Mois : mars 2016

Spécial Salon du livre: voler des bouquins, est-ce immoral ?

Le livre est un objet fréquemment protégé par des principes: «Je ne prête jamais un livre», «Je finis toujours un livre», «Je ne corne jamais les pages d’un livre», «Je le referme toujours le soir»… Et bien sûr, l’on entend: «Je ne volerais pas un livre», et à l’inverse: «Je ne vole rien, sauf des livres.» C’est un vol qui s’avoue: «J’ai volé un livre de Cioran dans une librairie de Nantes», dit tranquillement Eric Chevillard, qui ne confesserait certes pas publiquement qu’il a dérobé une voiture ou le manteau d’un petit vieux nécessiteux.

L’objet est si particulier, par ce qu’il véhicule depuis des siècles, comme s’il était la forme la plus concentrée d’humanité, cet objet est si sacré que glisser un volume dans sa poche sans verser la contrepartie habituelle passe pour une sorte de viol religieux, la transgression presque érotique de l’interdit social par excellence. Le livre efface le vol. Voler un livre, ce n’est pas tout à fait voler, pense le voleur, petit Prométhée qui croit dérober le feu. «Notre prof de français, raconte un internaute, nous a même fait un jour l’éloge du voleur de livres car, pour lui, voler un livre c’est beau !»

«Pour un livre, je ne dis jamais voler, dit une jeune femme, je dis piquer. Je pique des livres, c’est tout.» Sartre dit que le «Journal du voleur», de Jean Genet, était une «cosmogonie sacrée». Lequel Genet, au juge qui lui posait la question alors qu’il venait de voler un livre: «En connaissiez-vous le prix ?» répondit sèchement: «Non, mais j’en connaissais la valeur.»

L’acte s’accompagne toujours de l’espoir qu’un livre volé porte en lui plus de vérité qu’un livre acheté, une révélation. Louis Calaferte racontait: «Chez un bouquiniste, rue de Provence, j’ai volé un livre de Cendrars, je devais avoir 18 ans. A partir de ce moment-là, j’ai cessé de lire des romans, des choses sans intérêt. J’ai compris qu’il y avait deux littératures.»

C’est pourquoi le voleur qui lit le livre volé et celui qui le revend ne sont pas du même monde. Le premier jette l’opprobre sur le second. Mais sa morale n’en est pas moins d’une souplesse inévitable: ce livre n’était pas cher, la Fnac est une grosse enseigne qui vole tout le monde, un livre est aussi indispensable que le pain, celui que vole Jean Valjean… C’est une sorte de sport – d’ailleurs le vol de livres est une étape de certains jeux vidéo. Tel grand critique parisien raconte assez fièrement :

J’ai écumé toutes les librairies du quartier Latin. J’en volais des tonnes. Mon plus beau coup, c’est chez Maspero : j’ai emporté les vingt-quatre volumes de l’édition anglaise de Freud. J’ai dit que je reviendrais payer, mais je ne suis jamais revenu.»

On «oublie» de rendre, on choisit («Je payais les petits livres, je volais les gros», dit une journaliste nostalgique), on en emporte sans le vouloir («Je suis un salaud et un sombre crétin/Sans le faire exprès j’ai piqué un bouquin» écrit le Russe Nikolaï Oleïnikov, dans «Un poète fusillé»), ou alors on prétend prendre sa revanche contre tous les vols impunis dont on serait victime, on le fait par refus politique du travail, du marché, de la société. Des raisonnements comparables à ceux de l’ivrogne qui ne peut arrêter de boire et feint de ne pas le vouloir, à ceux du pickpocket de Bresson : la société me le doit bien – une morale liée à l’âge, une morale postpubertaire.

Le vol de livres, c’est la fausse monnaie de la morale. Même l’endurcissement de cette morale est simulé: «Je ne vole que dans les petites librairies, dit un jeune homme, celles qui ont de la peine à survivre. C’est seulement là que j’ai l’impression de vraiment faire le mal. L’idéal, c’est d’être en plus très ami avec le libraire, qui vous fait confiance. Voler un quasi-banquier me laisse parfaitement froid.»

D’ailleurs Maurice Sachs, écrivain brillant, traître professionnel, escroc, juif collaborateur quoique résistant marron, saint patron des voleurs de livres, disait: «On ne trahit bien que ceux qu’on aime.» Godard volait des livres aux membres de sa famille, à ses amis, et Genet revolait les livres qu’il avait offerts. Comme si la honte valait pénitence.

Ou alors, c’est la veulerie, justement, qui serait la forme exemplaire du courage – voir Gide, qui écrit dans «les Nourritures terrestres»: «J’ai souvent songé que voler, plus encore que prendre, est le vrai bonheur.» Et dans «les Faux-Monnayeurs», il raconte que le jeune Georges vole un livre sous les yeux d’Edouard, tout en sachant qu’il est vu. Edouard raconte la scène dans son Journal, qu’il donne à lire plus tard à Georges, retrouvé par hasard, pour lui faire honte. Mais le jeune homme hausse les épaules: l’acte seul compte, l’acte seul est enseignement.

“POUR LE VOL TOTAL DU LIVRE”

En 1976, dans une émission de radio, Marguerite Duras disait: «Je suis pour le vol total du livre. Mais je n’y arrive pas. Je me sens très mal de ne pas le faire. J’ai une peur, une peur panique du vol – je pense que c’est la peur du flic qui se déplace. J’ai fait des choses beaucoup plus dangereuses que cela, pendant la guerre d’Algérie, pendant la Résistance. Ce ne serait rien pour moi.»

