La principale fédération de parents d’élèves, la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), a publié une note alarmante sur le score catastrophique des établissements scolaires français dans le classement de l’indiscipline en classe mené dans l’OCDE. Le programme Pisa, sur lequel s’appuie cette note, classe la France avant-dernier (juste devant la Tunisie) sur les 72 pays de l’OCDE étudiés. Le Japon, à l’inverse, est premier. « Champions de l’indiscipline ! » titre jeudi Le Parisien. Le Point.fr a soumis ces chiffres à Béatrice Sabaté, représentante en France de la Discipline positive et porte-parole des travaux de sa fondatrice, Jane Nelsen.
Le Point.fr – Comment expliquez-vous que nous soyons au fond du classement, en 71e position ?
Béatrice Sabaté – Cela fait des siècles que l’on utilise dans le contexte scolaire et familial la punition comme un outil d’exercice de son autorité. Et cela fonctionne ! Mais selon Jane Nelsen et la discipline positive*, la punition va générer de la rébellion, du retrait, du ressentiment et de la revanche. Ce sont les quatre « R » de la punition. On met l’élève dans un espace qui n’est pas forcément propice aux apprentissages. D’ailleurs, le sentiment d’injustice chez les élèves les conduit à se retourner contre l’institution, à la violence.
La punition va générer de la rébellion, du retrait, du ressentiment et de la revanche
En France, on est prompt à remarquer ce qui ne fonctionne pas et à le montrer du doigt plutôt qu’à encourager un comportement attendu. On pense que c’est normal, et que valoriser un élève pour cela serait lui faire prendre le risque de le voir faire ensuite n’importe quoi. « Avoir les chevilles qui enflent », ou « avoir la tête comme un ballon », même nos expressions populaires disent que l’on a besoin de travailler le muscle de l’encouragement en France. On a besoin de partir des 85 % des choses qui fonctionnent chez nos élèves plutôt que de se centrer sur les 15 % restants. Un changement de regard est nécessaire.
La discipline positive rend les punitions inutiles
Cette étude Pisa dit que seuls 41 % des parents sont allés spontanément discuter avec un enseignant des questions de discipline, alors que la moyenne est à 50 %. Pourquoi y a-t-il un tel désintérêt des familles françaises ?
Il y a des parents qui pensent que ce qui se passe à l’école doit rester à l’école. Et puis je crois qu’il y a aussi énormément de parents qui ont peur que ça retombe sur leur enfant s’ils montent au créneau. Donc ils préfèrent ne rien faire plutôt que de prendre ce risque. Et puis il y a aussi des parents, et cela m’attriste, qui sont en ligne avec le fait que lorsqu’un enfant a un comportement inapproprié, il doit payer pour cela. Le premier stress chez les élèves du collège en zone prioritaire avec lesquels j’ai travaillé l’an passé, c’était : « Si j’ai un mot dans mon carnet, je vais me faire punir à la maison. » Il y en a qui ont double dose. Certains établissements parlent de « coéducation », c’est-à-dire qu’ils attendent que les parents fassent écho aux punitions données à l’école. Plutôt que de basculer en recherche de solutions, c’est-à-dire chercher ce qui va aider l’ado à faire autrement la prochaine fois, à ne pas reproduire un comportement inapproprié. Alors qu’il existe la discipline positive et la justice réparatrice.
Qu’est-ce que la discipline positive ?
Il s’agit d’une démarche qui s’appuie sur trois axes, la prévention, l’intervention et la réparation. Concrètement, cela consiste à poser des actions éducatives et réparatrices. Ce n’est pas tant de supprimer les punitions, c’est de les rendre inutiles par l’enseignement des compétences émotionnelles et civiques.
C’est important que l’élève se sente mieux avant de faire mieux
C’est remettre le socle de notre système éducatif en cause ?
La punition est en effet une notion culturelle assez ancrée chez nous, qui fait que l’on doit payer pour ce que l’on a fait. Le mot punition vient du latin « punitio », peine. Alors qu’en discipline positive, c’est un changement de paradigme. On va dire que c’est important que l’élève se sente mieux avant de faire mieux. Les incidents qui arrivent en classe sont des opportunités d’apprentissage. Par les études en neurosciences, on sait aujourd’hui que les fonctions cérébrales se développent mieux dans un environnement non-répressif. La punition, ça marche, mais ça n’enseigne rien. Or que peut-on faire à la place lorsqu’on a toujours appris à punir pour maintenir son autorité ? Alors nous, nous gardons les mêmes objectifs, mais la façon d’accompagner l’élève va être encourageante.
Il faut sortir de la grille tarifaire « mâcher un chewing-gum, une heure de colle »
Mais la punition est-elle si mauvaise ?
