La CGT se rallie à la manif du 9 mars

Le report de la présentation en Conseil des ministres du projet de loi de réforme du code du travail, annoncé lundi par le Premier ministre, n’a pas fait taire les appels à la mobilisation. Suite à ce «premier recul à mettre à l’actif de la mobilisation montante», la CGT a, au contraire, décidé de durcir le message. La centrale de Montreuil a ainsi annoncé «des initiatives multiples dans les entreprises» au cours de la semaine du 7 au 11 mars. Surtout, elle invite les salariés à «participer aux rassemblements et manifestations unitaires en construction» le 9 mars.

Poussée par les organisations de jeunesse (Unef, UNL, MJS, JC…), cette journée d’action est aussi soutenue par plusieurs initiatives citoyennes sur les réseaux sociaux. Pour gonfler leurs troupes, les manifestants pourront aussi compter sur une grève, prévue de longue date, au sein de la SNCF, et pour laquelle les quatre syndicats représentatifs de l’entreprise ont déposé un préavis commun (CGT, Unsa, SUD, CFDT), mais aussi à la RATP.

«Il faut aussi qu’on donne la possibilité aux gens de s’exprimer»

Mais, si elle se rallie à la mobilisation impulsée, entre autres, par la société civile, la CGT maintient également son propre calendrier, et notamment sa «mobilisation convergente et nationale» le 31 mars. Plusieurs syndicats, comme FO, SUD ou encore la FSU devraient se joindre à elle. Mais l’appel de la CGT, qui plaide pour le retrait du projet de loi, ne convainc pas toutes les centrales syndicales. «La manifestation du 31 est un peu trop fourre-tout, nous voulons au contraire recentrer les débats», explique Luc Bérille, à la tête de l’Unsa. Jeudi 3 mars, dans la matinée, son syndicat accueillera l’ensemble des centrales pour une nouvelle réunion intersyndicale.

«Nous allons continuer à travailler pour identifier les demandes que nous pouvons porter ensemble et comment nous pourrons les appuyer par des actions», explique Bérille. Pas question, donc, de se limiter à la nouvelle phase de concertation proposée par le gouvernement. «Il faut aussi qu’on donne la possibilité aux gens de s’exprimer, car dans les entreprises, il y a de la frustration, de la colère», poursuit le syndicaliste. De quoi concurrencer l’intersyndicale proposée, le même jour, mais au cours de l’après-midi, par la CGT, afin de planifier la journée du 31 mars.

Amandine Cailhol

«Baron noir» : un air de déjà-vu

Un député du Nord déboule dans l’Assemblée nationale vêtu d’un bleu de travail et de sa cravate (réglementaire). «La gauche, c’est moi», martèle en substance Philippe Rickwaert dans l’hémicycle, défiant le gouvernement et avec lui le Président de la République, qui vient de lancer un plan Education annoncé comme la pierre angulaire de son quinquennat, mais qui oublie les filières professionnelles. La scène, jouée par Kad Merad dans Baron noir, semble inédite. On la suppose fabriquée de toutes pièces par les scénaristes de la série, Jean-Baptiste Delafon et Eric Benzekri. Mais les fins connaisseurs en politique ont reconnu sous les traits de Rickwaert le député communiste de l’Oise, Patrice Carvalho, qui avait fait sa rentrée parlementaire de 1997 dans sa tenue d’ouvrier. Le reste est fanstasmé, le clin d’œil à la réalité s’arrête là : une fois sa question posée, le député PS part dans un dialogue musclé avec le Premier ministre… impossible à observer lors d’une vraie séance de «QAG» puisque le micro est coupé au député une fois sa question posée…

Baron noir est avant tout une fiction, même si Benzekri connaît bien les coulisses de la politique, lui qui fut longtemps militant au PS, proche de Julien Dray et passé par le cabinet de Jean-Luc Mélenchon du temps où il était ministre délégué à l’Enseignement professionnel. «Toute ressemblance avec des personnes ou des événements existants ou ayant existé ne serait que pure coïncidence», avait d’ailleurs prévenu Fabrice de la Patellière, prudent directeur de la fiction sur Canal +, à son lancement. Mais sous ses airs de divertissement, la série de la chaîne cryptée, qui s’achève lundi soir, relate aussi des situations passées bien réelles, et quelques affaires qui ont entâché ces dernières années la cinquième République. Difficile de ne pas penser à François Mitterrand quand Philippe Rickwaert parle du Président comme du «Vieux», expression qu’utilise Mélenchon encore aujourd’hui. L’ancien ministre socialiste cite aussi souvent cette phrase qu’il dit empruntée à Mitterrand et utilisée par Amélie Dorendeu, première secrétaire fictive du PS dans la série et incarnée par Anna Mouglalis : «Pour prendre la France, il faut une armée de 100 soldats prêts à mourir pour elle.»

À lire aussi notre portrait d’Eric BenzekriEric Benzekri à bonne école

Et comment ne pas penser à Claude Guéant et l’affaire des tableaux néerlandais lorsque le président Francis Laugier (Niels Arelstrup) tente de dissimuler un détournement de fonds par la vente d’un piano de collection à son cousin ? Le financement d’une campagne électorale à coups de détournement de fonds public impliquant un office HLM dirigé par un maire socialiste dont les locataires sont encartés au PS et servent à plier les congrès ou les primaires, des entreprises «cotisant» pour boucher les trous de l’établissement public en échange de futurs marchés… welcome back dans les années 1990 et les affaires de financement des partis politiques – Urba, Sagès … – qui ont touché le PS.

La nuit passée par les employés de la mairie PS de Dunkerque, tombée à droite, à détruire des documents compromettants, peut aussi avoir des airs de déjà-vu pour qui a vécu une élection locale. Certains ministres de François Hollande n’ont-ils pas retrouvé, en 2012, leurs bureaux sans ordinateurs mais aussi sans ampoules, les tableaux décrochés du mur et la cave vidée ?

