« Les Ardennes », « Fritz Bauer »… Les films à voir (ou pas) cette semaine

Le choix de « l’Obs »

♥♥♥ « Le Bois dont les rêves sont faits », par Claire Simon. Documentaire français (2h26).

On croit rêver. C’est l’été à Paris, et on fait les foins ! La faucheuse et la botteleuse, attelées à un tracteur, ­dessinent de longues lignes dorées et donnent l’illusion de la campagne dans un champ au bout duquel se dressent les tours de la capitale. On est là, et on est ailleurs. Preuve que le bois de Vincennes, étendu sur près de 1.000 hectares, est une principauté des songes et des illusions. Gilles Deleuze en fut le roi-philosophe dans l’université expérimentale d’après-68 qui fut rasée en 1980. Filmée aujourd’hui par Claire Simon, la cinéaste Emilie Deleuze cherche, entre les arbres, sous un tapis de feuilles, des preuves de cette utopie, des traces de son père qui professait qu’il ne faut pas professer et s’interdisait, sous les futaies, tout cours magistral.

Dans ce passionnant et surprenant documentaire dédié au penseur de « l’Anti-Œdipe », Claire Simon explore chaque recoin du « Bois dont les rêves sont faits » et y débusque des personnages qu’on croirait sortis des contes et légendes. Un fils de GI entretient chaque jour sa forme en soulevant des troncs ; un peintre abstrait plante son chevalet dans l’obscurité et dessine ce qu’il ne voit pas ; un anachorète, pour s’oublier, dort toute la journée dans sa cabane de fortune ; deux jeunes pêcheurs relâchent à l’aube les énormes carpes qu’ils ont attrapées ; un éleveur de centaines de pigeons connaît, par son numéro, chacun d’entre eux ; des Cambodgiens célèbrent le Nouvel An et des Guinéens, leur forêt natale ; des prostituées s’inventent des chambres enherbées et des mecs s’enfoncent dans les fourrés ; des voyeurs côtoient les dragueurs, des batraciens copulent, des cyclistes pédalent, des enfants jouent au rugby…

A mi-chemin entre « Into the Wild », « l’Inconnu du lac » et « The Revenant », le documentaire de Claire Simon s’apparente peu à peu à une fiction où la ville est à la campagne et où Deleuze semble encore vivant.

La cinéaste des « Bureaux de Dieu » et de « Gare du Nord », qui a grandi en pleine nature, a toujours aimé abolir les frontières entre la réalité et l’imaginaire. Et elle a toujours su faire témoigner des inconnus avec la même rigueur, la même exigence que si elle faisait jouer des acteurs. Cette méthode singulière, qui emprunte à la fois au roman et à l’ethnologie, trouve son accomplissement dans ce bois de Vincennes, où se mélangent les couleurs de peau, les milieux sociaux, les religions, les générations, les sexualités, les fantasmes, les douleurs et les bonheurs. Glissant sur son vélo d’une saison l’autre et à pied d’un sous-bois à une clairière, Claire Simon devient elle-même un personnage de son propre film. Elle rejoint le peuple de la forêt, la tribu des Vincennois, la horde des nouveaux sauvages. Suivez-la, vous ne le regretterez pas. Jérôme Garcin

Les autres films

♥♥♥♥ « Les Ardennes », par Robin Pront. Drame belge, avec Jeroen Perceval, Kevin Janssens, Veerle Baetens (1h33).

Bon sang, quel film ! Un polar noirissime, situé au cœur des Ardennes, où les nuits sont plus glauques, les rues plus sinistres, la boue des routes plus épaisse, la violence des sentiments plus dangereuse. Au cœur de cette zone de mort, deux frères. Après une jeunesse de délinquance, l’un décide de se ranger ; l’autre, sortant de prison, a la rage. Jetés dans un monde qu’ils ne comprennent pas, ils s’affrontent autour d’une femme. On est dans ces bas-fonds où la drogue, l’alcool et la misère se combinent. Ce premier film de Robin Pront, 29 ans, est tiré d’une pièce de Jeroen Perceval, qui tient le rôle principal. L’auteur y aborde les thèmes de la fatalité et de la loyauté, à travers des personnages ravagés, dealers étiques, travelos assassins, voyous paumés. Un mot résume ce voyage au bout de la nuit : puissance. On en sort secoué. François Forestier

♥♥ « Fritz Bauer, un héros allemand », par Lars Kraume. Drame historique allemand, avec Burghart Klaussner, Ronald Zehrfeld, Lilith Stangenberg (1h45).