Elle souffre de ne pas voler, mais explique qu’elle n’en a pas besoin, qu’elle peut payer: «Ce serait d’une gratuité un peu gidienne. Il faudrait que j’essaie de voler pour quelqu’un. J’accompagne mes amis dans les librairies, je les enlace tendrement pour qu’on les voie avec moi, et que, si on les arrête, ils puissent se servir de mon nom.» Elle se justifie : «L’étudiant est celui qui lit le plus dans la société, et qui en a le moins les moyens.»

Régis Debray commente cette déclaration avec dégoût: «Anarchisme snob, dégueulasse ! Maspero , libraire et éditeur , a été la victime des salopards qui pouvaient le voler en toute sécurité, et prétendaient pour se donner bonne conscience qu’il “se faisait du fric sur le dos de la révolution”. On a tous piqué un livre quand on avait 15 ans, mais en tirer orgueil, en faire presque une vocation, c’est vraiment dégueulasse.»

Qui vole des livres ? «Tout le monde, dit une vendeuse de la Fnac. Quand j’étais dans une librairie du VIIe, il y avait des dames chics qui emportaient les best-sellers. Cela devait les exciter , comme tromper leur mari. Ici, il y a les étudiants, de tout. D’ailleurs rappelez-vous, le Dr Petiot, condamné ensuite pour vingt-quatre assassinats, sur les soixante-trois qu’il revendiquait, a été arrêté pour un vol de livres chez Gibert.»

Parfois l’occasion fait le larron: «A La Joie de lire [Maspero] , je les lisais soit dans l’escalier, soit chez moi, quand je pouvais partir sans payer. Je ne les abîmais pas : je les rapportais, il fallait faire attention, j’avais encore plus la trouille.» Comment font-ils ?

«J’avais un grand manteau, avec de grandes poches, répond un écrivain. J’allais vers un rayon, et j’en prenais huit ou dix d’un coup. Un ami avait un cartable fendu, il les glissait dedans. Ce n’était pas un loser, il ne volait pas du BHL ! Il avait réussi à se faire une collection complète de la Pléiade. Il restait longtemps à l’intérieur, pour donner le change, mais aussi parce que c’est dehors qu’on devient voleur.»

Pour passer les portiques, certains petits malins glissent les livres magnétisés dans des pochettes d’aluminium, dans des briques de lait, qui les rendent indétectables, d’autres (plus grands malins) les mettent sous leur chapeau, de manière à les faire passer au-dessus des détecteurs, qu’ils franchissent alors sans encombre et tête haute. En France, les livres les plus volés sont les petits formats (mangas, poches) et les Pléiade, qui se revendent bien. Et puis, les essais à la fois difficiles et chers: Heidegger, Kant, la psychanalyse, la sociologie.

Quand il pince un voleur, le libraire ne fait pas toujours appel à la police: «Soit il paie le livre, dit-on chez Gibert, soit il le rend. Et on se contente de prendre son identité. S’il recommence, et c’est arrivé, parce qu’il y a des petits voleurs qui sont envoyés en service commandé, qui ont du chiffre à faire et qui donc n’ont pas le choix, ou bien alors s’il s’agit de livres chers, nous appelons la police. Mais elle ne se déplace pas pour un vol d’un montant inférieur à 150 euros.» Au commissariat du Ve , on proteste, bien sûr: «On se déplace quel que soit le montant. On est un service de police, qu’est-ce que vous croyez ?»

Les petits libraires n’ont pas les moyens des grands, qui cumulent vigiles, caméras et antivols, du moins sur les livres chers, car les bandes magnétiques collées sont hors de prix. Certains bluffent, et installent des portiques factices, qui ne sonneront jamais. Dans cette grande librairie parisienne, une vendeuse explique en souriant: «Quand nous prenons un voleur, nous lui disons : “Vous avez sans doute oublié de payer… ” C’est plus élégant que de le traîner chez les flics par la peau du cou. Il sait que nous savons… Et je peux vous dire qu’il ne recommence pas.»

« ILS VIENNENT SOUVENT À DEUX »

Les libraires se désespèrent. Il est impossible d’obtenir une statistique officielle, mais dans une grande enseigne, on compte que la «démarque inconnue» représente 1% du chiffre d’affaires ; chez Gibert, on l’évalue à un jour complet de vente par an. Surtout, l’atmosphère créée est désastreuse: «On n’est pas des flics ! On a du travail, on renseigne les clients. On n’a jamais empêché quelqu’un de prendre des notes, jusqu’à fournir papier et crayon. C’est ça qui est agressant: on ne sait jamais s’il n’y en a pas un qui nous fauche, pendant qu’on en renseigne un autre. Ils viennent souvent à deux. On devient méfiant, c’est très pénible.»

Les grandes chaînes suivent des protocoles, avec gradation dans les sanctions. La Fnac en applique un, mais refuse de le communiquer. Il faut se retourner vers le voleur (qui l’a raconté sur un site):

Je me suis fait prendre ce soir à la Fnac en possession de trois livres (pour un montant de 28 euros). J’ai sonné au portique de sécurité et le vigile a appelé son supérieur. J’ai été amené dans une pièce à part, questionné vivement, on m’a demandé d’avouer (ce que j’ai fait rapidement). Je n’avais pas le moyen de régler les livres. Ils ont pris ma carte d’identité et ont rempli un papier que j’ai dû signer. La police a supervisé de loin tout ça dans le local des vigiles (je n’ai pas été emmené au poste de police). On m’a remis un récépissé de dépôt de plainte (où il n’y a même pas le numéro de registre de la déclaration de plainte). J’ai également observé que la personne qui a signé le papier l’a annoté après que je l’ai signé ( je n’ai pas pu voir ce qu’il a rajouté sur la feuille)…»

Un autre: «J’ai été emmené chez le directeur. Quoi, à votre âge, tout ça, le sermon de morale. Il a réfléchi cinq minutes, et m’a donné à choisir: soit les flics, soit ramasser les papiers autour du Monoprix. J’ai choisi de ramasser les papiers.»

