Qui les écoute parfois ? Qui les connaît seulement ? En reprenant leurs chansons, Cyril Mokaiesh rend hommage à ces « Naufragés » que furent Bernard Dimey, Philippe Léotard, Vladimir Vissotski, Stephan Reggiani, Mano Solo, Daniel Darc ou Allain Leprest. Des astres éteints, des êtres cabossés, qu’on dirait maudits, destinés à chanter dans la pénombre. Tôt disparus, pour la plupart.
L’idée de ce disque, urgent, émouvant et de très haute volée, est née de la rencontre de Cyril Mokaiesh, auteur-compositeur-interprète, et du pianiste Giovanni Mirabassi, une pointure du jazz. Les deux hommes se découvrent une passion commune pour Allain Leprest, l’une des plus grandes plumes de la chanson française de ces dernières décennies, un chanteur underground porté à bout de bras par Jean Ferrat, qui le chanta, un écorché comme on n’en fait plus, rebelle au système comme on n’en fait plus non plus. Dans son panthéon des laissés-pour-compte de la chanson, Mokaiesh réserve à cet artiste suicidé il y a trois ans la meilleure place, en interprétant deux de ses chansons : « C’est peut-être » et « Nu », ce texte inouï, le portrait d’un « naufragé de naissance » au « destin biscornu ».
Chansons sombres
Des âmes esseulées, des cœurs ravagés, des silhouettes affectées à la marge faute de mieux, l’album en exhume d’autres. Comme Philippe Léotard, ce vagabond cherchant à se fuir lui-même, et qui se vivait en « poor lonesome piéton ». Comme Jacques Debronckart, un artiste à la carrière éclair et décevante, chez qui Mokaiesh a déniché « Ecoutez, vous ne m’écoutez pas » ou la diatribe d’un homme seul face à l’immensité de ses doutes et la douleur follement aiguë de sa solitude. Comme Mano Solo, le plus « connu » de tous, avec « les Enfants rouges ».
Des chansons sombres, il y en a bien d’autres dans ce disque. Elles le sont d’ailleurs toutes. Mais Mokaiesh et Mirabassi leur donnent à la fois un nouveau souffle et une intensité remarquable. Chacune ouvre sur un auteur, un compositeur, enterré vivant par le système. Ce n’est pas un disque, c’est une autre histoire de la chanson. Une mine d’or.
Sophie Delassein
♦ A écouter : « Naufragés » par Cyril Mokaiesh et Giovanni Mirabassi (Plan simple)