Il fait l’événement musical de ce mois d’avril. « Renaud » par Renaud (Parlophone) est le disque d’un revenant, un rescapé du désespoir fou.
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Très inégal, entre temps forts et temps morts, le disque est fait de grandes chansons et de rengaines dérisoires. Il a le mérite d’exister pour ses fans, qui sont nombreux.
Revue critique, titre par titre.
1 – « J’ai embrassé un flic »
En 1994, Renaud, qui se dit anarchiste, chantait « la Ballade de Willy Brouillard », une chansonnette contre la police, l’une de ses cibles favorites :
« Où t’as vu qu’j’allais faire une chanson/A la gloire d’un poulet ?/Ça s’rait vraiment l’monde à l’envers/Le fond de la misère/Est-c’qu’on peut mettre de la musique/Sur la vie d’un flic ? »
C’était avant. Avant la tuerie de « Charlie Hebdo » où il a perdu quelques amis, avant la prise d’otage sanglante de l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes (à laquelle il consacre une autre chanson).
Renaud : retour heureux et souvenirs douloureux
Sur une musique d’une légèreté déconcertante signée Michaël Ohayon, Renaud 2016 chante « J’ai embrassé un flic », en souvenir de la manifestation du 11 janvier 2015, inspiré et touché par cette émotion fraternelle de toute une nation qu’elle symbolisait.
2 – « Les mots »
C’est l’un des temps forts du disque. Sur une ballade de son ex-gendre, Renan Luce, Renaud écrit cette ode aux mots. Sans doute le texte le mieux écrit de cet album, celui d’une énième renaissance.
Renaud et les mots, une passion originelle, la constance de sa vie chaotique. Comme si les mots étaient finalement son plus sûr refuge :
« Qui rend la vie moins dégueulasse, qui vous assigne une place, plus près des anges que des angoisses. »
A cet égard, il cite les noms de ses maîtres à écrire : Léautaud, Brassens, Nougaro ou Hugo.
3 – « Toujours debout »
On a beaucoup entendu à la radio « Toujours debout », premier single de l’album « Renaud ». Chanson rock, chanson gadget, où le chanteur poursuit le récit de sa vie si compliquée, dans ce qu’elle a plus pénible, de plus douloureux : son alcoolisme, ses ruptures amoureuses, etc.
Renaud le hargneux, Renaud le revanchard, persuadé que les autres font son malheur. Cette fois, c’est aux paparazzis qu’il s’en prend, des « chasseurs de primes, qui n’impriment que des ragots, que des salades ». Passons.
4 – « Héloïse »
Renaud est grand-père. Sa fille, Lola, lui a donné une fille. Et c’est en tenant la main de son enfant et l’enfant de son enfant que l’auteur de « Mistral gagnant » se promène dans Venise.
Bien sûr, on l’a connu plus touchant, plus inspiré que par cette petite chanson d’album. Mais pourquoi pas.
5 – « La nuit en taule »
La voix a pris la fuite pour de bon, sur cette petite chanson rythmée, où Renaud raconte une nuit en garde à vue. Vécue ou fantasmée ? Peu importe. L’anarchiste donne sa petite morale de l’histoire, sans qu’on soit sûr de son ironie :
« Faudrait toujours traverser aux feux rouges et dans les clous. »
6 – « Petit bonhomme »
Deux des chansons du disque sont consacrées au fils de Renaud, le jeune Malone, qui avait déjà inspiré l’album « Molly Malone, balade irlandaise » en 2009.
« Sans toi je ne suis plus personne », écrit l’auteur esseulé et triste de l’être, dans cette chanson des plus mélancoliques :
« J’aimerais que tu me donnes un amour qui résonne. »
7 – « Hyper Cacher »
Renaud a déclaré s’être « réconcilié avec la communauté juive ». Il était donc fâché avec elle ? Mais pourquoi ? C’est son problème.
Quoi qu’il en soit, « Hyper Cacher » est une grande chanson, la seule sur le sujet à ce jour, où il souhaite aux victimes de l’attentat de janvier 2015 de reposer « en paix à Jérusalem, sur la terre de leurs pères, au soleil d’Israël ». Un requiem émouvant à chialer.
8 – « Mulholland Drive »
Le temps mort du nouveau Renaud, le voici. L’histoire d’une gamine qui quitte la maison. Ou pas. On ne sait pas.
9 – « La vie est moche et c’est trop court »
Renaud livre ici une « petite chanson désabusée, un peu triste pardonnez-moi ». Jolie promenade d’une vie de solitude et d’autodestruction. Où Renaud pleure ses amis disparus, Brassens et Coluche.
Sur cette chanson noire et autobiographique comme il en a le secret, la voix sombre plus que nulle part ailleurs. De quoi émouvoir ses fans. Et même les autres.
10 – « Mon anniv' »
L’autre temps mort du disque, petite chanson périssable :
« Chaque année un an de plus/un de plus/Chaque jour qui va/chaque jour qui passe/chaque jour qui part/C’t’un peu ma vie qui s’enfuit, qui s’enfuit… »
C’est vrai, le temps passe, c’est une découverte terrible. Que faire ?
11 – « Dylan »
« Dylan », sur une musique d’Alain Lanty, est une reprise puisqu’elle figurait déjà sur l’album de l’ex-femme de Renaud, Romane Serda, en 2007.
Dans son interprétation, Renaud donne plus d’intensité à ce drame : un gamin mort sur la route au sortir d’une boîte de nuit.
12 – « Petite fille slave »
Une fille de l’Est, venue à l’Ouest. Une prostituée et son mac. La chanson sociétale du disque, mais traitée un peu à la va-vite.
13 – « Ta batterie »
Autre reprise, autre chanson dédiée à Malone, autre démonstration d’un désespoir certain. La chanson, disons un slam, figurait en 2015 sur le dernier album de Grand Corps Malade, « Il nous restera ça », et fut considérée comme un événement : Renaud était toujours vivant.
Renaud revient avec « Ta Batterie », morceau déstabilisant
« Moi je ne fais plus beaucoup de bruit/Tu l’as remarqué/Oublie tous les vautours/ton papa est bien là », dit-il ici de cette voix incertaine qui est désormais la sienne.
Sophie Delassein