [un tiers des spectacles, ndlr]. Je ne m’engage pas à réussir l’année prochaine mais cela viendra.

Clémentine Gallot

« In Jackson Heights », dernière merveille de Frederick Wiseman

En immersion. Comme toujours chez Frederick Wiseman, personne ne parle à la caméra, pas un mot de commentaire, pas une explication, pas de souci didactique apparent. Juste des images, des sons, des mots. Ceux-ci sont le plus souvent hispaniques, mais c’est bien de New York qu’il s’agit, de Jackson Heights précisément, ce quartier du Queens situé à moins de trente minutes de métro du cœur de Manhattan.

Un conseiller municipal l’affirme avec une fierté légitime : « Cette communauté est la plus diverse au monde. » Une diversité traduite par un chiffre : à Jackson Heights peuvent s’entendre 167 langues différentes. Tous les habitants sont venus d’ailleurs, ce qu’aucun d’entre eux n’a oublié, pas même les plus anciens, dont les ancêtres ont traversé l’Atlantique, quand certains des plus récents ont, eux, franchi le Río Grande.

Un cosmopolitisme menacé

Tous sont américains, ou se préparent à le devenir, et cela aussi le film le montre. Comme il montre les salons de coiffure et les cours de danse, les manucures et les abattoirs où l’on sacrifie les volailles, les bars gay, la synagogue, l’église, l’école coranique, le temple hindou, les réunions de prostitués, transsexuels ou pas, la formation des aspirants chauffeurs de taxi, les boutiques de bimbeloterie catholique, les salons de beauté pour chiens, les réunions à la mairie, enfin tout ce qui fait la vie au quotidien de ces gens qui ont trouvé leur unité dans la diversité.

Une diversité menacée. La proximité de Manhattan excite l’appétit des sociétés immobilières, les baux des petits commerçants ne sont pas renouvelés, de grandes enseignes s’implantent. Demain, les plus modestes seront partis, et l’argent coulera à flots. Demain, Jackson Heights ne sera plus Jackson Heights. Pour l’heure, une dame très riche de 98 ans se désole que personne ne lui parle, l’employé latino d’une pizzeria travaille 65 heures par semaine, le maire de New York prend part à la parade des gays, les Colombiens s’enflamment pour l’équipe de foot de leur (premier) pays.

Le cameraman de Frederick Wiseman filme, lui-même enregistre les sons et, dans la salle de montage, donne forme à son film, qui doit être quelque chose comme son quarantième (les treize plus anciens viennent d’être réunis dans un somptueux coffret DVD édité par Blaq Out, premier volume d’une intégrale indispensable). « In Jackson Heights » est une nouvelle merveille, qui vient compléter l’extraordinaire tableau composé par un des maîtres du cinéma d’aujourd’hui, qui a fêté ses 86 ans le 1er janvier dernier.

Pascal Mérigeau

♥♥♥♥ « In Jackson Heights« , par Frederick Wiseman. Documentaire américain (3h10).

Le printemps, c’est maintenant

Trois heures de soleil en plus, des températures clémentes, des prix plus doux… Le ski de printemps a de quoi séduire. Et si la neige et la météo sont au rendez-vous, les sports d’hiver au printemps ont de quoi séduire…

A partir du 20 mars et jusqu’à la fermeture de leur domaine skiable, une trentaine de stations des Alpes participent à l’opération «Printemps du ski». Une initiative lancée il y a trois ans pour créer une nouvelle saison de glisse.

Cours de ski gratuits pour les débutants, réductions diverses, enfants invités… Les stations multiplient les offres et cassent les prix (1).

Le concept général? Skier le matin au-dessus de 1 800 mètres, puis expérimenter de nouvelles activités l’après-midi (randonnée en raquettes, VTT des neiges, farniente au centre aqualudique, balade à cheval, yoga…). Des loisirs proposés l’hiver mais qui trouvent ici toute leur place avec des journées plus longues et des températures agréables.

Des événements festifs pimentent les séjours. Parmi les plus courus, Rock the Pistes ouvre la saison du 13 au 19 mars avec des scènes de concert plantées dans la neige du domaine skiable des Portes du soleil (Avoriaz, Morzine, Châtel…). A La Plagne, du 3 au 15 avril, Subli’cimes investit six sommets de la station, à plus de 2 000 m, avec des activités thématisées (adrénaline, bien-être…).

Enfin ados et amoureux de la fête trouveront leur bonheur dans les restos d’altitude où sonos et dancefloors ont pris leur aise depuis quelques saisons.

(1) Exemple repéré sur les site Pierre et vacances: 800 euros pour un appartement loué 1900 euros à Avoriaz pendant les vacances de février.

France Montagnes a rencensé sur son site nombre d’activités dans les stations.

A découvrir ici.


