Voilà bien l’une de ces polémiques dont on a le secret en France. La direction de l’Opéra de Paris veut supprimer certaines des cloisons qui depuis toujours séparent les premières et les secondes loges à l’Opéra de Paris, le vrai, celui commandé par Napoléon III à Charles Garnier, et non l’usine sans âme de la place de la Bastille. Depuis la révélation, il y a quelques jours, de ce projet de fait déjà mis en œuvre, c’est la guerre.
Pour trente sièges supplémentaires
D’un côté les « progressistes » qui ont mis en place des aménagements destinés à créer une trentaine de places supplémentaires aussitôt vendues au public (sur 2.100 déjà existantes) et donc à engranger plus de recettes (200.000 à 300.000 euros par saison sur des recettes de 80 millions par an, lesquelles représentent un grosse part du budget global de l’Opéra qui est de 206 millions), et cela en ces temps où l’argent manque cruellement partout dans l’univers de la culture.
Des aménagements, ce qui est aussi plus respectable, qui viseraient également à améliorer la visibilité du spectateur, visibilité extrêmement inconfortable quand celui-ci siège au deuxième rang des loges de côté et pire encore au troisième d’où elle est quasiment nulle. Les « progressistes » avancent encore que ces cloisons rétractables, donc amovibles, ne devraient être ôtées que le temps des représentations et replacées ensuite, chose dont on peut légitimement douter en songeant au surcroît de main d’œuvre qu’exige l’opération.
Une dérive à l’américaine
De l’autre les « conservateurs » qui ne sont rien d’autre que des gens qui respectent un monument célébrissime légué par le Second Empire, ainsi que la volonté d’un architecte qui eut du génie, Charles Garnier, lequel a créé l’un des plus beaux théâtres du monde pour la restauration duquel on a dépensé des millions à bon escient.
Eux parlent à juste titre du désastreux effet visuel que produirait la disparition des cloisons qui rythment la succession des loges disposées sur le pourtour de la salle. Ils dénoncent en passant le mercantilisme qui sévit à l’Opéra de Paris où la Rotonde des Abonnés a été partiellement abandonnée à un restaurant qui n’apporte rien de particulier à l’Opéra et où la librairie de ce théâtre a été abandonnée… aux Galeries Lafayette qui l’ont remplie de babioles indignes d’une maison d’art lyrique. Bref, une dérive à l’américaine aux effets souvent très déplaisants que n’excuse pas toujours le besoin d’argent et qui dénature l’institution au lieu de l’améliorer et d’améliorer réellement l’accueil du public.
Un appel indigné
Hugues Gall, prédécesseur de l’actuel administrateur général de l’Opéra de Paris, Stéphane Lissner, a rédigé un appel indigné pour dénoncer ce que beaucoup ressentent comme un saccage digne des années 1970 et une dérive mercantile. Et des milliers de personnes ont déjà signé une pétition demandant le retrait de cette décision vue comme une barbarie.
En France, et souvent avec raison, toucher au patrimoine relève du crime, même si cela parfois entraîne un immobilisme excessif. Mais ce n’est pas ici refuser les changements que de dénoncer ceux qui ne ressemblent qu’à une course effrénée à l’argent. Risquer de dénaturer gravement une salle comme celle de l’Opéra de Paris pour espérer récolter 300.000 euros au mieux, n’est-ce pas perdre un peu de son âme pour assez peu de chose ? Et n’y aurait-il pas, au sein de l’Opéra, des économies intelligentes à faire, à commencer par celle de la dispendieuse présence de ce magnifique taureau qui incarne le veau d’or dans « Moïse et Aron » et qui coûte à l’Opéra 5000 euros par représentation ?
Raphaël de Gubernatis