Même chose pour la campagne électorale : «Le chewing-gum au bout du cintre en fer pour retirer les tracs des partis concurrents dans les boîtes aux lettres», ça existe, assure le maire Les Républicains de Tourcoing, Gérald Darmanin, qui confesse l’avoir pratiqué lui-même quand il était jeune militant dans le Nord. Où parfois un «bordel» pouvait être organisé dans certains bureaux de vote pour faire invalider une élection. Dans Baron noir, il s’agit d’une bagarre et de l’arrachage d’une feuille d’émargement, dans la réalité, certains dirigeants politiques évoquent des dépouillements dans des bureaux perdus d’avance avec des mines de crayon cachées sous les ongles, ou des morceaux de lard planquées sous les tables, pour tâcher les enveloppes.

Une série «réaliste»

Les manœuvres de Rickwaert dans le mouvement lycéen de la série rappellent aussi celles de certains dirigeants socialistes, en particulier le député de l’Essonne Julien Dray, co-fondateur de SOS Racisme et qui avait la main sur l’Unef et le syndicat lycéen Fidl. Ne dit-on pas que c’est lui qui était derrière les manifestations étudiantes et lycéennes de 1990 contre la réforme de l’Education de Lionel Jospin ? Le futur Premier ministre a toujours reproché à Dray d’avoir attisé en coulisses la contestation pour mieux permettre à Mitterrand de se poser en conciliateur avec la jeunesse. Le recrutement du jeune Mehdi Fateni pour en faire un futur cadre du parti peut ainsi faire penser aux débuts en politique, aux côtés de Dray, de Malek Bouthi et de Delphine Batho, tous deux proches d’un des deux scénaristes.

Bouthi trouve la série «réaliste», mais pour Batho, le rôle de Dray (ou de Rickwaert) dans le mouvement de l’époque n’est que pure invention. «C’est lui prêter une influence qu’il n’avait pas, et qu’il n’a plus», dit la députée des Deux-Sèvres, même si l’ancienne membre de la Fidl, le concède : la façon dont les fractions politiques et les syndicats lycéens tentent d’influencer parfois les «coordinations étudiantes» est bien réelle, elle. De même que la bataille sur le parcours de la manif, imposé à dessein par le Président de la République (avec peu de CRS) dans la série pour qu’elle dégénère en vandalisme et perde sa légitimité au vu de l’opinion à cause des casseurs, «ça, je l’ai vécu en 90».

Plus que les guerres fratricides et les intrigues politiciennes, Delphine Batho voit dans Baron noir «une façon dont ce quinquennat aurait pu être différent». Par exemple, beaucoup de socialistes auraient aimé voir François Hollande aller au bras de fer avec Bruxelles comme le fait Francis Laugier : non-respect des critères de Maastricht pour privilégier la réforme de l’Education, refus catégorique de payer les sanctions financières imposées par les voisins européens, pousser la Commission et l’Allemagne à la renégociation des traités en construisant un rapport de force supra-national au Parlement européen… Batho y décèle aussi une série féministe. «Ce qui est très vraisemblable dans Baron noir, c’est la façon dont les hommes politiques veulent toujours diriger les femmes. L’histoire de la série, c’est aussi la façon dont les femmes se libèrent de cette tutelle.» On n’en dira pas plus, pour ne pas «spoiler» une fois de plus la fin de cette première saison, mais à voir l’ancienne adjointe de Rickwaert, Véronique Bosso, humiliée par la municipale perdue à Dunkerque, et la Première secrétaire du PS Amélie Dorendeu, infantilisée à chaque épisode par le chef de l’Etat, reprendre les rènes du pouvoir aux derniers instants de la série, on ne peut pas lui donner tort.

 

Lilian Alemagna , Tristan Berteloot

Oscars 2016 : Chris Rock ironise sur les #OscarsSoWhite

Faire rire pour faire comprendre : voici la tactique de Chris Rock, maître de cérémonie des Oscars 2016 pour évoquer la polémique « Oscars So White ». Dans un véritable sketch, l’humoriste, acteur, réalisateur et producteur de 51 ans a tourné en dérision la question de l’absence d’afro-américains parmi les nominés et l’appel au boycott de Spike Lee, de Jada Pinkett Smith et de son époux Will Smith, du réalisateur Mickael Moore, ou bien encore du rappeur Snoop Dogg.

Chris Rock a présenté des séquence truquées de films où il s’était « incrusté (dans « The revenant », « The Danish Girl » ou « Seul sur Mars », pastiche dans lequel il réclame désespérément son rapatriement sur terre) :

Some of @ChrisRock’s favorite deleted scenes. #Oscarshttps://t.co/TwhpqMEfdK

— The Academy (@TheAcademy) 29 février 2016

Mais il s’est aussi lancé dans un état des lieux ironique de la situation des Noirs dans le cinéma américain. Et ce fut une pluie de grenades hilarantes :

Je suis ici aux Oscars, connus aussi comme les récompenses attribuées par les Blancs. Vous réalisez que s’ils nominaient les présentateurs, je n’aurais même pas eu ce job ! Vous seriez en train de regarder Neil Patrick Harris (acteur blanc qui avait présenté les précédents Oscars, NDLR), en ce moment. C’est la cérémonie la plus folle à présenter en raison de cette polémique. Aucun noir nominé. »

Pour autant, il se justifie de ne pas avoir boudé la cérémonie : « Les gens me disaient : ‘Chris tu devrais boycotter. Chris tu devrais démissionner (…)’ Comment se fait-il qu’il y ait seulement des chômeurs qui vous disent de démissionner ? (…) Alors j’ai pensé à démissionner. J’y ai pensé très sérieusement. Mais je me suis dit, ils vont quand même organiser les Oscars. Ils ne vont pas les annuler simplement parce que j’ai abandonné. Et la dernière chose dont j’ai besoin c’est de perdre un autre job face à Kevin Hart (humoriste et comédien noir, NDLR). »

Et d’ajouter plus tard :

Jada Pinket-Smith qui boycotte les Oscars, c’est comme si je boycottais la culotte de Rihanna : je n’y étais pas invité. »