Jacques Drillon

Remerciements à la librairie Voyelle (Paris-15e ) pour la prise de vue.

Article initialement paru dans « l’Obs » du 17 mars 2016.

Exclusif. Pourquoi Edouard Louis se trouve pris dans une tourmente judiciaire

Une œuvre littéraire peut-elle constituer une pièce à conviction dans une affaire pénale? Voici un des enjeux de l’affaire sur laquelle plancheront le 18 mars les magistrats de la 17ème chambre du Tribunal de grande instance de Paris. Héros malgré lui du dernier livre d’Edouard Louis, «Histoire de la violence», Reda B. vient d’assigner en référé le jeune écrivain et son éditeur pour «Atteinte à la présomption d’innocence» et «Atteinte à la vie privée». Il demande l’insertion d’un encart dans chaque exemplaire du livre ainsi que 50.000 euros de dommages et intérêts.

L’histoire commence le 7 janvier dernier, lors de la sortie d’«Histoire de la violence» aux Editions du Seuil. Encensé par une partie de la critique, le livre raconte le viol qu’affirme avoir subi Edouard Louis lors du réveillon de Noël 2012. «Dans ce livre, il n’y a pas une seule ligne de fiction», déclare alors l’écrivain dans un entretien à «Livres Hebdo». Le violeur est identifié sous le diminutif de Reda, kabyle d’une trentaine d’années, qui accoste Edouard Louis place de la République, à Paris.

Sous le charme, Louis l’invite à son domicile. Les deux hommes font l’amour plusieurs fois, avant que la relation ne dégénère, Reda volant le téléphone portable d’Edouard Louis, puis le violant sous la menace d’un pistolet. Histoire similaire à celle relatée par Eddy Bellegueule – le premier nom d’Edouard Louis -, dans sa déposition faite à la police le 25 décembre 2012. Une plainte qui, jusqu’à la sortie d’«Histoire de la violence», n’avait pas permis de retrouver le fameux Reda.

Les illusions éperdues d’Edouard Louis

Et voilà que, par un drôle de hasard, le Reda en question se voit interpellé à Paris le 11 janvier, soit quatre jours après la sortie du livre, pour une affaire de stupéfiants. Il est sans papiers mais le relevé de ses empreintes permet de l’identifier: des traces ADN avaient en effet été prélevées dans l’appartement d’Eddy Bellegueule après la plainte de ce dernier. Selon J.D., le petit ami de Reda, que nous avons rencontré cette semaine, ce dernier aurait nié tout acte de violence à l’encontre d’Eddy Bellegueule.

« Il avait complètement oublié cette histoire, jusqu’à ce qu’on lui présente des photos de l’écrivain, dit-il. Il reconnaît avoir passé la nuit avec lui, mais il ne l’a jamais violé et n’a jamais eu d’arme en sa possession. De sa vie, il n’a jamais été mis en cause pour une histoire sexuelle.»

Malgré les dénégations de Reda, le Parquet requiert sa mise en détention provisoire. La juge des libertés va dans le même sens et, de manière surprenante, cite dans son ordonnance la parution du livre comme une circonstance aggravante justifiant le placement en détention:

« La détention de X (…) constitue l’unique moyen de mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public qu’a provoqué l’infraction en raison de sa gravité, des circonstances de sa commission, de l’importance du préjudice qu’elle a causé, en ce que la qualification vise un viol sous la menace d’une arme; que l’une des victimes est écrivain et qu’à l’occasion de la sortie de son dernier roman « Histoire de la violence » sous la signature d’Edouard Louis se sont trouvés évoqués publiquement à nouveau ces faits dont les conséquences préjudiciables ont pu être réactualisées, alors que le mis en cause est interpellé plusieurs années après les faits mais au moment de la parution du roman.»

Plus prudente, la Cour d’Appel de Paris, saisie par les avocats de Reda, confirmera la mise en détention, mais sans reprendre l’argument de la parution du livre d’Edouard Louis.

« En France, mieux vaut ne pas être violé quand on est pédé! »

Autre bizarrerie dans cette affaire, l’inertie des services de police trois ans durant. Riahd B., le vrai nom de Reda, était tout sauf un inconnu. Déjà condamné pour des faits de vol, il avait été incarcéré plusieurs mois en 2014. Aucun lien n’avait pourtant été établi à ce moment-là avec la plainte déposée par Eddy Bellegueule. «En France, mieux vaut ne pas être violé quand on est pédé !, s’emporte Emmanuel Pierrat, l’avocat d’Edouard Louis. La justice et la police se réveillent quand une histoire de viol devient un best-seller.»

La pierre angulaire du dossier repose maintenant sur cette question : les éléments disséminés dans Histoire de la violence permettent-ils l’identification de Reda? J.D. dit avoir reconnu son ami dès les premières lignes: «son nom, mais aussi sa description physique, sa façon de parler, son orientation sexuelle, le quartier où il traîne, ses origines kabyles.»

Accusations balayées par Me Pierrat : «Reda est un des dix prénoms les plus donnés dans le monde maghrébin pour les garçons de cette génération ! Louis délivre dans son ouvrage les mêmes éléments que ceux qu’il a donnés aux policiers. Aujourd’hui encore, personne ne sait qui est Reda: dans les documents judiciaires qui nous ont été transmis, il est présenté sous trois identités différentes.»

Sollicités par «L’Obs», Thomas Ricard et Matthieu de Vallois, les avocats de Riahd B., n’ont pas souhaité réagir.

Vérité littéraire et vérité judiciaire

Au-delà de l’identification d’un personnage réel dans une œuvre littéraire, se pose surtout la question du respect de la présomption d’innocence. Dans «Histoire de la violence», Edouard Louis présente Reda comme son violeur. Pour l’heure, c’est une vérité littéraire. S’accordera-t-elle avec la vérité judiciaire, c’est-à-dire le jugement qui tranchera cette histoire?