Florence DONNAREL

Bruxelles: les kamikazes de l’aéroport identifiés?

«C’est le monde entier qui doit réagir face à cette menace» a affirmé Manuel Valls sur Europe 1 ce matin, évoquant, au lendemain des attentats de Bruxelles, la présence d’un «ennemi extérieur et intérieur». «Nous n’avons jamais connu une telle menace, à un tel niveau», a-t-il mis en garde. «Nous savons que Daech mobilise ses troupes, organise des commandos pour frapper en Europe.» «L’Europe a été attaquée, parce que c’est l’Europe. Donc, la réponse, elle doit être européenne. Et aujourd’hui, la Belgique et la France sont plus que jamais unies face au terrorisme», a-t-il conclu.

Pas assez noire pour jouer Nina Simone ?

Scandale : Zoe Saldana n’est pas assez noire pour jouer le rôle de Nina Simone. En plus, elle est bien trop jolie. Enfin, elle est libano-porto-ricaine, pas afro-américaine. Elle n’a pas la même coiffure. Elle a un menton (Nina Simone n’en avait pas). Les gardiens de la morale black ont bien raison : il faut donner les rôles de plombiers aux plombiers, les personnages de tueurs aux tueurs, les costumes de nazis à de vrais nazis (ils sont de plus en plus rares, dépêchez-vous les gars), et, dans le costard de Vercingétorix, seul un vrai Gaulois saurait porter les sandales en raphia et laine grasse des Pyrénées du général de Gergovie.

C’est vrai, quoi, à la fin. On en a marre de ces Indiens joués par des Blancs, de ces musiciens qui savent pas où placer leurs doigts sur le piano, de ces pharmaciens incarnés par des sociétaires de la Comédie-Française. Il nous faut de l’authentique, du solide, du réaliste. Nina Simone doit être représentée par… par… Les commissaires politiques du Bureau de la Blackitude n’ont pas encore donné la réponse. Mais ça ne saurait tarder.

Les cothurnes de « Ben Hur »

Là où l’affaire se complique, c’est dans les données multiples. J’explique : un camionneur doit être joué par un camionneur, ok. S’il est asiatique, va falloir trouver un camionneur chinois. Si, en plus, il est homosexuel, il est nécessaire de choisir un camionneur pékinois gay. Supposons que le scénario exige qu’il soit con : pas dur, de trouver un camionneur pékinois gay et con. Oui, mais voilà, il a un pied bot. Et il boit. Et c’est un collectionneur de coccinelles clandestin. Et il se fait fouetter dans les stations-service avec des roseaux de l’étang de Berre. Et il se ronge les ongles en lisant le Petit Livre Plus Tellement Rouge de Lin Piao. Et il ne paie pas ses impôts. Et il est secrètement amoureux de Zoe Saldana. Ah, la vache !

Résultat : le casting director va se casser le bonbon à chercher un routier aux yeux bridés, homo, alcoolique, amateur de coccinelles, masochiste, lecteur de livres marxistes, copain de Cahuzac, boîteux et abruti. Ça fait beaucoup, quand même. Mais, mes frères, l’exigence d’équité est à ce prix. Chacun dans son rôle.

Prenons un autre exemple : dans la nouvelle version annoncée de « Ben Hur » (mais quel est le débile qui a eu l’idée d’en faire un troisième remake ?) qui sortira en septembre, il est obligatoire que les cothurnes de Charlton Heston soient remplies par un mec qui, comme lui, soit à la tête de la National Rifle Association. Et que la mini-jupette de Stephen Boyd dissimule de la même façon la charcuterie du nouveau Messala, Toby Kebbell.

L’embêtant, c’est que le réalisateur du new « Ben Hur » est russe. Oh, la faute de goût ! Qu’est ce qu’un ex-soviétique peut comprendre à cette saga romaine écrite par le gouverneur du Texas (celui-là même qui a fait tuer Billy the Kid). Il aurait fallu trouver un réalisateur amateur de coccinelles sans menton qui aime Nina Simone, euh, non, un cinéaste gay qui, auscultant la jupette, aurait fait dire : « Messala, Ben Hur ! », avec conviction.

Mais c’eut été un autre film, à vrai dire.

François Forestier

La mission militaire de l’UE à Bamako repousse une attaque, un assaillant tué

Un hôtel de Bamako abritant la mission de l’Union européenne qui entraîne l’armée malienne (EUTM Mali) a été visé lundi soir par une attaque qui a été repoussée, faisant un mort parmi les assaillants. L’hôtel, réquisitionné par la mission de formation européenne, est situé dans le quartier ACI 2000, à proximité de l’hôtel de luxe Radisson Blu qui avait été frappé le 20 novembre par un attentat jihadiste ayant fait 20 morts, outre les deux assaillants.