De plus en plus grinçant, Chris Rock refait le film de la protestation et les relativise avec ces mots : « C’est la 88e Academy Awards. Ce qui veut dire que cette histoire d’aucun noir nominé s’est déjà produite au moins 71 fois. (…). Je suis certain qu’il n’y avait pas de noirs nominés en 62 ou 63. Et les Noirs ne protestaient pas. Pourquoi ? Parce qu’on avait de vraies choses contre lesquelles protester en ces temps- là. On était trop occupés à être violés ou lynchés pour se préoccuper de qui était le meilleur directeur de la photo. Quand ta grand-mère pend sous un arbre, c’est vraiment dur de s’intéresser au meilleur court-métrage documentaire étranger. »

A son avis, « si vous voulez des nominés noirs tous les ans, vous devez créer des catégories pour noirs (…). Vous en avez déjà pour les hommes et les femmes, réfléchissez-y. Il n’y a pas de raison valable d’avoir une catégorie du meilleur acteur et de la meilleure actrice (…). Si vous voulez des Noirs tous les ans, créez des catégories pour eux, comme le ‘Meilleur ami noir’.

Black Rocky

Et tandis que Sylvester Stallone (reparti bredouille dans la catégorie second rôle pour sa prestation dans « Creed: l’héritage de Rocky Balboa ») était dans la salle, Rock a encore ironisé sur la même thématique !

Les choses changent, on a eu un black ‘Rocky’ (Michael B. Jordan, NDLR) cette année. Oui, certains l’appellent Creed (…). ‘Rocky’ se passe dans un monde où les athlètes blancs sont aussi forts que les athlètes blancs. Donc ‘Rocky’ est un film de science- fiction. Il y a des choses qui se déroulent dans ‘Star Wars’ qui sont plus crédibles que celles qui se passent dans ‘Rocky’, OK ? »

Mais le présentateur de ces Oscars 2016 a ajouté quelques petites phrases plus sérieuses, comme ce « Nous voulons des opportunités. Nous voulons que les acteurs noirs aient les mêmes opportunités. » Ou encore : « La vraie question (…) c’est: est-ce qu’Hollywood est raciste? (…) Bien sûr ! Mais ce n’est pas le racisme auquel on est habitué. C’est un racisme de cercle ».

Jean-Frédéric Tronche

VIDEO. Oscars 2016 : Lady Gaga chante pour les victimes de viols

Lady Gaga n’a pas remporté d’Oscar mais a ravi les cœurs du Dolby Theater. Avec son interprétation de « Til it Happens to You », thème du film documentaire « The hunting ground », la Mother Monster a gagné une standing ovation et arraché des larmes à Kate Winslet ou encore Rachel McAdams.

Si l’Oscar de la meilleure chanson originale est finalement revenu à « Writing’s on the Wall » de Jimmy Napes et Sam Smith (B.O. de « 007 Spectre »), Lady Gaga est en effet sortie avec les honneurs de la cérémonie. S’accompagnant au piano, la chanteuse de 29 ans a interprété ce titre coécrit avec Diane Warren qui illustre « The hunting ground »(« Le terrain de chasse »), doc’ consacré aux agressions sexuelles commises sur les campus américains.

Victimes

Précédée par un discours du vice-président Joe Biden qui exhorte à un changement de « culture », cette performance a connu son acmé émotionnelle lorsque des victimes d’abus sexuels ont rejoint Lady Gaga sur scène, arborant des inscriptions sur leurs avant-bras telles que : « Survivant », « Ce n’était pas ma faute » ou encore « Ça m’est arrivé ».

Peu avant cette prestation, Stefani Germanotta de son vrai nom, avait adressé un tweet à la chanteuse Kesha, victime présumée d’un viol commis par son producteur Dr Luke :

Kesha, je penserai à toi ce soir. Ce n’est pas terminé, on se tiendra à tes côtés jusqu’à ce que tu sois libre de vivre une vie heureuse. Tout le monde le mérite »

.@kesharose I’ll be thinking of u 2nite. This is not over we’ll stand by u until you are free to live a HAPPY life. Everyone deserves that.

— Lady Gaga (@ladygaga) 28 février 2016

Une dédicace d’autant plus sincère que Lady Gaga avait elle-même été victime d’agression sexuelle, comme elle l’avait révélé en 2014.

Jean-Frédéric Tronche

Face à la crise agricole, les réponses évasives du monde politique

Soyez-en certain : les agriculteurs, les politiques les ont compris. A la question «Comprenez-vous cette colère ?», c’est l’unanimité. Florilège : «Oui, je comprends cette colère, je comprends ce qu’il se passe» (Jean-Vincent Placé, nouveau secrétaire d’Etat, lundi, sur France 2) ; «La colère agricole, on ne peut que la comprendre» (Florian Philippot, interrogé par Public Sénat) ; «Mais comment ne pas la comprendre ?» (David Cormand, secrétaire national intérimaire d’Europe Ecologie-les Verts) ; le député LR Christian Jacob évoque une crise «qui dure et d’une violence inouïe pour les producteurs».

Multipliant les pistes de recherche, les représentants politiques présents ce matin dans les médias ont pourtant peiné à avancer des propositions consistantes et détaillées pour tirer le secteur agricole d’une crise profonde.

Alors que les agriculteurs, «débordés par la paperasse», dénoncent notamment des «contraintes administratives insupportables», le néo-secrétaire d’Etat en charge de la Réforme de l’Etat et de la Simplification, Jean-Vincent Placé, fait partie des mieux placés pour aider les agriculteurs.

Pour l’ancien président du groupe écologiste au Sénat, «le cœur du débat» se situe dans «la crise de production, de surproduction, et donc la baisse de prix des cours mondiaux».

S’il n’explique pas comment la France pourrait faire entendre sa voix sur le sujet, Jean-Vincent Placé semble convaincu que les progrès viendront des réformes déjà initiées par le gouvernement : «Il y a des solutions nationales ; elles ont été mises en place par le Premier ministre et par Stéphane Le Foll [ministre de l’Agriculture]. C’est la question des aides d’urgence – 700 millions [d’euros, à l’été 2015, ndlr], c’est la question de la baisse des cotisations sociales et c’est aussi l’accélération du paiement des aides. […] La réalité, c’est la parole politique, ce sont les actes et dans quels délais on peut essayer d’aider ceux qui sont en difficulté.» Une interprétation visiblement à rebours de celle des agriculteurs qui, après François Hollande samedi, ont réservé un accueil glacial à Manuel Valls lundi.

