Baselitz réinterprète le motif final avec une maestria stupéfiante

Source Figaroscope

Déjà, à la 56e Biennale de Venise, en 2015, Georg Baselitz avait créé l’émotion à l’Arsenal avec ses huit grandes toiles magistrales qui plongeaient la fin de l’exposition «All The World’s Futures» du commissaire nigérian Okwui Enwezor dans les ténèbres de Don Juan. Ces spectres roses, nus, où les taches jaunes, bleu clair, mauves, vert mousse évoquaient la décomposition et le renouveau, étaient les héritiers contemporains des danses macabres et des allégories médiévales. Ces huit portraits renversés, hauts de 5m, étaient aussi des autoportraits du grand peintre allemand, ogre à voix d’opéra et à l’œil bleu myosotis, qui, en basculant le sujet ou le motif, a forgé sa signature guerrière. Not Falling off the Wall, Lost and Gone Forever, No Pope is Avignon, les titres de ces géantes renvoient au cycle intitulé «Avignon» dans lequel Baselitz abordait la question de l’œuvre tardive et de la vieillesse. L’ogre qui sculpta à la hache un hommage rude au Penseur de Rodin se référait à un fait historique: le refus par la Ville d’Avignon de la donation d’une série d’œuvres tardives de Picasso. À quoi sert de vieillir si ce n’est à s’emparer de la liberté?

«Entre moi et moi-même»

«Le champ thématique de mon travail s’est fortement réduit au cours des dernières années. L’important est que je me suis de plus en plus isolé dans ma peinture. Je me suis de plus en plus replongé en moi-même pour en tirer tout ce que je fais. Je vis avec d’anciens catalogues, avec de vieilles photos et ne fais rien d’autre. Je peins entre moi et moi-même et sur nous deux. Voilà. Et de temps en temps, quelqu’un comme (le peintre expressionniste Otto) Dix, que j’estime beaucoup, vient se joindre à nous», explique le peintre rugissant, à un an de ses 80 ans. Il est né Hans-Georg Kern le 23 janvier 1938 à Deutschbaselitz (Saxe), ville de ce qui deviendra par la suite l’Allemagne de l’Est et qui lui donnera son nom d’artiste. Son père est instituteur. Dans la bibliothèque attenante à l’école, Baselitz découvre des albums de dessins du XIXe siècle, qui constituent son premier contact avec l’art.

Toute cette soif d’art restera chevillée à ce grand corps. Peintre, sculpteur, dessinateur, professeur, collectionneur, érudit et sauvage, il est tout à la fois. Et aussi homme de lucidité et de vérité, même brutale. La série «Descente» qu’il dévoile à Pantin a cette force mâle et cette délicatesse profonde du peintre qui se connaît et se libère. Les fonds sont noirs, puis bleu nuit, puis pulvérisés de matière picturale cosmique comme certains portraits d’Edvard Munch. Les corps émaciés sont suaves, rose animal au léger effet de satin, que le pinceau vient écorcher et durcir. Ils descendent l’escalier de la vie, comme Nu descendant un escalier de Marcel Duchamp (1912). Mais l’escalier ressemble plutôt aux géométries vides, gouffres à peine esquissés de Cy Twombly au Centre Pompidou. Dans cette jouissance du vieux peintre, il y a du Monet plongeant sans fin, des années durant, dans la couleur libératrice de ses Nymphéas.

Galerie Thaddaeus Ropac – Pantin. 69, av. du Général-Leclerc, Pantin (93). Tél.: 01 55 89 01 10. Horaires: du mar. au sam., de 10 h à 19 h. Jusqu’au 1er juillet. Catalogue: «Georg Baselitz, Descente», avec l’essai de Florian Illies, fondateur  du magazine «Monopol» (Galerie Thaddaeus Ropac).

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