Des tirs, suivis d’échanges d’armes automatiques, avaient éclaté en début de soirée dans ce quartier huppé de la capitale malienne, selon des témoins et des journalistes. L’EUTM et le ministère malien de la Sécurité intérieure ont indiqué par la suite que l’attaque, à l’arme légère, avait débuté peu après 18H30 (locales et GMT).

Lire aussi Le Mali toujours sous la menace jihadiste

«Les militaires de l’EUTM et les gardes qui assurent la protection du bâtiment ont immédiatement riposté. Un des assaillants a été abattu», a déclaré le ministre de la Sécurité intérieure Salif Traoré à la télévision dans la soirée, confirmant des informations données par une source au sein de l’EUTM. «Nous sommes en train de prendre des dispositions pour vérifier le sac qu’il transportait qui pourrait contenir des explosifs et la protection civile est également en train de faire son travail», a poursuivi M. Traoré. 

«Deux suspects ont été interpellés. Ils sont en train d’être interrogés. Les opérations continuent sur le terrain», a annoncé le ministre sans autre indication, ajoutant que «les assaillants seraient entre deux ou trois», alors que le source de l’EUTM avait parlé de quatre, dont trois en fuite. Un membre des forces de sécurité maliennes a été légèrement blessé, selon le ministère. L’identité et les motivations des assaillants restaient inconnues.

Précédentes attaques du groupe de Belmokhtar

L’attentat contre le Radisson avait été revendiqué par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), en coordination avec le groupe jihadiste de l’Algérien Mokhtar Belmokhtar, Al-Mourabitoune, qui avait scellé à cette occasion son ralliement à Aqmi.

L’EUTM, qui compte quelque 600 personnels, réunit des militaires européens de 25 pays, actuellement sous commandement allemand. Elle a été lancée en février 2013, dans la foulée de l’opération militaire à l’initiative de la France pour chasser les jihadistes qui contrôlaient le nord du Mali.

Elle a pour objectif de remettre sur pied une armée malienne sous-entraînée et sous-équipée en apportant une expertise dans la préparation opérationnelle, le soutien logistique, le renseignement et la formation des unités combattantes sur le camp de Koulikoro (60 km au nord-est de Bamako).

La vaste région du nord du Mali était tombée en mars-avril 2012 sous la coupe de groupes jihadistes liés à Al-Qaïda, après la déroute de l’armée face à la rébellion à dominante touareg, d’abord alliée à ces groupes qui l’ont ensuite évincée. Ces jihadistes ont été dispersés et en grande partie chassés après l’intervention internationale, qui se poursuit actuellement. Mais des zones échappent encore au contrôle des forces nationales et internationales, malgré la signature en mai-juin 2015 d’un accord de paix entre le gouvernement, les groupes qui le soutiennent, et l’ex-rébellion, destiné à isoler définitivement les jihadistes. Longtemps concentrées dans le nord, les attaques se sont étendues à partir de 2015 vers le centre, puis le sud du pays.

AFP

Ecoutes de Sarkozy, Bamako, déchéance de nationalité au Sénat : le point sur l’actu de ce mardi

Ecoutes. La Cour de cassation doit annoncer ce mardi sa décision concernant les écoutes téléphoniques entre Nicolas Sarkozy, son avocat Thierry Herzog et un haut magistrat de la cour de cassation. Mis en examen pour corruption et trafic d’influence, l’ancien président en conteste la légalité.

Bamako. Un bâtiment abritant une mission militaire de l’ONU dans la capitale malienne a été attaqué hier soir par des hommes armés, mais aucune victime n’est à déplorer. Un assaillant a été tué.

Déchéance. Le Sénat à majorité de droite vote solennellement ce mardi la révision constitutionnelle annoncée par François Hollande après les attentats du 13 novembre dans une version différente de celle votée par les députés, ce qui devrait sceller quasiment la fin de la déchéance de nationalité.

Terrorisme. Trois jours après l’arrestation de Salah Abdeslam, l’enquête sur les attentats de Paris a franchi un nouveau pas hier avec l’identification d’un complice présumé, Najim Laachraoui, connu sous la fausse identité de Soufiane Kayal. Son ADN a été retrouvé sur du matériel explosif utilisé le 13 novembre.

Cuba. En visite historique à Cuba, Obama doit s’adresser ce mardi depuis La Havane pour évoquer l’avenir des relations entre les deux pays. Le discours, très attendu sur l’île, sera retransmis en direct à la télévision cubaine.

