Session extraordinaire au Sénat ce samedi. A l’ordre du jour, la quatorzième édition du concours «Talents des cités», qui récompense les entrepreneurs des quartiers prioritaires. Lancée par le ministère de la Ville, cette initiative entend récompenser une cinquantaine d’entrepreneurs issus d’endroits dits sensibles. Parfois venus de très loin – Haute-Normandie, Aquitaine ou encore Provence-Alpes-Côte-d’Azur –, tous ont créé ou projettent de créer leur entreprise, souvent en partant des réalités de leur quartier. Au Sénat samedi, ils ont eu l’occasion de raconter comment est né leur projet.
«Je voulais prouver qu’il était possible d’ouvrir un commerce»
Les bras levés, un large sourire, Anne-Cécile Ratsimbason, 30 ans, exulte de joie en descendant les marches de l’hémicycle. Son nom vient de résonner dans l’assemblée au terme de deux heures et demie de cérémonie. Sous le regard des statues de Malesherbes, Colbert et Portalis, grands législateurs, elle remporte le grand prix Talents des cités 2015 pour avoir créé AC Ratsimbason Création, une entreprise spécialisée dans la conception de vêtements sur mesure pour les personnes suivant un traitement médical. «Petite, je portais un corset orthopédique parce que j’avais une lourde scoliose. Ce n’était pas facile. Mon médecin traitant, qui savait que j’étais styliste, m’avait alors suggéré de créer une ligne de vêtements spéciale pour tous ceux qui suivent un traitement médical contraignant. Aujourd’hui, je suis fière d’avoir pu dessiner et créer des vêtements adaptés», raconte avec émotion la jeune femme. Elle s’est non seulement inspirée de son histoire personnelle, mais aussi de la particularité de son quartier : «Je suis franco-malgache, j’ai grandi à Nice dans un quartier culturellement mixte. C’est un atout, une richesse par rapport aux autres. Et si j’ai eu envie d’y créer mon entreprise, c’est parce que je voulais prouver qu’il était possible d’y ouvrir un commerce et de le faire perdurer.»
«J’ai voulu agir, faire quelque chose»
Lunettes carrées vissées sur le nez, posture très droite, Ruth Nadège Ibondou Tala a pris place au milieu de l’hémicycle. A 30 ans, cette mère isolée fait partie des lauréates régionales du concours, dans la catégorie «Emergence». Elle a pour projet de créer un cabinet de psychologie sociale et du monde du travail dans sa petite ville d’Hérouville-Saint-Clair (Calvados). «Mon idée est de créer un espace où je pourrai, entre autres, recevoir des personnes victimes de harcèlement moral ou en décrochage scolaire.» Gabonaise d’origine, elle est arrivée en France à l’âge de 25 ans, dans une ville normande qui l’a beaucoup inspirée. «Dès que je suis arrivée, j’ai fait le constat que la majorité des habitants d’Hérouville-Saint-Clair est issue de l’immigration et souffre du fort taux de chômage [18 % de chômeurs en 2011, ndlr]. D’ailleurs, moi-même je l’ai vécu. J’ai voulu agir, faire quelque chose pour soutenir toutes ces personnes. Mon projet, c’est donc l’histoire de ma vie, de ma cité.»
«On peut apprendre à tout âge»
Vanessa Yardin a, elle, créé un centre de formation en peinture du bâtiment, des décors et sols. En veste grise égayée par une chaîne dorée, elle reçoit timidement son deuxième trophée. Lauréate nationale, elle vient de remporter la mention spéciale du jury. Une réussite qu’elle espère transformer en exemple pour ses proches et pour ses élèves : «Il faut que les personnes que je forme voient qu’on peut rebondir. J’ai tout investi personnellement, et je reçois aujourd’hui un soutien énorme, médiatique et pécuniaire. Alors que je n’ai ouvert le centre qu’en février.» Choisi par d’anciens lauréats Talents des cités pour le douzième prix national, son projet est une tentative de subvenir aux problèmes d’emploi en quartier populaire. «Dans le mien, près de Bordeaux, le chômage est très élevé. Et dans mon entourage, j’entends plein d’artisans et d’agences d’intérim se plaindre de ne pas trouver assez d’employés qualifiés. Je pense que ce centre, c’est l’endroit où il faut être.» Elle ajoute que sa plus grande fierté, ce sont ses élèves, tous des adultes âgés de 25 à 46 ans. «Quand ils ont le diplôme en main, on voit l’étincelle dans leurs yeux, parce qu’ils vont pouvoir changer de vie.» Vanessa y voit aussi la démonstration qu’«on peut apprendre à tout âge».
Sala Sall du Bondy Blog , Louis Gohin du Bondy Blog