Voici en tout cas la partie civile Eddy Bellegueule devant composer avec l’écrivain Edouard Louis. Lequel, énième paradoxe, explique dans son ouvrage qu’il n’avait pas eu l’intention de porter plainte:

« Je pensais J’ai peur de la vengeance (…) et j’ajoutais (…) que c’était pour des raisons politiques que je ne voulais pas porter plainte, que c’était à cause de ma détestation de la répression (…), parce que je pensais que Reda ne méritait pas d’aller en prison»

Puis : « je disais seulement que je ne voulais pas que cette histoire s’étire sur les mois à venir, j’expliquais qu’une procédure me forcerait à me répéter encore et encore, que ce qui s’était passé deviendrait d’autant plus réel.»

Etrange immixtion de la réalité dans un romanesque qui n’en manquait déjà pas, comme si, se poussant du col, elle venait réclamer la part de lumière qui lui était due. Etrange confusion aussi, un livre devenant potentiellement un élément à charge – ou à décharge – dans une instruction pénale.

David Le Bailly

Les romanciers peuvent-ils encore s’inspirer de personnes réelles?

Par ailleurs, autour d’Edouard Louis

> PORTRAIT. Les illusions éperdues d’Edouard Louis

> VIDEO. Que vaut l' »Histoire de la violence » d’Edouard Louis?

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> Qui est vraiment Eddy Bellegueule ?

> Eddy Bellegueule, le mépris de classe et le « fact-checking » littéraire

> « C’est toi, le pédé ? », par Didier Eribon

> Un cas intéressant d’endogamie intellectuelle, par Pierre Jourde

> Polémique entre Marcel Gauchet et Edouard Louis

> « Je voulais venger ma race » : grand entretien avec Annie Ernaux

VIDEO. Que vaut l' »Histoire de la violence » d’Edouard Louis?

Les 1ères pages de « Histoire de la violence »

Histoire de la violence publié par seuil

Renaud Lavillenie en cinq sauts victorieux

BEST OF.

Renaud Lavillenie a conquis cette nuit son deuxième titre de champion du monde en salle de saut à la perche. Le Français s’est imposé à Portland (Oregon, USA) avec un saut à 6,02m, le dix-huitième de sa carrière au-dessus de la barre des 6,00m.

L’occasion de revenir sur une carrière couronnée d’or. De son premier record de France à Leiria (Portugal) en 2009 à son record du monde sous les yeux de Serguei Bubka, en passant par son titre olympique aux JO de Londres, rétrospective de sa carrière en cinq sauts qui ont bâti sa légende.

Code du travail : à l’Assemblée, la majorité prépare un autre compromis

C’est un second compromis qui se prépare. Alors que la nouvelle mouture du projet de loi de réforme du code du travail doit être adoptée mercredi en Conseil des ministres, les députés socialistes préparent déjà la prochaine étape : celle des amendements. «Le gouvernement a compris qu’il fallait laisser du mou aux parlementaires, explique le socialiste Christophe Sirugue, futur rapporteur du texte à l’Assemblée nationale. Ma ligne de conduite n’est pas de démolir le texte mais d’entendre ce que disent mes collègues du groupe.» Dans un rôle de «démineur», dit-il, le député de Saône-et-Loire multiplie les rendez-vous avec Matignon et le ministère du Travail pour préparer la discussion parlementaire qui débutera fin mars-début avril en commission des affaires sociales.

Lundi, devant la presse, Manuel Valls s’est montré «évidemment» ouvert à «des évolutions» au Parlement. Mais le Premier ministre a tracé les lignes jaunes : députés et sénateurs pourront modifier le texte dans un «souci de […] juste équilibre» entre «dialogue social» d’un côté et «souplesse» et «compétitivité» pour les entreprises de l’autre. La bataille entre le gouvernement et sa majorité devrait ainsi porter sur l’article concernant les licenciements économiques. Ce fameux «30 bis», arrivé au dernier moment dans l’avant-projet de loi sous la pression du ministère de l’Economie. S’ils étaient demandeurs au départ d’un «retrait» de ce passage du texte, les députés socialistes de la commission des affaires sociales devraient désormais discuter d’une batterie d’amendements pour restreindre la définition du licenciement. Ils vont ainsi proposer que le motif du licenciement d’un salarié refusant un accord de maintien dans l’emploi reste «économique» et non pas «personnel» comme le propose le nouveau texte. Ils veulent également renforcer le rôle du juge et trouvent «trop floue» la définition donnée d’une «dégradation de la situation économique et financière». Ils comptent également élargir le périmètre de cette définition, aujourd’hui limitée à la France, et regarder les résultats économiques de l’entreprise «au moins» à l’échelle européenne si ce n’est mondiale. Problème : Matignon ne veut pas toucher à ce périmètre, casus belli pour le Medef.

Par ailleurs, des signaux aux TPE-PME devraient aussi être envoyés. «Elles ont un vrai problème de complexité administrative, souligne Sirugue, des procédures lourdes, pas sécurisées. On va faire des propositions.» Le futur rapporteur compte également «muscler» le compte personnel d’activité et fait la liste des sujets que ses collègues vont vouloir porter dans la discussion parlementaire. L’ex-ministre Benoît Hamon va ainsi tenter une nouvelle reconnaissance du burn-out dans la loi. A l’aile gauche du PS, on veut porter – notamment – des amendements pour «lutter contre le salariat déguisé dans l’économie numérique», fait savoir le député de la Nièvre, Christian Paul. Après avoir auditionné cette semaine les responsables de FO, de la CGT, de l’Unef, de l’UNL et des professeurs en droit du travail, ces députés socialistes qui appellent toujours à un retrait du projet de loi pour «le réécrire» devraient présenter, en début de semaine prochaine, leurs propositions pour «une autre réforme».

