La violence de la scène est incontestable, ses circonstances sont, elles, d’abord restées troubles. Dans un article publié samedi, l’Union de Reims (Marne) affirme que le mercredi précédent, une jeune femme de 21 ans a été lynchée par cinq autres, âgés de 16 à 24 ans, au motif qu’elle bronzait en maillot de bain dans le parc Léo Lagrange. D’autant plus explosif que selon le récit publié samedi, une des jeunes filles se serait approchée pour reprocher à la victime sa tenue contraire à «sa morale et ses mœurs». Et voyant que la jeune femme ne comptait pas se rhabiller, le reste de la bande a alors été appelé en renfort pour la rouer de coups. Des témoins se seraient alors interposés. Transportée au CHU de Reims, la victime s’est vue prescrire quatre jours d’ITT (incapacité totale de travail).
Mais dimanche à 10 h 30, le journal met discrèetement à jour son article, précisant l’avoir publié la veille «sans connaître les motivations précises de l’agression»: «on ignore les propos tenus par les jeunes filles qui ont molesté la victime.» Premier trouble. D’autant que samedi dans la nuit, sur Facebook, une personne se présentant comme une des agresseuses présumées conteste la date des faits et en livre une autre version: «il n’a jamais été question de tout ce qui est écrit», assure-t-elle, ajoutant qu’elle a pour sa part fait l’objet de 10 jours d’ITT. «Je n’ai fait que séparer et c’est moi qui me suis fait agresser», explique cette jeune femme, évacuant les accusations d’agression à caractère religieux – «non mais allô, faut tout simplement arrêter de raconter de la merde».
Et dimanche après-midi, loin de confirmer le «discours de police religieuse» prêté la veille par l’Union à l’auteure principale présumée de l’agression, le parquet de Reims affirme que «ni la victime ni les auteures des coups n’ont fait état, lors des auditions, d’un mobile religieux ou d’un mobile moral qui aurait déclenché l’altercation». «C’est une altercation entre jeunes filles qui dégénère après qu’une des auteures de l’agression a dit: «Allez vous rhabiller, ce n’est pas l’été», a précisé à l’AFP la commissaire de permanence, Julie Galisson. Une des femmes ainsi interpellée ne s’est pas laissée faire et cela a dégénéré en violences.»
Contactée par BuzzFeed France, une des cinq filles mises en cause, âgée de 19 ans, raconte: «J’étais en effet avec trois amies et ma petite sœur mercredi vers 16h30, quand nous sommes allées au parc Léo Lagrange. Nous sommes passées devant trois filles en maillot de bain et j’ai juste dit à ma copine que si c’était moi, je n’oserais pas me mettre dans cette tenue. Mais j’ai dit ça car je suis complexée, absolument pas pour des questions religieuses ou morales. Je suis musulmane oui, mais tolérante». Elle réfute ensuite tout «lynchage»: «Lorsque l’une des trois filles m’a entendue parler, elle m’a interpellée pour me dire qu‘«avec mon physique, elle comprenait que je n’ose pas me mettre en maillot». Elle a également dit que j’étais grosse. Je suis allée vers elle pour lui donner une gifle, puis elle s’est battue avec mon amie. À partir de là, j’ai tout fait pour les séparer. Elles se sont battues seulement toutes les deux, avant que des témoins puis un policier en civil ne s’interposent.»
Vives réactions
Dimanche, le maire LR de la ville, Arnaud Robinet, dénonçant «la bêtise humaine» de cet acte, a pris soin de juger «intolérable de stigmatiser une communauté ou une autre pour un acte commis par quelques-uns et sans connaître le fond de cette affaire.» Il faut dire que malgré la confusion, les réactions enflammées s’étaient multipliées. Samedi 17h30, l’émotion montant, Robinet commence par diffuser l’article de l’Union, accompagné du commentaire: «Intolérable sur notre territoire. Je condamne fermement cette agression». Au même moment, dans la «fachosphère», on s’en donne à cœur joie sur le thème du «laboratoire de la charia» tel le mariniste Karim Ouchikh, patron du SIEL, ou de «la charia en bas de chez soi» comme le sénateur FN, Stéphane Ravier. A droite, le député des Alpes-Maritimes Eric Ciotti entonne un refrain similaire, fustigeant dès samedi une attaque de «notre» «mode de vie»:
Agression inacceptable par laquelle on veut nous imposer un mode de vie qui n’est pas le notre. Intransigeance ! https://t.co/OG57jhBesD
— Eric Ciotti ن (@ECiotti) 25 Juillet 2015
Intolérance, dimension religieuse ou bêtise crasse ?
Dimanche matin, c’est donc un Robinet en mode on calme le jeu, qui déclare : «Il semble qu’il n’y ait pas d’argument religieux à cette agression», précisant que «toutefois, pour la population rémoise, cette agression est prise comme telle.» L’Union ne laissait en effet que peu de place au doute. Appelant «à ne pas tomber dans un amalgame» sans avoir les résultats de l’enquête, le maire de Reims prêche dans le désert. Dimanche midi, SOS Racisme Reims organise un (micro) rassemblement en maillots de bain dans le parc Léo Lagrange. Sur Twitter, Nadine Morano (LR) tweete, elle, une photo de Bardot en bikini (comme l’été dernier quand elle avait flashé une femme voilée sur la plage). Florian Philippot (FN), qui était justement chez Bardot récemment, estime dans le même ton que la jeune femme a été lynchée pour sa façon de vivre «à la française». Sur Twitter, le hashtag #jeportemonmaillotauparcleo cartonne, attirant pêle-mêle des messages de sympathie pour la victime, minoritaires, des commentaires sexistes, en nombre, et aussi un flot de sentences xénophobes.
Oui j’appelle à l’apaisement car personnes ne connaît le fond de cette affaire. Laissons la justice et la police faire leur travail. (2)
— Arnaud Robinet (@ArnaudRobinet) 26 Juillet 2015
La plus jeune mise en cause, 16 ans, a fait l’objet d’une convocation devant le délégué du procureur tandis que l’auteure principale, 17 ans, a été placée sous le statut de témoin assisté – décision dont le parquet a fait appel. Les trois autres, majeures, comparaîtront le 24 septembre pour «violences en réunion» devant le tribunal correctionnel. Il reviendra alors au juge de faire la part des choses entre intolérance, bêtise crasse et dimension religieuse. Sans écarter, même, une rixe aux ressorts plus banals. L’un n’excluant d’ailleurs pas les autres.