Cintres et banderoles en main, quelque trois mille personnes sont venues manifester devant le Parlement polonais contre l’interdiction totale de l’avortement en Pologne proposée par des organisations pro-vie. Si leur loi entre en vigueur, les femmes n’auront plus le choix et seront obligées d’accoucher également en cas de viol, d’inceste, ou malformation du fœtus.
Ce nouveau projet prévoit également des peines encore plus lourdes pour les médecins pratiquant illégalement l’IVG : ces derniers s’exposaient jusqu’ici à une peine maximale de deux ans, qui passerait alors à cinq ans.
Compromis entre l’Eglise et l’Etat
«Ce cintre c’est le symbole de la lutte pour le droit à l’avortement légal», dit Damgara Chmielarz, 23 ans, étudiante. «C’est avec cet objet que les femmes avant la guerre se faisaient avorter, dit-elle. On ne veut pas faire marche arrière». «Le seul but c’est de terroriser les femmes et torturer les femmes», a lancé Natalia Broniarczyk, de «l’Alliance du 8 mars», une des ONG qui a participé à la manifestation sous le mot d’ordre «Regagner le droit de choisir». «On a assez de voir une nouvelle croisade en Pologne contre des meurtiers et des meurtrières imaginaires de foetus», scandait, de son côté, Kamila Kurylo.
Profitant d’un climat politique favorable, les organisations dites «pro-vie» veulent durcir la loi en vigueur actuellement. Pour la première fois depuis la chute du communisme en Pologne en 1989, les conservateurs ont les pleins pouvoirs. La semaine dernière le chef du parti conservateur Droit et Justice (PiS) Jaroslaw Kaczynski et la Première ministre Beata Szydlo ont exprimé leur soutien au projet, déclenchant un nouveau débat en Pologne sur l’avortement. Une première manifestation a rassemblé il y a une semaines plusieurs milliers de personnes opposés à un durcissement de la loi. «Je veux que les femmes en Pologne aient le droit de choisir. Qu’elles aient le droit à l’IVG libre jusqu’au troisième mois de la grossesse comme dans un pays européen, pour des raisons psychologiques, sociales, matérielles. C’est une norme dans les pays civilisés», dit Marta Wyszynska 40 ans, mère d’une fille de 5 ans.
Après la guerre, sous le communisme, l’avortement était libre d’accès. Sous l’influence de l’Eglise catholique et en grande partie du pape polonais Jean Paul II, il fut interdit en 1993. Il n’est autorisé que dans trois cas : risque pour la vie et la santé de la mère, grave pathologie irréversible chez l’embryon, et grossesse résultant d’un viol ou d’un inceste.
Depuis, aucune force politique, ni en faveur d’un durcissement, ni d’une libéralisation, n’ont modifié ce qu’on appelle un «compromis» entre l’Eglise et l’Etat. «Ce ne fut en aucun cas un compromis, ce fut un accord entre l’Eglise et les partis politiques, les femmes n’ont eu rien à dire, s’indigne Wyszynska. La réalité est que les femmes riches vont à l’étranger pour avorter, et celles qui n’ont pas les moyens le font d’une manière dangereuse pour leur vie».
Selon les estimations des organisations féministes, entre 100 000 et 150 000 femmes procéderaient clandestinement à une IVG chaque année, soit en Pologne, soit à l’étranger. Le nombre d’avortements autorisés en Pologne oscille entre 700 et 1 800 par an. Selon Natalia Broniarczyk, de l’Alliance du 8 mars, «l’interdiction totale de l’avortement ne va pas diminuer leur nombre, mais fera augmenter le nombre de décès et des complications médicales chez les femmes».
Maja ZOLTOWSKA à Varsovie