Les secrets de « Citizenfour » par sa réalisatrice Laura Poitras

De notre correspondant aux Etats-Unis,

Vous ne la connaissez sans doute pas. C’est pourtant Laura Poitras qu’un certain analyste de la redoutable National Security Agency (NSA) a contactée le jour où il a voulu livrer ses secrets. Edward Snowden doit beaucoup à cette réalisatrice, journaliste et artiste discrète et tenace, qui a filmé avec génie sa rencontre avec l’informaticien le plus célèbre de la planète, à Hongkong, en compagnie de Glenn Greenwald, l’ex-journaliste du « Guardian », auteur d’articles explosifs sur l’espionnage d’Etat. Le film montre l’ancien expert en sécurité, expatrié et reclus dans une chambre d’hôtel, en train d’orchestrer des fuites sur la surveillance de millions d’individus par les services de renseignements américains – avec, parfois, la complicité d’opérateurs téléphoniques – ou l’espionnage d’autres pays par les Etats-Unis. Au fur et à mesure du tournage, l’affaire devient un scandale mondial. Snowden ausculte son téléphone, apprend au journaliste du « Guardian » à crypter les e-mails…

Dans une ambiance de paranoïa, Snowden et Greenwald commentent la déflagration suscitée par les révélations – ses proches sont notamment harcelés par le FBI, sa maison, fouillée -, et imaginent où et comment le jeune homme, désormais « wanted », va pouvoir trouver asile avant d’être arrêté. Tout au long du documentaire, Snowden met au jour l’immensité du système à la Big Brother (Angela Merkel en est l’une des cibles) qui menace les libertés publiques et dont il a le sentiment d’avoir été un pion. Dans « Citizenfour », son documentaire couronné d’un oscar (diffusé ce mardi, à 22h50, sur Canal+), Laura Poitras n’apparaît que l’espace d’une fraction de seconde dans le reflet d’un miroir. Mais elle est bien au centre de l’affaire Snowden.

« Edward Snowden a eu du mal à se faire à l’idée d’être filmé »

TéléObs. Quand Edward Snowden vous a contactée, vous avez d’abord pensé qu’il s’agissait d’un piège. Puis vous vous êtes dit qu’il ne sortirait jamais de l’anonymat.

Laura Poitras. Oui, je ne pouvais pas imaginer qu’il allait courir le risque de révéler son identité. Pendant plusieurs mois, j’ai travaillé avec l’idée que je recevrais des documents mais ne rencontrerais jamais personne. Ce n’est que beaucoup plus tard, dans nos échanges, qu’il m’a dit qu’il ne souhaitait pas masquer son identité.

C’était son intention depuis le début ?

– Je le crois. Je crois qu’il était persuadé qu’il serait arrêté une fois les documents publiés. Il savait aussi que, s’il restait dans l’ombre, on lancerait des enquêtes sur d’autres gens. Il voulait tout simplement prendre la responsabilité de ces révélations. Il ne m’a pas tout dit dès le début par souci de protection, il ne voulait pas dévoiler trop de choses car il était extrêmement prudent. Il savait que les risques étaient très élevés.

En cours de tournage, il a choisi de sortir de l’anonymat, mais il ne voulait pas pour autant devenir le sujet principal de l’histoire…

– C’est ce qu’Edward voulait éviter. Il a eu du mal à se faire à l’idée d’être filmé parce qu’il sait comment fonctionnent les médias. Il ne voulait pas devenir une sorte d’attraction. Je l’ai convaincu avant notre rencontre à Hong-kong en lui disant :

« Quoi que tu fasses, tu seras le sujet. Et tes mots ont de l’importance, les gens veulent savoir ce qui te motive. »

L’une des surprises est de voir à quel point Snowden est un pro de la com…

– Il avait lui-même été influencé par le discours des médias quand il s’est engagé dans l’armée au moment de la guerre en Irak. Il croyait que nous apportions la démocratie au reste du monde.

Avez-vous été surprise par la clarté et la précision avec lesquelles il s’exprime ?

– Oui. C’est un type vraiment brillant. J’ai filmé bien davantage que ce que montre le documentaire et, à chaque fois, ses réponses étaient faites de phrases extrêmement bien construites, sa pensée était remarquablement ordonnée. C’est franchement impressionnant, quand on pense qu’il était engagé dans une course contre la montre.

L’avez-vous revu ?

– Oui, trois fois à Moscou. La première fois, j’ai filmé la scène qui est dans le film.

Comment va-t-il ?

– J’évite de parler en son nom, mais je crois que quand il m’a contactée et qu’il nous a rencontrés à Hong-kong, Glenn Greenwald et moi, il ne pensait pas qu’il y aurait une vie après cela.

Je crois qu’il n’avait jamais imaginé être capable de s’engager par la suite dans un débat public, de parler de ces questions de respect de la vie privée. Il se voyait en prison, point barre.

Quel avenir voyez-vous pour lui ?

– Je crois qu’à un moment ou un autre il retournera aux Etats-Unis. Je ne sais pas quand, cela dépendra de la volonté politique ou de la personne au pouvoir. Cela dit, il a plus de chances de voir un autre pays lui offrir l’asile politique. La France ou l’Allemagne, par exemple, seraient une option.

