L’architecte Dominique Perrault décroche le prix Praemium Imperiale

L’architecte Dominique Perrault est depuis ce jeudi lauréat du prix Praemium Imperiale dans sa discipline. On a coutume d’appeler ces prix, attribués aussi en sculpture, peinture, théâtre-cinéma et musique, les Nobel de la culture. Pas mal. Mais, interrogé la veille au soir par Libération, l’intéressé a tenu à partager son prix de façon surprenante : «C’est un prix qui célèbre aussi une époque exceptionnelle de la commande publique en France.» «Bébé de la commande publique», selon ses propres termes, Perrault n’aurait jamais décroché le projet de la BNF sans ce biais. «Je n’avais pas de parents architectes, pas d’argent, c’était impossible autrement.» En 1989, cette réalisation a marqué le début de sa carrière.

Reconnaissons que les pouvoirs publics de l’époque, le président François Mitterrand en l’occurrence, n’avaient pas froid aux yeux en choisissant pour un projet aussi énorme un jeune homme de 35 ans qui avait construit, en gros, une école d’ingénieurs à Marne-la-Vallée et un hôtel industriel en bordure du périphérique parisien. Deux bâtiments salués par la critique mais bon… Passer à 250 000 mètres carrés, s’attaquer à un symbole de la France et prendre sur la tête des polémiques entre intellectuels d’une violence inouïe nécessitait une certaine force d’âme. D’autant plus que l’édifice achevé ne va pas calmer les critiques, loin de là. Tout aura été reproché à Perrault : les livres dans les tours, le jardin dans le contrebas, l’entrée introuvable, le parvis qui glisse…

Est-ce qu’on n’avait rien compris ? Peut-être. Il faut regarder aujourd’hui dans les œuvres de Perrault l’université féminine Ewha à Séoul, en Corée du Sud. Le concept d’université «féminine» nous paraît un peu étrange mais à ce détail près, on rêverait d’aller étudier dans cet endroit. «Ce n’est pas un bâtiment, c’est un paysage», résume l’architecte.

L’établissement est enterré, on y pénètre par une gigantesque faille dans le sol, une rue principale, en somme, sur laquelle donnent les salles. «C’est à l’opposé de ce que fait habituellement un architecte en construisant des toits, des murs, explique Perrault. Mais c’est aussi ce qui permet de faire comprendre la bibliothèque.» Egalement semi-enterrée. A Berlin, pour le vélodrome et la piscine olympique, à nouveau, le maître d’œuvre aura creusé le sol.

A quoi reconnaît-on un bon architecte ? Au fait que du passé, il ne fait pas table rase. Depuis vingt ans, Perrault agrandit progressivement la Cour de justice des communautés européennes au Luxembourg. «C’est la seule institution européenne qui s’est reconstruite sur elle-même pendant trente ans.» Il y avait un édifice de 1973. L’architecte en a posé un autre en anneau, poliment, tout autour. «Ces bâtiments ont une histoire qui n’est pas une histoire de locataires», dit-il. Comprendre : ce ne sont pas de banals bureaux. On serait tenté d’ajouter que ce ne sont pas non plus les terrifiantes constructions dont les instances européennes ont constellé Bruxelles.

Dominique Perrault est l’un des architectes qui réfléchissent l’avenir de la métropole dans le cadre de l’Atelier international du Grand Paris. Il est aussi celui qui construira la gare Villejuif-Institut Gustave-Roussy de la future ligne 15 Sud du métro Grand Paris Express. Un métro qui, pour la première fois, note-t-il, «donne lieu à des préoccupations esthétiques, plastiques, à un souci de l’environnement des gares. Cela montre que l’on est en train de sortir d’une conception de tuyau autiste». Ce qui, en France, n’est jamais gagné d’avance.

Une autre Française, la danseuse Sylvie Guillem, a été couronnée lors de cette même session du Praemium. Jusqu’à présent, Jean Nouvel était le seul architecte français à avoir eu ce prix, en 2001.

Sibylle Vincendon

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