«Traité transatlantique»

Prompt à fustiger «les responsables politiques de droite et de gauche [qui] arpentent ce salon pour ne rien annoncer de nouveau», Florian Philippot n’a pour autant, lui non plus, pas apporté davantage de réponses précises à la crise actuelle.

Au cours de neuf minutes d’interview consacrées à la seule question agricole, le vice-président du Front national a largement pointé du doigt – outre l’action des gouvernements successifs – le rôle de «Bruxelles», «la suppression des quotas laitiers» et le «traité transatlantique». Mais, en panne de solutions, il n’oppose qu’un hypothétique «coup de pouce à la production française» via la «mise en place d’un patriotisme agricole» dont il ne précise pas les modalités.

(à partir de 0’40 » sur la vidéo)


Pour sa part, David Cormand reconnaît que son parti, Europe Ecologie-les Verts, peine à se faire entendre du monde paysan : «Il y a parfois une incompréhension entre le projet écologiste et celles et ceux qu’il pourrait aider. Pourquoi ? Parce qu’il y a des inerties dans la société […] et, pour des gens qui sont déjà prisonniers d’un système et qui le vivent mal, leur dire en plus de changer, c’est très dur à entendre.»

Au micro de France Info, David Cormand a appelé à «un deal gagnant-gagnant avec les agriculteurs», qui permettrait la transition «d’une agriculture industrielle à une agriculture paysanne», sans davantage de précisions. Et de répéter : «Le salut n’est que dans le changement.»

(à partir de 2’15 » sur la vidéo)

Plusieurs fronts

Pour penser le renouveau de l’agriculture française, y aurait-il finalement mieux placé que Christian Jacob ? Le président du groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale, lui-même ancien exploitant agricole, était l’invité de France Inter ce matin.

S’il a parfaitement résumé la situation à travers son cas personnel (le lait se vendait plus cher dans les années 80 qu’actuellement, alors que les charges se sont depuis multipliées pour les producteurs), noté le manque de réactivité du gouvernement face à la crise, le député de Seine-et-Marne est pourtant resté aussi flou que ses homologues.

Peut-être parce qu’il n’y a, dans l’immédiat, pas de solution claire et simple à apporter aux agriculteurs ? «Il n’y a pas la réponse clé qui va permettre de tout résoudre, et donc il y a plusieurs fronts. Il faut effectivement agir sur le plan national, sur le plan européen, sur la préparation des accords internationaux… Et tout ça justifie effectivement une explosion des agriculteurs et un sentiment de détresse affreux.»

Sylvain Moreau

Comment Facebook permet de savoir si vos amis dorment bien la nuit

Depuis plusieurs jours, j’espionne mes amis Facebook. Ce qui m’intéresse : ce qu’ils font de leur nuit. Au matin de la deuxième journée de l’expérience, les données du réseau social que j’exploite m’indiquent que Maxime* s’est couché à 2h53 et s’est levé à 7h33. Il a donc dormi moins de cinq heures cette nuit. Sans un bonjour, j’engage la discussion sur Messenger d’un «ça va pas trop fatigué ? Tu as peu dormi cette nuit, non ?» Je poursuis : «Tu as fait une insomnie ?» Il concède : «Effectivement insomnie du siècle.» Avant de conclure: «Le mec est sur un papier pour Libé où il espionne ses potes grâce à une nouvelle technologie inconnue de tous, je le sens.»

Les informations d'activité de notre contact insomniaqueLes informations d’activité de mon contact insomniaque

A Gregory*, qui s’est levé étonnamment tôt, je lance, énigmatique : «Pourquoi tu t’es levé à 6h33 ce matin?» Ce à quoi il me rétorque sérieusement «Comment tu sais ? Tu m’as piraté ?» Puis, empli de certitudes, «ah, tu exploites les failles de sécurité de Facebook, petit malin !».

Non, je n’exploite ni une faille de sécurité, ni une nouvelle technologie inconnue de tous. Je mets à profit les données que les utilisateurs livrent quotidiennement au réseau social sans trop y prêter attention et qui sont rendues publiques au cercle d’amis. Souvenez-vous en 2014 lorsque Facebook nous a imposé d’installer Messenger pour pouvoir converser sur nos téléphones. La plateforme en a profité pour afficher la dernière période d’activité connue de nos contacts. Ainsi, si l’un de mes amis a été actif il y a dix minutes, il sera inscrit à droite de notre écran en face de son nom : «10min.». C’est ce temps qui me permet de tracer mes proches.

Facebook, «un moyen de se détendre le soir»

En récoltant et agrégeant automatiquement toutes les 10 minutes ce temps d’activité affiché par Messenger grâce à un outil récupéré sur Github (une plateforme de partage pour les développeurs), il m’est donc possible d’observer le comportement de mes amis sur le réseau social. A chaque fois que l’un d’entre eux se connecte, je collecte cette information. Qui s’y rend sur son temps de travail ? Qui s’y connecte tard le soir ou tôt le matin ? Facebook le sait, moi aussi.

Très rapidement, je m’attache à observer les cycles de sommeil de mes contacts, par déduction. Il me suffit pour cela de m’intéresser à la longue période d’inactivité nocturne en partant du principe que, grâce aux applications Facebook, le réflexe quotidien de beaucoup d’utilisateurs est de s’y rendre au coucher et au lever. «C’est un moyen de flâner et de se détendre le soir. Le matin, c’est une façon de se réveiller en douceur», m’explique l’un de mes amis. Si l’un d’entre eux se connecte au réveil, il se montre actif sur le réseau, ce qui m’envoie une indication quant à son rythme de vie.

