«Il y a un gros gros problème avec Bastien. Donc si vous faites rien du tout, moi je vous le dis tout de suite, je le balance du deuxième étage. Même si je prends 15 ans de prison, je le balance.» Le message, laissé sur le répondeur des services sociaux de Seine-et-Marne, date du 24 novembre 2011. Le lendemain son auteur, Christophe Champenois, enferme son fils Bastien, 3 ans, dans son lave linge, le met en route, et le tue.
Des messages comme celui-ci, des signaux d’alerte et même des signalements officiels, il y en a de très nombreux dans la courte vie de Bastien, mort le 25 novembre 2011 à Germigny-Levêque (Seine-et-Marne). Le petit garçon lui-même, une grosse bosse sur le front, avait expliqué à une assistante sociale : «Papa a fait boum». Réaction immédiate de la travailleuse, poser la question aux parents. Qui nient, de manière assez peu surprenante.
A l’école, Bastien, qui présentait un important retard de langage, grimpait partout, se mettait sans cesse en danger. Les enseignants s’en plaignaient aux parents, qui le punissaient. La veille de sa mort, Bastien a pris le dessin d’une de ses camarades et l’a jeté dans les toilettes. Conséquence, de retour à la maison : enfermé dans le placard, les mains scotchées.
Il est impossible d’écrire tout ce que Bastien a souffert, et tout ce que les adultes ont ignoré, tant les signes de sa détresse, dans la procédure qui mène aujourd’hui ses deux parents devant la cour d’assises de Melun, semblent incessants. Son père, Christophe Champenois, 36 ans, comparaît pour meurtre aggravé. Sa mère, Charlène Cotte, 29 ans, pour complicité. Les services sociaux qui suivaient la famille depuis 2009 ne sont pas inquiétés.
Des chiffres disent un peu du calvaire de Bastien. Entre 2009 et 2011, trois appels au 119 000, le numéro de l’enfance en danger, sont passés le concernant. Une voisine raconte l’avoir vu accroché au rebord de la fenêtre avec une corde, des travailleurs sociaux témoignent anonymement. Sa grand-mère maternelle l’emmène à la maison des solidarités, à Meaux, et explique que son père le bat. Des enseignants font un signalement. Neuf «informations préoccupantes» sont répertoriés dans son «dossier».
De la part des services sociaux, «un accompagnement, pas un contrôle»
Mercredi et jeudi, les représentants des services sociaux viendront détailler à la barre les principes de leur action auprès de la famille. Christine Boubet, la directrice adjointe aux solidarités pour le conseil général de Seine-et-Marne l’a déjà expliqué à Libération en 2011, et redit depuis dans plusieurs médias : «C’est un accompagnement, pas un contrôle.» Lorsque la famille «coopère», selon le vocabulaire employé, on «travaille avec eux». Dans le cas des Champenois, la «coopération» était constatée. Ils «recevaient» régulièrement les assistantes sociales et puéricultrices, des visites dont ils étaient toujours prévenus à l’avance, et les écoutaient poliment. D’autant qu’ils espéraient faire avancer leur demande de relogement social, pour quitter leur appartement insalubre.
Mardi, une partie de la journée a été consacrée à la «biographie» des parents de Bastien. Lui, grand blond carré, en chemise rouge vif, tremble et pleure dans le box dès les premiers mots. La présidente le rabroue, lui conseille de «rester clair, dans (son) intérêt». Il ravale aussitôt ses sanglots, la voix immédiatement neutre. Charlène Cotte, en liberté provisoire après trois années de détention, est petite, en fort surpoids, habillée de noir, un chignon sur le sommet du crâne. Elle a peu de mots : «Mon enfance ? Heureuse», murmure-t-elle. Elle a grandi entre un père alcoolique et une mère dépassée, sixième de huit enfants, cinq de ses frères et sœurs ont été placés. Elle mène une scolarité floue, orientée dans une filière «entretien» alors qu’elle souhaitait «un CAP petite enfance».
Elle ne travaille pas, se met en couple avec Christophe à 15 ans. Une petite fille, Marie (1), naît en 2006. Pour Bastien, en 2008, Charlène explique qu’elle ne s’est pas «rendu compte» de sa grossesse, «peut-être parce que je savais que Christophe ne voulait pas d’autre enfant». Elle dit s’être sue enceinte au moment des contractions. Son compagnon a d’abord refusé de reconnaître Bastien. S’est ravisé, trois jours après.
Un parcours familial tumultueux
Christophe Champenois lui est enfant unique. Son père, alcoolique, est mort d’un délirium trémens lorsqu’il avait sept ans. Il ne l’a «pas su tout de suite» : sa mère lui a dit que son père était «parti». «Tous les jours je me demandais quand est-ce qu’il allait revenir.» Christophe Champenois souffre d’un méningiome, tumeur au cerveau qui, dit-il le «rend nerveux» et le pousse à calmer ses angoisses dans l’alcool et les stupéfiants (cannabis, amphétamines, ecstasy, cocaïne). Il a arrêté tôt les études, occupé différents emplois de chauffeur ou cariste, puis vécu des allocations.
Leur premier enfant, Marie «était sage, on ne l’entendait pas», raconte Charlène Cotte à la barre. «Elle ne s’est pas occupée toute seule mais… c’est un peu ça. Bastien, lui, était un enfant agité, hyperactif. Il avait peur de son père, qui le frappait. Il a mis du temps à parler, à marcher. Pour se faire comprendre, il se faisait voir. Il faisait une petite bêtise, il ouvrait un placard ou jetait un jouet, pour dire « Coucou, je suis là ».»
Le soir de la mort de Bastien, alors que ses parents sont en train de raconter une histoire de chute accidentelle dans l’escalier, Marie, 5 ans, se plante face au voisin qui a accouru : «Papa a mis Bastien dans la machine à laver», dit la petite fille. Christophe Champenois, à côté, lève la main, la menace : «Arrête de dire des conneries !» Mais Marie répète sa phrase. Elle la répétera aux secours, puis aux enquêteurs, avant que l’autopsie et les aveux de Charlène Cotte ne viennent confirmer. A la barre de la cour d’assises de Melun, un gendarme a la voix qui s’étrangle : «Je voudrais dire à Marie que, ce soir-là, elle a eu beaucoup de courage.»
(1) Le prénom a été modifié.
Ondine Millot