Lilian Alemagna

Pub commerciale sur Radio France : le CSA d’accord mais sous conditions

Le CSA s’est dit d’accord pour la diffusion de publicités commerciales sur les antennes de Radio France, mais a réclamé davantage de garde-fous et souhaité que l’absence de publicité sur France Culture, France Musique et FIP, soit inscrite noir sur blanc, dans un avis publié mercredi.

Le gouvernement avait soumis au CSA un projet de décret qui doit ouvrir les stations de Radio France à toutes les publicités de marques commerciales, mais en réduisant le temps de publicité à l’antenne.  Une petite révolution pour les auditeurs, car depuis 1987, les radios publiques ne pouvaient diffuser que des messages de «publicité collective ou d’intérêt général» (grandes causes, groupe publics, mutuelles…). 

Le texte autorisera Radio France à accueillir tous les annonceurs sauf les promotions de la grande distribution et les boissons alcoolisées de plus de 1,2 degré. La publicité sera plafonnée à 17 minutes par jour en moyenne annuelle par station, au lieu du plafond actuel de 30 minutes. Les radios commerciales peuvent elles diffuser environ 12 minutes par heure.

Dans cet avis, le Conseil supérieur de l’audiovisuel préconise quelques limites supplémentaires : notamment, que les publicités sur Radio France soient précédées d’un jingle spécifique et que la durée de chaque séquence de pub n’excède jamais 1mn30. Il recommande en outre que le gouvernement fixe un pourcentage maximal des recettes pour un seul annonceur, afin d’éviter qu’une marque n’occupe trop d’espace sur les ondes. Autre recommandation, fixer une durée maximum pour les messages diffusés dans le cadre de partenariats, dont ceux liés à des événements culturels et sportifs. 

Radio France devra aussi, suggère le CSA, contrôler plus précisément la durée de ses diffusions publicitaires et lui transmettre un relevé mensuel.  Il demande enfin le réexamen du dispositif dans les deux ans, pour évaluer l’impact sur l’économie du secteur. Un souhait des radios privées, inquiètes de cette concurrence sur un marché publicitaire radio en recul.  En revanche le CSA ne demande pas, comme le voulaient les radios privées, un plafonnement des recettes publicitaires de Radio France.

Pour éviter que de nouvelles publicités «ne déconcertent les auditeurs», le CSA demande de «préserver le confort d’écoute du public». La publicité représente 6% du budget de Radio France soit 42 millions attendus en 2016 sur un budget total de plus de 690 millions, avec un déficit de 16,5 millions. 

AFP

Etats-Unis : un ancien espoir du baseball raccroche, écoeuré par les insultes homophobes

Un ancien espoir de l’équipe de la Ligue majeure de baseball (MLB) des St Louis Cardinals Tyler Dunnington a mis un terme à sa carrière en 2015 parce qu’il est gay et ne supportait plus les insultes homophobes de coéquipiers et entraîneurs, a-t-il révélé mercredi.

«J’étais l’un de ces malheureux sportifs gays qui gardaient leur secret et qui ont été confrontés à l’homophobie dans le sport qu’il aimait», a écrit Dunnington dans un courrier à Outsports, un site internet qui couvre les questions homosexuelles dans le sport, amateur et professionnel. Dunnington, 24 ans, avait été choisi par les Cardinals lors de la Draft 2014: St Louis l’a ensuite envoyé s’aguerrir dans un championnat secondaire avec l’une de ses équipes affiliées, le GCL Cardinals en Floride.

Après une saison, il a décidé à la surprise de sa famille et ses amis à qui il n’avait pas révélé qu’il était homosexuel, de mettre un terme à sa carrière, sans donner de raisons. «J’ai été confronté à des remarques de coéquipiers et d’entraîneurs qui se disaient prêts à tuer des gays, et chacune de ses déclarations était comme un coup de couteau au coeur pour moi», a-t-il expliqué. «J’étais malheureux alors que je pratiquais le sport que j’adorais, j’ai finalement décidé que je devais arrêter de jouer pour sauver ma santé mentale», a souligné Dunnington.

«Je veux non seulement partager mon histoire, mais aussi m’excuser de ne pas avoir utilisé alors mon statut pour changer les choses, abandonner n’est pas la meilleure façon de répondre à l’adversité et j’admire les athlètes qui agissent en pionniers», a-t-il conclu. Les St Louis Cardinals ont indiqué dans un communiqué qu’ils allaient diligenter une enquête interne: «C’est très decevant et nous espérons que chaque joueur, chaque dirigeant, chaque employé sente qu’il est traité de manière égale et juste», ont-ils indiqué. Aucun joueur de MLB n’a jamais ouvertement reconnu qu’il était homosexuel.

AFP

« Les Ogres » : un film époustouflant sur un théâtre ambulant

Les ogres ont faim. De vie, de nourritures puissantes, de paysages, de public nombreux, de grands textes, de musiques cuivrées, de chamailleries, d’amitié et d’amour. Les ogres sont braillards, échevelés, négligés, mal fagotés, éruptifs, impudiques, idéalistes. Ils font peur à une société où tout est si petit. Et puis les ogres ne tiennent jamais en place. Précédés par des parades bon enfant, ils vont en caravane de ville en ville, à la bordure desquelles ils n’en finissent pas de planter et déplanter leur chapiteau. Ils empruntent à la fois au cirque à l’ancienne et au théâtre itinérant. Ce sont, en somme, des comédiens circassiens, des acrobates tchékhoviens, qui font, sans filet, de la voltige avec « l’Ours », du trapèze avec « la Noce » et des sauts périlleux avec « Platonov ».

