Alex Beaupain, Maissiat, Jeff Buckley… La sélection musicale de la semaine

Le choix de « l’Obs »

♥♥♥♥ « Loin« , par Alex Beaupain (AZ).

L’an passé, Alex Beaupain mettait en musique « les Gens dans l’enveloppe », le livre d’Isabelle Monnin, qui inventait la vie d’inconnus à partir de leurs photos de famille. Bientôt, on découvrira qu’il a aussi composé les chansons des « Malheurs de Sophie », adapté au cinéma par Christophe Honoré, son ami d’enfance. Entre-temps, Beaupain a enregistré son cinquième album. Le chanteur, adepte des chansons d’amour nostalgiques et mélancoliques, se dévoile plus encore dans ces titres qui, pour l’essentiel, évoquent la douleur de la disparition et du deuil. Barbara disait qu’on pouvait être « orpheline à 40 ans ». Beaupain, plus jeune, a perdu sa petite amie, puis sa mère et récemment son père. Ces êtres aimés traversent ce très bel album.

Alex Beaupain : « Il ne se passe pas grand-chose quand on est heureux »

Pourtant, même si ces souvenirs viennent assombrir le disque, Beaupain parvient à y instiller un peu de légèreté dans ses accents pop. « Loin », qui donne son titre à ce nouvel opus, revient sur les souvenirs lumineux d’une enfance à tout jamais enfuie. Chanson après chanson, Beaupain retrace le chemin de sa vie dans ce qu’elle a de beau et de tragique. « Je te supplie », sur une mélodie de Julien Clerc, est une lettre adressée à son amoureuse perdue. « Les voilà » tente de faire revivre ses défunts parents, tout comme « Rue Battant ». Cette dernière, signée Vincent Delerm, paroles et musique, est une errance dans Besançon, la ville natale de Beaupain, à la recherche des figures évanouies. Qu’on ne se méprenne pas sur l’intention : cet album est celui d’un amoureux fou de la vie.

Chanson

♥♥♥♥ « Grand Amour« , par Maissiat (Cinq/7).

Il y a trois ans sortait « Tropiques », le premier album de cette inconnue au nom mystérieux. Maissiat, auteur et compositeur, y interprétait « le Départ », une ballade sur la mort qui a forcément marqué ceux qui l’ont entendue. Aujourd’hui, son deuxième disque confirme combien Maissiat est douée. Elle y parle d’amour, l’amour quand il est profond, lumineux, sensuel, douloureux parfois.

Le plus souvent, le piano accompagne cette voix qui ressemble à s’y méprendre à celle de Françoise Hardy – cette dernière avait d’ailleurs souhaité la rencontrer à l’époque du « Départ ». Alors, oui, c’est dit : Maissiat excelle dans la grande ballade sentimentale. Ecoutez « Grand Huit », « Ce bleu sentimental », « Bilitis » ou encore « la Beauté du geste ». Autant de chansons à la fois personnelles et universelles, interprétées d’une voix rare et fragile qui semble vouloir atteindre les nuages.

Blues rock

♥♥♥ « Opération Aphrodite« , par Gérard Manset (Parlophone/Warner).

Quarante-cinq ans après « la Mort d’Orion », premier space opera rock français, Manset récidive avec une nouvelle symphonie métaphysique. L’homme-orchestre déroule son blues rock lyrique et ses ballades névralgiques, entrecoupés de lectures de Pierre Louÿs. Le concept album est illustré par René Brantonne, créateur de l’esthétique de la légendaire collection « Anticipation » chez Fleuve noir. En couverture, Manset reproduit celle du n° 47 : « Opération Aphrodite » (roman de Jimmy Guieu).

Nostalgique d’une époque où il découvrait les odyssées intergalactiques, le voyageur solitaire pioche dans les 273 couvertures du maître et nous propose encore « Terminus 1 » (Stefan Wul) ou « Créatures des neiges » (Jimmy Guieu). Seconde clé : « Aphrodite », sous-titré « roman de mœurs antiques » que publia Louÿs au lendemain des « Chansons de Bilitis ». Le rocker invisible souscrirait-il à ce culte de la beauté sur fond de décadence libertine ou faut-il y voir les interrogations crépusculaires de l’artiste ? Ce vieil enfant d’Aphrodite se penche sur les cruelles lèvres du passé et voit la mort dans ces « divinités amies [qu’il va] retrouver pour mille ans, dans ces allées de fruits où les jours sont des nuits ».

