Existe-t-il un droit de la cyberguerre ?

Le ministère de la Défense récuse l’avoir organisé en urgence, mais ce colloque tombe à pic. Lundi et mardi, le nouveau site de Balard, «l’Hexagone», accueille une série de conférences sur le thème «Droit et Opex» (opérations extérieures, la guerre donc), autour de deux thèmes clés : la judiciarisation croissante des conflits et l’adaptation du droit aux nouvelles menaces, aux «zones grises». A l’instar des bombardements français en Syrie dont la légalité a soulevé de nombreuses questions.

Ces bombardements se sont accompagnés d’actions d’un nouveau genre. Selon Le Monde, «une opération informatique du cybercommandement de l’état-major» a permis de «remonter jusqu’au groupe» visé. Soit une nouvelle application de la doctrine française en matière de «lutte informatique offensive», dans un cadre légal encore flottant.

Pourquoi la question se pose aujourd’hui ?

«La France dispose de capacités offensives [en matière informatique]», a tonné le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, fin septembre, lors d’un autre colloque, consacré au «combat numérique». Le message était clair : la France ne se contente pas de se défendre, elle attaque. La décision n’est pas nouvelle. Le livre blanc de la Défense de 2008 poussait déjà à l’acquisition de moyens d’attaque, un souhait réitéré cinq ans plus tard à dans le nouveau livre blanc. En 2013, l’exécutif plaidait ainsi pour «un effort marqué» en matière de cyberdéfense militaire : «Les engagements de coercition seront conduits de façon coordonnée dans les cinq milieux (terre, air, mer, espace extra-atmosphérique et cyberespace).» Un nouveau champ de bataille est né.

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«La guerre de demain devra combiner le cyber avec les autres formes de combat», écrit Le Drian dans le numéro de novembre de la Revue Défense Nationale. «Pour nos forces armées, le premier enjeu est désormais d’intégrer le combat numérique, de le combiner avec les autres formes de combat.» L’attaque est ainsi devenue une priorité en France, mais pas seulement.

La prise de conscience de 2008 est provoquée par une série d’événements : les cyberattaques contre l’Estonie au printemps 2007 lors d’un différend diplomatique avec Moscou, un scénario similaire un après lors de la guerre entre la Géorgie et la Russie, la découverte en 2010 du virus Stuxnet développé pour saboter certaines installations nucléaires iraniennes… Les Etats-Unis adaptent rapidement leur doctrine. En 2011, le Pentagone annonce se réserver la possibilité de répondre par des moyens conventionnels à une cyberattaque. Cette année, le Pentagone a revendiqué ouvertement mener des cyberattaques dans la nouvelle mouture de sa «cyber stratégie».

Le droit international peut-il s’appliquer ?

La militarisation croissante du cyberespace a mené à une première vague de travaux visant à encadrer ce nouveau recours à la force. Une réflexion a ainsi été lancée par des experts au sein de l’Otan après les attaques contre l’Estonie, pour aboutir, en 2013, au Manuel de Tallinn. Le texte reconnaît que le droit international s’applique aux conflits dans le cyberespace et le décline en 95 règles.

Une opération cyber est ainsi «une agression armée lorsque l’emploi de la force atteint un seuil élevé en termes de degré, de niveau d’intensité et selon les effets engendrés : pertes en vies humaines, blessures aux personnes ou des dommages aux biens.» La définition est cruciale, puisqu’elle conditionne l’invocation de la légitime défense, donc le recours licite à la force. D’autres principes sont aussi déclinés à propos des cibles, de l’intensité des attaques…

Existe-t-il un consensus entre les Etats ?

Le Manuel n’est que le fruit d’un travail otanien, non contraignant. Une autre démarche, sous l’égide des Nations Unis, a donné des résultats cet été. Un groupe d’experts gouvernementaux a rédigé un rapport visant à prévenir une escalade en cas d’incident. «Il faut faire ce travail avant qu’un vrai pépin existe. Est-ce que ce sera respecté ? Au moins, ces normes sont là» défend le Quai d’Orsay. Toutes les parties l’ont endossé, représentants chinois et russes compris, alors que le consensus n’a pas prévalu tout au long des négociations, loin s’en faut.

Elles n’ont abouti que deux minutes avant la fin de la dernière rencontre, le 26 juin 2015, peu avant 18h… Les discussions bloquaient sur l’application concrète du droit international au cyberespace. «Les Chinois ne voulaient pas que le droit international humanitaire s’applique, explique le Quai d’Orsay, leur argument phare était : si on codifie les conflits armés dans le cyberespace, alors on les encourage.»

La légitime défense sera retirée du rapport, «elle n’apparaît que dans une référence très indirecte» précise-t-on au ministère des Affaires Etrangères. Sont reconnus «les principes d’humanité, de nécessité, de proportionnalité et de discrimination [entre les combattants et les non-combattants].» Les experts gouvernementaux se sont surtout accordés sur des «normes de comportements» : absence d’attaque contre les infrastructures critiques ou les «équipes d’intervention d’urgence», coopération entre Etats pour renforcer la sécurité des systèmes essentiels.

Plus surprenant, les Etats «devraient s’attacher à prévenir l’utilisation de fonctionnalités cachées malveillantes». Un engagement pour le moins surprenant de la part de Washington, également coauteur du rapport, alors que les Etats-Unis se sont fait une spécialité d’introduire des «backdoors», des portes dérobées, dans certains produits… «Toutes les questions relatives à l’espionnage sont exclues du périmètre du travail du groupe» justifie le Quai d’Orsay.

Un deuxième Manuel de Tallinn sera publié en janvier 2016. Il ne devrait pas traiter le domaine conflictuel. Au niveau européen, les discussions se concentrent sur la protection des données personnelles. Un thème remonté dans l’agenda politique après une décision récente de la Cour de justice de l’UE et surtout les révélations d’Edward Snowden sur l’ampleur de la surveillance dans les démocraties.

