Kendrick Lamar, Iggy Pop, Pete Astor… La sélection musicale de la semaine

Le choix de « l’Obs »

♥♥♥♥ « Untitled Unmastered« , par Kendrick Lamar (Interscope).

Ce disque de huit titres que Kendrick Lamar a sorti sur internet sans prévenir personne est composé de chutes de studio, de morceaux enregistrés ces deux dernières années que Lamar n’a pas pu sortir sur son dernier album, « To Pimp a Butterfly », soit parce qu’ils n’avaient pas été finalisés à temps, soit parce qu’il n’avait pas obtenu d’autorisations pour les samples utilisés. Pour autant, il ne faudrait pas voir « Untitled Unmastered » comme un disque mineur, un bootleg sauvé des eaux ou un simple interlude. Au contraire : c’est peut-être le disque le plus abouti du jeune rappeur de Los Angeles. Ces huit morceaux confirment qu’à 28 ans il est un des artistes les plus doués et les plus intéressants de sa génération.

Lamar ne se contente pas, comme beaucoup de rappeurs, de commander une poignée d’instrumentaux et de poser sa voix dessus, formule qui a pourtant produit d’excellents disques. Il construit des objets sonores complexes, mouvants, presque encyclopédiques : s’y versent les apports du jazz côte Ouest, de la soul, du gangsta rap ­californien, du hip-hop savant des années 2000 à la Madlib, et même de la musique contemporaine. Il s’entoure des meilleurs musiciens que l’on puisse trouver à Los Angeles, comme le saxophoniste et producteur Terrace Martin. On le sent planer au-dessus du grand foutoir collaboratif qui préside ordinairement à la fabrication d’un album de rap, et diriger ses invités comme un chef d’orchestre.

Sur « Untitled », Lamar radicalise son chant et utilise sa voix rauque et juvénile comme il ne l’avait jamais fait auparavant. Son rap capricieux et hyper-rythmé vire parfois à la transe, au cri et au sanglot, sans tomber dans le cabotinage. Dans « Untitled 07 », on l’entend travailler : sur une boucle de guitare minimale, entouré de son équipe qui rigole et commente, il improvise, construit ses ritournelles petit à petit, et ce qui pourrait n’être qu’un document sonore pour ses fans devient un vrai morceau. « Untitled Unmastered », quelque part entre l’album et le brouillon, entre le live et la session de studio, nous donne à voir un petit génie au travail.

Les autres sorties

♥♥ « Never Mind the Future« , par Sarah Murcia (Ayler Records).

JAZZ PUNK. En 1977, quatre voyous londoniens cassaient la baraque en massacrant « My Way » et « God Save the Queen ». Près de quarante ans plus tard, voilà les arroseurs arrosés : Sarah Murcia, anarchiste contrebassiste de jazz, joue avec le « Never Mind the Bollocks » des Sex Pistols comme avec un tas de pâte à modeler. Entourée par d’excellents musiciens, elle pastiche le gros grain de Steve Jones, calme le jeu là où on ne s’y attend pas, injecte des solos de saxo bien tordus, invite Benoît Delbecq à plaquer d’étranges accords sur son piano. Il était temps de maquer l’héritage de Johnny Rotten avec celui d’Albert Ayler. CQFD avec ce disque dadaïste. God save the punk.

♥♥♥ « Spilt Milk« , par Pete Astor (Fortuna Pop/Differ-ant).

ROCK. Une chanson avec des « sha la la » peut-elle être bonne ? On répond par l’affirmative quand il s’agit de « Brown Eyed Girl » (Van Morrison), de « Sha La La La Lee » (Small Faces), de « Mermaids » (Paul Weller). Et aussi quand il s’agit de « Mr Music », un des titres du nouvel album de Pete Astor.

Aujourd’hui maître de conférences à l’université de Westminster, il a décidé de reprendre sa guitare et son songwriting acéré trente-cinq ans après son premier groupe, The Loft. On voyait alors en lui le prochain Dylan. Désormais, avec l’aide de James Hoare d’Ultimate Painting pour la partie musicale, il tire des bords du côté du Velvet Underground, l’esprit de Lou Reed venant hanter ce disque de perles de velours. C’est à croire que les fantômes existent.

♥♥ « Tout Satie ! The Complete Edition« , par Erik Satie (10 CD Erato).

CLASSIQUE. Erik Satie n’est peut-être pas le meilleur compositeur français, mais il demeure un des plus importants historiquement. Ne serait-ce que par l’élaboration d’un arte povera tout à fait nouveau, et par l’influence qu’il a exercée sur Debussy, ou John Cage et ses suiveurs. Au milieu de pièces dont les enregistrements viennent du catalogue ancien, on trouve des joyaux comme « Socrate » ou la « Messe des pauvres ». C’est-à-dire des œuvres volontairement anémiques, où ne subsistent plus que l’os et le nerf de la musique.

Rock

♥♥ « Post Pop Depression« , par Iggy Pop (Caroline International).

Sexagénaire au torse sempiternellement nu, le vieil exhibitionniste de Detroit, le vétuste Nijinski qui aime à montrer son kiki revient avec un nouvel album qu’il a enregistré avec Josh Homme, guitariste des Queens of the Stone Age et membre intermittent des Eagles of Death Metal (il n’était pas sur scène au Bataclan le 13 novembre), mais aussi Matt Helders, le batteur des Arctic Monkeys. Est-ce par coquetterie ou par ruse commerciale ?

A 68 ans, l’ancien chanteur des Stooges, le rocker crooner au baryton interlope, a dit que ce disque serait peut-être son dernier, car il n’a plus « l’énergie » d’antan. (Iggy) Pop dépression ? La bonne nouvelle, déjà, c’est que Pop ne se donne plus le ridicule de massacrer « les Feuilles mortes » ou « la Javanaise ». Autre bonne surprise : on s’accorde à reconnaître que les deux meilleurs disques solo de l’Américain sont ceux que David Bowie a produits et, en partie, composés pour lui, à la fin des années 1970 : « The Idiot » et « Lust for Life » : on retrouve sur certains titres l’esprit génialement souillon de cette période avec sa basse grasse (« Gardenia », et dans une moindre mesure, « Break Into Your Heart » qui ouvre l’album).

Eagles of Death Metal à l’Olympia : deux heures de show total

Le plat de résistance, ici, c’est « Sunday » : attraction dansante et bringuebalante de six minutes, avec ses riffs vicieux, ses chœurs fantomatiques ou bubble gum, et son final orchestral un peu kitsch en forme de BO cinématographique. Le reste de l’album est bien foutu mais plus convenu. Sur le dernier morceau, Iggy Pop ou son personnage annonce qu’il s’en va vivre au « Paraguay » sans qu’on sache trop si c’est un heureux retraité qui parle, un misanthrope technophobe ou un vénérable nazi en cavale.

David Caviglioli, Grégoire Leménager, Frantz Hoëz, Jacques Drillon et Fabrice Pliskin

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