Le Passenger name record (PNR) est devenu le mantra de la lutte antiterroriste. Au lendemain des attentats de Paris, le 13 novembre, puis de ceux de Bruxelles, le 22 mars, Manuel Valls a tapé du point sur la table en enjoignant au Parlement européen de voter séance tenante la création de ce fichier qu’il bloque depuis 2007 et qui est destiné à recueillir les données personnelles de tous les passagers aériens, qu’il voyage de, vers ou à l’intérieur de l’Union. Le Premier ministre français peut être content : après en avoir débattu cet après-midi, les députés européens devraient voter mercredi, à une large majorité, la directive «relative à l’utilisation des données des dossiers passagers pour la prévention et la détection des infractions terroristes et des formes graves de criminalité, ainsi que pour les enquêtes et les poursuites en la matière», de son petit nom.
En réalité, il s’agit de créer, non pas un superfichier européen, l’équivalent du Système d’information Schengen (SIS), mais d’autoriser et d’harmoniser la création de 28 fichiers nationaux, qui chacun essaiera d’établir des profils de suspects potentiels en fonction de leurs voyages aériens, et ce, à partir des dix-neuf données personnelles détenues par les compagnies aériennes : identité, moyen de paiement, itinéraire complet, passager fidèle, bagages, partage de code, etc. Les terroristes ne seront pas les seuls à être ainsi «profilés» : la liste des infractions qui permettra d’utiliser le PNR est large (traite d’êtres humains, exploitation sexuelle des enfants, trafic de drogues, cybercriminalité)…
«Aucun système centralisé»
Voilà pourquoi le Parlement européen a longtemps bloqué ce texte qui autorise rien de moins qu’un profilage généralisé de tout un chacun uniquement parce qu’il voyage et non parce qu’il fait l’objet d’une enquête policière ou judiciaire. Second problème : les renseignements obtenus ne seront pas automatiquement partagés entre les pays européens. Il faudra que chacun demande spécifiquement à ses partenaires telle ou telle donnée. On peut s’interroger sur l’intérêt de se lancer dans cette usine à gaz, puisque même si les pays sont autorisés à créer un fichier commun, «il n’y a aucun système centralisé», grince Sophie in’t Veld, eurodéputée libérale néerlandaise : «On se demande à quoi ces 28 fichiers vont servir s’il s’agit bien d’identifier des gens à partir de leur parcours.»
Surtout, beaucoup se demande en quoi le PNR aurait permis d’éviter les attentats, la quarantaine de terroristes qui ont frappé l’Europe ces derniers mois étant déjà connus des services et aucun d’entre eux n’ayant emprunté l’avion pour frapper les cibles choisies, mais plus prosaïquement, la voiture, le taxi ou le métro… Après tout, les vols ne représentent que 8 % du trafic intra et extracommunautaire : l’Europe n’est pas une île.
En fait, tous ceux qui défendent les libertés publiques estiment que ce fichage va trop loin pour une efficacité quasi-nulle. C’est le cas du G29, l’organe qui regroupe les Cnil européennes, ou encore de Giovanni Buttarelli, le Contrôleur européen de la protection des données, qui l’assure : «Le PNR a peu d’utilité pratique : après les attentats de Charlie Hebdo, une réunion tenue au Parlement européen avec les officiers des services de renseignement a conclu qu’il pourrait être utile pour la prévention de délits mineurs.»
Jean Quatremer De notre correspondant à Bruxelles (UE)