Législatives en Pologne : les conservateurs victorieux

Vous prenez un zeste de promesses sociales, vous saupoudrez de xénophobie et vous ajoutez quelques bonnes mœurs catholiques, et vous avez le retour des conservateurs au pouvoir. Cette victoire aux législatives en Pologne était d’ailleurs attendue depuis mai, quand leur candidat, Andrzej Duda, un quadragénaire quasi inconnu, a remporté la présidentielle. Elle est cependant plus nette que prévue. Selon un sondage à la sortie des urnes diffusé après la fermeture des bureaux de vote, le parti Droit et Justice (PiS) mène avec 39,1% des suffrages devant les libéraux de la Plate-forme civique (PO), crédités de 23,4% des voix seulement. Si les résultats confirment cette tendance, Beata Szydlo, une ethnographe de formation qui a grandi dans l’ombre de son mentor, Jaroslaw Kaczyński, est pratiquement assurée d’avoir une courte majorité pour gouverner le pays pendant les quatre années à venir.

Les politologues discuteront sans doute pendant des semaines pour savoir s’il s’agit d’abord d’un succès de Droit et Justice (Pis), la formation créée par les frères Jaroslaw et Lech Kaczyński, qui avaient à eux deux tenu toutes les rênes du pouvoir (gouvernement et présidence) pendant deux ans, ou avant tout d’une défaite de la coalition libérale sortante de la Plateforme civique (PO).

La PO, qui faisait figure de parti du «miracle polonais», la seule économie d’Europe qui n’a pas été touchée par la crise de 2008, affichant une croissance annuelle de 3,5 %, a certes été victime de l’usure du pouvoir. Plusieurs de ses cadres ont été mêlés à divers scandales – le dernier ayant eu lieu deux jours avant le scrutin, avec le limogeage d’une vice-ministre de la Justice arrêtée par la police alors qu’elle conduisait en état d’ébriété – qui ont donné aux électeurs l’impression d’être dirigés par une classe politique arrogante. «La Po n’a pas su communiquer avec les gens. Donald Tusk avait du charisme, mais on ne l’a pas vu [l’ex-Premier ministre devenu président du Conseil européen après avoir laissé sa place l’an dernier à Ewa Kopacz, ndlr], explique le professeur Ireneusz Krzemiński, de l’Institut de sociologie de l’Université de Varsovie. Les gens disent : « On veut que les politiciens nous parlent. » C’est là le grand succès de la campagne du Pis.» Mais ceci n’explique pas tout.

«Les Polonais en ont assez de l’Europe»

Si la bonne santé de l’économie polonaise n’a pas joué en faveur de l’équipe sortante, c’est aussi parce que le dynamisme de Varsovie masque des disparités régionales et salariales. A quelques centaines de kilomètres des tours rutilantes de la capitale, des régions entières, agricoles ou minières, souffrent du chômage, même si celui-ci est en baisse à l’échelle de tout le pays (désormais en dessous de la barre des 10 % de la population active). Environ 2,5 millions de Polonais (sur les 38 millions que compte le pays), des jeunes surtout, ont dû s’expatrier, la plupart en Europe occidentale. A tous ces exclus du boom polonais, le Pis a promis de l’aide : baisse des impôts pour les ménages modestes et les petites entreprises, retour de la retraite de 67 à 65 ans, allocations familiales généreuses pour les familles nombreuses. «En termes de PIB, la Pologne s’est enrichie, mais un grand nombre de Polonais se sont appauvris, souligne le politologue Kazimierz Kik, de l’Université de Varsovie. La PO n’a pas trouvé de politique créatrice d’emplois. Elle a ouvert le pays au capital étranger, qui possède la moitié de l’économie du pays et est à l’origine de 44 % de ses exportations. Le marché du travail a lui cessé d’être protégé, 30 % des Polonais vivent en dessous du minimum vital, les autres sont endettés. Il y a de plus en plus d’emplois précaires et une nouvelle catégorie a fait son apparition : les pauvres qui travaillent.» Cette fracture sociale profite au Pis, une formation créée par d’anciens de Solidarność qui «copine avec les syndicats» et «rejette le capital étranger en disant : l’important, ce sont les Polonais».

Dans ce pays très catholique et traditionaliste, explique le politologue, la nouvelle gauche apparaît trop «européanisée», or, «aujourd’hui, les Polonais en ont assez de l’Europe». C’est pour les mêmes raisons qu’ils refusent par exemple les quotas de réfugiés proposés par la Commission européenne : «Ils n’aiment pas l’idée que ce soit une décision de Bruxelles, une chose imposée. Pour un Polonais, un étranger, c’est d’abord un occupant, un envahisseur, soit allemand, soit russe.» S’il ne réclame pas la sortie de l’Union européenne – comme le fait le Front national en France ou l’Ukip au Royaume-Uni –, le Pis se déclare défavorable à l’adoption de l’euro. Une des premières mesures de son gouvernement sera de démanteler le bureau qui doit préparer l’entrée de la Pologne dans la monnaie unique.

