L’assassin du titre, c’est elle, Nie Yinniang (la sublime Shu Qi), enlevée aux siens à l’âge de 10 ans et formée par une religieuse au métier de tueuse. Elle est chargée de l’exécution de ceux que le pouvoir de la dynastie Tang corrompue et déclinante désigne comme ses ennemis. Et sans tarder elle fait à l’écran la preuve d’une expertise terrifiante, prise en défaut cependant à l’occasion de sa mission suivante : la présence imprévue de l’enfant de l’homme qu’elle était chargée d’exécuter la conduit à épargner sa cible.
La jeune femme se voit confier une nouvelle mission, à la fois punition et moyen d’éradiquer en elle tout sentiment de pitié. Alors, la couleur éclabousse l’écran, et l’expression prend tout son sens : les images du génial Mark Lee Ping Bing sont extraordinaires, et aux yeux de ceux qui, entre le numérique et le bon vieux 35 mm utilisé ici, ne savent pas faire la différence, ce sera une révélation. La lumière lutte avec l’ombre pour inonder les décors, dont le moindre élément est une œuvre d’art, où la branche la plus banale paraît d’une splendeur inédite. Le film joue avec les voiles et les étoffes autant qu’avec les acteurs, et pourtant jamais il ne se fige, à aucun moment la reconstitution ne contrarie sa respiration.
A voir deux fois, au moins
C’est que Hou Hsiao-hsien est un maître. Il songeait à ce projet depuis toujours. Près de dix années lui ont été nécessaires pour qu’il le mène à bien, au point qu’on en venait à désespérer de voir un jour « le film de sabre » de l’auteur de « la Cité des douleurs » et de « Millenium Mambo ». Il s’est trouvé conduit par le genre lui-même à modifier son style, sans renoncer pourtant aux principes de son cinéma : il faut bien que la vitesse s’empare du film par instants, et c’est par le montage que se traduisent les éclairs de violence, lames qui sifflent, traits de lumière et de mort, corps lancés dans l’espace, traversées fulgurantes, surgissements saisissants.
Il n’est pas certain que chacun s’y retrouve toujours dans les entrelacs d’une intrigue sinueuse et embrouillée, mais la familiarité avec l’histoire de la Chine du IXe siècle n’est pas nécessaire. Et puis, si certains développements dramatiques peuvent sembler obscurs, au risque de faire décrocher parfois le spectateur, c’est qu’un film comme « The Assassin » doit être vu deux fois. Au moins.
Pascal Mérigeau
♥♥♥ « The Assassin« , par Hou Hsiao-hsien. Film de sabre taïwanais, avec Shu Qi, Chang Chen, Zhou Yun, Satoshi Tsumabuki (1h45).