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Pierre ALONSO

Payer pour réussir ses études : jusqu’où ira le « school business » ?

Pour 30.000 euros par an, soit 150.000 pour le cursus complet, un étudiant parti en Espagne reviendra dentiste, mais en ayant échappé à une double contrainte: le bac S et le difficile concours requis en France. Dans le même esprit, il est possible de devenir pilote de ligne en contournant maths-sup et l’Ecole nationale de l’Aviation civile avec la Belgian Flight School, qui dispense en dix-huit mois pour 90.000 euros un enseignement reconnu. L’élève moyen qui veut être médecin s’en ira étudier en Roumanie pour la modique somme de 10.000 euros par an.

L’accès à ces professions s’achète désormais; cher et en catimini, poursuit l’auteur. Du point de vue de la morale publique, c’est embarrassant.»

Il n’y a pas si longtemps, un étudiant s’exilait après avoir échoué plusieurs fois au concours de ses rêves; aujourd’hui, c’est d’emblée pour échapper à la sélection. Et, s’il reste en France, une très chère école de commerce privée à prépa intégrée peut lui permettre de commencer dans la vie avec un salaire et une considération sociale équivalents à ceux d’un bachelier S ayant fait maths sup- maths-spé et une bonne vieille école d’ingénieurs.

Toujours public et toujours gratuit, le coeur vaillant de l’école se trouve ainsi fragilisé par cette offre privée de plus en plus invasive, mais qui prospère aussi sur la dégradation de l’enseignement public français, faculté comprise. Ce monde scolaire parallèle, Arnaud Parienty le nomme «shadow school system».

La France est devenue le premier marché de soutien scolaire privé dans l’Union européenne, avec une dépense annuelle qui avoisine les 2 milliards d’euros, pratique encouragée par l’ exonération fiscale. L’heure de cours est facturée entre 30 et 50 euros; ceux qui le peuvent achètent du soutien hebdomadaire dans plusieurs matières. Une nouvelle pratique apparaît, le coaching scolaire, calquée sur le monde de l’entreprise.

Pour envisager sa scolarité comme une carrière et anticiper les obstacles à venir, il en coûte en moyenne 100 euros de l’heure. «L’addition de ces offres fait système», écrit l’auteur. Le marché très florissant des devoirs maison proposés par des sites tels que Femontaf.com envoie le «signal détestable que tout s’achète et que tricher n’est pas un problème».

Quel enfant n’a jamais rêvé d’une Mary Poppins cachée dans sa chambre, qui ferait le travail à sa place ? En 2009, cette bonne fée a surgi en ligne, comme le relate Arnaud Parienty, sur un site lancé par un diplômé d’école de commerce qui proposait sa baguette magique pour tous types de devoirs, du collège à l’université. L’élève devait envoyer l’intitulé ou scanner le sujet. Il recevait sa copie un à trois jours plus tard.

La diablerie résidait dans le mode de paiement: des SMS surtaxés permettaient même à de très jeunes enfants d’acheter un devoir derrière le dos des parents. L’affaire a provoqué un miniscandale, et le site a fermé. D’autres ont discrètement ouvert depuis, parfois même alimentés par des enseignants payés une vingtaine d’euros la page. En sommes-nous vraiment là en 2015 ?

La ruée des fonds d’investissement anglo-saxons sur les écoles privées de commerce ou d’ingénieurs achève de convaincre que l’école française aiguise désormais les appétits du capitalisme. Offrir ce «meilleur» auquel chacun aspire pour ses enfants devient difficile même pour les classes moyennes instruites, qui découvrent la hausse vertigineuse des coûts, mais consentent à un investissement démesuré par peur du déclassement.

Pour le commun des parents, il va sans dire que cette plus-value éducative – car plus-value il y a, c’est indéniable – est tout simplement inaccessible. Sur cette réalité qui tue toute idée d’égalité des chances, et bien plus que la petite distinction auréolant le latiniste ou l’élève d’une classe bilingue, les réformateurs de Grenelle sont muets.

Anne Crignon

School business.

Comment l’argent dynamite le système éducatif
,

par Arnaud Parienty, La Découverte, 240 p., 17 euros.

Paru dans « L’Obs » du 29 octobre 2015.

Jacques Higelin, l’autre fou chantant

Tombé du ciel, il a eu son brevet de parachutisme – «bien tonique à l’ouverture, bon travail sous voile», selon son instructeur. Il a joué au cinéma avec Martine Carol et au théâtre avec Denise Grey. Dans la maison d’une vedette de la télé qu’il squattait, il a mis au monde son fils Kên, dont il a coupé le cordon ombilical.

Il a goûté à l’acide, aux champignons hallucinogènes, mais très peu à l’héroïne. Il a embauché Louis Bertignac et Jean- Pierre Kalfon lorsqu’ils étaient inconnus. Il s’est foutu à poil au Cirque d’Hiver parce qu’un spectateur le défiait et à la campagne, les nuits de pleine lune, pour rencontrer des loups.

Il est parti en voiture au débotté pour fêter, à 500 kilomètres de chez lui, l’anniversaire d’un fan et a recommencé des concerts, de la première à la dernière chanson, parce qu’il n’était pas content de sa prestation. Les affiches l’ont présenté comme «le jazz comédien de la chanson», et Mory Kanté l’appelle «le griot blanc» parce qu’il sait des histoires.

Dans la rue, il arrive qu’on le confonde avec Hugues Aufray ou Bernard Lavilliers. Lui n’a jamais oublié le slip bleu électrique de Charles Trenet. Il dit qu’il est «criseux» et que sa fleur préférée est «la fleur de l’âge».