Ils aiment tellement jouer la comédie qu’ils ne peuvent pas s’empêcher de transformer leur existence chaotique en perpétuelle tragi-comédie : les vieux couples s’adorent et se déchirent, les larmes succèdent aux rires, les grands enfants vexés quittent la troupe sans se retourner, les grossesses sont malmenées par les kilomètres, les roulottes ne protègent plus aucun secret, les haltes dans les bistrots donnent lieu à des batailles rangées (à base de semoule) avec les autochtones, et les caisses de la troupe sont presque toujours vides.

Adèle Haenel, lumineuse

C’est infilmable, et pourtant Léa Fehner l’a filmé. Caméra portée et en mouvement, épousant jusqu’au tournis la piste circulaire à 360°, faisant la part belle aux improvisations, et semblant toujours pressée de prendre son temps (deux heures et demie !), la jeune réalisatrice de « Qu’un seul tienne et les autres suivront » signe un deuxième film époustouflant. Où tout est dit de la candeur et de la ferveur de ces pèlerins du théâtre que rien n’arrête dans leur course folle ; de la puissance et de la fragilité de ces familles recomposées qui vivent en autarcie et dans la précarité, mais ont la fierté de leur art.

Elle-même enfant de la balle, Léa Fehner, 34 ans, n’a pas craint d’embarquer dans l’aventure ses propres parents, François Fehner et Marion Bouvarel, qui ont fondé il y a vingt ans un théâtre ambulant, L’Agit, et qui règnent ici sur une troupe imaginaire dans laquelle la lumineuse Adèle Haenel se fond comme si elle avait grandi sur les routes.

Alors bien sûr, les raisonneurs, les culs-pincés, les curistes, les sédentaires, les fans de cinéma congelé et les abonnés des salles en velours rouge trouveront ces ogres trop exubérants, trop rabelaisiens, trop felliniens, trop hurleurs, trop partageurs, trop généreux. Mais on les plaint. Ils sont déjà morts, et Léa Fehner est vivante. Applaudissements.

Jérôme Garcin

♥♥♥♥ « Les Ogres« , par Léa Fehner. Comédie dramatique française, avec Adèle Haenel, Marc Barbé, Lola Dueñas, François Fehner (2h25).

Atwood, Montero, Le Guin: les grands hommes de la SF sont des grands-mères

Bruna Husky n’a que dix ans à vivre. C’est une androïde qui, contrairement à ces «lents et lourds pachydermes» d’humains dont l’existence s’étire interminablement, possèdela longévité d’un papillon dans un corps de brute épaisse.

Présentement, la belle Bruna cherche à quitter la Zone Zéro, une banlieue du monde où vivent des classés qui ne peuvent se permettre de résider dans les Zones Vertes, moins polluées. En Zone Zéro, l’air est gorgé de sulfure et d’oxyde, un cocktail qui vous crame les poumons s qu’on met le nez dehors. Les sous-hommes qui peuplent cette charge à ciel ouvert aimeraient bien fuir, mais une paroi en méthacrylène renforcé les dissuade de tenter quoi que ce soit de ce genre.

Science-fiction, ton univers impitoyable. Tes robots, tes extraterrestres, tes mutants. Tes romans aux couvertures colorées, où Martiens sanguinaires et araignées géantes semblent s’être donné le mot pour envahir la Terre et asservir l’Humanité. Tes auteurs à l’imagination impayable, toujours prêts à inventer des mondes – H.G. Wells, Ray Bradbury, Stanislas Lem (le romancier de «Solaris»), pour n’en citer que quelques-uns. Tous des hommes ? Pas du tout. Si vous imaginez que, pour écrire un roman SF, il faut être un type chauve, collectionner des figurines R2-D2 et regarder sans fin des vidéos de tarentules géantes, vous vous trompez. Les grands hommes dela science-fiction, aujourd’hui, sont des femmes et elles sont en âge d’être grand-mères.

Prenons Rosa Montero. L’auteur du «Poids du cœur», deuxième tome du cycle Bruna Husky qui vient de paraître en France, est une élégante Madrilène de 65 ans, collaboratrice du quotidien «El País» qui, quand la nuit tombe, imagine des «technos de combat», des «guerres robotiques» et toute une panoplie de gadgets futuristes à faire saliver le professeur Q de James Bond.

Mais où va-t-elle donc chercher tout ça? «J’ai toujours aimé la science-fiction, répond-elle. J’ai commencé à lire Jules Verne et H. G. Wells quand j’étais enfant. J’ai publié mon premier roman de science-fiction, “Temblor”, il y a vingt-cinq ans.» Parmi ses influences, Rosa Montero cite Asimov, Clarke, Lem, Bradbury, Philip K. Dick, Ballard ou Gibson (que des messieurs !), mais aussi celle qu’elle tient pour l’une des grandes romancières du XXe siècle, Ursula Le Guin.

La « fiction spéculative »

Fille de zoologue née dans l’Ontario, Margaret Atwood a grandi dans les forêts du Canada. Savoir reconnaître les empreintes d’un loup ou d’un écureuil ne la prédisposait nullement à remporter le prix Arthur C. Clarke (la récompense la plus prestigieuse en matière de littérature de science-fiction anglo-saxonne) pour le livre qu’elle a publié en 1985, «la Servante écarlate», un roman qui s’est vendu depuis à des millions d’exemplaires dans le monde.

L’histoire ? Celle deDefred, une femme vêtue de rouge qu’une dictature asservit, l’obligeant à procréer pour assurer la survie du genre humain, sans que celle-ci puisse faire valoir son droit au sir et à la séduction. Dans cette république gouvernée par une confrérie de fanatiques, les femmes sont une espèce en voie de disparition. Une fable qui a fait bondir les ultrareligieux dont certains ont jugé le roman «antichrétien et pornographique».

L’auteur confie, du reste, que son livre a toujours excité les dingos en tous genres: «Le roman a été banni de certains lycées. Des lecteurs m’ont envoyé des photos de leurs tatouages empruntés à des phrases du livre. Certains se guisent en servante écarlate pour Halloween. Je n’avais rien imaginé de tout cela en l’écrivant.»

