Les Bleus de Saint-André sont champions du monde de la destruction. De la destruction des joueurs adverses, mais aussi d’une partie de leur histoire, de leur rapport au jeu et des rêves de leur public. Dans le vestiaire, après la rencontre, Mathieu Bastareaud, symbole de cette dissuasion passive, a versé quelques larmes. Oh, les fans n’attendaient pas un «Basta» et une équipe virevoltants avant cette rencontre perdue face à l’Irlande (24-9), loin de là. Ils ont même apprécié d’entrée les tampons XXL de Louis Picamoles, qui a laissé sur le carreau l’ouvreur adverse, le géomètre Jonathan Sexton (26e). Mais peut-on se contenter de subir et de défendre comme des forcenés pendant une rencontre aussi cruciale?
Les Irlandais, au sein d’une formation moins puissante mais tout aussi rugueuse, ont répondu non à ce référendum sur la fermeture des frontières. Ils ont possédé le ballon comme des damnés, multiplié les temps de jeu, nettoyé plus vert que vert lors des phases de rucks et chapardé des touches à l’envi. Ils ont gâché des munitions, comme Dave Kearney, qui a savonné un essai tout fait en première période, mais au moins les avaient-ils, ces munitions. En seconde période, la France a attendu la 67e (!) minute pour proposer une véritable offensive dans le camp adverse et faire vivoter l’espoir alors que l’Irlande mène 14-9. Quelques instants plus tard, le demi de mêlée Conor Murray écrase un deuxième essai de filou sur le pied du poteau, sous le regard ébahi des soldats de Saint-André. Le toit du Millennium tombe sur la tête des Bleus.
Maestri : «Le casque à pointe ne suffit pas»
«A ce niveau de compétition, le casque à pointe ne suffit pas, souffle le deuxième ligne Yoann Maestri. Et pourtant on l’a mis. Demandez donc à Sexton ou O’Mahony!» Les deux gaillards irlandais descendent péniblement les escaliers, le premier avec une poche de glaçons sur la cuisse, le second en s’appuyant sur des béquilles. «On a été bons sur les plaquages, en défense, on leur a vraiment fait mal, on a mis beaucoup d’agressivité dans les duels, ils ont eu de la casse», remarque finement le demi de mêlée Sébastien Tillous-Borde.
«Entre Sexton, O’Connell juste avant la mi-temps et O’Mahony, on a perdu plus de 200 sélections sur blessure pendant cette rencontre, et cela a rendu le défi encore plus relevé. On a montré notre force de caractère dans cette bataille», raconte le sélectionneur irlandais Joe Schmidt. Paul O’Connell, futur Toulonnais, risque une retraite internationale anticipée, Sexton peut rêver du quart face à l’Argentine et, de toute façon, son remplaçant Ian Madigan est mieux qu’un second choix. «Il est tout le temps motivé pour envoyer du jeu, même en sous-nombre. C’est un très grand joueur», dit Wesley Fofana admiratif.
Quand Parra explique les fondamentaux à Nakaitaci
Les Verts sont cabossés de partout, mais ils sont fiers. Ils ont effacé les revers de 2003 et de 2007, une époque fort lointaine où les Français leur marchaient dessus pendant une Coupe du monde. Aujourd’hui, les Bleus piétinent surtout leurs maigres certitudes de la fin de l’été et l’optimisme béat des derniers jours. «Je ne comprends pas cette confiance diffuse, s’étonnait l’ancien sélectionneur Marc Liévremont avant la rencontre. D’où vient-elle? Les Bleus veulent remporter la Coupe du monde sur des fondamentaux, très bien, mais on voit sur cette édition que toutes les grandes équipes, de l’Australie à l’Argentine, ajoutent d’autres ingrédients et de la variété à cette base.» Mêlée dominante puis dominée, touche volée, paire de centres trouée, Michalak timoré, Papé violemment palpé… Les Bleus ont sombré, et on a même vu Morgan Parra expliquer une règle de rugby simple sur les touches jouées rapidement au pauvre Noa Nakaitaci, léger à ce niveau.
«Sur le jeu au sol, on a été catastrophique, ils ont gratté pas mal de ballons, ils ont été plus réactifs. Et à partir de là, c’est compliqué de lancer le jeu. On s’est sentis frustrés», dit Tillous-Borde. «J’ai loupé mon match. Je n’ai pas honte de le dire… C’est un match à jeter à la poubelle», balance Bastareaud, qui ne devra pas s’enfoncer dans le spleen. Son compère du centre, Fofana soupire : «Tu vois qu’au bout de deux temps de jeu, tu perds le ballon. C’est chiant. Ils ont été meilleurs que nous. A chaque fois, on veut inventer des trucs, mais on n’a pas le ballon.» C’est ballot. Mais en même temps, on était prévenu. Cela fait quatre ans que ça dure. Joueur, Saint-André dit n’avoir jamais perdu contre les Irlandais. Sélectionneur, il n’a jamais gagné en cinq rencontres. La France a fait table rase de son passé, et elle est allée un peu trop loin.
Mathieu Grégoire Envoyé spécial à Cardiff