Andy Warhol, au-delà de l’icône pop

Tout le monde connaît l’artiste pop Andy Warhol : ses perruques, ses fêtes débridées, ses lithographies de Marilyn reproduites jusqu’à la nausée. Alors une é-nième exposition sur son travail, était-ce bien raisonnable ? La réponse est oui. Avec « Warhol unlimited », le Musée d’art moderne (MAM) de la ville de Paris balaie nos craintes. La Warholmania est plutôt un bon virus, contrairement à la Picassomania, souche plus ancienne qui terrasse le Grand-Palais dans une exposition fourre-tout dont aucun artiste présenté ne sort indemne (hormis Picasso).

Aux clichés sur la star du pop art, cette exposition répond un « oui mais pas seulement ». Elle présente des œuvres inédites d’un artiste touche-à-tout à l’œuvre multi-dimensionnelle – espace, volume, temps. Elle fait aussi écho à « Warhol underground », exposition tout aussi réussie au Centre Pompidou-Metz, qui se poursuit jusqu’au 23 novembre prochain.

Dessin et peinture

Depuis l’enfance, Andy Warhol (1928-1987) dessine, peint, collecte des images, découpe des photos de stars, photographie et développe ses tirages. Après des études d’illustration et de graphisme (1945-1949), il travaille à New York pour la presse et la publicité pendant une dizaine d’années. Il rencontre un grand succès mais il veut devenir artiste.

Robert Rauschenberg, autre grande figure pop, dit de lui :

Il avait un coup de crayon extraordinaire. Or cette facilité aurait pu lui être fatale. Il dut s’en défier et éviter d’y céder, comme en témoignent toute ses œuvres. »

Rauschenberg aurait pu ajouter qu’il avait aussi un sens formidable de la couleur et de la composition. »Shadows » (Ombres), un ensemble de 102 tableaux présentés au MAM et pour la première fois en France, en est la démonstration.

Réalisés en 1978 pour un couple de collectionneurs, ces tableaux de formats identiques (193 x 132) sont des sérigraphies d’une image non identifiable (flamme ? sexe ? pliure de journal ?) repeintes une à une par Warhol et ses assistants en 17 couleurs différentes.

« Shadows » d’Andy Warhol 1978-1979 (photo : Bill Jacobson Studio, New York © Courtesy Dia Art Foundation, New York © The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc. / ADAGP, Paris 2015)

L’effet de saturation de l’espace rappelle les Nymphéas de Claude Monnet (au Musée de l’Orangerie à Paris). Mais le nombre effarant de tableaux interdit au visiteur de les embrasser d’un seul regard. Il faut donc marcher au côté d’eux pour voir « Shadows » en entier.

Voilà donc une œuvre en deux dimensions qui, par son format, oblige à se déplacer comme on le fait pour une sculpture. Enfin pour en faire le tour complet, il faut y passer du temps, dimension réservée au cinéma. C’est en somme une « séance » dont le seul mouvement est celui du spectateur !

Sérigraphie et photo

Revenons au début des années 60. Warhol fait tout pour être remarqué par des galeristes. Dans les vitrines d’un grand magasin de luxe qu’il agence, il installe des peintures de Superman et d’autres « super-héros » qu’il a réalisées, à mille lieux de ses dessins soignés et romantiques de son métier d’illustrateur.

A cette époque, Andy Warhol découvre aussi les peintures très proches des siennes d’un jeune artiste, Roy Lichtenstein. Dans « Andy Warhol, la biographie » (Folio), Mériam Korichi le cite :

Je décidai que, puisque Roy faisait si bien les bandes dessinées, je ferai mieux de cesser les miennes aussitôt et de m’engager dans une autre direction où je serai le premier, par exemple la quantité et la répétition. »

Grâce à Jasper Johns, autre jeune peintre américain, il découvre la figuration sans sentiment, à l’opposé de l’expressionnisme abstrait, courant artistique dominant des années 50 dont Jackson Pollock est la figure de proue.

Warhol se tourne alors vers le pochoir puis la sérigraphie pour reproduire des images de biens de consommation courants. « Je voudrais être une machine » déclare-t-il. Marquée du sceau de son style, sa production reste pourtant unique.

« Jackie » (Gold) par Andy Warhol, 1964 © The Sonnabend Collection, on loan from Antonio Homem © The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc. / ADAGP, Paris 2015)

En 1960, il reproduit une bouteille de coca-cola, en 1961-62, des dollars, des photos de presse de Marilyn qui vient de mourir et de Jackie Kennedy, lors des obsèques de son mari.

Warhol recourt encore à la peinture pour ses 32 « portraits » de boîtes de soupe Campbell (tous présentés au centre Pompidou-Metz). En 1963, pour sa série « Dead and disasters » (mort et désastres), il utilise des photos d’accidents de la route particulièrement violents, de suicides et de la chaise électrique de la prison de Sing Sing prise en 1953, quelques jours avant l’exécution des militants communistes Ethel et Julius Rosenberg.

