La star-tup française Iconem a entrepris depuis plusieurs années la numérisation 3D de grands sites archéologiques menacés à travers la planète. Co-fondée par Philippe Barthélémy et Yves Ubelmann, cette société a notamment travaillé en Afghanistan, à Pompéi, au Pakistan où elle a procédé à des relevés photographique. Ceux-ci ont permis de modéliser ces trésors archéologiques, constituant une précieuse base de données scientifiques, soit autant d’outils nécessaires à leur étude, leur préservation et, éventuellement, leur restauration.
C’est dans ce cadre qu’elle mène actuellement une mission en Syrie, en liaison avec les équipes de la Direction générale des antiquités et musées de Syrie. C’est avec l’aide de ces équipes qu’Iconem travaille sur le site de Palmyre, et notamment avec le concours d’Houman Saad, archéologue de la DGAM et post-doctorant au Labex Resmed ENS à Paris. Nous avons pu joindre Yves Ubelmann alors qu’il se trouvait à Homs.
Quelle est la situation à Palmyre actuellement ?
– La ville moderne a été sérieusement endommagée. On voit beaucoup de maisons détruites, les rues sont défoncées et les quartiers, pour ce que j’ai pu constater, sont déserts. La population a fui la ville. On ne rencontre que des militaires, qui essaient de sécuriser les lieux et de détecter les mines qui ont été posées par Daech avant leur départ. Régulièrement, on entend des explosions, ce sont les mines que les artificiers font sauter. Il n’y a plus d’électricité.
Et le musée de Palmyre ? Avez-vous pu y pénétrer ?
– Oui. C’est un musée que je connais bien. J’y ai déjà travaillé il y a sept ans en tant qu’architecte et j’avais conçu notamment la muséographie d’une des salles qui se trouve au premier étage. Nous avions mis en place des vitrines, un dispositif d’aide à la visite, des éclairages. J’avoue avoir éprouvé une impression étrange quand j’ai découvert les lieux : il n’est pas si fréquent quand on est architecte de voir ce que l’on a conçu réduit à néant.
Pour moi, c’était bouleversant. Un missile a perforé le toit et dans les salles les faux plafonds sont effondrés. La plupart des vitrines ont été explosées par Daech et ils les ont vidées de la plupart des objets qui s’y trouvaient. Sur les sculptures, tous les visages ont été détruits, ainsi que les mains lorsqu’il en existait. Ils ont voulu détruire tous les signes de représentation humaine. Par contre, ils ne sont pas intéressés aux objets décoratifs, ils en ont mêle laissé certains dans les vitrines. Le sol est jonché de débris, il y a des fragments de visage un peu partout.
Avez vous trouvé des objets qui témoignent de la présence de Daech ?
– Au sous-sol du musée, nous avons découvert pas mal d’indices. Daech y avait installé un tribunal : celui qui le dirigeait y avait placé son bureau. On a trouvé des papiers administratifs et découvert des cellules. Ils ont commencé par tout casser et ensuite ils ont emménagé dans les locaux.
La forteresse dominant Palmyre a été bombardée. (Iconem/DGAM)
Avant l’arrivée de Daech à Palmyre, des objets du musée avaient déjà été mis à l’abri. Que restait-il alors dans les salles ?
– Le déménagement de nombreuses pièces, environ trois cents, avait effectué par les équipes de Ahmad Deeb, directeur des musées de Syrie. Il pilote aujourd’hui la mission que j’effectue à Palmyre puis, par la suite, sur d’autres sites archéologiques du pays. Ce transfert a été effectué en camion, très peu de temps avant l’arrivée de Daech et les objets sont désormais entreposés dans un site sécurisé dans la région de Damas. Il restait au musée une centaine de sculptures, bas-reliefs ou objets.
Et sur le site antique ? Quelles dégradations avez-vous constaté ?
– Les temples de Bêl et de Baalshamin, l’arc de triomphe ont été détruits par les explosifs placés par Daesh. Nous avons retrouvé des fragments de barils dans lesquels ils avaient placé les explosifs, ce sont des dispositifs artisanaux. Nous avons découvert aussi des fragments de métal plus épais, pour le moment nous ne savons pas d’où ils proviennent.
L’Arc de Triomphe a été dynamité. (Iconem/DGAM)
Les explosions ont soufflé les constructions, disséminant les blocs de pierre qui les composaient. Tous n’ont pas été réduits en poussière, certains sont même intacts et je pense que l’on pourra certainement procéder à une restauration. Sera-t-elle complète ou non ? Pourra-t-on replacer tous ces blocs de pierre ? Devra-t-on en remplacer certains par de nouvelles pierres ? Pour le moment il est totalement impossible de le savoir.