Valérie Lehoux, avec qui il vient d’écrire «Je vis pas ma vie, je la rêve» (Fayard, 20,90 euros), le compare à un animal sauvage, capable de mordre. On a reconnu Jacques Higelin, l’autre fou chantant, le baladin du monde occidental, dont les souvenirs incongrus, drôles, attendrissants, jamais narcissiques, nous offrent d’entrer dans la saison froide en dansant, en brûlant.

Jérôme Garcin

Paru dans « L’Obs » du 29 octobre 2015.

Les 1ères pages des souvenirs de Jacques Higelin

Huile de palme et déforestation : «Les poumons de la planète partent en fumée, les nôtres souffrent !»

L’Indonésie vante à Paris sa production d’huile de palme − dont elle est le premier producteur mondial−, en la qualifiant de «durable». Pourquoi dénoncez-vous un «enfumage» ? 

Alors que ces feux de forêt indonésiens sont récurrents, le gouvernement n’a pas été à la hauteur pour les prévenir et, cette année, ils se sont largement intensifiés, ce qui en fait l’une des plus grandes crises écologiques et climatiques du XXIe siècle. Pendant que les représentants indonésiens critiquent publiquement les engagements «zéro déforestation» de certaines entreprises plus responsables, ils invitent l’ensemble des acheteurs français de l’huile de palme à une réunion de présentation sur la durabilité du secteur. Nous, les ONG Cœur de forêt, Envol vert et Planète amazone, demandons que cette réunion soit l’occasion d’annoncer un grand plan d’action «zéro déforestation» pour mettre fin aux feux actuels et, surtout, empêcher qu’ils se reproduisent. Nous espérons que ce ne soit pas une réunion pour redorer l’image écornée de l’huile de palme avant la COP 21.

Vous revenez d’Indonésie. Qu’avez-vous constaté sur place ?

Alors que j’étais en mission pour accompagner les entreprises vers l’objectif «zéro déforestation», la toxicité des fumées rendait l’air totalement irrespirable. Porter un masque était devenu obligatoire dans beaucoup de provinces. De nombreux vols ont été annulés et j’ai dû écourter ma mission. Les gens toussent, les enfants sont confinés, pourtant les feux continuent et seules les pluies qui se font attendre semblent pouvoir les arrêter. Les poumons de la planète partent en fumée, les nôtres souffrent ! Depuis près de quatre mois, c’est 1,7 million d’hectares de forêts indonésiennes qui ont été incendiés. Le phénomène El Niño faisant persister la sécheresse, il devient d’autant plus simple de mettre le feu aux forêts naturelles pour les convertir notamment en plantations de palmiers à huile, et ce à moindres frais.

La santé de millions de personnes est en jeu…

Ces feux sont un désastre écologique et climatique mondial, avec notamment la formation de nuages de fumée toxiques qui s’étendent jusqu’aux Philippines et à la Thaïlande et ont déjà entraîné des infections respiratoires chez 500 000 personnes. Les Indonésiens paient un lourd tribut.

En quoi la déforestation contribue-t-elle au changement climatique ? Dispose-t-on de données précises sur le sujet ?

La déforestation est une des causes majeures du changement climatique. Les forêts sont des réserves de carbone. Déboiser une forêt coupe le cycle du carbone : au lieu d’être un puits de carbone, les anciennes forêts émettent du carbone qu’elles avaient accumulé. La déforestation représente entre 15% et 20% des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Moins de forêts, c’est aussi moins de CO2 absorbé et piégé par ces écosystèmes, donc plus de CO2 dans l’atmosphère. La situation varie en fonction du taux de déforestation mondial. Avec cette crise, la situation s’aggrave et devra être traitée à la COP 21.

Les incendies de tourbières sont particulièrement graves…

Le plus souvent, en Indonésie, ce sont les tourbières, des zones humides boisées, réserves de matière organique accumulée durant des siècles, qui sont tout d’abord asséchées, drainées puis brûlées, relâchant d’énormes quantités de gaz à effet de serre dans notre atmosphère. C’est une bombe climatique ! En septembre, la quantité de gaz à effet de serre émise par les feux indonésiens aurait été supérieure à celle de l’activité économique des Etats-Unis.

Quid de la biodiversité ? On a vu ces images terribles d’orangs-outangs brûlés vifs ou fuyant les feux…

Les forêts indonésiennes sont les seules forêts du monde où l’on peut retrouver notamment des espèces endémiques de tigres, orangs-outangs, éléphants et rhinocéros dans le même écosystème. La perte de leur habitat est la principale menace pour ces espèces en danger d’extinction, mais aussi pour l’ensemble de la remarquable biodiversité de cette région. En quelques mois, c’est 2,5 fois la surface déboisée annuelle moyenne de ces dernières années qui est partie en fumée. La biodiversité paie encore le prix fort.  

Le gouvernement indonésien ne fait-il vraiment rien pour empêcher ces feux ? 

Il agit en dépêchant des pompiers, l’armée… Mais quand une tourbière asséchée volontairement s’enflamme, le feu devient très difficile à arrêter. Tout l’enjeu est de prévenir ces feux qui, je le rappelle, sont récurrents et auraient dû être évités. Cependant, selon les propres mots de certains responsables locaux, le développement agricole doit se faire, et ce d’une façon ou d’une autre… C’est complètement irresponsable d’entendre cela quand on sait l’importance des services rendus par les forêts et les possibilités de productions responsables qui existent.

Qui est responsable de ce désastre ?