Peut-être, mais, à 76 ans, Margaret Atwood est l’une des figures majeures dela littérature de science-fiction. Un mot qui lui plaît du reste: elle préfère parler de«fiction spéculative». Militante écologiste, fervente utilisatrice de Twitter (avec un million d’abonnés au compteur), Margaret Atwood explique qu’elle a beaucoup lu, dans les années 1940 et 1950, les œuvres de Huxley, Orwell, Bellamy, Bradbury.

Margaret Atwood (Pascal Saez/Sipa)

Quand elle commence à écrire «la Servante écarlate», au printemps 1984, la romancière se trouve à Berlin-Ouest. Le mur de barbelés qui sépare l’Est et l’Ouest semble tout droit sorti d’un de ces romans dont elle raffole. Pas besoin de voyages interplanétaires pour entrevoir des royaumes fantastiques: notre barbare XXe siècle constitue, pour Margaret Atwood, une matrice romanesque que H.G. Wells fut l’un des premiers à ensemencer.

La SF, un club masculin ?

Si les mondes étranges que crivent Atwood et Montero sont froids, inquiétants, inhumains, c’est aussi qu’ils annoncent les sordres écologiques de notre époque. Sur les ruines de l’utopie, la barbarie techno-informatique exerce un pouvoir qui ne laisse aucune place à la singularité affective.

Dans «la Servante écarlate», l’amour est un penchant criminel, et la tristesse, dans «Des larmes sous la pluie», le roman de Rosa Montero, apparaît comme un inutile et dangereux «luxe émotionnel». C’est Nopal qui, dans le livre, a forgé de toutes pièces la cybernétique Bruna, mais il a enfreint toutes les règles: il a doté sa dernière création de ses propres souvenirs, quand les autres n’ont droit qu’aux émotions de base. «Pauvre Husky: parce qu’il s’agissait de sa dernière œuvre, elle avait reçu le cadeau empoisonné de sa douleur.»

On a compris que la science-fiction était loin d’être un club exclusivement masculin. L’une des pionnières du genre, Ursula Le Guin, a influencé des générations d’auteurs des deux sexes avec son cycle de «Terremer» ou son livre le plus célèbre, «la Main gauche dela nuit», paru en 1969. Fille d’un célèbre anthropologue, Ursula Kroeber naît à Berkeley, en Californie, et passe ses étés dans un ranch que son père avait acheté à Napa Valley.

« C’était à la fin des années 1930, raconte-t-elle. Il y avait des réfugiés arrivant de partout, des gens du monde entier. C’était très contracté.» Ursula lit avec passion «le Rameau d’or» de Frazer, rédige vaillamment une thèse sur la poésie de Ronsard, semble promise à une très ennuyeuse carrière professorale. C’est qu’elle les aime, les universitaires. Elle en épouse même un, professeur d’histoire à l’université de Portland, qu’elle rencontre sur le «Queen Mary», lors d’un voyage transatlantique. Ursula devient ainsi Mme Le Guin.

Fait étrange, l’université a toujours été un vivier pour les romanciers de science-fiction. A commencer par Tolkien, ce philologue pur et dur qui, lorsqu’il ne préparait pas ses cours sur les sagas islandaises écrites en vieux norrois, lançait ses créatures terrifiantes à l’assaut de Minas Tirith dans «le Seigneur des anneaux».

La gent féminine a-t-elle marqué la science-fiction d’une empreinte particulière? Pas pour Margaret Atwood: «Affirmer que la science-fiction est un genre plutôt masculin ou plutôt féminin reviendrait à sous-entendre que tous les hommes écrivent dela même façon, que les romancières disent toutes la même chose. Tout ce qu’on peut reconnaître, c’est que les auteurs masculins de science-fiction, au XXe siècle, ont toujours pris un malin plaisir à shabiller leurs pulpeuses héroïnes – mais quoi de neuf sous le soleil ?»

La différence, si différence il y a, avec les romanciers mâles, tient peut-être dans ce que, chez les dames, les explorations futuristes sont davantage l’occasion d’une réflexion sur la société humaine et son organisation qu’un bourre-pif généralisé à la «Mad Max». Dans «la Main gauche dela nuit», Ursula Le Guin explore une planète gelée, semblable au no man’s land glacé filmé par Christopher Nolan dans «Interstellar». Les habitants y sont asexués, sauf pendant leur poussée hormonale qui, au gré du hasard, les transforme tous les mois en homme ou en femme. Dans les années 1970, le roman fait l’effet d’une bombe. Et il alimentera, aux Etats-Unis, la réflexion post-gender qui renvoie l’antique distinction homme-femme au rang de vieillerie obsolète.

Aujourd’hui trois fois mère et trois fois grand-mère, Ursula Le Guin réside à Portland, dans une maison victorienne, avec son chat. Pour l’aventure, vous repasserez. Sans doute s’est-elle toujours passionnée pour les philosophies orientales, mais, comme Philip K. Dick (les deux étaient dans la même classe au collège), elle n’a pour ainsi dire jamais quitté son bled.

Ce qui n’a pas empêché Ursula delaisser galoper son imagination au fil d’une centaine de livres, au bas mot. Sa passion pour le fantastique, comme celle de Margaret Atwood, a contribué à populariser le genre, et surtout à le faire accepter, dans les milieux intellectuels, comme un domaine à part entière, aussi digne d’intérêt que la fiction classique. «Quand je raconte les aventures de Bruna Husky, confirme Rosa Montero, je m’inspire surtout des auteurs que j’aime, de Nabokov à Borges, de Conrad à George Eliot, de Flaubert à Patricia Highsmith.»