Ce qu’il reste du temple de Bêl. (Iconem/DGAM)
Y a-t-il eu d’autres emplacement saccagés ?
– Dans la Vallée des tombes, qui se trouve à l’extrémité du site, nous avons constaté qu’une dizaine de tours funéraires avaient été elles aussi dynamitées. Certaines étaient hautes de plus d’une dizaine de mètres. Au 1er et au 2e siècle de notre ère, les Palmyriens plaçaient dans ces tours les sarcophages des défunts les plus riches de la cité. Si nombre d’entre elles sont réduites aujourd’hui à un amas de pierre, certaines, qui étaient enterrées, ont été préservées. Dans l’une d’entre elles, que l’on appelle la Tombe des trois frères, nous avons constaté que Daech avait aménagé un bureau qui devait être une sorte de centre de commandement. Les gens de Daech sont visiblement partis très vite, ils ont laissé sur place des vêtements, des sacs à dos, de la nourriture.
Les colonnes funéraires détruites dans la Vallée des tombes. (Iconem/DGAM)
Avez-vous trouvé des armes ?
– Aucune trace. Mais comme ils ont miné la ville moderne et la cité antique, les déplacements sont rendus difficiles, certaines zones demeurent inaccessibles.
Qui sont les démineurs ? Des soldats de l’armée syrienne ? Sont-ils nombreux ?
– Ce sont essentiellement des soldats russes qui procèdent à ces opérations. Il est difficile d’évaluer leur nombre, entre une cinquantaine et une centaine peut-être.
Les ruines du temple de Bêl. (Iconem/DGAM)
Des informations font état de la découverte d’un charnier…
– Nous en avons entendu parler mais le site est situé à l’écart de la ville et nous n’avons pas pu nous y rendre. On affirme que des corps de femmes et d’enfants ont été exhumés ainsi que celui de deux soldats originaires de Homs.
Pourquoi êtes-vous basé à Homs ?
– Il est impossible d’envisager un hébergement à Palmyre. Nous nous y rendons chaque jour en voiture, le trajet dure à peu près trois heures et il y a de nombreux check point. Plus on se rapproche de Palmyre et plus on mesure l’intensité des combats qui s’y sont déroulés, on voit des maisons détruites, des carcasses de véhicules carbonisés. A Homs, qui a été aussi touchée par des combats, certains quartiers de la ville reprennent vie. On voit des gens dans la rue et le matin, des étudiants se regroupent devant l’entrée de l’université.
Avez-vous pu constater des traces de pillage archéologiques à Palmyre ?
– Il y en a eu , c’est certain et nous avons d’ailleurs pu en observer des traces. Les plus nombreuses se trouvent dans la nécropole : les pilleurs pensaient trouver dans les tombes du mobilier funéraire, bijoux, objets décoratifs ou sculptures qui attirent toujours la convoitise des trafiquants. Mais il est encore trop tôt pour mesurer l’étendue de ces pillages.
Vous dites qu’il est difficile de se déplacer à Palmyre, jusque dans le site de la cité antique. Est-ce la raison pour laquelle vous utilisez un drone ?
– Sur les autres projets menés par Iconem, nous utilisons régulièrement des drones. La vision aérienne permet d’obtenir les images complètes et détaillées d’un site. Bien sûr, nous prenons aussi des photographies au sol. Notre travail à Palmyre consiste à procéder à un maximum de relevés, que ce soit dans le musée, dans la Vallée des tombes et sur le site de la cité antique. Nous avons pris des milliers de clichés. Ceux-ci nous permettront d’établir une cartographie précise des sites, et cela afin de pouvoir construire des modèles en 3D qui pourront permettre de mener les futures opérations de restauration.
Iconem est une star-up qui est implantée à Paris. Les relations diplomatiques entre la France et la Syrie sont rompues. Avez-vous eu des contacts avec le gouvernement français ?
– Nous n’en avons eu aucun. Nous sommes ici en Syrie au titre d’une société privée qui travaille en collaboration avec des archéologues et des architectes syriens. Notre mission est identique à celle que nous avons déjà menées dans d’autres pays, que ce soit en Italie, en Afghanistan ou au Pakistan. Il s’agit pour nous de collecter des données, les plus précises possibles, sur des sites archéologiques menacés. Nous sommes des activistes du patrimoine.
Propos recueillis par Bernard Géniès