Mais, à l’heure actuelle, les Etats-Unis font toujours pression sur les Etats européens pour éviter un tel scénario.

Etes-vous d’accord avec cette phrase du « Guardian » : « Nous avons toujours du mal, trois ans après, à évaluer l’ampleur de ce qu’Edward Snowden a révélé » ?

– Oui, je crois que c’est vrai. Nous vivons à une époque où la technologie évolue à une vitesse telle qu’on peine à appréhender son caractère intrusif. Cela va bien au-delà d’agences de renseignements collectant des quantités massives de données. Nous ne savons pas encore exactement ce que cela signifie mais nous avons Facebook, Google, toutes ces entreprises de high-tech qui récoltent des tonnes d’informations.

Les jeunes d’aujourd’hui grandissent dans un monde où l’on ne pourra pas échapper à cette empreinte numérique.

Que pensez-vous du débat actuel sur la protection des données grâce aux techniques de chiffrement ?

– Si vous vous souciez de la sécurité de vos données, vous ne pouvez pas être sélectif. Si vous voulez accéder en toute sécurité à votre compte en banque, vous avez besoin d’un cryptage fort des informations. Et il y a une telle quantité de données privées partagées en ligne qu’il est dans l’intérêt de tout le monde de s’assurer que les communications restent privées.

Mais la résistance d’entreprises comme Apple ne s’explique-t-elle pas aussi par le fait que Snowden a montré qu’on ne pouvait pas faire confiance aux gouvernements (1) ?

– Si, je le crois, mais les entreprises de télécoms entretiennent toujours une relation très étroite avec les agences de renseignements, elles continuent de partager l’information. Les entreprises du Net, en revanche, sont plus enclines à la confrontation. Twitter, par exemple, a décliné beaucoup de demandes d’information venant des autorités.

Peut-on encore protéger sa vie privée ?

– Oui, techniquement, cela devient même plus facile. Avec Signal, par exemple. C’est une application gratuite en open source , comme Tor. Vous pouvez l’utiliser pour chiffrer vos SMS et appels téléphoniques.

Pour en revenir à « Citizenfour » et vos précédents documentaires sur la guerre en Irak ou Guantánamo,comment faire passer l’émotion sur des sujets aussi ardus ? On a l’impression que vous ne voulez pas trop mettre de sous-titres, vos scènes sont parfois des vignettes qui parlent d’elles-mêmes…

– Je ne suis pas d’accord. Mes films sont très narratifs. J’ai une approche du cinéma-vérité similaire à la fiction, au sens où un drame se produit et il est constitué de scènes. C’est la définition d’un film, n’est-ce pas ? Ce ne sont pas des vignettes, ce sont des scènes qui conduisent à une certaine résolution. Il y a généralement un protagoniste et un drame. Il est vrai que cela ne m’intéresse pas vraiment d’ajouter une voix off. « My Country, My Country », par exemple, avait pour principal protagoniste un médecin sunnite, mais j’ai inséré beaucoup de choses sur l’élection de janvier 2005 en Irak qui, d’une certaine façon, était aussi une sorte de personnage.

Mes films sont très ancrés dans des principes narratifs, mais souvent avec des personnages multiples. C’est comme dans « Amours chiennes », le film d’Alejandro González Iñárritu – des personnages nombreux qui se croisent, une foule d’actions qui surviennent simultanément.

J’en reviens à ma question : comment humaniser, comment communiquer enfaisant naître de l’émotion sur un sujet aussi abstrait que la surveillance ?

– Cela faisait un moment que le sujet m’intéressait. Avant que William Binney [ancien analyste de la NSA, NDLR] et Edward Snowden n’apparaissent, tout le monde disait : « C’ est un sujet vraiment difficile à traiter, c’est secret, abstrait. » Donc j’ai eu de la chance de pouvoir filmer des gens qui incarnent ces questions – Binney et Snowden, des hommes prêts à mettre leur vie en jeu parce qu’ils estimaient que ces pratiques étaient dangereuses pour la société. Une fois que vous avez cela, les gens se disent : « Qui sont ces experts prêts à tout sacrifier parce qu’ils estiment qu’il y a un danger ? » Cela réveille tout le monde.

Autre obstacle : la peur, qui pousse à accepter de voir ses libertés rognées…

– La peur est manipulée par les élus pour faire passer des mesures. Mais j’ai tendance à blâmer les médias pour la façon dont ils gonflent leur audience en encourageant cette tendance. Ils sont trop proches du gouvernement, ils acceptent ses arguments trop facilement. La guerre d’Irak est un exemple parfait.