Fritz Bauer, personnage oublié de l’histoire allemande, méritait d’être remis en lumière. Procureur de la RFA, il a passé toutes ses années d’après-guerre à traquer les ordures nazies. C’est grâce à ses efforts qu’Eichmann a été traduit en justice et pendu. Mort en 1968, à 64 ans, dans des circonstances louches, il a dérangé les Israéliens, qui ne voulaient plus entendre parler de l’Holocauste ; les Allemands, qui ne voulaient entendre parler de rien ; les historiens, qui désiraient travailler en paix. Le film montre Fritz Bauer dans ses activités quotidiennes. Il est rageur, antipathique, tenace. Mais l’intrigue se déplace en partie sur un personnage d’assistant gay (qui n’a pas existé), et se termine sur la chute de celui-ci, pour délit d’homosexualité : du coup, le cœur du drame se déséquilibre – sans nécessité. Sur le même sujet de la justice d’après-guerre, un film comme « le Labyrinthe du silence » (2014) avait plus de force.

« Le Labyrinthe du silence » : l’Allemagne face à son passé

Reste que la mise en lumière de ce héros allemand est bienvenue dans une Europe de nouveau hantée par ses vieux démons. F.F.

♥♥ « Desierto », par Jonás Cuarón. Thriller mexicain, avec Gael García Bernal, Jeffrey Dean Morgan, Alondra Hidalgo (1h34).

Dans le désert de Sonora, passé la frontière avec les Etats-Unis, un groupe de migrants est pris en chasse par un redneck avec un fusil à lunette. Un par un, les clandestins tombent… Jonás Cuarón (le fils d’Alfonso, le réalisateur de « Gravity ») observe quatre personnages : un homme, une femme, un tueur et le désert. Structure classique (danger, fuite, confrontation), situation connue (les assassinats d’immigrants), références habituelles (« Duel » de Spielberg, « Runaway Train » de Konchalovsky), c’est du cinéma dans le moule, bien réalisé, efficace. Il manque peut-être une once de lyrisme sur le désert, mais, pour un premier film, le drame touche juste. D’autant que le sujet des migrants, aujourd’hui, est brûlant… Dans le rôle du salaud, Jeffrey Dean Morgan (habitué de la série « Grey’s Anatomy ») est une révélation : plus haïssable, on ne fait pas. F. F.

♥♥ « Paulina », par Santiago Mitre. Drame argentin, avec Dolores Fonzi, Oscar Martinez, Esteban Lamothe (1h43).

Tout commence par un long dialogue entre la belle Paulina (Dolores Fonzi, admirable) et son père, grand magistrat, qui ne comprend pas le choix de sa fille d’abandonner une carrière d’avocate pour partir enseigner dans une campagne défavorisée. Sur place, Paulina découvre une réalité plus coriace qu’elle ne l’imaginait et une violence dont elle se retrouve la victime. Difficile d’en dire davantage sans déflorer le deuxième film du cinéaste argentin d’ »El Estudiante » et les questions ambiguës qu’il charrie sur les rapports de classe et la justice sociale. Voir Paulina sacrifier ses droits jusqu’à l’absurde pour sauver ses bourreaux fait d’elle une sainte d’un genre nouveau, sans religion autre que ses convictions politiques, mue par un rejet de ses origines bourgeoises qui frise le masochisme. Une super-héroïne du progressisme qui, à défaut d’être toujours convaincante, passionne. Nicolas Schaller

♥ « Marie et les naufragés », par Sébastien Betbeder. Comédie française, avec Pierre Rochefort, Vimala Pons, Eric Cantona, André Wilms (1h44).