La déforestation est une problématique complexe. Le secteur privé, les producteurs de matières premières jouent un rôle clé et peuvent prendre une part importante dans la mise en place des solutions. Mais pour arrêter la déforestation sur le long terme, le gouvernement doit en faire une priorité. Certaines multinationales prennent des engagements contre la déforestation et s’impliquent peu à peu pour y parvenir. Mais, en même temps, elles participent encore indirectement, via leurs fournisseurs, au déplacement de petits producteurs qui s’enfoncent toujours plus dans la forêt pour la convertir à moindres frais. Le gouvernement doit être la pierre angulaire de cette lutte contre la déforestation, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

L’huile de palme durable existe-t-elle en Indonésie? D’ailleurs, peut-on produire de l’huile de palme «durablement»?

Les monocultures de palmiers à huile ne peuvent pas être durables car elles ne sont pas basées sur un système agroforestier diversifié. Cependant, il est possible d’en réduire les impacts, notamment en termes de déforestation, et de nombreuses initiatives vont dans ce sens. Comme la certification RSPO (Table ronde pour l’huile de palme durable) qui est une première base, mais aussi les démarches qui visent à interdire de nouvelles conversions de zones à hautes réserves de carbone, dont font partie les tourbières. Certaines entreprises commencent aussi à identifier leurs propres fournisseurs d’huile de palme et à lancer des audits locaux pour s’assurer qu’ils ne participent pas à la déforestation.

Que préconisez-vous pour remédier à ce désastre ?

Au vu de la crise actuelle, force est de constater que les démarches enclenchées sont soit trop récentes, soit pas suffisantes. Nous appelons à ce qu’elles se généralisent sur tous les secteurs à risque de déforestation et demandons la mise en place immédiate d’un plan d’action «Zéro déforestation» multipartite, avec l’appui du gouvernement indonésien.

Comment y parvenir ?

L’Indonésie doit appuyer massivement ses petits planteurs en échange de l’interdiction de la culture sur brûlis, pour que ces derniers augmentent leurs productions en termes de rendement, et non par l’extension en surface de leurs cultures. Elle doit arrêter de délivrer des permis d’exploitation dans les zones de tourbières et de forêts naturelles, interdire le drainage des tourbières, ou encore surveiller les feux et la déforestation via la mise en place de satellites et la création d’une agence publique dédiée sur le terrain pour agir de manière coordonnée pour le respect de la loi.

Les entreprises, sur toute la chaîne de production et de consommation des matières à risques (huile de palme, caoutchouc, papier, minerais, etc.) doivent mettre en place des politiques zéro déforestation plus robustes et efficaces que maintenant. En impliquant notamment l’ensemble de leurs fournisseurs, en restaurant les écosystèmes dégradés et en développant des projets d’appui à la mise en place de bonnes pratiques auprès des petits planteurs indépendants.

Que pouvons-nous faire, nous, consommateurs occidentaux ?

Les consommateurs sont très sensibles aux problématiques de déforestation, tout y en participant indirectement à travers leur consommation. Ils doivent être informés de l’impact des produits sur la forêt, pour pouvoir consommer de manière plus responsable. Envol vert, dont je suis le cofondateur, les invite à mesurer leur «empreinte forêt» (1) pour connaître les risques et solutions liés à leur consommation et s’assurer d’être de vrais protecteurs des forêts.

Peut-on attendre quelque chose de la COP 21 sur ce sujet ?

Bien sûr ! L’Europe, première région importatrice de matières premières en lien avec la déforestation, doit s’assurer que tous ces produits importés ne soient plus issus de la déforestation illégale ni des feux de forêt. Une telle politique est en cours sur le bois et la pâte à papier et doit se déployer durant la COP 21 sur l’ensemble des matières premières à risque. En mettant notamment en place un système de vérification des engagements contraignants, pour que les gouvernements forestiers comme l’Indonésie respectent leurs engagements de réduction d’émissions avec des mesures concrètes. Des premières mesures ont été évoquées lors de la «Déclaration des forêts» en marge du sommet de New York organisé par les Nations unies l’an dernier, elles doivent devenir obligatoires et se déployer au plus vite. Pour que la COP 21 soit un succès, la déforestation devra y être combattue à la racine !

Coralie Schaub

Crash de l’Airbus en Egypte : l’«action extérieure» privilégiée

Le mot «attentat» n’est pas encore prononcé, mais les dernières déclarations officielles à propos du crash de l’Airbus A321 de Metrojet semblent privilégier la piste d’une explosion à bord. Dernière déclaration en date, celle d’Alexandre Smirnov, lundi, lors d’une conférence de presse : «Nous excluons une défaillance technique ou une erreur de pilotage. […] La seule cause possible est une action extérieure.»

Ce dirigeant de la compagnie aérienne russe assure que «tout porte à croire que dès le début de la catastrophe, l’équipage a perdu le contrôle total.» Il n’a pas précisé les raisons qui poussent la compagnie à soutenir cette hypothèse, sinon que l’appareil «était en excellent état technique». Il a mentionné que l’avion était «incontrôlable» : «Il ne volait pas mais tombait, et le passage d’une situation de vol à une situation de chute s’explique apparemment par le fait que l’avion a subi un dégât conséquent de sa structure.»

Autre élément venant appuyer sa thèse : les pilotes n’ont pas «essayé d’entrer en contact radio» avec les contrôleurs aériens au sol. «Nous sommes certains que nos appareils sont en bon état de marche et que le niveau de nos pilotes correspond aux standards internationaux, voire plus», a insisté la porte-parole de Metrojet Oxana Golovina lors de cette conférence de presse.

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L’analyse des boîtes noires, qui ont vite été retrouvées sur les lieux du crash (au cœur de la province du Nord-Sinaï), pourra étayer l’hypothèse d’une «action extérieure» et peut-être valider celle de l’attentat revendiqué par la branche égyptienne du groupe Etat islamique (EI), qui a annoncé samedi avoir détruit l’avion en représailles aux bombardements russes en Syrie. La piste de la bombe ou du missile pourra également être retenue si des traces d’explosifs sont retrouvées sur les débris.

