En 1966, David Bowie a 19 ans, quand il écoute pour la première fois « The Velvet Underground & Nico », le premier disque du Velvet Underground, qui paraîtra en 1967. Pour le chanteur au seuil de sa carrière (son premier album, « David Bowie », paraîtra lui aussi en 1967), c’est comme une apparition.
En 2003, Bowie publiait dans “New York Magazine” un superbe exercice d’admiration pour célébrer le premier disque fondateur et matriciel du Velvet Underground. « Vers la fin de l’année 1966, mon manager d’alors, Ken Pitt, revenait des Etats-Unis avec deux disques qu’on lui avait donnés à New-York, écrit Bowie. Comme ils n’étaient pas particulièrement sa tasse de thé, il me les donna pour voir ce que j’en ferai. » Le premier est un disque des Fugs, le second, un pressage test, avec la signature d’Andy Warhol griffonné dessus. C’est « The Velvet Underground & Nico ».
« Tout ce que j’éprouvais sans le savoir pour le rock se révélait à moi sur un disque encore inédit, écrit Bowie. Le premier morceau glissait d’une manière assez inoffensive sans rien laisser présager de la suite. » Mais le deuxième titre, « I’m Waiting For The Man » foudroie Bowie comme une épiphanie. En écoutant cette guitare et cette basse « palpitantes et sarcastiques », il conçoit « la pierre angulaire de (s)on ambition » : « Cette musique était sauvagement indifférente à mes sentiments. Elle se moquait de savoir si je l’aimais ou pas. Elle n’en avait rien à foutre. Elle était entièrement préoccupée par un monde ignoré de mes yeux de banlieusard », écrit le Britannique qui a grandi à Bromley, dans la banlieue de Londres.
« Les chansons tortillaient leurs tentacules »
Il y a donc pour le chanteur, un avant et un après le Velvet Underground de Lou Reed. « Bouleversement de toute ma personne », comme dit Proust. « Manifestement, la rigolade, c’était fini », écrit Bowie. « Ce que j’étais en train d’écouter atteignait un degré de cool dont je ne pouvais concevoir qu’il fût humainement viable. Un ravissement. L’une après l’autre, les chansons tortillaient et faufilaient leurs tentacules autour de mon esprit. Maléfique et sexuel, le violon de ‘Venus in Furs’, telle une musique de revival païenne préchrétienne. La voix de Nico, distante, glaciale, genre ‘baise-moi si tu veux, je m’en fous complètement’ sur ‘Femme fatale.' » A la fin du disque, au moment où s’achève « European Son », Bowie note :
« J’étais si excité que je ne pouvais plus bouger. Il était tard dans la soirée, et je n’avais personne à appeler pour m’épancher, alors j’ai écouté le disque encore et encore et encore. »
Au mois de décembre, Bowie reprend « I’m Waiting For The man », en rappel de ses derniers concerts avec son groupe Buzz. « C’était la première, écrit-il, qu’une chanson du Velvet était reprise par quelqu’un, quelque part dans le monde. Quelle chance. »
En 1972, David Bowie produit « Transformer » de Lou Reed, avec le tube « Walk on the Wild Side ». En 2003, l’année où il écrit ce fervent article dans « New York Magazine », il retrouve Lou Reed pour enregistrer une exquise et bouffonne miniature d’une minute quarante secondes : la chanson « Hop Frog », hommage à Edgar Allan Poe. Hop Frog, un nain boiteux avide de vengeance. A la mort de Lou Reed en 2013, Bowie salue la disparition d’un « maître ».
Fabrice Pliskin