Parce que l’on punit à chaud ! La croyance veut que si je ne ne pose pas un acte tout de suite, je vais perdre le reste de ma classe et ne pas montrer l’exemple. Or, être à chaud, c’est être hors de soi. Le psychiatre américain Daniel Siegel a démontré ce qui se passe dans le cerveau lorsque l’on perd son calme : il y a une déconnexion entre les émotions et la capacité à les gérer. Du coup, je ne suis pas en mesure de réfléchir de façon rationnelle, c’est physiologique et c’est valable pour tout le monde. Quand je suis hors de moi, et que j’ai peur de perdre le groupe, je punis. La punition, il est rare qu’on la donne à froid. Alors qu’il faut prendre le temps de reconnecter pour, à ce moment-là, poser des actions éducatrices et réparatrices.
Et puis il faut sortir de la grille tarifaire « mâcher un chewing-gum, une heure de colle, un retard, un manquement, etc. », parce que sinon on ne peut pas utiliser l’incident dans son contexte pour en faire une opportunité. Et ça change le regard que l’on porte sur l’erreur. Parce que ce que l’on en tire, ce sont des fins à l’action. La culpabilité, le remord, la honte. Difficile alors de faire de cette erreur une opportunité de progression. Il faut en France commencer par réévaluer notre rapport à l’erreur. Cela va de pair avec cette discipline à l’école qui a besoin de basculer dans l’éducatif et de ne pas rester dans le punitif. C’est comme ça qu’on donnera des ailes à nos élèves.
On peut avoir des contextes répressifs dans lesquels l’élève a un accès plus difficile au savoir
Le programme Pisa relève que la France est un élève effroyable en matière de discipline et que les résultats scolaires plongent. Mais le Kazakhstan, droit sur son banc en matière de comportement, rafle le bonnet d’âne en acquisition de connaissances. Comment expliquez-vous ces écarts entre discipline et excellence ?
Ce qui pourrait expliquer cette différence de résultats, c’est que lorsque je perds mon calme, il y a une déconnexion entre mes émotions et ma capacité à les gérer. Je suis alors dans ma zone limbique et non dans le cortex préfrontal où se trouvent les fonctions qui me permettent d’apprendre. Dans un espace très discipliné – vous pouvez avoir une classe où vous n’entendez pas une mouche voler – les élèves peuvent être dans la crainte et donc être déconnectés de leurs fonctions supérieures qui leur permettent d’avoir accès au savoir. Donc on peut avoir des contextes répressifs dans lesquels l’élève a un accès plus difficile au savoir, qui est favorisé par un environnement bienveillant et encourageant.
Comment améliorer notre score ?
Je pense que la violence scolaire qui se développe dans certaines zones d’éducation va nous obliger à basculer vers un autre système. Parce qu’on sait aujourd’hui que la répression et la punition font le lit de cette violence. Je crois que c’est grâce à nos élèves que nous allons pouvoir évoluer.
École : « Les champions arrivent à concilier discipline et indiscipline »
Ingénieur civil en mathématiques appliquées, essayiste, enseignant à Centrale Paris et à Louvain, Luc de Brabandere pose le paradoxe de l’éducation.
« Il y a en France une grande créativité. Le Minitel est né chez vous, le TGV, je suis un homme d’industrie. Mais il n’y a peut-être pas cette compétence d’encadrer la créativité dans de la rigueur, la discipline, pour la transformer en innovation. Et je crois que le vrai défi de l’enseignement, c’est d’apprendre la discipline et l’indiscipline. C’est-à-dire la nécessité du cadre comme outil de créativité. Si on regarde la littérature, le théâtre, la musique, ce sont des exemples de rigueur. Un alexandrin contraint à une discipline terrible mais cela conduit des auteurs à produire des textes extraordinaires. D’ailleurs, Victor Hugo a décrit la difficulté de l’alexandrin : »Et je n’ignorais pas que la main courroucée qui délivre le mot délivre la pensée. » Cela montre que lorsque l’on se met des contraintes, de l’ordre, de la discipline, on peut pousser la créativité encore plus loin. Les champions, ce sont ceux qui arrivent à concilier discipline et indiscipline ! Enseignant moi-même, je vois bien la difficulté de délivrer deux messages qui sont dans un premier temps totalement en contradiction. C’est comme la chanson de Jacques Dutronc : « Fais pas ci fais-pas ça ». L’enseignement est un paradoxe perpétuel. La grande équation à résoudre, pour l’éducation, c’est de concilier discipline et indiscipline. Et quel dommage de ne pouvoir discipliner l’indiscipline ! »
« Pensée magique, pensée logique : petite philosophie de la créativité », de Luc de Brabandere (Le Pommier, 208 pages, 9 euros).
*« La Discipline positive pour les parents solos », de Jane Nelsen, Cheryl Erwin, Carol Delzer, adaptation de Béatrice Sabaté et Armelle Martin (éd. du Toucan, 384 pages, 20 euros).
« La Discipline positive pour les adolescents », de Jane Nelsen, adaptation de Béatrice Sabaté (éd. du Toucan, 384 pages, 20 euros).
« La Discipline positive », de Jane Nelsen, adaptation de Béatrice Sabaté (éd. du Toucan, 400 pages, 19,90 euros).