Il est vrai que la romancière espagnole est tout-terrain. Figurez-vous que son précédent livre, «l’Idée ridicule de ne plus jamais te revoir», se roulait dans le Paris des années 1900 ! Elle y racontait la mort de Pierre Curie et la vive douleur de sa femme, Marie. En somme, les sentiments, c’est un sacré voyage aussi – dela science-fiction sans les soucoupes volantes.

Didier Jacob

La science-fiction, un truc de garçons ?

A lire

Le Poids du cœur, par Rosa Montero, traduit par Myriam Chirousse, Métailié, 360 p. , 22 euros.

La Servante écarlate, par Margaret Atwood, traduit par Sylviane Rue Malroux, Robert Laffont Pavillons poche, 546 p. , 11,50 euros.

Tehanu, par Ursula Le Guin, traduit par Isabelle Delord-Philippe, Le Livre de poche, 290 p. , 6,60 euros.

Article paru dans « L’Obs » du 3 mars 2016.

Fusillades à Bruxelles : un suspect tué, une policière française blessée

Un suspect a été tué mardi à Forest (une commune de Bruxelles) lors d’une vaste opération de police franco-belge lancée après une série de fusillades, débutées à la suite d’une perquisition dans le cadre du volet belge de l’enquête sur les attentats de novembre à Paris. Quatre policiers, dont une française, ont été légèrement blessés au cours d’un échange de tirs qui a débuté vers 15 heures.

Le ministre belge de la Justice s’est exprimé au cours d’une conférence de presse débutée peu après 21 heures, alors que les opérations se poursuivaient alors encoredans la chaussée de Neerstalle, toujours à Forest, d’après la RTBF. «Nous avons sans doute eu beaucoup de chance, avec quatre blessés légers, car cela aurait pu être un drame», a déclaré le Premier ministre Charles Michel au cours de ce point presse. «L’enquête se poursuit activement, de jour comme de nuit, et il n’est pas possible de donner davantage de précisions actuellement afin de ne pas nuire à l’enquête» précise un communiqué du parquet fédéral, qui signale qu’une nouvelle conférence de presse aura lieu ce mercredi à 10h30.

Revenons sur les faits. Vers 16h45, d’autres coups de feu sont tirés, selon la RTBF, à travers la porte de l’habitation que la police était venue perquisitionner, et où un individu s’était retranché. Un quatrième policier a été touché lors de cette deuxième fusillade. L’individu à l’origine des coups de feu a été tué arme à la main lors d’un assaut donné vers 18h20, ont rapporté les médias belges, citant le parquet fédéral belge. Son identité n’a pas encore été dévoilée, mais on sait d’ores et déjà qu’il est soupçonné d’être lié à la mouvance jihadiste. Selon BFMTV, cette personne était connue des services de police. 

Selon Le Soir, un deuxième homme s’était parallèlement retranché dans un terrain vague situé non loin de l’habitation. La police avait encerclé les lieux, où un chien policier muni d’une caméra avait été envoyé pour une inspection. Le Soir avait précisé plus tôt que «les forces policières [étaient] incapables de déterminer si elles [avaient] ou non affaire à plus de deux agresseurs». Le bourgmestre de Forest, Marc-Jean Ghyssels avait lui aussi déjà indiqué qu’il était impossible à ce stade de connaître précisément le nombre des tireurs, dont certains pourraient par ailleurs être actuellement en fuite, ni leur identité potentielle, ni le type d’armes utilisées. D’après La Dernière Heure deux suspects avaient pris la fuite par les toits des habitations après la première fusillade. Pour l’heure, on ne sait pas si ces personnes évoquées à l’époque par le quotidien belge sont les deux hommes cernés plus tôt par la police, ni si un ou deux autres suspects sont toujours en fuite.

La perquisition ne concernait pas Salah Abdeslam

Située non loin du quartier populaire de la gare du Midi de Forest, la rue Dries, où la fusillade a éclaté dans l’après-midi, a rapidement été fermée à la circulation, aux transports en commun, et le quartier bouclé. Un périmètre de sécurité a été mis en place. L’école et la crèche situées dans la même rue ont été bouclées, avec les élèves à l’intérieur, en sécurité selon le cabinet du bourgmestre de Forest, cité par Le Soir, lequel indiquait avoir débuté l’évacuation des autres écoles et crèches pas directement situées dans la rue Dries vers 19 heures. Un important dispositif policier franco-belge avait déjà été déployé, selon les ministres de l’Intérieur français et belge Bernard Cazeneuve et Jan Jambon, et un hélicoptère sillonnait les alentours.

Onze personnes ont été inculpées à ce jour en Belgique en lien avec les attaques qui avaient fait 130 morts et des centaines de blessés à Paris et Saint-Denis le 13 novembre 2015. L’enquête a montré que ces attentats avaient largement été préparés et coordonnés depuis Bruxelles. Huit de ces onze inculpés sont toujours en détention provisoire. Un suspect clé, Salah Abdeslam, originaire de la commune bruxelloise de Molenbeek, n’a jamais été appréhendé. Le Français serait resté caché du 14 novembre au 4 décembre dans un appartement de Schaerbeek, en région bruxelloise, avait rapporté mi-février La Dernière Heure.

Les autorités belges ont cependant précisé mardi que la perquisition franco-belge organisée cet après-midi rue Dries ne concernait pas Salah Abdeslam. Celle-ci avait été organisée sans renfort particulier, car les policiers franco-belges ne s’attendaient pas forcément à trouver des personnes dans l’appartement visé, réputé vide, selon la RTBF, et visait «l’entourage d’un ou plusieurs» des onze hommes déjà inculpés en Belgique, selon une source policière française; citée par l’AFP. Mardi soir, le parquet fédéral belge a précisé que l’homme retrouvé mort dans l’habitation n’était pas Salah Abdeslam. 

LIBERATION

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