Bob Dylan au boulot : dans les coulisses de trois chefs-d’œuvre

Quand notre calendrier républicain se décidera à honorer les dieux du rock, le 15 janvier aura de quoi devenir un jour férié. Ce sera en souvenir de cette date de 1965 où furent mises en boîte les versions finales de « Maggie’s Farm », « On the Road Again », « It’s Alright Ma (I’m Only Bleeding) », « Gates of Eden », « Mr Tambourine Man » et « It’s All Over Now, Baby Blue ».

C’est tout ? Oui, ce sera tout pour aujourd’hui, merci monsieur Dylan. Six titres en moins de 24 heures, soit la moitié de « Bringin’ It All Back Home », disque révolutionnaire où, pour la première fois, le plus grand songwriter de tous les temps mettait de l’électricité dans sa folk hallucinée.

Bob Dylan n’avait pas 24 ans. Il allait enchaîner aussitôt avec « Highway 61 Revisited », puis boucler « Blonde on Blonde » à Nashville, en fignolant ses textes pendant que ses musiciens tapaient le carton. Trois indépassables chefs-d’œuvre sortis en un an et deux mois. Du pain pour un siècle entier de musique.

Faux départs et expériences avortées

La grâce, pourtant, ne tombe pas que du ciel. Pas tous les jours. Et puisque même Dylan n’a jamais su expliquer son propre génie, il faut pour y comprendre quelque chose écouter le volume 12 des fameux « Bootlegs » qu’il sort enfin de ses tiroirs ce 6 novembre. Ce sont les versions de travail des trois grands albums de 1965-66.

C’est si plein de scories, de faux départs et d’expériences avortées que l’on peut clairement se contenter, pour 19 euros, des pépites tamisées par le Best Of en deux CD. Mais pour 99 euros, et pour les dylaniens avertis, il existe aussi un coffret de six CD bourré de curiosités. Des brouillons, d’accord, mais qui valent ce que valent les brouillons des monuments. Les écouter, c’est comme lire le manuscrit de « Voyage au bout de la nuit » : passionnant.

On y retrouve d’abord des choses abandonnées en cours de route : une belle « Farewell, Angelina » en solo ; le rag-time de « California » au piano-harmonica ; quatre tentatives pour venir à bout de l’ambitieuse « She’s Your Lover Now », qui aurait pu devenir une grande chanson, et dont certains traits réapparaîtront sur « One of Us Must Know ».

14 versions de « Like a Rolling Stone »

On y entend surtout transpirer le maître et ses musiciens. Tout un CD est consacré à « Like a Rolling Stone », la superbe, où Mike Bloomfield entre en scène et Al Kooper découvre l’orgue (il a toujours un temps de retard): Dylan, qui l’avait conçue comme une valse, en exigea 14 prises avant de retenir la quatrième.

Parfois, un rire fuse. Mais le plus souvent on bosse, on cherche, on varie les tempos, les rythmes, les arrangements. C’est « Desolation row » au piano, puis dans une stupéfiante version électrique un peu dissonante qui, pour certains, préfigure ce que fera bientôt le Velvet Underground.

C’est « Leopard-Skin Pill-Box Hat », avec des breaks stridents :

C’est « Can You Please Crawl Out Your Window », soudain très jolie à l’acoustique, et dans laquelle on perçoit nettement un pont qui figurera dans « Like a Rolling Stone » :

C’est encore « Visions of Johanna », que Dylan s’obstine longtemps à vouloir chanter comme un rock fiévreux, un peu comme si c’était « Highway 61 Revisited », avant de saisir qu’il suffit de tout ralentir pour en faire une des plus belles chansons du monde.

La voix, elle, fait toujours des montagnes russes, mais on découvre qu’il existe plus d’une manière de nasiller « Shakespeare, he’s in the alley ».

Tout ça pour quoi ? Tout ça pour atteindre « ce son clair, vif, fluide et sauvage comme le mercure, ce son métallique, brillant comme de l’or » dont rêvait Dylan et qui culmine sur « I Want You », l’irrésistible (une version ici, assez balourde).

« Bob Dylan, la totale »

Pour tout savoir enfin sur la cuisine du chef, le parfait complément à ce « Bootleg » est un livre, ou plutôt une bible : dans « Bob Dylan, la totale » (Chêne/ EPA, 704 p., 49,90 euros), Philippe Margotin et Jean-Michel Guesdon expliquent en détail ses « 492 chansons ».

Rien n’y manque, pas même les fausses notes qui se sont glissées dans certains morceaux, comme les deux légers pains de Joe South, à la basse, sur la version canonique de « Visions of Johanna » (« à 1’16 et surtout à 6’27 lorsqu’il revient sur le couplet pensant que ses petits camarades le suivraient, ce qui n’était pas le cas… »). Pas de doute, cette « totale »-là est une autre sorte de monument.

Grégoire Leménager

The Bootleg Series vol. 12 : The Cutting Edge 1965-1966,

par Bob Dylan, coffret 6 CD + Livret (Columbia/Legacy).

A noter : ces inédits ont aussi droit à une édition en 18 CD tirée à 5.000 exemplaires au prix de 599,99 dollars (533,75 euros).

A noter encore : une dizaine d’années après « Bringin’it All Back Home », Dylan enregistrait « Hurricane » et embarquait pour une tournée assez dingue à travers les Etats-Unis. Larry « Ratso » Sloman, alors jeune journaliste à « Rolling Stone », l’a suivi à la trace. Il le raconte dans un bouquin en roue libre, « Sur la route avec Bob Dylan », qui sort enfin en France (Editions des Fondeurs de Brique, 416 pages + photos, 28 euros).

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