La première image est floue, on distingue à peine des arbres, de l’herbe, une silhouette qui marche vers la caméra à pas rapides. C’est elle qui en avançant réalise la mise au point. Mais sitôt que l’image devient nette, le personnage disparaît. Il se nomme Saul (Geza Röhrig), il est hongrois et juif, membre depuis plusieurs semaines d’un Sonderkommando, chargé par les nazis du « traitement » de ceux qui, de l’Europe entière, sont transportés jusqu’à Auschwitz-Birkenau pour y être massacrés.
Saul a survécu en faisant se déshabiller les victimes, en les poussant dans la chambre à gaz, en fouillant leurs vêtements tandis qu’elles agonisent, puis en sortant leurs cadavres, nettoyant le lieu d’exécution, préparant l’arrivée du nouveau convoi.
Photo du film « Le fils de Saul ». (Ad Vitam)
En réalité, Saul est déjà mort, comme tous ses compagnons, qui le savent et, parfois, le disent. La caméra l’accompagne, il garde la tête baissée, il est toujours en mouvement, se tait le plus souvent, tendu tout entier vers sa propre fin, sans autre motivation que de survivre un jour encore, ou une heure seulement.
Jusqu’à ce qu’il décide que ce garçon qui au sortir de la chambre à gaz respirait encore et qu’un Allemand a étouffé de ses mains était son fils. A compter de cet instant, une obsession nouvelle se superpose à celle de la survie : Saul veut que l’enfant soit enseveli, et non brûlé, il veut qu’un rabbin dise le kaddish pour lui.
Morts-vivants
Le film de László Nemes l’accompagne et le suit, il fait sienne son obsession, qui fait écho à l’ambition du cinéaste : rendre compte de la réalité de l’enfer des camps d’extermination telle que l’ont vécue les milliers d’êtres dont la machine nazie avait fait ses auxiliaires contraints et forcés.
La réussite de Nemes, dont l’expérience de cinéaste se limitait pourtant à quelques courts-métrages, réside dans la volonté de ne pas céder d’un pouce face à la vérité historique qu’ont transmise les rares survivants des Sonderkommando.
Elle tient aussi au respect de principes de mise en scène dictés par la situation de ces morts-vivants, tenus de ne rien voir et de ne rien entendre d’autre que ce qui était nécessaire à leur charge, auxquels il était interdit de jamais s’arrêter de marcher ou d’agir : le spectateur se trouve plongé au cœur de l’horreur, sans possibilité aucune de croire à une de ces issues « heureuses » que le cinéma seul s’est parfois autorisé à imaginer. « Le Fils de Saul » est un film implacable.
Pascal Mérigeau
♥♥♥ « Le Fils de Saul« , par László Nemes. Drame hongrois, avec Géza Röhrig, Levente Molnár (1h47).