Des marionnettes traditionnelles chinoises au Festival de l’Imaginaire

Des costumes de soie aux couleurs éclatantes et richement brodés, des figurines fines ou grotesques d’une fascinante expressivité quand elles sont en mouvement : les marionnettes à fils manipulées par les membres de la troupe taïwanaise Jin Fei Feng procèdent d’une tradition chinoise vieille de plus de 2.000 ans et transposée à Taïwan lors des grandes migrations sur l’île aux XVIIe et XVIII siècles.

Spectacles et attractions de la Chine ancienne

Hsueh Ying-Yuan, le père ; Chang Hsueh-Hsiang, la mère ; Hsueh Wan-Yu et Hsueh Yung-Chu, leurs filles, ainsi que Hsueh Yi-Yang, leur fils, constituent le noyau dur de la troupe Jin Fei Feng. A l’exception de Yung-Chu qui les accompagne au luth, tous manipulent les marionnettes : un travail d’une extrême virtuosité où l’on évoque, en famille et en musique, des héros et des divinités lors de représentations données devant les temples, ou alors des scènes de la vie quotidienne au cours de spectacles donnés dans les théâtres.

La vie quotidienne, elle déferle lors de cette « Promenade à la Fête des Lanternes » représentée à Paris au théâtre du Musée du Quai Branly, dans le cadre du Festival de l’Imaginaire porté par la Maison des Cultures du Monde. Y sont figurés spectacles et attractions qui aujourd’hui encore attirent les Chinois durant cette journée des plus festives qui achève les manifestations du Nouvel An chinois. Et l’argument du spectacle qui met en scène un couple de comédie n’est en fait qu’un prétexte pour donner à voir défiler toute la richesse des fêtes populaires chinoises.

Quatre générations de marionnettistes

La famille Hsueh, on l’a rencontrée au sein du parc culturel de Soulangh, non loin de Kaoshiung, la mégapole située au sud de Taïwan et dotée de l’un des plus grands ports du monde. Dans ce site aménagé à l’emplacement d’une raffinerie sucrière au temps où il y avait encore sur l’île de vastes étendues pour cultiver la canne à sucre, à l’abri d’un bâtiment de la défunte manufacture aujourd’hui transformé en salle d’exposition, la famille a aménagé le castelet de couleurs vives sur lequel les idéogrammes annoncent : Théâtre de marionnettes à fils Chin Fei Feng.

Fondée en 1920 par le grand-père paternel de Hsueh Yi-Yang, Hsueh Pu, la troupe aura bientôt cent ans et a déjà embrigadé quatre générations de la famille. Avec une innovation de taille : dans l’histoire des marionnettes à fils de Taïwan, un art jusque là dévolu exclusivement aux hommes, Chang Hsueh-Hsiang a été la première femme à manipuler les petites créatures qui enchantent encore le public chinois. C’était à la demande de son époux et ce fut, avoue cette pionnière, une bien rude épreuve pour une femme que d’affronter le public et de s’affirmer comme artiste.

Confectionnées en Chine, dans le Fujian

Dans la troupe, s’ils sont quatre à faire vivre les marionnettes, seuls les parents font entendre leur voix. Des voix qu’ils sont conduits à moduler de mille façons tant les personnages de leur théâtre sont nombreux. « A chaque caractère correspond une voix, souligne Madame Chang, et le spectateur doit pouvoir identifier aussitôt un personnage dès que l’on parle pour lui. Aussi, pour enrichir notre répertoire, et à chaque création de nouveau spectacle, sommes nous amenés à inventer différentes façons de parler, de nouvelles voix, d’autres intonations ».

Les marionnettes ont été confectionnées en Chine continentale, celle tenue par le parti communiste. En République de Chine, c’est à dire à Taïwan, ce travail est infiniment trop coûteux et d’ailleurs en ce domaine les artisans sont rares. Aussi Monsieur Hsueng doit-il traverser le détroit qui sépare les deux Chines pour faire exécuter de nouveaux personnages dans le Fujian, la province d’où sont venus d’ailleurs de nombreux ancêtres des Taïwanais, à l’époque des Ming et des Qing.

Faites de bois dur, mesurant près de 65 centimètres, dotées de membres articulés, de doigts mobiles, d’un menton qui lui aussi se met en mouvement, les figurines sont quasi éternelles. Bien entretenus, mais évidemment plus fragiles, leurs costumes de soie chatoyante peuvent avoir une durée de vie de vingt années. Ce qui est beaucoup, car ces petits personnages, animés par des fils dont le nombre court de seize à vingt-deux et qui les rendent infiniment expressifs et mobiles, ces petits personnages sont infiniment sollicités. Ils ne connaissent pas les temps creux de nos intermittents du spectacle.

Devant les temples ou à l’école

La troupe Jin Fei Feng se produit en moyenne 200 fois par an. Et pour trois types de manifestations bien définis : à l’occasion de cérémonies religieuses devant les temples, dans les théâtres éparpillés sur l’île, dans les écoles enfin, car ce patrimoine artistique exceptionnel est reconnu comme tel par les autorités taïwanaises. Elles subventionnent, modestement, la troupe, et celle-ci assure des matinées scolaires pour maintenir vivante cette tradition antique aux yeux des nouvelles générations.

« Malgré la concurrence de la télévision, de la vidéo, du cinéma, des dessins animés, une concurrence très rude évidemment, souligne Hsueh Ying-Yuan, la demande du public reste forte. A Taipei, où nous donnons une trentaine de représentations par an, les salles sont pleines. Et cela dans un théâtre de 300 places coûtant quelque 800 dollars taïwanais chacune, ce qui représente environ 20 euros. On y retrace ces scènes comiques de la vie quotidienne dont raffole le public. Quant aux enfants, ils sont fascinés par l’aspect technique, par ces créatures qui prennent vie à volonté. Dans les écoles leur sont fournis des manuels traçant l’art du marionnettiste. Les clubs d’amateurs sont nombreux et les concours également qui leur permettent de se manifester publiquement ».

En famille

Avec les musiciens qui accompagnent les marionnettistes (luth « pipa », luth « sanxion », percussion, vièle « erxian », flûte « xiao ») ainsi qu’un technicien et une administratrice, les membres de la troupe Jin Fei Feng seront onze à venir à Paris. La famille Hsueh en tête. « Peu de gens veulent apprendre et faire perdurer le métier, regrette Hsueh Ying-Yuan qui le tient de son propre père, Hsueh Chung-Hsin. Il faut tout de même beaucoup militer pour l’ouvrir au grand public. Et créer de nouveaux spectacles coûte cher ». Mais son fils, Yi-Yang, qui adule son père, veut assurer la relève. Et ses sœurs avec lui. « C’est joyeux de travailler en famille, ajoute le pater familias et directeur artistique de 46 ans. Nos enfants sont nos partenaires. Et après les spectacles, nous allons nous promener ou dîner tous ensemble ».

Raphaël de Gubernatis

« Promenade à la Fête des lanternes ». Marionnettes à fils* de la troupe taïwanaise Jin Fei Feng. Le 16 octobre à 14h, le 17 à 18h, le 18 à 17h ; Musée du Quai Branly. Festival de l’Imaginaire ; 01-45-44-72-30.

* Ces marionnettes à fils extraordinairement vivantes constituent le premier volet d’une série de représentations découvrant dans le cadre du Festival de l’Imaginaire quelques autres pans de la diversité des arts traditionnels chinois, marionnettes à gaine ou théâtre d’ombres, tels qu’ils ont été préservés dans ce conservatoire des cultures populaires qu’est Taïwan.

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