Si cette élection du 3 mars 2016 à l’Académie française était un film de Tarantino, un western spaghetti du Quai Conti, on y verrait une poignée de lascars assoiffés de gloire, prêts à tout pour s’asseoir sur le fauteuil de la regrettée Assia Djebar – le numéro 5, à pourvoir depuis son décès il y a un an. Sauf que ce n’est pas un film, mais un psychodrame consternant, énième épisode de l’effondrement intellectuel dont l’institution, autrefois prestigieuse, offre désormais le spectacle à chaque élection.
Au début, on était encore entre gens de bonne compagnie. Se voyant porter l’habit, Frédéric Mitterrand annonça sa candidature pour renoncer finalement, sentant que l’affaire était loin d’être gagnée. Excellent critique, Jean-Claude Perrier déclara également forfait. Les candidatures les plus farfelues se mirent à affluer alors, multitude paradoxale quand on sait la difficulté de l’Académie à trouver immortel à son pied.
Il y a une trentaine d’années, ce club longtemps masculin eut la bonne idée, hardie pour ces messieurs, de considérer que les femmes, après tout, faisaient aussi partie du genre humain (Marguerite Yourcenar servit de cobaye en 1980, prévenant cependant qu’il ne faudrait pas compter sur elle pour les séances du dictionnaire). Toujours est-il que, la mortalité ayant, sous la coupole, battu tous les records, l’Académie se mit à ratisser large. Journalistes, paroliers, j’en passe – l’Académie n’a jamais été aussi égalitaire, démocratique, anar presque.
D’avoir ainsi abaissé constamment le niveau a donné des idées au vulgum – l’élection d’aujourd’hui en offre une bien piteuse illustration. Vous n’avez sans doute jamais eu vent de l’œuvre de Michel Carassou, qui s’est porté candidat. C’est, figurez-vous, un spécialiste du surréalisme. A une époque, André Breton crachait pourtant sur l’institution et sur certains de ses membres (Anatole France notamment). Eduardo Pisani aimerait lui aussi faire partie de la noble assemblée. Né à Naples, il s’est fait connaître en poussant la chansonnette (« Je t’aime le lundi »). Un chanteur donc. Voilà qui devrait réveiller l’ambiance, après qu’on a réfléchi, sur la question des oignons, à la manière de peler le mot dans l’idée de mieux l’écrire.
«Poète, blogueur et chroniqueur», tel se proclame Eric Dubois qui s’est porté candidat le 4 février. Décidément, ce n’est plus une ondée passagère. A l’actif de Dubois, une «vingtaine» de livres publiés, selon l’intéressé. Pour faire pencher un peu plus la balance de son côté, notre nouveau René Char se dit «militant actif de la cause poétique et de la condition de la poésie et des poètes». Et de noter qu’on «étudie certes encore la poésie dans les écoles, les collèges, les lycées et les universités, mais qu’à mesure que l’adulte pris par des préoccupations familiales, sociales et professionnelles se sent attiré par les divertissements populaires, son goût ou son intérêt s’en éloigne. Je n’ai pas ici à faire le procès de la Société de Consommation et du Spectacle. N’est pas Marx ou Debord qui veut !» Et n’entre pas à l’Académie qui en rêve! Dieu merci, notre sympathique candidat ne se fait pas trop d’illusions : «J’ai peu de chance d’être élu. Je vais avoir cinquante ans. Je suis encore un jeune poète.»
Andrei Makine est, lui aussi, sur les rangs. Russe d’origine, Andrei a un univers, une langue, un talent indéniables. L’Académie sauvée des eaux ? Pas sûr. Car pour Olivier Mathieu, un pamphlétaire qui a traité Finkielkraut de «vrai néo-con» et qui vient de s’en prendre à Eric Dubois, Makine est le pire choix possible. Pas étonnant, puisque lui-même est candidat !
«Vous prenez un faux-dissident (notre époque est remarquable par son taux considérable de toc, toqués et tocards aux commandes), écrit Mathieu, un marchand de Russie « éternelle », un marchand de malheur juif « éternel », un cracheur dans la soupe « éternelle » française, un odieux réactionnaire « éternel »qui semble avoir les pauvres en aversion – le tout en un seul homme – vous touillez à peine et vous obtenez un parfait « français de souche » élu magistralement à l’Acacadémie française ». L’auteur de ces lignes, négationniste avéré et admirateur de Faurisson, fait profession, depuis une vingtaine d’années, de se présenter à l’Académie sous des noms différents, Robert Pioche ou Robert Spitzhacke.
La tournure qu’a pris cette élection est, on le voit, aussi comique que consternante. Et la liste n’est pas close. Un poète blogueur, Yves-Denis Delaporte, figure également sur la liste. Sans doute pour se trouver un logement: on lisait récemment, dans la rubrique faits divers de «Sud-Ouest», que ledit poète, fonctionnaire de l’Education nationale, s’était attiré les foudres de sa hiérarchie.
Instamment prié par le tribunal administratif de libérer son logement de fonction du collège Élisée-Mousnier, l’ex-gestionnaire, de retour à Cognac après un séjour à Nice, livre sa version de l’histoire. « On a presque l’impression que je bloque la situation par méchanceté. J’étais en train de préparer mon déménagement pour Rochefort, j’avais dit que je partirais le 1er septembre », s’efforce-t-il de rassurer. Place devrait être faite à la nouvelle gestionnaire, cantonnée dans un logement du collège Claude-Bouchet depuis un an et en butte à des voisins irascibles.
En somme, bientôt à la rue, Delaporte s’est dit que l’Académie, c’était toujours mieux que les HLM.
Aux dernières nouvelles, un jeune homme de 15 ans, Valentin Ogier, viendrait également de déposer sa candidature. Et allez donc! Scolarisé à Lamballe, il a reconnu n’avoir aucune chance, mais a expliqué vouloir «faire passer un message d’optimisme pour prouver que la jeunesse d’aujourd’hui n’est pas perdue et ne va pas dans le mur».
On le voit, l’Académie est devenue le bureau des pleurs pour idéalistes, paumés et mécontents en tout genre. La prochaine fois, on aura droit à l’éleveur de porc poète. Pas étonnant, en tout cas, que nos habits verts broient du noir. Au point que certains d’entre eux font désormais du porte à porte pour tenter quelques pointures. Jean d’Ormesson n’a-t-il pas, il y a quelques jours, fait de la retape auprès du comédien Fabrice Lucchini, en déclarant qu’il aurait sa place à l’Académie ?
Didier Jacob