Le véhicule sans chauffeur existe, il roule dans une centrale nucléaire

Combien de temps consacrez-vous à la marche à pied dans votre entreprise ? A la centrale nucléaire de Civaux, ils l’ont calculé : une heure dix-sept en moyenne par jour et par salarié. C’est précis, et c’est beaucoup. «En salaire chargé, c’est l’équivalent de près 4 millions d’euros par an», précise Christophe Sébastien, responsable développement durable sur le site. Mais ce n’est pas si surprenant. Plus d’un kilomètre sépare l’actuelle entrée nord de l’ancienne entrée sud de l’enceinte, qui elle-même s’étend sur 220 ha. Il y avait bien un service de bus, en réalité un seul bus, en activité deux heures le matin, deux heures le midi et deux heures le soir et qui réalisait une boucle de 3,2 kilomètres à l’intérieur de la centrale. «Quand il n’y avait plus de bus, on marchait», poursuit le responsable. Et quand il y en avait, ils marchaient aussi, vu la fréquence de quinze minutes entre chaque passage. Il y avait aussi des vélos électriques en libre-service. Mais trop fragiles. Ils n’ont pas supporté l’usage un peu rude des salariés, explique évasivement un responsable EDF. «Des fois, certains montaient à trois dessus», rigole un agent. La maintenance annuelle coûtait plus cher que les bicyclettes elles-mêmes, et le service a été abandonné.

Temps «métal»

Tout ça, c’est fini. Le site de Civaux vient de se doter du premier service de navettes autonomes en France, et un des premiers au monde. Six minibus sans chauffeurs de 15 places commencent à sillonner le site de 4 heures à 22 heures, longent les réacteurs, les salles des machines, les locaux techniques, les deux immenses cheminées et éparpillent les 700 salariés aux quatre coins du site —un effectif qui peut monter à 2 000 en cas de maintenance, ce qui est le cas actuellement puisqu’une des deux cheminées est à l’arrêt. La fréquence de passage est descendue à 5 mn en heures creuses, 3mn30 en heures de pointes.

Au vu de la taille du site, cette question du transport est cruciale. D’autant que, comme l’explique un responsable, sur un site nucléaire, le temps «métal» —celui qui est réellement dévolu aux tâches professionnelles— est également grignoté par toutes les procédures de contrôle le matin à l’embauche. Et Christophe Sébastien ne voulait plus de bus thermique et de ses 18 000 litres de gasoil brûlés tous les ans. «J’avais tout regardé, les tramways, le filoguidé, un système à caténaire, mais c’était beaucoup trop cher, explique-t-il. Et puis, il y a deux ans, lors d’une présentation, je suis tombé sur cette navette autonome.» Un véhicule électrique muni de multiples capteurs et d’un GPS précis au centimètre près qui roule sans conducteur selon un parcours prédéfini, s’arrête quand surgit un obstacle —un piéton, au hasard— et le contourne. Une solution attrayante car elle ne réclame aucune modification de l’infrastructure routière.

Arma —le nom de cette navette— est la création de Navya, jeune entreprise d’une cinquantaine de salariés, basée de Villeurbanne et principal pionnier sur ce secteur. «J’ai lancé un appel à concurrence, les autres ne pouvaient pas s’aligner», lance, laudateur, Christophe Sébastien qui a piloté le projet pour EDF. Une expérimentation en condition réelle essentielle pour l’entreprise car elle pourrait très vite déclencher de nouveaux contrats. Arma est actuellement en test dans la ville suisse de Sion et devrait d’ici quelques semaines, si les obstacles législatifs sont levés, relier la gare au centre-ville. Une étape supplémentaire cruciale, puisqu’il s’agira d’un service exploité sur voie publique, contrairement à l’enceinte privée de Civaux qui n’est pas soumis aux textes réglementant la circulation routière. La ville de Perth, en Australie, devrait aussi faire rouler fin juin une Arma sur la voirie. «On a d’autres clients», assure le président de Navya, Christophe Sapet, qui reste discret. Tout en énumérant les multiples débouchés : aéroports, campus universitaires, ports, hôpitaux et tous les grands sites industriels qui s’étendent sur des kilomètres. Lui voit des navettes autonomes partout.

«Premières fois»

Il n’est pas le seul. Transdev était également présent ce mardi sur le site pour l’inauguration officielle. En partenariat avec Navya, l’opérateur gère le service de navettes sur Civaux. Yann Leriche, un de ses responsables, a parlé de «révolution». Pour lui, comme pour de nombreux observateurs du secteur, cette innovation pourrait être ce fameux chaînon manquant dit du «dernier kilomètre», cette courte distance qui sépare notre habitation d’un service de transport en commun et qui, faute de solution, nous incite à prendre la voiture. En zones peu denses, où il n’y aura jamais de bus, de tram ou même d’un service de bus à fréquence élevée, la navette est une solution, assure Yann Leriche. A condition de lever quelques interrogations. La vitesse maximale d’Arma est de 45 km/h, mais elle plafonne actuellement à 18 km/h, par précaution. «Comment améliorer la vitesse commerciale sans transiger sur la sécurité, c’est la question que l’on se pose», explique le responsable de Transdev. Pour les mêmes raisons de prudence, le véhicule s’arrête souvent, ralentissant le service. 

Chez Navya, on admet avoir encore à apprendre, à expérimenter. «Tout ce qu’on fait en ce moment, c’est des premières fois», explique Henri Coron, directeur du business développement au sein de la PME. «Mais en septembre, on aura un million de kilomètres parcourus au compteur.» Et autant de mégaoctets de données à analyser.

Richard Poirot

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