La pire catastrophe aérienne jamais connue par la Russie

L’avion s’est écrasé samedi à l’aube, vingt-trois minutes après son décollage de la station balnéaire de Charm el-Cheikh à destination de Saint-Pétersbourg. Il se trouvait alors à plus 9 000 mètres, ce qui correspond à une altitude de croisière. Cette catastrophe aérienne, la pire jamais connue par la Russie, a fait 224 morts (217 passagers et sept membres d’équipage).

Un autre élément plaide pour l’explosion − accidentelle ou volontaire − en plein vol. «Les fragments se sont éparpillés sur une grande surface d’environ 20 kilomètres carrés», a précisé au Caire Viktor Sorotchenko, directeur du Comité intergouvernemental d’aviation (MAK), cité par les agences russes, précisant qu’il était «trop tôt pour parler de quelconques conclusions». Le MAK est chargé de mener les enquêtes après les catastrophes aériennes en Russie. A ce titre, Viktor Sorotchenko participe à l’enquête sur le crash du vol 9268 de Metrojet en Egypte, aux côtés notamment d’enquêteurs français du Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile (BEA) et d’Allemands du BFU, qui représentent le constructeur Airbus, ainsi que des Egyptiens.

168 corps retrouvés

Dimanche soir, un officier de l’armée a assuré que 168 corps avaient été retrouvés, pour certains «loin» du principal morceau de carlingue, dont un à 8 kilomètres. Les autorités égyptiennes ont dû élargir à 15 km le rayon des recherches. Cette dispersion laisse supposer que l’avion s’est désintégré bien avant de toucher le sol. «Toutes les indications dont nous disposons témoignent du fait que la dislocation de la structure de l’avion a eu lieu dans les airs, à haute altitude», a confirmé peu après, depuis l’Egypte, le directeur de l’agence russe chargée du transport aérien Rosaviatsia, Alexandre Neradko, à la télévision russe.

L’hypothèse d’un missile envoyé par l’Etat islamique est cependant mise en doute par plusieurs experts ; pour atteindre un avion à cette altitude de croisière, «il faut disposer de missiles difficiles d’utilisation, donc ça paraît peu probable», explique Jean-Paul Troadec, ancien directeur du BEA.

Plusieurs compagnies aériennes, dont Air France, Lufthansa et Emirates, ont annoncé qu’elles ne survoleraient plus le Sinaï «jusqu’à nouvel ordre».

LIBERATION

Quinze ans de prix littéraires au scanner

Mettre la foisonnante complexité du roman en statistiques est à la mode. Les départements universitaires d’études littérairesles plus pointus ne prennent plus la peine de lire les livres: ils les numérisent et les tamisent à coups d’algorithmes, pour analyser la longueur des phrases, le nombre de mots à occurrence unique et des choses de ce type.

Il y a quelques semaines, nos confrères de Slate.fr et de « Livres Hebdo » se sont amusés à chiffrer la rentrée des lettres. A quelques jours des prixlittéraires, nous nous sommes penchés sur le palmarès de ces quinze dernières années. Nous nous sommes limités aux romans de langue française et aux quatre grands prix d’automne : Goncourt, Renaudot, Femina et Médicis. L’échantillon, comme on dit, ne reflète pas l’ensemble de la production littéraire francophone contemporaine, mais il dit quelque chose de la littérature instituée, récompensée, légitimée. Il parle aussi des prix eux-mêmes, de leurs manies, leurs curiosités, leurs lacunes. Et donc du lectorat français.

La première des leçons est que le roman rechigne à la mise en data. Nous sommes partis avec des idées simples: recenser le genre des livres primés, le sexe des personnages prin

Palmyre, comme si elle était restée intacte

Je ne connais pas Paul Veyne, enfin pas personnellement. J’aimerais le rencontrer, lui parler, je me sentirais sans nul doute meilleur, plus éclairé, plus ouvert à ce monde qu’il a su si bien interpréter. En historien.

Je ne connais pas Paul Veyne, mais je l’ai lu et relu, je l’ai annoté et médité, j’ai recommandé à mes étudiants de le lire avec soin, car ils ne pouvaient en sortir que grandis.

Je ne connais pas Paul Veyne, mais je connais Palmyre, ou du moins je la connaissais, avant que des criminels indignes de toute religion n’en pulvérisent certains des plus beaux monuments. Pulvérisent, littéralement, afin d’en interdire toute reconstruction.

J’ai arpenté les ruines d’Alep dans la guerre d’Assad et la révolution de son peuple. J’ai pleuré dans la cour de la mosquée des Omeyyades, entre deux tirs d’assassins. Mais les pierres du minaret écroulé étaient toujours là, en tas informe, pourtant prêtes à la renaissance un jour.

Rien de cela à Palmyre où les bourreaux de notre temps ont pulvérisé le temple de Bel, celui de Baalshamin et l’Arc de Triomphe, entre autres saccages. Et nous, ici, à comptabiliser ces pertes irréparables. Impuissants d’avoir laissé sur son trône de sang ce même Bachar qui a livré Palmyre aux jihadistes, au printemps dernier.

Pauvres habitants de Palmyre

Car Palmyre était aussi Tadmur, en arabe, la pire des geôles des Assad père et fils, le cul-de-basse-fosse où les infiltrations de l’oasis pourrissaient les os des damnés. Des centaines de détenus y furent massacrés en 1980, en «représailles» d’un tyrannicide avorté. Le premier acte des jihadistes, après leur prise de la ville sans grand combat, fut de détruire cette prison. Ils effaçaient ainsi les traces du crime de ces Assad à qui ils doivent tant.

