C’est un petit salon de la céramique installé dans l’annexe en brique rouge de la mairie du 14e arrondissement de Paris chaque début octobre. Céramique 14 pourrait être l’une de ces sympathiques réunions d’artisans un peu artistes qui vendent leur petite production à quelques amateurs et animent gentiment le temps d’un week-end, un quartier pas très branché de la capitale.
Mais très vite, on comprend qu’il s’agit bien d’art contemporain. Quitterie Ithurbide part du détail d’une œuvre de Zurbaran ou de Velasquez pour imaginer ce qu’elle nomme des colonnes d’humeur. Pour « Zaragossa », une céramique reprend le buste et la coiffe d’une Infante espagnole surmontée d’un gros oiseau. Un écran diffusant une petite vidéo, une chaise avec des plumes d’autruche complète l’installation. C’est un peu kitch et très onirique.
Quelques stands plus loin, Pascal Lacroix rend hommage aux métallos de l’usine MetalTemple de Fumel avec d’imposantes sculptures en céramique qui ressemblent à des boulons géants. Dans la même allée du salon, Frédérique Fleury mélange la soie, le grès, la porcelaine, le tissu brut et la céramique pour former des espèces de bêtes sensuelles, blanches et menottées, des femmes-méduses dont les tentacules seraient ornées de bijoux. C’est beau, raffiné et cauchemardesque à la fois.
Détail d’une sculpture de Frédérique Fleury (DR)
« Horseworker » de Patrick Crulis est une sorte de corps sans tête très puissant tandis que l’installation « Tout passe, tout change, tout disparaît » de Florence Lenain ressemble un amas de pierres recouvertes de lichens et d’écume. En fait chaque pierre est une sculpture en céramique avec des engobes (argile délayé et coloré qui modifie la couleur ou la texture de la pâte). Vision d’un monde après le déluge ou après la troisième guerre mondiale ?
Pour cette 12e édition de Céramique 14 dont Frédéric Bodet, responsable des collections contemporaines à la Cité de la céramique-musée de Sèvres est l’un des membres du comité de sélection, les artistes des Pays-Bas sont à l’honneur.
Marja Kennis présente d’énormes et très belles têtes d’oiseau, tandis que Mariette van der Ven raconte à sa manière l’histoire de Blanche-neige. Son installation murale, avec trognon de pomme à la feuille d’or et têtes de nains éclairés, restituent la part d’horreur et d’enchantement du conte des frères Grimm. Enfin « Weet je al wat je will worden ? » (Qu’est-ce que je vais devenir » de Mirjam Veldhuis présente des volumes abstraits qui rappellent « E.T. l’extraterreste ». Fascinant.
détail de « Once upon a time » installation de Mariette van der Ven (DR)
Le public composé d’amateurs et de collectionneurs de céramique d’art contemporain est moins flamboyant que celui d’autres salons. Mais ce sont de vrais passionnés qui aiment discuter avec les artistes autant de leur démarche que de leur technique. Pour un peu, ils demanderaient dans quel type de four ils font cuire leurs pièces !
D’autres visiteurs se familiarisent à la céramique contemporaine qu’ils ont découvert lors de grandes expositions, notamment « Picasso, céramiste et la méditerranée » à la Cité de la céramique de Sèvres en 2013 ou la rétrospective consacrée à Keith Haring au musée d’art moderne (MAM) de la ville de Paris la même année.
Des grands vases de l’artiste américain plus connu pour ses graphes dans le métro que pour ses céramiques, y était magnifiquement exposés. L’an dernier enfin, toujours au MAM, la rétrospective consacrée à Lucio Fontana présentaient de nombreuses pièces en argile cuite, certaines très baroques, d’autres très épurées dans la lignée de ses toiles lacérés que l’on retrouve aussi presque chaque année à la Fiac sur le stand de la prestigieuse galerie Karsten Greve.
Enfin les « vases colorés » d’Ai Weiwei, urnes millénaire que l’artiste chinois avait repeintes (et dont l’une a été brisée par un autre artiste en 2014) ont définitivement ancré pour ceux qui en doutaient encore, la céramique dans l’art contemporain.
Claire Fleury
– Céramique 14, 12e salon de la céramique d’art contemporain, Annexe de la mairie du XIVe, 12 rue Pierre Castagnou, 75014, Paris. métro Denfert-Rochereau ou Mouton-Duvernet. Entrée libre, de 11h à 19h jusqu’à dimanche 11 octobre 2015.