TéléObs. En 1995, vous aviez réalisé « Demain Monsieur », le film d’ouverture de la première Nuit Gay sur Canal+. Comment parlait-on d’homosexualité à la télévision ?
– Michel Royer. Jusqu’en 1995, le sujet ne passait que par les émissions médicales, c’est tout dire ! Les téléfilms de l’époque, diffusés sur le petit écran avec un carré blanc, ont d’abord cantonné l’homosexuel au rôle de coupable avant de le faire évoluer vers un emploi de comique. Dans les années 1970, avec « la Cage aux folles » et le théâtre de boulevard, les rôles d’homos sont interprétés par des acteurs populaires comme Poiret et Serrault. Pour exister, le sujet passe par la moquerie et génère un certain mépris. Mais l’homme efféminé s’installe comme première figure de l’homosexualité à la télévision.
A la fin des années 1970, certaines personnalités osent pourtant aborder le sujet…
– Le petit écran commence à s’intéresser discrètement à l’émergence d’une culture gay en Californie ou en Scandinavie. En France, Roger Peyrefitte, Jean-Louis Bory ou Elula Perrin révèlent leur préférence sexuelle sur le plateau de Philippe Bouvard, « Samedi soir » ou « De l’huile sur le feu ». Avec l’arrivée du sida dans les années 1980, une chape de plomb retombe sur l’homosexualité. On parle de « cancer gay« , on vit dans le drame et l’omerta. Il faut attendre les années 1990 pour que des revendications apparaissent et qu’on passe d’un silence morbide au militantisme avec Act-Up et le Sidaction.
La première Nuit Gay sur Canal+ reste-t-elle un jalon emblématique ?
– A partir de là, la télévision va accompagner le mouvement. Mireille Dumas avait commencé la première à évoquer l’homosexualité avec ses invités. Jean-Luc Delarue a pris la suite et, dans les années 2000, il y a eu un nombre incroyable d’émissions sur ce thème. Mais à ce moment-là, le sujet, c’est le coming out : faut-il le dire et comment le dire.
A Canal, on le disait ?
– Même dans une boîte « showbiz » comme Canal, les homos ne se déclaraient pas en 1995 parce que c’était peut-être compliqué vis-à-vis de leurs familles et qu’ils avaient peur d’être catalogués « homos de service ». Les initiateurs de la Nuit Gay, Nicolas Plisson, Alain Burosse et Joëlle Matos, avaient créé C+ Gay, une association des employés gays comme il y en aura ensuite dans d’autres entreprises.
En vingt ans, le regard porté par la société sur l’homosexualité a-t-il changé ?
–Aujourd’hui, les homosexuels n’ont plus à se justifier. On ne questionne plus l’homosexualité, on questionne les homophobes.
Parmi les nombreuses personnes contactées pour témoigner, certaines ont-elles refusé de participer ?
– Bertrand Delanoë n’a pas voulu s’exprimer mais il nous a autorisés à utiliser l’extrait de « Zone interdite » (M6) dans lequel il avait fait son coming out en 1998. Il n’a jamais voulu être militant de la cause homosexuelle car il craignait qu’on l’accuse d’être de parti pris. En devenant maire de Paris, il a contribué à normaliser la situation des homos. Il a pris le risque d’être caricaturé mais ça ne lui a finalement pas collé à la peau.
Laurent Ruquier n’a jamais souhaité devenir une figure emblématique. Je n’ai pas bien compris le refus de Steevy. En participant à « Loft Story », il avait inauguré quelque chose de nouveau. La télé-réalité a par la suite normalisé les figures d’homosexuels comme elle l’a fait pour les Noirs et les Arabes.
Roselyne Bachelot et Christiane Taubira, elles, se sont engagées…
– Roselyne Bachelot a très tôt pris conscience des discriminations dont étaient victimes les homosexuels via les événements de Stonewall, aux Etats-Unis, qui sont à l’origine des Gay Prides. En 1999, la gauche a défendu très mollement le Pacs. A droite, c’est Roselyne Bachelot qui est devenue la figure inespérée pour mener à terme le projet. Au lieu d’essayer de convaincre les sceptiques, mieux vaut brandir un étendard.
C’est ce qu’a fait à son tour Christiane Taubira. Elle a injecté de la philosophie politique dans ses propos, elle est allée chercher les grandes valeurs et les a mises en jeu à la manière d’un Robert Badinter. Ces deux femmes défendent des convictions profondes. Mais tout au long des débats sur le mariage homosexuel, la gauche a tergiversé. Hollande a donné l’impression de ne pas assumer totalement la nouvelle loi lorsqu’il a évoqué la clause de conscience des maires. Les médias, eux, sont tombés dans le panneau tendu par la Manif pour Tous. Ils ont trop donné la parole aux opposants au mariage gay qui se sont empressés d’agiter la menace de la PMA et de la GPA.
Lors du débat sur le Pacs, Philippe de Villiers et Christine Boutin prédisaient l’effondrement de notre civilisation. En 2014, on a laissé Frigide Barjot et Eric Zemmour annoncer l’Apocalypse sans leur demander en quoi cela leur retirait quelque chose que des homosexuels se marient. Les homophobes ont un grand pouvoir de nuisance. Il n’y a qu’à entendre les propos délirants tenus par monseigneur Barbarin.
En quoi la Nuit Gay a-t-elle fait évoluer la société ?
– En défendant la culture gay, Canal a eu un rôle d’avant-garde comme pour l’investigation, l’humour, le sport ou le porno. J’ai dédié le film à Alain de Greef, qui était plus rock’n roll et pin-up que gay friendly. Canal a su saisir l’air du temps, celui d’Almodóvar et de « Priscilla, folle du désert ». En 1995, la Nuit Gay a battu le record d’audience de Canal détenu par la Nuit Hallyday. Il en est resté la phrase culte de Gilles Verlant : « Merde ! Les pédés ont enculé Johnny ! »
Propos recueillis par Anne Sogno (@AnneSogno)
PMA, la ligne Taubira
« Je pense que la revendication d’accéder à la PMA pour un couple de femme est une revendication légitime […]. Il faut que le milieu politique – et je m’y inclus- ait le courage de livrer cette bataille. » Devant la caméra de Michel Royer, Christiane Taubira engage clairement le gouvernement à rouvrir le débat sur la PMA qu’il avait abandonné au grand dam des associations LGBT. Jusqu’au vote de la loi par l’Assemblée ouvrant le mariage et l’adoption pour les couples de même sexe, la garde des Sceaux évitait soigneusement de sortir du périmètre dessiné par Matignon, affirmant que « tous les pays qui ont ouvert le mariage et l’adoption aux couples de même sexe et qui ont ouvert la PMA l’ont fait dans deux textes différents ». Au soir du vote, le 12 février 2013, sur le plateau du JT de France 2, Christiane Taubira, sans doute libérée par le devoir accompli, avait déclaré à David Pujadas que la PMA voulue par les couples de lesbiennes était une « demande légitime » et que « le gouvernement aura le souci de traiter le sujet de la façon la plus complète, la plus juste et la plus efficace possible« .
Mardi 20 octobre sur Canal+, à partir de 21 heures. 20 ans la Nuit Gay !