Parce qu’il inaugure le règne d’Eric Ruf, le nouvel administrateur de la Comédie-Française, à qui l’on souhaite de réussir dans son entreprise ; parce qu’Arnaud Desplechin, le brillant réalisateur de « Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle) », s’y essaie pour la première fois au théâtre ; parce que Michel Vuillermoz, qui tient le rôle du capitaine, est un des meilleurs éléments de la troupe, on aimerait couvrir le spectacle d’éloges. On va, hélas, remballer nos compliments.
Strindberg montre une mise à mort. La minute de vérité selon le vocabulaire tauromachique. Quand la pièce commence, la santé mentale du capitaine, harcelé des coups d’épingle dont sa femme le crible, est déjà gravement compromise. Lui-même se sait (comme l’auteur) menacé de folie. Le médecin est frappé par son agitation. Au nom de leur amour défunt, le capitaine demande grâce à sa femme. Mais il a voulu imposer sa loi par la force, aussi tant qu’il ne sera pas émasculé, brisé, camisolé, elle le tiendra dans ses serres.
Moins de chuchotis, plus de transe
Seulement Desplechin se trompe de registre. Est-ce parce qu’il vient du cinéma ? Il aborde ce combat à outrance comme un drame intimiste, en faisant jouer les acteurs de façon feutrée. (Si feutrée que, même bien placé dans la salle, on n’entend pas la moitié du texte. Quitte à adopter ce parti pris de chuchotis, on devrait munir les acteurs de micros-cravates !) Croit-il que les comédiens jouent plus vrai en parlant mezza voce qu’en projetant leur voix au fond de la salle ? Erreur.
Comme un pantographe, le comédien de théâtre agrandit le dessin mais lui reste fidèle. Inversement, ce n’est pas parce qu’il murmure qu’il atteint à la vérité du personnage. Rien ne sonne plus faux que le gazouillis d’Anne Kessler dans le rôle de l’épouse vengeresse. Il ne faut pas laisser s’attiédir la potion méphitique concoctée par Strindberg mais la porter à ébullition pour qu’elle agisse à plein.
Privé de la transe tragique, on reste dans le naturalisme : morne chagrin d’un ménage désuni plutôt que châtiment, par une Médée des temps modernes, de l’imprudent despote qui prétendait la priver de tout droit sur sa fille.
Jacques Nerson
Père, d’August Strindberg, Mise en scène d’Arnaud Desplechin. En alternance jusqu’au 4 janvier, Comédie-Française, Paris-1er, rens. : 01-44-58-15-15.