A ce sujet, je suis déçue de voir aujourd’hui certaines décisions prises en France, comme l’état d’urgence. On ne rend pas le monde plus sûr en suspendant les libertés.

Autre difficulté, une certaine tendance à dire : moi, de toute façon, je n’ai rien à cacher…

– Snowden a une réponse parfaite à ce genre de propos :

« Vous n’abandonnez pas la liberté de parole, même si vous avez le sentiment qu’elle n’est pas menacée. »

Il y a des principes sacrés, dans les sociétés démocratiques, qui méritent qu’on lutte pour les défendre. Et, en plus, ceux qui disent qu’ils n’ont rien à cacher mentent. Si vous leur dites : « Puis-je avoir la clé de votre maison et le mot de passe de votre compte email ? » Vous allez voir ce qu’ils vous répondront. Ils se sentiront violés.

A propos de violation, justement, vous avez porté plainte contre le gouvernement américain et l’avez forcé à communiquer des documents concernant votre surveillance par les autorités…

– Nous avons obtenu 800 pages de documents. Et j’ai été choquée. Vraiment. Ils ont convoqué un grand jury à mon sujet (chargé de décider s’il y avait ou non crime potentiel), ont saisi les informations me concernant, cela ressemblait à une enquête de la NSA au top niveau. Absurde.

Cela a dû être dur à vivre, au quotidien ?

– Oui, extrêmement pénible. La période qui s’est écoulée entre le moment où j’ai commencé à recevoir des messages de Snowden et quelques mois après l’avoir rencontré a été la plus effrayante que j’aie jamais vécue comme journaliste. C’était bien pire que l’Irak.

J’avais cette impression que l’affaire remontait au plus haut niveau de l’Etat. Ce que je faisais, ce qu’avaient fait Edward et Glenn mettait en fureur les gens les plus puissants du monde.

Vous êtes toujours suivie, surveillée ?

– Oui. Et je crois que cela ne s’arrêtera jamais. C’est une réalité avec laquelle je dois vivre.

Vous êtes une personne pudique, vous détestez vous mettre en scène…

– Cela me met mal à l’aise mais ce n’est pas la seule raison. Je veux consacrer mon temps à raconter des histoires. Mais je reconnais que cela peut être utile : en rendant publique la façon dont la liste des personnes surveillées m’a empoisonné la vie, j’aide d’autres gens dans la même situation.

Dans l’exposition que vous présentez actuellement au Whitney Museum, à New York (2), vous montrez un document classifié indiquant que vous êtes « silent hit » sur la liste des personnes surveillées. Qu’est-ce que cela signifie ?

– Cela veut juste dire que j’attire l’attention quand je passe la frontière, mais on ne m’arrête pas et on ne me fait pas subir d’interrogatoire. Avant, quand ils me stoppaient, j’étais selectee (listée). Un cran en dessous de l’interdiction d’embarquer dans un avion.

Propos recueillis par Philippe Boulet-Gercourt

(1) Apple refuse toujours de divulguer au FBI les données de l’iPhone d’un des terroristes impliqué dans l’attaque de San Bernadino, en Californie, par crainte que l’Etat ait ensuite accès aux données des mobiles.

(2) « Astro Noise », sur la surveillance de masse, au Whitney Museum of American Art, du 5 février au 1 mai 2016.

Mardi 22 mars à 22h50, sur Canal+. « Citizenfour ». Documentaire de Laura Poitras (2015).-En multidiffusion et A la demande-

« Boris Godounov » sur scène et au cinéma, en direct de Covent Garden

Le lourd rideau de velours rouge et or frappé du chiffre de la reine de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, le ER d’Elisabeth Regina, est retombé sur la mort du tsar Boris et l’arrivée du faux Dimitri au Kremlin de Moscou. Ramassée en un peu plus de deux heures, dressée en sept scènes d’une grande densité dramatique ici pensées sans nul entracte, la version originale de « Boris Godounov », achevée par Modeste Moussorgsky en 1869, fut bien évidemment rejetée par la direction des Théâtres Impériaux, à Saint- Pétersbourg. En 1874, ils ne consentirent à produire qu’une version plus conventionnelle de l’opéra, alourdie par l’acte dit « polonais » et l’ajout obligé d’une figure féminine, la princesse Marina.

A l’instar d’une tragédie grecque

C’est toutefois la version de 1869 qu’a reprise ici le Royal Opera House (ROH), à Londres. On la découvre avec bonheur sous la forme d’un drame puissant et dépouillé, à l’instar d’une tragédie grecque, s’appuyant sur des voix magnifiques, et soutenu par une mise en scène sobre, nerveuse, toute en images marquantes, qui forme un bloc de tension, de drame et de terreur, et où on a oublié tout le décorum, le faste doré des costumes à la russe, afin de se concentrer sur la seule musique et sur l’effroi, sur les remords du tsar régnant.