Je savais Tadmur, pourtant j’aimais Palmyre, je suis comme mille autres tombé sous son charme. Matthias Enard vient de brosser dans son roman «Boussole» des pages fabuleuses sur Palmyre. J’ai moi aussi dormi à l’hôtel Zénobie, j’ai escaladé les dunes de sable à l’aube et j’ai palabré avec les bédouins très avant dans la nuit. Mes deux garçons, désormais adultes, y ont chevauché chameaux et galopé calèches.

Pauvres habitants de Palmyre, si longtemps abandonnés à la soldatesque d’Assad, aujourd’hui pieds et poings liés sous le joug jihadiste ! Qui est venu à votre secours, quand Obama bombarde sans conscience et Poutine sans remord? Indifférents, tellement indifférents au sort de Palmyre et de ses habitants. L’aviation russe a d’ailleurs pilonné le site byzantin de Sergilla, bijou du Vème siècle dans le nord-ouest de la Syrie, sans qu’une voix s’élève contre ce scandale.

Palmyre sera libérée un jour grâce aux Syriennes et aux Syriens qui résistent à la face d’un monde aveugle et sourd. Mais Palmyre aura à jamais été défigurée par les monstres de ce siècle.

Tombeau de Palmyre

Et c’est pourquoi le livre de Paul Veyne est si précieux. Dans sa magnifique fresque de l’histoire palmyréenne, il offre à voir et à comprendre ce que fut, aux confins de l’Empire romain et de la Perse, ce moment de notre humanité. Il nous rend présent, palpable, ce que les jihadistes voudraient effacer, éradiquer, réduire en poussières insaisissables.

La densité d’informations de cet essai est impressionnante, bien qu’elle ne pèse jamais sur un récit enlevé, parfois captivant, souvent pittoresque. On saisit enfin ce qu’est d’être Romain pour un Araméen, comment d’immenses fortunes ont pu se nourrir des caravanes à Palmyre, comment Zénobie a pu croire le pouvoir suprême de l’Empire à portée de sa main. Le cahier de photographies centrales fait écho aux descriptions d’architecture et d’urbanisme. Ce n’est pas Palmyre comme si vous y étiez, c’est Palmyre comme elle aurait dû, une fois entrée dans l’Histoire, y demeurer intacte.

L’érudition est fluide dans cet essai, fluide comme une conversation au coin du feu, comme une ballade dans ce désert si proche et si lointain. On devine ce qu’il a fallu mobiliser de science et d’intelligence pour conjurer désespoir et accablement. Car y céder aurait été faire le jeu des monstres aujourd’hui déchaînés en Syrie. Paul Veyne, en dressant ce tombeau à Palmyre, illustre l’Histoire dans ce qu’elle a de plus noble, car elle nous élève vers la mémoire, donc l’espoir. Qu’il en soit remercié.

Jean-Pierre Filiu (*)

Palmyre. L’irremplaçable trésor, par Paul Veyne,

Albin Michel, 144 p., 14,50 euros (en librairie le 2 novembre).

(*) Jean-Pierre Filiu est professeur des universités à Sciences Po (Paris) en histoire du Moyen-Orient contemporain. Il vient de publier «Les Arabes, leur destin et le nôtre», aux Editions La Découverte.

Paul Veyne, bio express

Professeur honoraire au Collège de France, Paul Veyne, né en 1930, est l’un des plus grands historiens de l’Antiquité romaine. Il a publié chez Albin Michel, une oeuvre importante dont, récemment, « Quand notre monde est devenu chrétien », « Foucault, sa pensée, sa personne », « Mon musée imaginaire », et une traduction de « l’Enéide ». Lauréat en 2014 du prix Femina essai avec un merveilleux livre de souvenirs, « Et dans l’éternité je ne m’ennuierai pas », il publie, ce 2 novembre 2015, « Palmyre. L’irremplaçable trésor » (toujours chez Albin Michel).

Somalie : au moins 12 morts dans l’attaque d’un grand hôtel de Mogadiscio

Au moins douze personnes ont été tuées dimanche dans l’attaque d’un grand hôtel de Mogadiscio, la capitale somalienne, par des islamistes shebab. Il s’agit de l’hôtel Sahafi, situé près du carrefour K4 et fréquenté par des parlementaires, des fonctionnaires et des hommes d’affaires. Un porte-parole des shebab, Abdulaziz Abu Musab, a déclaré en début de matinée dans un communiqué que «les combattants moudjahidin (avaient) pris le contrôle de l’hôtel Sahafi, où des apostats et des envahisseurs chrétiens résidaient»

En fin de matinée, l’Agence nationale somalienne de renseignements a déclaré que l’attaque était terminée, même si les forces de sécurité continuaient à fouiller le bâtiment et que les shebab affirmaient avoir encore des combattants à l’intérieur.

«Les agresseurs ont fait exploser une voiture piégée pour ouvrir un passage avant d’entrer à l’intérieur de l’hôtel», a déclaré un responsable de la police, Abdulrahid Dahir. Des témoins ont rapporté avoir vu plusieurs corps de personnes tuées dans l’explosion initiale. Une seconde forte explosion a été entendue. Les shebab se sont ensuite précipités à l’intérieur. Des témoins ont fait état d’intenses échanges de coup de feu et d’autres déflagrations. Un journaliste figurerait parmi les personnes tuées, selon ses collègues, ainsi qu’un ancien chef d’état-major de l’armée somalienne.

Hôtel fortifié

L’envoyé spécial de l’ONU en Somalie, Nick Kay, a condamné une «attaque sanglante», qui met selon lui en évidence la nécessité d’aider les forces de sécurité somaliennes à prévenir de telles attaques. Les shebab, qui luttent pour renverser le gouvernement somalien soutenu par la communauté internationale, ont déjà mené par le passé plusieurs attaques contre des hôtels de Mogadiscio. Le recours à des véhicules remplis d’explosifs et conduits par des kamikazes, pour ouvrir l’accès à des assaillants à pied vers l’intérieur d’un bâtiment, est une tactique fréquemment employée par les shebab.