Marie est fort jolie, mais elle est aussi dangereuse. Bien que mis en garde par Antoine (Eric Cantona), son ex, romancier un peu en panne, Siméon (Pierre Rochefort) se déclare séduit. Il est prêt à tout pour gagner le cœur de la belle (Vimala Pons), lui qui, depuis sa dernière rupture amoureuse, partage un appartement avec Oscar, musicien somnambule. Autour de ce quatuor, rejoint sur le tard par un sympathique fêlé joué par André Wilms, Sébastien Betbeder a bricolé un vague scénario et s’en est remis à la fantaisie et au charme de ses interprètes. Saupoudrant les scènes de traits d’humour parfois bienvenus mais jamais suffisants, nappant le tout de quelques notes de musiquette, le jeune réalisateur semble exprimer une confiance en ses propres moyens qui le conduit à se satisfaire de peu. Dans les entrelacs de l’intrigue et sous une désinvolture qui n’atteint pas l’élégance à laquelle elle prétend se lit le leitmotiv de trop de productions françaises : « Ça ira bien comme ça. » Eh bien, non, justement, ça ne va pas. Pascal Mérigeau

« Le Livre de la jungle », par Jon Favreau. Film d’aventures américain, avec Neel Sethi (1h46).

Après « Cendrillon » l’an dernier, « le Livre de la jungle », autre classique Disney, fait l’objet d’un remake en prises de vues réelles. Un réalisme à relativiser, puisque tout est aussi artificiel qu’un cartoon. Hormis le jeune acteur-sosie Neel Sethi, affublé d’une coiffure et d’un slip rouge identiques à ceux du Mowgli animé des années 1960, la moindre séquence est surchargée d’effets numériques (animaux qui parlent, forêt qui brûle, etc.). Le kitsch étouffe la truculence et la légèreté du film originel qu’il tente désespérément de reproduire. Sommet d’embarras : l’instant jazzy de la chanson de l’ours Baloo prend ici la tournure d’un fado sous Temesta. Guillaume Loison

C’est raté

« Hardcore Henry », par Ilya Naishuller. film d’action russo-américain, Avec Sharlto Copley, Danila Kozlovsky, Haley Bennett (1h34).

Entièrement tourné à la GoPro et en caméra subjective, « Hardcore Henry » adopte le point de vue (le mot est fort) d’un tueur bionique lancé dans la jungle moscovite qui, de zones industrielles en bouges à putes, décime des hordes de méchants Russes et de bimbos siliconées avec une violence qui n’a d’égale que son inconséquence. Le héros est immortel, la réserve de munitions, infinie. Ça canarde, charcle, trépane durant une heure trente. « Hardcore Henry » n’est pas un film, c’est un long-métrage de jeu vidéo. Un shoot’em up boosté à la bande-son techno-hard rock sauf qu’on a beau chercher le joy­stick, il n’y en a pas. D’où l’inintérêt total de la chose, d’une vulgarité crasse, abrutissante au possible et garantie sans cinéma. On a passé l’âge de ces conneries. N. S.

« Par amour », par Giuseppe M. Gaudino. Drame italien, avec Valeria Golino, Massimiliano Gallo, Adriano Giannini (1h49).

Si Anna, Napolitaine mère de trois enfants, n’était interprétée par Valeria Golino, on se demanderait pourquoi Michele, vedette d’une série télé de troisième zone, s’intéresse d’aussi près à elle. Il drague éhontément celle qui est chargée des cartons sur lesquels ses répliques sont inscrites. Anna, elle, ne voit pas grand-chose. Elle ignore notamment les activités de son insupportable mari, usurier dont les trafics acculent leurs voisins à la misère (ce qu’elle ne remarque pas davantage). Le monde d’Anna est en noir et blanc, sauf quand l’émotion la submerge ou quand ses souvenirs d’enfance remontent à la surface. Il y a alors des couleurs partout, et aussi des chansons qui sont épouvantables. Voilà ce que le réalisateur, venu du documentaire, a trouvé pour « faire cinéma ». Il aurait été préférable qu’il s’en passât. Le film révèle sur le tard le motif de l’intérêt manifesté par l’acteur pour Anna. Mais on n’y croit pas plus qu’à tout ce qui a précédé. C’est pour ce rôle que Valeria Golino a reçu le prix d’interprétation à la dernière Mostra, preuve qu’une actrice peut être remarquée dans un film qui ne présente rien de remarquable. P. M.

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