De celui qui se lève tôt pour travailler, à celui qui a fait la fête la veille, lorsque j’ai cherché à vérifier mes informations auprès de mes contacts, j’étais souvent dans le juste. Ainsi, au bout de plusieurs jours, en comparant les cycles de sommeil quotidiens il m’est possible de constater qui s’est levé plus tôt qu’à son habitude, qui a veillé tard la veille, lequel est un gros dormeur, en vacances, ou n’a probablement pas entendu son réveil sonner. C’est encore plus flagrant le week-end, où les fêtards se connectent en sortie de soirée.

Le week-end d’un de mes amis fêtard

De l’espionnage conjugal au bored out

Chaque fois que j’ai demandé à l’un de mes contacts de confirmer son activité sur Facebook, il l’a aussi pris pour une violation de sa vie privée. Le genre d’opération qui ne serait rendue possible que par le biais d’un outil superpuissant, ou avec l’aide d’un hacker au masque blanc. Et pour cause, Facebook s’est bien introduit dans notre vie la plus intime. Après une semaine d’observation, ma connaissance du rythme de vie de mes contacts est devenue presque totale du moins pour les plus actifs. Samuel*, un autre de mes amis, dont le désir de changer d’emploi se fait de plus en plus pressant, y est connecté à longueur de journée d’après les données que je récolte. En se fiant à ses temps d’inactivité, j’ai pu analyser l’heure à laquelle il quitte le travail (aux alentours de 18h), mais aussi celle à laquelle il prend sa pause déjeuner. Confronté à ces observations, il avoue que Facebook est un peu devenu sa distraction face à l’ennui quotidien, sans trop comprendre qu’il peut être tracé.

L'activité de notre ami Facebook qui s'ennuie au bureau

L’activité de mon ami Facebook qui s’ennuie au bureau

En collectant ces métadonnées, il devient évident que le réseau social de Mark Zuckerberg possède de nombreuses informations sur notre vie quotidienne. Avec l’introduction récente des émotions en plus du «j’aime», la plateforme prouve bien qu’elle cherche à en savoir toujours plus sur ses utilisateurs. Bien sûr, chacun d’entre eux en a conscience, car c’est le contrat implicite dans l’utilisation de Facebook : y être, c’est accepter de dévoiler sa vie privée. Les données d’activité de la messagerie ne sont pas inquiétantes pour la plupart des internautes présents sur le réseau, il n’y a d’ailleurs jamais eu de mouvement de protestation important depuis que cette fonctionnalité a été introduite. Ce qui l’est en revanche, c’est l’utilisation que l’on peut en faire. Que l’on puisse observer le dernier temps de présence d’un de nos amis sur Facebook est anodin. Si ces données sont récupérées et agrégées les unes aux autres, cela devient intrusif. Au fil de l’expérience, mes contacts mis au courant m’interrogent dans un mélange de curiosité et d’inquiétude : «Tu m’espionnes là?» Comme si le fait d’incarner personnellement la récolte de ces données d’activité leur faisait soudainement prendre conscience de la masse d’information quotidienne qu’ils livrent au réseau.

Lorsque je décris ce travail à l’un de nos contacts, il me confie bien connaître cette fonctionnalité de Facebook Messenger. Sans pour autant procéder à une récolte automatique de ces données comme nous l’avons fait, il s’en sert ponctuellement pour espionner sa copine qui réside dans une autre ville, afin de voir quand elle se couche : «Un jour, elle m’a dit qu’elle allait se coucher à 22h30. Je l’ai cru, mais à 1h30 du matin alors qu’elle ne répondait plus à mes SMS depuis quelques heures, j’ai vu qu’elle avait été active il y a deux minutes. J’en ai déduit qu’elle ne voulait pas me répondre donc, ou qu’elle devait être occupée à autre chose… Ça nous a valu une dispute.»

Pour Soren Louv-Jansen, le développeur de l’outil, que j’ai contacté, il est important que les utilisateurs prennent conscience de laisser des traces sur Facebook: «La plupart d’entre eux pensent qu’ils sont « invisibles » tant qu’ils ne postent pas de contenu. Mais ils ne sont pas. La seule façon qu’ils en prennent conscience, est de leur faire une démonstration choc. Je pense que de leur montrer que « vos amis Facebook savent quand vous dormez » en est une.» Selon le Washington Post, les responsables de la plateforme n’auraient pas apprécié l’initiative du développeur.

Afin d’éviter de livrer ces informations à la plateforme de Mark Zuckerberg, il est important de toujours s’assurer d’être «hors ligne» dans Messenger lorsque l’on utilise un ordinateur (en bas à droite, cliquez sur la molette), même si selon Soren Louv-Jansen, cela ne résoudra pas complètement le problème. Sur smartphone, il faut en revanche privilégier l’utilisation du site mobile – qui a par ailleurs l’avantage d’utiliser moins de ressources, plutôt que de l’application dédiée. Il existe surtout une ultime solution, bien plus radicale : ne pas utiliser Facebook.

* Les prénoms ont été modifiés

Gurvan Kristanadjaja

Badiou à Finkielkraut : « Vous vous êtes mis vous-même dans une trappe obscure »

A la fin 2009, le philosophe Alain Badiou avait accepté pour la première fois de débattre avec Alain Finkielkraut. Un dialogue publié dans « l’Obs », et qui fut à l’origine d’un livre paru l’année suivante: «l’Explication. Conversation avec Aude Lancelin» (éditions Lignes, 2010). Aujourd’hui il refuse ses invitations et s’en explique dans un courrier rendu public.

Lors des discussions, publiques et publiées, que nous avons eues naguère, je vous avais mis en garde contre le glissement progressif de votre position, et singulièrement de votre crispation identitaire, que je savais être à l’époque sans doute déjà très réactive, mais que je considérais comme loyale et sincère, du côté d’un discours qui deviendrait indiscernable de celui des extrêmes-droite de toujours.