Cette mise-en-scène due à Richard Jones, dont la première vient d’être présentée à Londres le lundi 14 mars, le public européen peut s’en délecter une semaine plus tard, ce lundi 21 mars, dans de multiples salles de cinéma où « Boris Godounov » est retransmis en direct, en Europe du moins, depuis la salle du Royal Opera House, à Covent Garden.

Dans le monde entier

Cela fait six ans désormais que le Royal Opera House, le Théâtre royal de l’Opéra en français, diffuse certaines de ses productions lyriques ou chorégraphiques dans le monde entier par l’intermédiaire de salles de cinéma. Des retransmissions en direct dans une quarantaine de pays d’Europe, ce qui leur confère une acuité supplémentaire, en différé pour les Amériques, l’Asie et l’Australie.

(CATHERINE ASHMORE)

« Certes, la notoriété du ROH dans le monde ne nous obligerait pas à nous faire connaître davantage. Nos productions sont prises d’assaut, le taux d’occupation des salles est de 96% en moyenne », souligne Alex Beard, le directeur général du ROH. Mais c’est cette notoriété précisément qui nous a fait un devoir de diffuser nos ouvrages. C’est pour nous une tâche passionnée de présenter les plus belles de nos réalisation, des chefs d’œuvre du répertoire lyrique ou chorégraphique, à une très large audience. Mais c’est aussi un acte de justice envers tous les Britanniques qui contribuent au financement de l’Opéra via les subventions publiques, tout en ayant rarement l’opportunité de s’y rendre ».

Bryn Terfel, Antonio Papano, Richard Jones

Sur quels critères sont donc choisis les six opéras et les six spectacles de ballet qui cette saison sont retransmis dans une infinité de salles de cinéma ? « Dans le cas présent, celui de « Boris Godounov », reprend Alex Beard, c’est la conjugaison de plusieurs facteurs qui nous a déterminés : la prise de rôle de Bryn Terfel qui interprète le personnage de Boris Godounov pour la première fois ; la direction musicale d’Antonio Papano que nous considérons comme l’un des meilleurs chefs d’orchestre de ce temps ; le choix qui a été effectué de reprendre la version originale de l’ouvrage ainsi que la réalisation qu’en avait projeté Richard Jones et son équipe. »

Il poursuit : « D’autres fois, c’est avant tout la popularité d’un opéra ou d’un ballet, ainsi que la qualité de leur interprétation qui nous guident. Ou alors une production qui s’est révélée extraordinaire et que l’on a envie de montrer au plus grand nombre. Diffuser un spectacle devant un public qu’on peut qualifier d’universel contraint certes à présenter des ouvrages dont les titres parlent à tous. Mais cela ne nous empêche pas quelques « audaces ». Ainsi avons-nous diffusé « Gloriana » de Benjamin Britten ou « Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny » de Kurt Weill. »

730.000 spectateurs

On n’a pas de chiffres exacts quant à l’audience réunie dans le monde entier à l’occasion des transmissions de soirées du Royal Opera House, mais l’institution en annonce 730.000, un chiffre à comparer aux 740.000 spectateurs reçus en ses murs durant toute une saison, laquelle comprend quelque 520 représentations. Toutefois, on subodore leur impact par l’entremise des réseaux sociaux (250.000 « fans » sur Facebook, 187.000 sur Twitter et 51.000 sur Instagram) où le nombre de commentaires explose à chaque projection d’opéra ou de ballet. Et l’on ne compte pas les retransmissions télévisées sur la BBC ou sur des chaînes spécialisées comme Mezzo, qui diffuse régulièrement les ouvrages donnés à Covent Garden. Elles aussi multiplient les spectateurs.

« L’important, c’est de partager quelque chose d’exceptionnel avec le plus grand nombre », songe le directeur de ROH. « En Grande-Bretagne même, on sait combien l’univers de la musique s’est développé, ne serait qu’en fonction de l’explosion du nombre de concerts ou de la multiplicité des festivals créés sur le territoire. Les diffusions d’opéras et de ballets au cinéma participent à cet engouement. Et nous favorisons l’approche d’un nouveau public en offrant aux plus jeunes deux billets pour le prix d’un seul ».

Sans drame, point d’opéra

Lundi 21 mars, dès 20h15, le public français, belge ou suisse, va donc pouvoir découvrir « Boris Godounov » en direct de Covent Garden. Un opéra ayant pour héros un tsar dont la figure longtemps bien oubliée fut révélée aux Russes par l’historien Nicolas Karamzine dans son « Histoire générale de la Russie » publiée dès 1818. L’histoire d’un règne plein de mystères et de complots, intercalé entre ceux des deux grandes dynasties russes, les Riourkides et les Romanov, et dont Alexandre Pouchkine fit à son tour un sombre drame historique dont allait s’emparer Modeste Moussorgsky.