Comme d’autres établissements internationaux de Mogadiscio, le Sahafi est fortifié. C’est dans cet hôtel que deux agents des services de renseignement français avaient été enlevés en 2009. L’un avait ensuite réussi à s’échapper, mais l’autre avait été tué par les shebab lors d’une opération destinée à le libérer en 2013.

De nouvelles allégeances à l’Etat islamique

Les shebab, chassés depuis mi-2011 de Mogadiscio, puis de leurs principaux bastions du centre et du sud somaliens, contrôlent toujours de larges zones rurales, d’où ils mènent des opérations de guérilla et des attentats suicide – parfois jusque dans la capitale somalienne – contre les symboles du fragile gouvernement somalien ou contre l’Amisom. Ils ont aussi mené une série d’attaques meurtrières au Kenya voisin, qui fournit des troupes à l’Amisom depuis octobre 2011.

Cette semaine, le président somalien Hassan Sheikh Mohamud a demandé aux shebab de se rendre, alors que des informations ont circulé sur un changement d’allégeance de certaines factions, qui auraient quitté Al-Qaeda et seraient désormais affiliées à l’Etat islamique. Hassan Sheikh Mohamud a estimé que ces divisions étaient «symptomatiques d’un groupe en pleine perdition» et a prévenu que les Somaliens «n’avaient pas besoin d’une nouvelle manière de répandre l’horreur et la répression».

Climatosceptiques : fabrique de martyr, mode d’emploi

Il y avait une erreur à ne pas commettre. Une seule. Et tout indique que la direction de France Télévisions est en train de la commettre : licencier ­Philippe Verdier, le chef du service météo de France 2, pour délit de climatoscep­ticisme.

Sous le titre Climat investigation, Philippe Verdier a publié, au début du mois, un livre confus, fourmillant de questions sans réponse, de graphiques non sourcés, ne comportant ni notes ni bibliographie, et éclatant en imprécations diverses ­contre de mystérieux conspirateurs qui viseraient à «éliminer» tous les «avis contraires» (à quoi ? ce n’est pas dit), ou encore à «maintenir les Français dans la peur par un matraquage sans précédent». Il dénonce les «liens dangereux» entre «lobbys économiques, associations écologiques, gouvernements et religions», tout ceci d’autant plus pernicieux que «la France est pourtant parmi les pays les moins touchés par le changement climatique».

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Autant dire que ce non-livre n’aurait logiquement jamais dû trouver d’éditeur. Tout aussi logiquement (mais en vertu d’une autre logique), il en a tout de même trouvé un. Quel bonheur, quelle aubaine, de pouvoir enregistrer une vidéo promotionnelle commençant ainsi : «Tous les soirs, je m’adresse à 5 millions de Français pour vous parler du vent, des nuages, du soleil. Pourtant, il y a quelque chose de très important que je n’ai pas pu vous dire parce que ce n’est ni le lieu ni le moment : nous sommes otages d’un scandale planétaire sur le réchauffement climatique. Une machine de guerre destinée à nous maintenir dans la peur.» Et encore ceci : «Un climatosceptique, c’est quoi ? Un ami du climat, c’est quoi ? Ce clivage n’a aucun sens», affirmait-il. Les conférences pour le climat ? «C’est le lieu d’expression d’une science politisée, pas du tout indépendante, uniquement tendue vers la quête de preuves venant confirmer son primat initial : le réchauffement ­climatique est avéré et l’homme en est le principal responsable.»

Bref, l’auteur n’a pas tranché le point de savoir si l’on était vraiment dans une dictature des ­réchauffistes ou seulement dans un régime semi-autoritaire. Il pense qu’il existe un grand complot, mais n’en a pas vraiment démasqué les auteurs.

Aussi délirant que soit tout l’épisode, France Télévisions aura beaucoup de mal à trouver un motif juridique au licenciement éventuel de Philippe Verdier. Le droit du travail ne lui impose nul­lement de prendre acte du consensus scientifique sur le réchauffement clima­tique. Si le négationnisme est un délit pénal, ce n’est pas le cas du climatoscepticisme. Comme il est vraisemblable que le groupe dispose de juristes qualifiés, il est probable qu’il le sait, et s’il a tout de même préféré cette solution-là, c’est pour des raisons autres que juridiques. Evidemment, on peut faire valoir que ce sera désormais difficile pour les journalistes du service météo de travailler sous ses ordres. Evidemment, il a utilisé l’image de France 2 pour la promotion de son livre. Evidemment, si France 2 ne le licencie pas, la chaîne publique sera accusée de complaisance vis-à-vis du climato-scepticisme. Mais tout ceci ne suffira sans doute pas devant les prud’hommes.

Le juridique, pourtant, n’est pas tout. C’est pour une autre raison, que le licen­ciement de ­Philippe Verdier serait une erreur. La direction de France Télévisions n’a peut-être ­jamais entendu parler de l’effet Streisand, cette loi d’Internet qui démultiplie instantanément l’impact de tout message que l’on tente de censurer. Un licenciement ferait instantanément accéder le présentateur au statut de martyr du climatoscepticisme. A lui la dénonciation planétaire des «vérités officielles», des religions d’Etat,

Mais alors, que faire ? Des solutions existent. La chaîne pourrait lui trouver une nouvelle affectation, par exemple, en vertu de ses compétences, le nommer envoyé spécial permanent dans l’Arctique ou l’Antarctique. Ou, plus près, l’envoyer en reportage sur le glacier d’Ossoue, dans les Pyrénées, qui a perdu la moitié de sa surface en un siècle et fond de 1,80 m par an, dans la forêt des Trois-Fontaines, en Champagne, où la natalité des chevreuils souffre des printemps précoces, sur les plages de Vendée, où le réchauffement de l’eau pro­voque la prolifération d’une bactérie qui provoque aussi une recrudescence des diarrhées, ou encore sur le lit­toral du Pas-de-Calais, où l’érosion menace les polders, sur lesquels vivent 450 000 personnes. Tous territoires bien de chez nous, que recensait Libération vendredi 30 octobre, et sur lesquels déjà se font sentir les effets du changement climatique.