C’est évidemment le pas que, malgré mes conseils éclairés, vous avez franchi avec le volume «l’Identité malheureuse» et le devenir central, dans votre pensée, du concept proprement néo-nazi d’Etat ethnique. Je n’en ai pas été trop surpris, puisque je vous avais averti de ce péril intérieur, mais, croyez-le, j’en ai été chagrin: je pense toujours en effet que n’importe qui, et donc vous aussi, a la capacité de changer, et – soyons un moment platoniciens – de se tourner vers le Bien.

Mais vous vous êtes irrésistiblement tourné vers le Mal de notre époque: ne savoir opposer à l’universalité, abstraite et abjecte, du marché mondial capitaliste, que le culte, mortifère dès qu’il prétend avoir une valeur politique quelconque, des identités nationales, voire, dans votre cas, «ethniques», ce qui est pire.

J’ajoute que votre instrumentation sur ce point de «la question juive» est la forme contemporaine de ce qui conduira les Juifs d’Europe au désastre, si du moins ceux qui, heureusement, résistent en nombre à cette tendance réactive ne parviennent pas à l’enrayer. Je veux dire, la bascule du rôle extraordinaire des Juifs dans toutes les formes de l’universalisme (scientifique, politique, artistique, philosophique…) du côté du culte barbare et sans issue autre que meurtrière d’un Etat colonial. Je vous le dis, comme à tous ceux qui participent à ce culte: c’est vous qui, aujourd’hui, par cette brutale métamorphose d’un sujet-support glorieux de l’universalisme en fétichisme nationaliste, organisez, prenant le honteux relais de l’antisémitisme racialiste, une catastrophe identitaire sinistre.

Dans le groupe des intellectuels qui vous accompagnent dans cette vilenie anti-juive, on me traite volontiers d’antisémite. Mais je ne fais que tenir et transformer positivement l’universalisme hérité non seulement d’une immense pléiade de penseurs et de créateurs juifs, mais de centaines de milliers de militants communistes juifs venus des milieux ouvriers et populaires. Et si dénoncer le nationalisme et le colonialisme d’un pays déterminé est «antisémite» quand il s’agit d’Israël, quel nom lui donner quand il s’agit, par exemple, de la France, dont j’ai critiqué bien plus radicalement et continûment, y compris aujourd’hui, les politiques, tant coloniales que réactionnaires, que je ne l’ai fait s’agissant de l’Etat d’Israël ? Direz-vous alors, comme faisaient les colons en Algérie dans les années cinquante, que je suis «l’anti-France» ? Il est vrai que vous semblez apprécier le charme des colons, dès qu’ils sont israéliens.

Vous vous êtes mis vous-même dans une trappe obscure, une sorte d’anti-universalisme borné et dépourvu de tout avenir autre qu’archi-réactionnaire. Et je crois deviner (je me trompe ?) que vous commencez à comprendre que là où vous êtes, ça sent le moisi, et pire encore. Je me dis que si vous tenez tant à ce que je vienne à l’anniversaire de votre émission (à laquelle j’ai participé quatre fois, du temps où vous étiez encore fréquentable, quoique déjà avec quelques précautions), ou que je participe encore à ladite émission, c’est que cela pourrait vous décoller un peu de votre trou. «Si Badiou, le philosophe platonicien et communiste de service, accepte de venir me voir dans la trappe où je suis» – pensez-vous peut-être – «cela me donnera un peu d’air au regard de ceux, dont le nombre grandit, qui m’accusent de coquetterie en direction du Front National.»

Voyez-vous, j’ai déjà été critiqué dans ce que vous imaginez être mon camp (une certaine «gauche radicale», qui n’est nullement mon camp, mais passons) pour avoir beaucoup trop dialogué avec vous. Je maintiens, sans hésitation, que j’avais raison de le faire. Mais je dois bien constater, tout simplement, que je n’en ai plus envie. Trop c’est trop, voyez-vous. Je vous abandonne dans votre trou, ou je vous laisse, si vous préférez, avec vos nouveaux «amis». Ceux qui ont fait le grand succès des pleurs que vous versez sur la fin des «Etats ethniques», qu’ils prennent désormais soin de vous. Mon espoir est que quand vous comprendrez qui ils sont, et où vous êtes, le bon sens, qui, si l’on en croit la philosophie classique, est le propre du sujet humain, vous reviendra.

Alain Badiou

A la recherche de la dépouille de Federico Garcia Lorca

Ce 18 août de 1936, à 4h45 du matin, près de ce lieu nommé « barranca de Alfacar », le ravin d’Alfacar, entre le village du même nom et celui de Viznar, à quelque neuf kilomètres de Grenade, Federico Garcia Lorca était assassiné par des franquistes. Six hommes de la Phalange, parmi lesquels le plus ignoble de tous, Benavides, un parent de la première épouse de son père qui s’était enrôlé spontanément pour avoir la jouissance de l’exécuter.

Avec Garcia Lorca étaient tués un malheureux instituteur de village, José Dioscoro Galindo, qui avait eu le malheur de prôner la laïcité, ainsi que deux jeunes banderilleros de Grenade, Francisco Galadi et Joaquin Arcollas, qualifiés d’anarchistes pour avoir espéré plus de justice sociale et adhéré à la Confédération nationale des travailleurs (CNT).

Le fantôme de Garcia Lorca hante la conscience collective

Les quatre corps furent jetés par les tueurs dans une excavation. Alentour, près de deux mille autres victimes du fascisme espagnol auront été dispersées là, dans des fosses communes, après avoir été exécutées sommairement dans les premiers temps de la guerre civile. Et bien des années plus tard, comme ce fut le cas en France pour les victimes de la Terreur, on ne savait plus exactement qui avait été assassiné ici, qui gisait sous terre au sein de cette immense nécropole en pleine nature.

Federico Garcia Lorca, photographié à son domicile de Grenade (Famille Lorca/Sipa)

Aujourd’hui, près de huit décennies après ces effroyables tueries, et pour la troisième fois, on tente de retrouver les restes mortels de l’écrivain. Avec ceux de tant d’autres martyrs en Espagne, le fantôme de Federico Garcia Lorca hante à tout jamais la conscience collective.