L’une des sérigraphies « Electric chair » accrochée sur le papier peint Vache par Andy Warhol, au MAM à Paris. (© The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc. / ADAGP, Paris, 2015)

Mais Warhol n’est pas un artiste engagé, il ne parle jamais de politique ou de justice. En 2007, le critique d’art Michel Gauthier écrit dans le catalogue de la « collection Art contemporain » du Centre Pompidou :

Pareille peinture traduit avant tout le commerce fasciné de l’artiste avec le rien, dont la frivolité, la surface, la répétition, la mort ne sont que les différents avatars. »

En 1971, pour la rétrospective que lui consacre le Whitney Museum à New York, Warhol tapisse les murs du musée et son entrée d’un papier peint à motif tête de vache. Tous ses tableaux, y compris les « Electrics chairs » sont accrochés dessus, comme aujourd’hui au MAM. Vaches pop ou chaises électriques, tout se vaut dans le monde d’Andy Warhol. Mais est-ce si différent dans la vraie vie ?

Sculptures et installations

En 1964, Warhol expose des centaines de fac-similés de boîtes de lessive Brillo (visibles au MAM et à Metz), de céréales, ketchup … Mais ses premières œuvres en trois dimension, tout comme l’installation qu’elles forment, n’ont aucun succès.

Deux ans plus tard, dans la prestigieuse galerie Leo Castelli, avec ses « silvers clouds » (nuages argents), sortes de coussins argentés gonflés à l’hélium, il revient au volume. Le chorégraphe Merce Cunningham (1919-2009) qui intègre le hasard, la répétition, la notion de temps dans ses ballets et rejette la narration et l’expression de sentiments est séduit par ses nuages.

En 1968, pour « Rainforest », les silvers clouds dansent au milieu des danseurs, au hasard des mouvements créés par un ventilateur.

« Rainforest » chorégraphie de de Merce Cunningham, scénographie d’Andy Warhol, interprétée par six danseurs (sur la photo Merce Cunningham et Meg Harper) lors d’une représentation à Paris en 1970 (James Klosty © The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc. / ADAGP, Paris 2015)

Cunningham est l’un des premiers chorégraphes à filmer ses ballets, non pour en conserver une trace mais comme une œuvre en tant que telle. Le Centre Pompidou-Metz projette le film « Rainforest » sur un grand écran entouré de silvers clouds, restitution formidable de l’esprit de l’installation. En revanche au MAM, quelques silvers clouds un peu pauvrets stagnent dans une salle vide.

Films, style camp et superstars

Dès 1963, Warhol se tourne vers le cinéma. Dans son loft-atelier, la Factory, il tourne plus de 400 « test screens », des plans fixes de trois minutes de personnalités (Dali, Marcel Duchamp..) ou d’inconnus qu’il projette au ralenti (16 images par seconde).

Ces films tout comme « Empire » (l’Empire state building filmé en plan fixe durant 8 heures) ou « Sleep » (son amant le poète John Giorno endormi pendant plus de 5 heures) ne sont pas inédits en France. Mais 50 ans après leur réalisation, ils rappellent le rôle essentiel de Warhol dans le cinéma expérimental et l’art vidéo.

Il rappelle aussi le choc que fut pour Warhol la représentation en 1963 de « Vexations » d’Erik Satie, répétition d’un même motif musical au piano pendant… 18 heures d’affilée.

Warhol s’intéresse aussi aux pratiques sexuelles dites déviantes dans l’Amérique puritaine des années 60 : homosexualité, sado-masochisme, exhibitionnisme, transformisme, parties fines… Et pour les filmer avec des acteurs improvisés de la Factory, il ne s’embarrasse pas d’intrigues amoureuses. Ses films sont classés X.

Image de « Blow job » (Fellation), film de 1964 (© 2015 The Andy Warhol Museum Pittsburgh, PA, a Museum of Carnegie Institute. All rights reserved)

Avec ses « superstars », filles et garçons décadents au look étudié qu’il intronise lui-même et filme constamment, il sort du ghetto gay le style camp (du français camper, prendre la pose), attitude ironique et théâtrale des dandys efféminés et des filles de bonne famille qui veulent rompre avec leur milieu.

Dix ans plus tard, ce seront les années disco où les « party-girls » s’habilleront comme des drag-queens (brushing à boucles et sandales à plate-forme) et les garçons virils comme des « superstars » (Michel Sardou et ses bouclettes).

Musique et performance

En 1964, Gerard Malanga, poète, performeur et fidèle assistant de Warhol, lui fait découvrir le Velvet underground, un groupe de rock sombre au son saturé dont Lou Reed est le guitariste et le chanteur. Warhol les invite à répéter à la Factory. Nico, ancienne mannequin allemande et chanteuse à la beauté glaçante, rejoint la bande.

Gerard Malanga (2e à gauche), the Velvet Underground, Nico et Andy Warhol, Los Angeles, 1966 (Steve Schapiro © The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc. / ADAGP, Paris 2015)

Warhol produit leur premier disque, édite la pochette (la fameuse banane) et conçoit un spectacle où se mêlent la musique (forte et lancinante), des jeux de lumière sur les musiciens, une danse au fouet de Malanga et des projections d’images. Spectacle total, performance pop, Exploding Plastic Inevitable (EPI), reconstitué dans les deux expositions, n’a pas pris une ride.

Claire Fleury

♦ « Warhol Unlimited », au musée d’art moderne (MAM) de la Ville de Paris, jusqu’au 7 février 2016.

« Warhol Underground » au Centre Pompidou-Metz, jusqu’au 23 novembre 2015.

Andy Warhol, Self portrait (Autoportrait), 1986 (© 2015 The Andy Warhol Museum Pittsburgh, PA, a Museum of Carnegie Institute. All rights reserved)

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