Alors qu’un jugement du Conseil des Prud’hommes de Paris vient de déclarer que « PD » n’était pas une injure homophobe, aux Etats-Unis les droits des homosexuels et des transgenres demeurent un sujet de crispation pour les élus républicains de certains Etats. Plusieurs mesures ouvertement discriminatoires expriment leur déni d’une société qui change.
Depuis que, l’an dernier, la Cour suprême américaine a déclaré que le mariage entre individus de même sexe était un droit constitutionnel, prolongeant ainsi une série de mesures de l’administration Obama dans les domaines de la santé ou de la fiscalité, certains Etats fédérés à majorité républicaine tentent de freiner une évolution cependant inéluctable en faveur des droits des homosexuels et des personnes transgenres. Cette nostalgie d’une Amérique patriarcale et profondément empreinte de religiosité chrétienne s’inscrit dans un contexte qui explique aussi le succès de Donald Trump et de Ted Cruz. Plusieurs cas récents ont ainsi défrayé la chronique dans le Dakota du sud, en Géorgie, au Kansas, et c’est en Caroline du nord et dans le Mississipi que la polémique est la plus forte.
Mississipi et Caroline du nord : la discrimination, une arme face au « politiquement correct »
En Caroline du nord, un texte, surnommé « bathroom bill » et promulgué il y a quelques semaines par le gouverneur républicain Pat McCrory, impose l’utilisation des toilettes publiques (notamment dans les universités) selon « l’identité sexuelle de naissance ». Il s’agit de nier l’identité sexuée des transgenres, même si celle-ci est reconnue par la loi. Dans un autre Etat, le Dakota du sud, le gouverneur a opposé son veto à un texte de loi similaire. L’instrumentalisation de la biologie demeure l’arme favorite des opposants aux droits des minorités sexuelles et à l’égalité entre les femmes et les hommes – nous connaissons bien le sujet en France aussi. L’argument invoqué par les partisans de la mesure est en effet que des pervers sexuels déguisés en femmes pourraient agresser des femmes et des fillettes (quid des petits garçons ?) dans les toilettes.
On est surpris par ce soudain intérêt des ultra conservateurs pour les droits des femmes : on se souvient par exemple des débats hallucinants sur le viol durant la campagne présidentielle de 2012. En réalité, il s’agit toujours de dire que les LGBT (hommes) sont, par essence, des pervers sexuels – catégorie que, bien sûr, on ne retrouve pas chez les hétérosexuels… Mais la mesure de Caroline du nord va plus loin : elle vise aussi à interdire aux municipalités de l’Etat toute forme de lutte contre les discriminations à l’égard des LGBT, notamment dans l’emploi.
Dans le Mississipi, le gouverneur Phil Bryant a signé une loi votée par le congrès de l’Etat qui autorise commerçant et employeurs, par conviction religieuse, à refuser de vendre un bien ou un service, ou d’offrir un emploi à un homosexuel. Une loi un peu similaire a été promulguée au Kansas : sur les campus universitaires, les associations religieuses sont autorisées à refuser leur accès à certaines personnes. En Géorgie, au contraire, le véto du gouverneur, Nathan Deal, a prévalu… face aux intérêts économiques. Des studios de cinéma avaient notamment menacé d’arrêter de tourner dans l’Etat ; or, en 2015, ce dernier avait récolté près de deux milliards de dollars grâce l’industrie cinématographique.
Un boomerang dévastateur pour les Républicains
Le rockeur Bruce Springsteen a annulé son concert prévu en Caroline du nord pour exprimer son opposition au texte. Le poids du symbole est fort. Mais les enjeux financiers le sont encore plus. Plus de 120 entreprises ont envoyé un courrier au gouverneur McCrory pour exprimer leur indignation, et non des moindres : Google, Apple, Facebook ou encore Bank of America. La société Pay Pal, en particulier, a annoncé renoncer à un projet d’investissement de plus de 3 millions et demi de dollars et à la création de 400 emplois dans l’Etat. Sur un plan strictement politique, si la frange ultra-conservatrice des élus de l’Etat fait pression sur McCrory, il pourra difficilement se passer du soutien du monde économique alors même qu’il remet son poste de gouverneur en jeu, le 8 novembre prochain. Dans le Mississippi, les sociétés Tyson Foods, MGM Resorts International, Nissan ou encore Toyota, principaux employeurs de l’Etat, se sont également exprimés en défaveur du texte.
En 2015, des projets de loi semblables avaient créé la polémique dans l’Indiana et l’Arkansas, et la même opposition avait vu le jour de la part d’acteurs de cinéma, de la National Collegiate Athletic Association qui organise les compétitions sportives universitaires, des organisateurs du « Final Four tournament » masculin – une compétition de basket-ball –, et bien sûr du monde des affaires (Tim Cook, le PDG d’Apple, Doug McMillon, le PDG de Walmart, dont le siège est dans l’Arkansas, etc.). Devant le tollé général, les deux gouverneurs avaient refusé de signer les textes en l’état. En 2014, c’est en Arizona qu’une loi surnommée « Pas de gâteau de mariage pour les gays » avait été stoppée par le véto de la très conservatrice gouverneure, Jan Brewer. Les associations LGBT avaient alors trouvé un allié influent : la Ligue professionnelle de football avait en effet menacé de ne plus organiser la finale du Super Bowl à Phœnix.
Les grandes entreprises du high tech, du divertissement et de l’Internet, qui se mobilisent fortement aux côtés des associations en faveur des droits des LGBT, sont aussi en première ligne pour défendre une réforme de la législation fédérale sur l’immigration, dans le sens d’une libéralisation. Ce n’est pas le seul sujet sur lequel le monde des affaires tend à se démarquer des élus républicains – eux-mêmes divisés. La protection de l’environnement en est un autre.
En termes d’image, ces mesures contre les LGBT sont désastreuses pour les Etats qui les votent. Les discriminations à l’encontre d’un groupe en raison du sexe, de l’orientation sexuelle ou encore de l’origine, outre leur caractère profondément révoltant sur un plan éthique et démocratique, sont un mauvais calcul pour l’économie. Elles occasionnent une perte en termes de confiance, de cohésion sociale, et de richesse. Hillary Clinton l’a bien compris, qui en fait un argument depuis le début de sa campagne. Le prochain combat en faveur des minorités, quelles qu’elles soient, et des femmes consistera sans doute en une loi fédérale garantissant l’égalité professionnelle et salariale. Aujourd’hui, c’est un des points de clivage les plus forts entre les Démocrates et les Républicains.