Une plaie toujours purulente

Son assassinat par les phalangistes, par des Espagnols, sa mort due tout à la fois au fascisme, au catholicisme le plus intransigeant, à de vieilles haines familiales, au machisme aussi, car on tua non seulement un écrivain célèbre, un poète, un dramaturge, un homme libre, mais encore, et avec plus de rage sans doute, un homosexuel, sa mort est, parmi tant d’autres, un crime qui a sali toute l’Espagne.

Et alors que les horreurs de la guerre civile ont été longtemps tues et cachées par la dictature franquiste quand il s’agissait des victimes venues du camp des vaincus, l’on peut voir aujourd’hui, dans cette recherche acharnée du corps du poète, outre un besoin légitime de rendre hommage au martyr comme à l’écrivain, un acte d’expiation, une nécessité de laver une plaie toujours purulente.

La Ley de Memoria historica

Votée par les Cortes en 2007, à l’époque où le socialiste Jose Luis Rodriguez Zapatero était le chef du gouvernement de Madrid, la « Ley de Memoria historica de Espana » (Loi sur la mémoire historique) permet désormais, sous contrôle de l’Etat espagnol et des gouvernements autonomes, et à la demande expresse des familles, que soient enfin ouvertes les fosses communes où furent précipitées des dizaines de milliers de victimes. Et que soit reconnue officiellement l’injustice qui leur a été faite, à elles comme à leur parenté. En Andalousie seulement, là où mourut Garcia Lorca, ces fosses, on a recensé 595, tout en ignorant aujourd’hui encore combien de dépouilles elles abritent.

Tuer un poète

Tuer un jeune poète : quand on aborde l’assassinat de Garcia Lorca et les conditions dans lesquelles il fut exécuté après avoir été sans doute humilié, battu, torturé, l’émotion demeurée toujours très vive fait de lui le symbole le plus terrifiant de la barbarie des milices franquistes, mais aussi de la société espagnole tout entière.

En 2009, déjà, sous l’égide de l’ « Oficina de Victimas de la Guerra civil y la dictatura », aujourd’hui supprimée par le gouvernement de droite de Rajoy, on effectua sans succès des fouilles au pied d’un antique olivier qui marque l’entrée du parc Garcia Lorca, un site jouxtant le village d’Alfacar. On s’appuyait alors sur les indications données par le plus connu des biographes du poète, l’hispaniste irlandais Ian Gibson, auteur de « Vie, passion et mort de Federico Garcia Lorca », livre au grand retentissement publié en 1998. Dans son ouvrage, Gibson se basait entre autres sur le témoignage d’un homme qui avait été sur les lieux en septembre 1936, un mois après l’assassinat.

Nouvelles fouilles en novembre 2014

De nouveaux éléments semblaient désormais avoir déterminé avec plus d’exactitude le lieu où avaient été jetés les corps de Garcia Lorca et de ses malheureux compagnons.

Lors des fouilles le 18 novembre 2014 (JORGE GUERRERO / AFP)

Parmi plusieurs confidences inédites de phalangistes, un général aujourd’hui à la retraite avait livré ses souvenirs. Fils de celui qui était le commandant militaire de la zone au moment de l’exécution, il fut conduit sur les lieux par deux ou trois des assassins, dont le plus fanfaron, Benavides, celui qui avait été le plus cruel, celui qui s’était vanté « d’avoir tué un rouge, un ami des rouges, un sale pédé ». C’était dans les années 1960, quand le témoin était un tout jeune homme. Et ce témoignage permettait désormais de circonscrire une zone de 160 mètres carrés où l’équipe de chercheurs était sûre de retrouver les dépouilles.

Avec une aide financière de la Junta de Andalucia, le gouvernement autonome de l’Andalousie, une équipe d’historiens et d’archéologues conduite par Miguel Caballero Pérez, auteur des « Treize dernières heures dans la vie de Federico Garcia Lorca », reprit donc les travaux. A un kilomètre environ des fouilles de 2009 Las ! Après vingt jours de recherches infructueuses, des chutes de neige inopinées dans la Sierra de Alfaguara ruinèrent le projet et obligèrent l’excavatrice retenue pour les fouilles à dégager les voies routières de la région.

Troisièmes fouilles

Lors des fouilles le 18 novembre 2014 (JORGE GUERRERO / AFP)

Aujourd’hui, avec le reliquat des subventions du gouvernement andalou et après une campagne de levées de fonds internationale, Miquel Caballero et l’archéologue Javier Navarro relancent les recherches à quelques pas de celles de 2014. Car on a pu, ces derniers mois, affiner encore les données que l’on possédait. Et l’on est sûr désormais de retrouver les corps des quatre suppliciés au sein d’un espace d’une centaine de mètres carrés, à vingt mètres à peine des recherches de l’an dernier.

« Tierra seca, tierra quieta de noches inmensas »

Tierra seca, tierra quieta de noches inmensas »

Terre sèche, terre tranquille sous les nuits immenses) : ce vers de Garcia Lorca semble avoir annoncé le lieu où il sera massacré.

C’est un site désolé de pierres et de terre aride, du type que l’on nomme en Espagne « secano » et qui s’étend non loin du « camino del arzobispo », le chemin de l’archevêque, par où les quatre victimes de l’assassinat du 18 août (d’autres disent du 19), parvinrent à ce qui serait leur tombeau. Hélas, il y a bien des années, un maire de village y fit déverser des tonnes de terre en vue d’aménager là… un terrain de football. Il fallut un appel de la soeur de Garcia Lorca, alors âgée de 87 ans, adressé au président de la Junte d’Andalousie, pour que celui-ci fît cesser d’urgence les travaux en ce lieu dont on savait pourtant qu’il abritait des restes mortels.

Mais le mal était fait. Le sol de jadis est enfoui, dit-on, sous huit mètres de remblais. Et avant même cet acte idiot, le régime franquiste avait installé là un camp d’instruction militaire dont on fit par la suite un terrain de moto-cross. Tout aura donc été fait pour faire oublier cette nécropole où gisent sans doute près de deux mille corps, mais aussi pour dissiper la mauvaise conscience de leurs assassins, des familles de ceux-ci et de toute une classe politique elle aussi criminelle.

