Mediapart et Arrêt sur images ont-ils eu raison de s’auto-attribuer une TVA réduite de 2,1%, au lieu du taux officiel de 19,6% auquel ils ne pouvaient pas prétendre ? Clairement, la loi ne plaide pas pour les deux sites. Sans rentrer dans les détails, l’administration fiscale peut enquêter et notifier des redressements, surtout s’il estime qu’entre 2008 et 2014 les deux sites ont accumulé délibérément les impayés. Mediapart, qui fustige les petits et gros arrangements des politiques et contribuables avec l’impôt, savait qu’elle se ferait attraper par la patrouille. Voilà pour la loi. Mais quid de l’esprit de la loi ?
Il était anormal de réclamer à ces sites, qui pratiquent le même métier que ceux dépendant d’un journal papier traditionnel, un taux de TVA de 19,6%. Soit 17,5 points de plus qu’un site «traditionnel», comme celui de Libé par exemple. Il y a clairement eu pendant ces six ans une distorsion de concurrence qui n’avait pas lieu d’être. D’ailleurs, depuis 2014, la loi a changé. Le taux réduit de 2,1% s’applique désormais à tous, pure-players comme sites traditionnels. La désobéissance fiscale de Mediapart et d’Arrêt sur images est d’autant plus légitime que le site aurait sans doute eu du mal à percer, s’implanter et créer des emplois (et s’arroger, en plus d’une TVA réduite, le titre de modèle unique du journalisme de qualité. Passons) s’ils avaient suivi la loi à la lettre en payant l’impôt.
Comme Mediapart, beaucoup de nouveaux entrants bousculent l’ordre établi par les vieux modèles en jouant avec les frontières de la légalité. Internet fourmille d’exemples de sites, d’applications ou de plateformes qui ont contraint les lois à s’adapter aux nouveaux usages. Les services de vidéo à la demande, pour ne citer qu’eux, seraient encore à l’âge de pierre s’il n’y avait pas eu les premiers protocoles de P2P au début des années 2000. Emmanuel Macron lui-même l’a rappelé ce lundi encore en défendant son futur texte sur les «nouvelles opportunités économiques» : «On a été malthusien en protégeant trop fortement les secteurs traditionnels au détriment de la disruption.» Pensait-il à Mediapart, qui doit désormais 4,1 millions au fisc, et à Arrêt sur Images (500 000 euros à recouvrer). Grâce à la mobilisation de leur communauté et leur bas de laine, ils passeront l’hiver. Mais Bercy serait bien avisé d’adoucir sa position : la situation des médias français n’est pas assez florissante pour se permettre de plomber des sites d’informations de ce calibre. Surtout ceux qui commencent à réussir.
Johan HUFNAGEL