Inédits

♥♥ « You and I« , par Jeff Buckley (Columbia).

Evidemment, faire du business avec les brouillons d’un malheureux qui s’est noyé dans le Mississippi à 30 ans, ce n’est pas joli-joli. Bien sûr, tout le monde aurait préféré que Jeff Buckley continue sur sa lancée après « Grace », cet unique album que les étudiantes de 1994 écoutaient en allumant des bougies, dans un frisson mystique.

Seulement voilà, en février 1993, seul avec sa guitare et son harmonium, ce jeune surdoué au lyrisme un peu emphatique avait aussi mis en boîte ces dix chansons. Elles n’ont rien de médiocre. Ce sont surtout des reprises (Dylan, Led Zeppelin, les Smiths…), car ce garçon-là était capable de tout jouer, ou presque : de la ballade sensuelle (« Just Like a Woman ») au funk velouté (« Everyday People ») en passant par la country old school (« Poor Boy Long Way from Home ») ou ses propres compositions (« Grace », déjà parfaitement en place). Et le doute n’est pas permis : s’il cherchait encore sa voie, il avait trouvé sa voix.

Les autres sorties

♥♥ « God don’t never change : The songs of blind Willie Johnson« (Alligator Records/Socadisc).

BLUES. Blind Willie Johnson est mort en 1945 (un 18 septembre, comme Hendrix), mais pas son gospel rauque, pas le blues mystique et rustique qu’il arrachait à sa guitare. La preuve avec cet album, où une dizaine d’artistes rendent hommage au prophète aveugle du Texas : le trop rare Tom Waits offre ses manières d’ours mal léché à « The Soul of a Man » et « John the Revelator » ; les Cowboys Junkies promettent que « Jesus Is Coming Soon » ; et Rickie Lee Jones fait un sort à « Dark Was the Night… », cette poignante complainte qui fut expédiée dans les étoiles par la NASA en 1977, avec un concerto de Bach, un quatuor de Beethoven et une poignée d’autres oeuvres capables de plaider la cause, pourtant désespérée, de l’humanité.

♥♥♥ « Sérénades interrompues« , par Quatuor Bedrich (Bion Records).

CLASSIQUE. On a souvent transcrit du quatuor vers le piano, mais rarement dans l’autre sens, allez savoir pourquoi, comme si un pont était univoque. En tout cas, cela marche du tonnerre. Les Bedrich ont adapté pour cet enregistrement Chabrier, Bizet, Fauré, Debussy, Satie, Poulenc, Falla, et c’est un régal. Ils ont trouvé mille manières de rendre les effets pianistiques, mille traductions, mille effets, mille équivalences. Ils font si bien qu’ils nous trompent : le prélude du « Tombeau de Couperin » de Ravel, on dirait son quatuor.

♥♥♥« It calls on me« , par Doug Tuttle (Trouble In Mind Records).

POP ROCK. Bien que la pochette fasse penser à un disque de rock gothique de 1984, où sauter dans un lac gelé reste une solution pour quitter ce monde, il n’en est rien. Doug semble plus attiré par les scintillements psyché et les carillons pop, les arrangements délicats et les guitares ciselées qui lorgnent sur les Byrds.

On a le sentiment de découvrir un nouveau trésor exhumé de la fi n des sixties, mais c’est pourtant en 2015 que ce fan de Peter Buck (R.E.M.) a enregistré seul dans l’appart de sa copine ce disque laid back aux mélodies subtiles. Avec des titres comme « Painted Eye » ou « Falling to Believe », aucun doute, c’est Gene Clark, White Fence et Jacco Gardner réunis. Guitare 12 cordes et tambourin de rigueur.

Sophie Delassein, Grégoire Leménager, Jacques Drillon, Frantz Hoëz et François Armanet

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