« Lorca eran todos »

Aujourd’hui, les familles des quatre victimes sont une nouvelle fois divisées quant à l’opportunité d’effectuer des recherches. Et chacune pour des raisons très nobles. Rejointe par la famille de l’un des deux banderilleros, la petite fille de l’instituteur Francisco Galadi veut retrouver les ossements de son aïeul. Elle a vu son propre père, qui tout jeune alors avait assisté à l’arrestation du « maestro » et tenté de suivre le prisonnier, se tourmenter toute sa vie de savoir sans sépulture celui qui lui avait donné le jour.

Tout au contraire, et pour d’aussi nobles raisons, la famille de Federico Garcia Lorca ne voit pas d’un bon œil l’exhumation possible du poète, sans toutefois s’y opposer désormais, par égard aux familles des trois autres victimes. Car cette famille, que représente aujourd’hui la nièce de l’écrivain, Laura Garcia Lorca y de Los Rios, redoute à juste titre que la célébrité universelle de l’auteur suscite un intérêt public tel que cette découverte et une possible exhumation déboucheraient immanquablement sur un ouragan médiatique en quoi on pourrait voir une douloureuse profanation. Un excès de vacarme, de curiosité et de fureur après le silence étouffant imposé par la mort et par la dictature franquiste, laquelle aurait bien voulu bannir à tout jamais le souvenir de Garcia Lorca et d’autres poètes comme Cernuda de la mémoire universelle.

Dressée dans le ravin, sous les arbres, parmi les fosses communes, une stèle de granit dit bien la pensée de la famille : « Lorca eran todos » (Tous étaient Lorca). Une noble manière de signifier que toutes les victimes du fascisme sont égales dans la mort. Et que cette tragique nécropole, dans sa désolation, recèle plus de grandeur et dégage plus d’émotion que n’importe quel tombeau de marbre.

Raphaël de Gubernatis

(HADJ/SIPA)

Paris photo, Les choses de la vie

La vie en rose ? Le stand le plus flashy de Paris photo est, sans aucun doute, celui de Suzanne Tarasieve. On pouvait s’en douter. La galeriste n’allait pas céder à l’esprit désincarné et mélancolique de notre temps !

Juergen Teller, Kanye, Juegen and Kim, N°.70, Château d’Ambleville, Paris, 2015 C-type 182,88 x 274,32 cm

En plaçant sous l’égide du film de Claude Sautet Les choses de la vie, sa participation à la plus prestigieuse foire mondiale de photographie, Suzanne Tarasieve se met véritablement en scène avec un texte de présentation bouleversant, à l’image de sa vie et des œuvres qu’elle défend.

Un éloge de la vie

On ne sera donc pas étonné par le choix des photographes qu’elle présente. Tous sont très éloignés d’une esthétique contemplative et soporifique ! Ils témoignent au contraire d’une vie intense aux confins, parfois, du sordide et de l’abject.

Que ce soient pour Delphine Balley,
 Stanislas Guigui,
 Jeffrey Silverthorne, Boris Mikhaïlov ou Juergen Teller, la photographie implique pleinement le corps dans tous ses états.

Stanislas Guigui Prostituée Bogota, 2015 Tirage pigmentaires, papier Baruyta, Hahnemühle 350 g, 85 x 58 cm

Ces photographies de transsexuels, de prostitués ou de masochistes, etc. ne sont en rien la manifestation morbide d’une existence épuisée et perverse. Elles semblent, bien plus, l’expression d’une affirmation de la vie, y compris dans ses formes les plus infâmes ! A l’instar du programme deleuzien d’une existence artiste, il s’agit encore d’ouvrir et d’expérimenter de nouvelles formes de vie, fût-ce au prix de la maladie ou de l’épuisement, de la perversion, de la drogue ou du jeûne, de la trahison ou de l’infamie.

Esthétique du «So far»

On ne trouvera donc pas chez Suzanne Tarasieve une photographie dominée par le référent barthien du «ça-a-été», mais plutôt un éloge du «So far» : Jusque là ça va … Poursuivons, la vie !

« L’accident. Celui dont on échappe et qui transforme une vie. C’est l’histoire de Suzanne Tarasieve. Celle d’un combat mené seule pour survivre au sortir de l’adolescence. Depuis, la vie est un cadeau, une grande fête que l’on doit célébrer tous les jours.

Ces moments où tout peut basculer, elle les donne à voir dans toute leur noirceur, leur violence et leur extravagance.

Avec les artistes dont elle partage l’engagement pour exister et dénoncer, Suzanne Tarasieve a sélectionné des séquence de vie où la tragédie rime avec la comédie. Chez Delphine Balley, la lecture de faits divers est prétexte à des mises en scène théâtrales et poétiques.

Delphine Balley La réunion de famille. Série «L’album de famille», 2007 Photographie à la chambre, 107 x 130 cm

Pour Stanislas Guigui, la rencontre avec les prostituées de Bogota donne lieu à des clairs obscurs vertigineux et chaotiques. Boris Mikhaïlov exprime la violence de la naissance et se représente dans un simulacre de dérision sur l’angoisse de la mort. Avec Jeffrey Silverthorne, on plonge dans le monde de la nuit, des travesti et du morbide.

Jeffrey Silverthorne

Juergen Teller aborde la question de la représentation du corps dans tous ses paradoxes. Ces photographes ont tous en commun une approche frontale et sans condition humaine

Béatrice Andrieux

Suzanne Tarasieve préparant le stand C37 à Paris Photo

PARIS PHOTO

12 – 15 NOV. 2015

 Suzanne Tarasieve Stand / Booth C37

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Les choses de la vie

DELPHINE BALLEY
STANISLAS GUIGUI
BORIS MIKHAÏLOV
JEFFREY SILVERTHORNE 
JUERGEN TELLER

PARIS PHOTO – GRAND PALAIS : Avenue Winston Churchill, 75008 Paris
+ info

Site de Paris Photo

Site de la galerie Suzanne Tarasieve

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