Après l’annonce, début juillet, d’un projet d’attentat déjoué contre le sémaphore de Béart (Pyrénées-Orientales), les militaires étaient une nouvelle fois visés par un jihadiste. Mardi, Canal+ a révélé l’interpellation, le 29 octobre, d’un Toulonnais de 25 ans, Hakim M., qui ambitionnait une attaque contre la base navale de la marine nationale du Var. En garde à vue, l’homme est passé rapidement aux aveux. Mis en examen le 2 novembre pour «association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste», il était connu depuis l’été 2014 par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) pour ses velléités de départs en Syrie et son activité ostentatoire sur Facebook. Les enquêteurs ont notamment découvert des posts glorifiant l’action de l’Etat islamique (EI), ainsi que des échanges éloquents avec un autre Toulonnais, Mustapha M., parti, lui, en Syrie en décembre 2014.
Alertés par le contenu de leurs conversations, les services intérieurs ont intercepté deux colis, commandés par Hakim M. sur un site internet chinois, dont l’un contenait deux cagoules noires et un «couteau de combat». Le jihadiste présumé avait choisi d’acheter du matériel en ligne après avoir échoué à se procurer une kalachnikov en Corse. Ces colis avaient pour destination le foyer Adoma, dans lequel résidait Hakim M., qui avait coupé les ponts avec sa famille et ses amis depuis plusieurs mois. «Même si son passage à l’acte n’était pas encore totalement clair, son profil est un peu plus sérieux et déterminé que les trois jeunes impliqués dans le projet d’attaque près de Perpignan [Les trois suspects, Ismaël K. (17 ans), Djebril A. (23 ans) et Antoine F. (19 ans) consultaient tout de même des documents de propagande de l’EI et des manuels de confection d’engins explosifs, ndlr]. Toutefois, on observe désormais des similitudes dans de nombreux dossiers. Des consignes sont données par des connaissances en Syrie et certains, sur le territoire français, sont désignés ou se portent volontaires pour les appliquer», confie un policier antiterroriste haut placé.
C’est en effet en dialoguant avec Mustapha M. qu’Hakim M. se serait fortement radicalisé. Agé de 21 ans, Mustapha M.a lui-même un lourd passif. Il a été interpellé en septembre 2012 pour des menaces formulées à l’encontre de Charlie Hebdo après la publication de caricatures de Mahomet. A l’époque, les policiers tentent de mettre au jour ses différentes connexions, notamment celles dont il dispose dans la cellule jihadiste dite Cannes-Torcy. Son démantèlement avait conduit à 21 mises en examen. Deux de ses membres supposés s’étaient manifestés par le jet d’une grenade dans une épicerie casher de Sarcelles (Val-d’Oise) le 19 septembre 2012.
Si Mustapha M. n’est pas directement impliqué dans cette équipée, plusieurs discussions sur les réseaux sociaux entre lui et Jérémy Bailly, l’un des leaders de la cellule Cannes-Torcy, et Yann Nsaku, un autre protagoniste, ont fortement intéressé les policiers à l’époque. Le 20 septembre 2012, il nie pourtant farouchement ses desseins lors de sa garde à vue : «Aujourd’hui, j’ai renoncé à mon projet [de frapper Charlie, ndlr]. Vous me demandez précisément pourquoi ? C’est effectivement parce que je suis seul et que je n’aurais pas les moyens de réaliser ce genre d’action en agissant seul. […] Je crois que je serais capable de revenir à ce projet si j’étais entouré de gens pour m’aider.» Toutefois, des perquisitions effectuées à son domicile avaient permis de mettre la main sur plusieurs couteaux. Libéré sous contrôle judiciaire en avril 2013, il cesse de pointer au commissariat en décembre 2014, période à laquelle il gagne la Syrie. Il se serait alors basé un temps à Raqqa, la capitale syrienne du califat de l’Etat islamique (EI), et se targue «d’avoir combattu» selon une source des services de renseignements.
Pour sa part, Hakim M. a tenté de rejoindre les zones de combat en octobre et décembre 2014. La première fois, sa famille l’en a empêché en confisquant ses documents de voyage. Hakim M. les a alors déclarés volés, avant, semble-t-il, de réussir à reprendre les originaux à ses parents. En décembre, il tente de quitter la France par la route, et rejoint la frontière italienne où ses documents déclarés volés font tiquer les autorités lors d’un contrôle. Quelques semaines plus tard, en février 2015, une interdiction administrative de sortie de territoire, permise par la loi antiterroriste votée en novembre 2014, est prononcée à son encontre. Contraint de rester à Toulon, il aurait, sur conseils de Mustapha M., choisi de s’en prendre à des marins de la base navale, les militaires étant des cibles récurrentes de la propagande de l’Etat islamique.
Willy Le Devin