Daniel Schneidermann

Entre Sansal et Kaddour, l’Académie française ne tranche pas

L’Académie française n’a pas su choisir. Pour le centième anniversaire de son Grand Prix du roman, elle a décerné son trophée, ce jeudi 29 octobre, à deux romans d’un coup, tous deux parus chez Gallimard: «2084», de Boualem Sansal, et «les Prépondérants», de Hédi Kaddour, sont lauréats ex-aequo. Ils ont chacun obtenu onze voix au quatrième tour de scrutin, contre une à Agnès Desarthe, pour «Ce coeur changeant» (L’Olivier). Les deux écrivains succèdent à Adrien Bosc. Etonnamment, leurs deux romans évoquent, de manières très différentes, l’histoire tourmentée du Maghreb.

« 2084 », fable orwellienne un peu ratée

Grand événement de cette rentrée littéraire, «2084» de l’Algérien Boualem Sansal fait directement référence au «1984» de George Orwell. Il se déroule dans un pays fictif, nommé Abistan, gouverné par des fondamentalistes religieux soumis au dieu Yölah – évocation transparente de l’islamisme, dont Sansal dénonce la place grandissante dans le monde arabe, et plus particulièrement dans son pays, depuis 15 ans.

Le récit suit un fonctionnaire nommé Ati, libre penseur dont la foi vacille, qui découvre un«ghetto» sous-terrain peuplé de gens qui ne croient pas en Yölah.

Le succès du livre s’explique peut-être plus par la passionnante personne qu’est Sansal, ou par l’urgence de son sujet, que par le texte lui-même. En tant que fable, «2084» souffre en effet d’un didactisme qui rend le récit lourd et abstrait, et empêche de s’intéresser au sort des personnages.

Le texte est en revanche porté par une joie du sacrilège : Sansal, dans les pages où il se fait l’anthropologue de cette civilisation qui n’existe pas, éprouve un plaisir manifeste à parodier le dogme musulman et les mécanismes qui transforment la foi en instrument de domination politique. Orwell n’est pas là pour rien. Le grand mérite du livre est de rattacher l’islamisme à la grande famille des totalitarismes.

On y retrouve les motifs récurrents de son œuvre romanesque, qu’il a systématisés dans plusieurs essais, à commencer par son pamphlet de 2013, «Gouverner au nom d’Allah»: sa colère contre une langue arabe surchargée de piété,«chant sidéral et envoûtant» qui ne laisse pas d’autre choix que la soumission à Dieu; contre la falsification de l’histoire algérienne, son arabisation forcée, l’effacement de son origine berbère et de son héritage français; contre le culte du martyr omniprésent dans l’islam; contre un pouvoir religieux qui a transformé des pays entiers en enclaves moribondes, où rien ne peut se passer parce que tout est interdit.

Ancien ingénieur et haut-fonctionnaire (il a été numéro 2 du ministère algérien de l’Industrie), Boualem Sansal vit à Boumerdès, en Algérie. Il entretient des rapports très étranges avec le pouvoir, auprès duquel il est en disgrâce, mais qui lui accorde toutefois une grande liberté de parole et de mouvement. Ses prises de position tonitruantes, tant sur la question religieuse que sur le conflit israélo-palestinien, lui valent des critiques virulentes de l’intelligentsia algérienne et une hostilité féroce de ses compatriotes.

« Les Prépondérants », fresque historique quasi-parfaite

Né en Tunisie en 1945, agrégé de lettres, Hédi Kaddour a formé des générations de normaliens à l’ENS de Fontenay/Saint-Cloud. Il est aussi poète, traducteur, et lauréat du Goncourt du premier roman en 2005 avec «Waltenberg». Quand «les Prépondérants», son troisième roman, a reçu le prix Jean-Freustié en début de semaine, on se disait que ça risquait de n’être qu’un apéritif. Ça se confirme, donc. Et c’est plutôt heureux.

« Les Prépondérants » se déroule dans les années 1920, dans un protectorat français du Maghreb qui ressemble fort au Maroc. On y croise tout un nuancier de personnages : des colons bornés, des colons lucides, des colonisés révolutionnaires, des colonisés traditionalistes, ainsi qu’une équipe de cinéma venue d’Hollywood pour tourner un film avec des dromadaires dedans et, incidemment, importer ses moeurs légères dans une société globalement puritaine.

Le roman porte la fresque historique à la française à un point de perfection assez rare, et mérite l’honneur qui lui est fait. Mais il est par ailleurs toujours en lice pour le Goncourt, alors que Sansal a été évincé de la dernière sélection il y a quelques jours. Théoriquement, son demi-prix du jour est donc un handicap pour Kaddour: les jurys tentent d’éviter de se marcher sur les pieds en couronnant les mêmes auteurs.

Le choix étonnant des académiciens pourrait compliquer la délibération du Goncourt, le mardi 3 novembre. Cela dit, on ne sait jamais: Jonathan Littell et Patrick Rambaud avaient, en leur temps, cumulé les deux honneurs. Que ces sordides manigances politiciennes entre institutions littéraires ne nous empêchent pas de lire Kaddour, écrivain prépondérant.

BibliObs.com

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