Tony Parker, l’hagard du Nord

Son regard n’est plus le même depuis quelque temps déjà. On eut beau chercher, la pupille noire avait disparu. En passant dans la zone mixte biscornue du stade Pierre-Mauroy, à peine une minute après que l’Espagne avait flingué l’Euro des Bleus (80-75 a.p), jeudi soir, Tony Parker ne prononçait que des phrases de moins de dix mots. De sa bouche, rien de construit ne sortait. Le mec était hagard, écrasé, détruit. Un journaliste tenta bien de le rappeler, mais, anéanti, il passait définitivement derrière le rideau. Cette demi-finale, il le savait, risquait d’être le dernier match de sa carrière sur le sol français. Le qualifier de cauchemar ne sera jamais aussi fort que le souvenir qu’il en gardera.

Dès les premières minutes du match, on pressentait qu’il faudrait ramasser le meneur des Spurs à la petite cuillère. C’était comme si TP, killer parmi les killers, s’était soudain évanoui en découvrant la mariée dans sa robe. La plus grande salle de l’histoire du basket européen, 27 000 spectateurs, était magnifique et n’attendait que sa rédemption après un début de compétition indigne de son ramage. Défensivement, il se fit enfoncer comme jamais. Offensivement, il finit avec un 4/17 dramatique, et tomba à la renverse sur la dernière possession française en prolongation après avoir raté deux lancers francs cruciaux quelques instants plus tôt. Si la grandeur d’un sportif s’évalue à la charge émotionnelle qu’il est capable d’endosser, alors Parker est indétrônable dans l’histoire du basket français. Mais la quête éperdue de records et de titres a eu raison de lui. Peut-être attendait-on trop.

Nicolas Batum, 25 ans, l’ailier qui est appelé dans les années futures à devenir le nouveau leader offensif des Bleus, ne s’en est pas mieux sorti. Excepté le shoot irréel qui a propulsé les Bleus en prolongations, il a tout gâché, finissant à 3/14. A la fin du troisième quart, la France menait pourtant de 11 points et on ne voyait pas bien ce qui pouvait lui arriver. Rudy Gobert arrachait tout dans la raquette (8 points, 13 rebonds), mais commit la faute de trop. Celle qui laissa le champ libre à l’Espagne et au grandiose Pau Gasol. Le pivot des Bulls (40 points et 11 rebonds) se fit alors l’honneur de rendre aux Français l’humiliation qu’il avait subi il y a quasiment un an jour pour jour, lorsque les Bleus avaient sorti la Roja en quart de finale de sa Coupe du monde à Madrid.

La France pouvait-elle chuter contre une autre équipe que l’Espagne ? Depuis le début des années 2000, la rivalité entre les deux pays est épique. Le ressentiment suinta parfois sur le parquet mais un peu aussi en conférence de presse lorsque le sélectionneur Vincent Collet pestait contre un arbitrage conciliant envers Gasol. Sans chauvinisme aucun, il n’avait pas totalement tort. Mais à ce moment-là, le géant espagnol, 2,15 m, dansait avec ses coéquipiers et leurs supporteurs dans les gradins de Villeneuve-d’Ascq.

Willy Le Devin Envoyé spécial à Villeneuve-d’Ascq

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