Car ce règne dit tout de la noirceur et de la barbarie qui sévirent durant des siècles en Russie, qui y sévissent encore d’ailleurs, même si celui de Boris Godounov fut infiniment plus pacifique que ceux de certains de ses prédécesseurs, à commencer par Ivan le Terrible. Aujourd’hui les historiens ne sont plus aussi sûrs que l’étaient Karamzine, Pouchkine ou Moussorgsky de l’assassinat, sur ordre de Boris Godounov, du tsarévitch Dimitri, alors que ce fils cadet d’Ivan le Terrible était l’héritier de son frère le tsar Féodor 1er, le dernier des Riourkides, et que Boris, frère de la tsarine Irina Godounova, épouse de Féodor1er, exerçait la régence au nom de son beau-frère infirme. Reclus au kremlin d’Ouglitch, sur les bords de la Volga, le jeune Dimitri, âgé de 9 ans, aurait pu se tuer lui-même avec son propre couteau au cours d’une crise d’épilepsie.

(CATHERINE ASHMORE)

Hanté par la vision du meurtre

Le chef d’oeuvre de Moussorgsky met ainsi en scène un autocrate tenaillé par le remord, hanté en permanence par la vision du meurtre de Dimitri et, plus tard, tourmenté par l’apparition d’un imposteur prétendant être ce même Dimitri miraculeusement réchappé de son assassinat. Halluciné, ravagé par le sang versé, Boris Godounov meurt brutalement en laissant la couronne à son jeune fils, le tsarévitch Féodor, alors que les troupes du faux Dimitri approchent de Moscou.

Dans la réalité historique, cette mort subite surviendra en avril 1605 (on parla de suicide ou d’empoisonnement du tsar) et le fils de Boris Godounov, Féodor II, monté sur le trône dans la confusion et les complots, sera assassiné avec sa mère, deux mois plus tard, à l’âge de 16 ans. Quant à l’usurpateur, à Grégori Otrepiev, le faux Dimitri, il sera exécuté l’année suivante par les boyards après un règne aussi faux que sa naissance.

Une distribution magnifique

Pour servir cette tragédie, la distribution est magnifique, évidemment dominée par la basse Bryn Terfel, lointain successeur du légendaire Chaliapine qui fit découvrir « Boris Godounov » aux Parisiens en 1908. Sous l’égide du metteur en scène, excellent directeur d’acteurs, Bryn Terfel a composé un personnage infiniment plus humain, plus douloureux que bien des Boris que l’on entend dans la version réécrite par Rimsky-Korsakov

Soutenu par une voix puissante, mais infiniment modulée par des sentiments contradictoires, le jeu de Bryn Terfel confère donc à son personnage un quelque chose de pathétique et de déchirant qui fait de lui un Boris exceptionnel. Mais il n’est pas seul dans l’aventure. Si tous les artistes distribués sont de grande qualité (la tsarevna Xénia, de Vlada Borovko, ou le tsarévitch Féodor, son frère, de Ben Knight par exemple), les figures du moine Pimène, chanté superbement par Ain Anger, celle de Varlaam qu’interprète un John Tomlison haut en couleur, celle de Grégori Otrepiev, le faux Dimitri, assumée par David Butt Philip, sont particulièrement remarquables.

Moins présent vocalement, le prince Chouisky de John Gramam-Hall est en revanche saisissant sur le plan théâtral, terriblement inquiétant. A leurs côtés, l’autre grand personnage de l’opéra, le peuple russe (« the russian populace » énonce joliment le programme), est magistralement servi par les chœurs du Royal Opera House que mène Renato Balsadonna.

Aidé par le « movement director » Ben Wright, lequel a insufflé un élan magnifique à certaines scènes de foule, Richard Jones a donc opté pour une mise en scène sobre, dépourvue de tout faste, et les costumes de Nicky Gillibrand épousent parfaitement ce parti pris. Tant pis pour ceux qui aiment à voir, dans « Boris Godounov », ces débauches de splendeur reconstituée du clergé orthodoxe et de la cour des tsars qu’on a coutume d’admirer. Seul bémol, les décors. Ils sont uniformément laids et ternes, même s’ils permettent au drame, et c’est un plus, de se dérouler sur deux différents niveaux.

La direction musicale d’Antonio Papano, à la tête de l’Orchestre du Royal Opera House est tout simplement magnifique. Toute en nuances, en poésie, en tension dramatique intense, elle confère à cette version épurée de « Boris Godounov » sa juste grandeur.

Raphaël de Gubernatis

« Boris Godounov », nouvelle production du Royal Opera House de Londres. Ce lundi 21 mars à 20h15 dans de nombreux cinémas en France.

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