Elle avait oublié sa petite culotte en coton blanc, dit-elle. C’est donc par pur hasard que la caméra a entrevu l’origine du monde. Ben voyons. Il a quand même fallu éclairer, cadrer, maquiller, sonoriser pour faire ce plan de « Basic Instinct » qui transforma en points d’exclamation nombre de virgules dans les salles de cinéma.
C’est ainsi que Sharon Stone est devenue instantanément célèbre en 1992 : en une image de sourire vertical.
Une bomba atomica
Désirée, sollicitée, invitée, absolument craquante, Sharon Stone se promène désormais de maison de couture en gala de bienfaisance, en fashionista dévouée et ambassadrice de la mode, et, à 57 ans, est plus sexy que jamais. Elle est la preuve qu’avec un peu d’argent (enfin, disons un peu beaucoup), de gymnastique, de retouches, une femme peut éviter de devenir la Mère Denis avec l’âge. Sharon Stone était une bombe conventionnelle il y a vingt-trois ans. Elle est devenue une bomba atomica aujourd’hui. Allumeuse, va…
Sur le tournage de « Diabolique », en 1996, elle était couvée du regard par son père et sa mère : le vieux monsieur avait été mécano toute sa vie, et son épouse, comptable. Tableau de genre : les techniciens avaient tous les yeux grands comme des phares de bus sur le tournage (moi aussi) devant Sharon Stone, tandis qu’elle bavardait avec papa Joseph, en tenant la main de maman Dorothy, à l’ombre des sapins de Pennsylvanie.
L’autre star du film, Isabelle Adjani, était simplement gommée, réduite à de la figuration. Le film fut un échec : Sharon Stone en sortit grandie, prête à tourner d’autres médiocrités. Elle les collectionne, c’est d’ailleurs la marque distinctive d’un club fermé de créatures de rêve (Gina Lollobrigida, Raquel Welch, Diana Dors, Ursula Andress, Carroll Baker, Mamie Van Doren, et ma favorite : Irish McCalla) : le nanar est au sex-symbol ce que l’engrais est à la carotte. Un booster.
Boulimie, déprime…
Dans son premier film, « Stardust Memories » (1980), réalisé par Woody Allen, Sharon Stone joue une fille dans le métro. Dans son deuxième, « la Ferme de la terreur », elle est assassinée rapidement. Dans « Allan Quatermain et les mines du roi Salomon » (1985), elle fait pencher la balance du légendaire souverain. Citons encore « Police Academy 4 » (1987), où elle porte des bretelles noires sur un tee-shirt blanc moulant. Bimbo de service, donc.
Sur le plateau d’ »Allan Quatermain et la cité de l’or perdu », en Afrique, le blues la saisit. Elle doit alors jouer une scène avec un lion pauvret, face à des sauvages passés au cirage et armés de lances en polyuréthane : que fait-elle là ? Elle sombre dans la boulimie, grossit, prend des amants, déprime.
De retour à Hollywood, on lui soumet un étrange scénario : toutes les actrices en vue l’ont déjà refusé. Sharon Stone est la dernière de la liste. Faute de mieux, elle accepte. Le metteur en scène, Paul Verhoeven, avec qui elle a tourné « Total Recall », est un caractériel. Le scénariste, Joe Eszterhas, est réputé pour planter des kriss malais dans les murs quand on le contredit. Peu importe : le résultat est spectaculaire :
Avant la projection de ‘Basic Instinct’, je n’étais personne. Quand j’en suis sortie, il y avait déjà une foule devant chez moi, et mon jardin était envahi… »
Tout change : avec le personnage de Catherine Tramell, elle devient superstar en deux minutes. Le soir même de la première, sa maison est assiégée. Deux émirs du pétrole l’invitent à dîner dans le désert, avec un avion à disposition. Dix types avec la langue pendante sont arrêtés, le lendemain, dans son potager ; un homme nu est retrouvé dans sa cuisine. Une semaine plus tard, Sharon Stone provoque le plus gigantesque embouteillage de l’histoire de New York : elle met deux heures à traverser la 5e Avenue. Les glaces de Häagen et les sorbets de Dazs fondent sur son passage.
Aujourd’hui, elle est célèbre parce qu’elle est célèbre. Trente-cinq films après « Basic Instinct », que des nanars (sauf « Casino », de Scorsese, et « Broken Flowers », de Jarmusch) : de « Sphere » à « Largo Winch 2 » en passant par « la Gorge du diable » (une allusion aux bretelles ?) ou « Alpha Dog », elle accumule les scénarios débiles, les polars pourris, les comédies poussives et même « Basic Instinct 2 », en 2006, a été un flop.
Et pourtant, Sharon Stone fait rêver : son ex-mari, le journaliste Phil Bronstein, a été l’homme le plus envié de la planète. Ses compagnons, dans les soirées élégantes, sont transformés en pelotes d’épingles dans des bodegas vaudoues de Brooklyn. Nombre de femmes la haïssent, c’est bon signe.
Dans les magazines de mode, elle porte des « petites robes toutes simples » qui carbonisent la page. Elle fait de la publicité pour un parfum, de la promotion pour la Voie du Bouddha, envoie des moustiquaires en Tanzanie, soutient la lutte contre le sida et n’hésite pas à apporter ses propres armes – un fusil à pompe Mossberg, deux Beretta et un Glock – au commissariat au nom de la lutte pour le gun control.
QI de 142
Le gouvernement chinois a interdit les photos de Sharon Stone – encore un bon signe – sous prétexte qu’elle a fait des déclarations déplaisantes lors du tremblement de terre du Sichuan, en 2008. De quoi est-elle coupable ? D’avoir qualifié le dalaï-lama de « bon ami ». Je connais quelques admirateurs qui seraient ravis de cette étiquette. Ils ne comprennent décidément rien, à Pékin.
Pendant longtemps, une rumeur a couru : Sharon Stone, titulaire d’un QI de 142 (Einstein : 170 ; Voltaire : 170 ; Goethe : 210 ; Nadine Morano : euh…), aurait fait partie du Mensa, club de surdoués d’exception comprenant plus de 100.000 membres, avec une forte concentration en Irlande (Guinness is good for you). C’était faux : l’actrice l’a démenti elle-même (en robe Dolce & Gabbana).
On l’a vue, récemment, dans des rôles à contre-emploi : mule (porteuse de drogue) dans « Border Run », mère d’une actrice porno dans « Lovelace », cliente d’un escort boy dans « Apprenti Gigolo ». Dans ce dernier film, on la contemplait en guêpière noire et talons hauts Louboutin et, ma foi, elle était… top belle de la mort.
Six fois nominée et quatre fois lauréate aux « Razzie Awards » (prix de la pire actrice), Sharon Stone a quand même tourné, récemment, un film étonnant : « Gods Behaving Badly », comédie mythologique molle où elle interprète Aphrodite. Le titre du film est éloquent. Traduisons : « Les dieux se comportent mal ». Face à Sharon Stone, on les comprend. Je ferais pareil, garanti.
Diffusion de « Casino », de Martin Scorsese, le 27 août, à 14h55, sur Ciné+ Frisson (en multidiffusion).