Le Pis, un parti relooké

La PO a tenté sans succès de jouer sur la peur du retour au pouvoir du Pis. Mais les mots de la Première ministre sortante, Ewa Kopacz, prêtant au Pis l’intention de faire de la Pologne une «République confessionnelle», sont tombés à plat. Huit ans après, le Pis s’est relooké. Ses cadres sont plus jeunes – Andrzej Duda a 43 ans et Beata Szydlo 52 – et plus proches des réalités des gens. Oubliés, les thèses de la remoralisation de la vie politique au travers d’une Quatrième République, les effets pervers de la lutte contre la corruption ou de la décommunisation, le Pis d’aujourd’hui ressemble à s’y méprendre à n’importe quel parti populiste européen, même s’il a une connotation chrétienne plus marquée. Les plus radicaux, comme Jaroslaw Kaczyński, fondateur du parti, sont restés dans l’ombre. Certaines questions comme le décès en 2010 de son frère, Lech, président de Pologne, dans un accident d’avion à Smolensk, en Russie, ont été laissées de côté. Mais nul ne doute qu’il saisira de nouveau la justice dès l’entrée en fonction du Pis car il ne croit pas en la thèse de l’accident, persuadé qu’il est le fait d’un complot russe.

Les conservateurs peuvent-ils réaliser leur programme économique ? A Varsovie, on s’interroge. «Le Pis ne risque pas grand-chose en promettant autant», souligne le politologue Kazimierz Kik. Premier pays bénéficiaire de fonds européens, la Pologne recevra 82,5 milliards d’euros entre 2014 et 2020, soit l’équivalent de son budget annuel.

Hélène Despic-Popovic , Maja ZOLTOWSKA à Varsovie

Nouveaux Jedi, mort d’un héros… la bande-annonce décryptée

Disney fait savamment monter l’attente autour du prochain « Star Wars », intitulé « Le réveil de la force ». Une nouvelle bande-annonce, longue de 2 minutes 16, a été diffusée ce mardi 20 octobre.

Cette séquence donne quelques indices sur ce qui nous attend dans ce nouvel épisode, qui se situe 30 ans après « Le retour du Jedi ». Ce septième opus sortira le 16 décembre. Il est réalisé par J.J. Abrams, créateur de la série « Lost » et réalisateur du film « Star Trek ».

Au casting, ont été annoncés John Boyega, Daisy Ridley, Adam Driver, Oscar Isaac, Andy Serkis, Lupita Nyong’o, Gwendoline Christie, Crystal Clarke, Pip Andersen, Domhnall Gleeson, et Max von Sydow. On retrouve aussi les acteurs de la trilogie originale (épisodes 4 à 6), soit Mark Hamill dans son rôle de Luke Skywalker, Carrie Fisher dans celui de la princesse Leia et Harrison Ford dans celui de Han Solo.

Pour aller plus loin, « l’Obs » se livre à un décryptage de la nouvelle bande-annonce.

# L’héroïne énigmatique Rey

Cette nouvelle vidéo s’ouvre sur le personnage de Rey, interprétée par Daisy Ridley. Habillée comme un charognard et armée d’une sorte de bâton blaster, elle arpente une planète désertique.

Les mondes arides, secs et sans vie sont à l’origine de tout dans « Star Wars ». Anakin Skywalker, l’élu de la « Force » qui deviendra Dark Vador, est né sur Tatooine, planète où le désert est roi. C’est encore sur Tatooine que les spectateurs ont fait la connaissance de Luke Skywalker, fils d’Anakin, dans le premier film de la saga.

Mais la planète désertique de Rey n’est pas Tatooine, il s’agit de Jakku, un monde nouveau imaginé pour le film par J.J. Abrams.

Une voix demande à Rey « Qui es-tu ? ». Accompagnée du robot BB-8, celle-ci répond sobrement « Personne ». Au-delà de la crise d’aspirations que traverse le personnage de Rey, sa réelle identité se pose en question centrale de cette bande-annonce.

Son allure fine rappelle Padmé Amidala, jouée par Natalie Portman dans les épisodes 1 à 3. De même, lorsqu’elle est attablée à bricoler, son expression évoque le jeune Anakin Skywalker de l’épisode 1. Serait-il possible que Rey soit une Skywalker ?

Rey pourrait en effet être la fille de la princesse Leia Organa (elle-même fille d’Anakin Skywalker et Padmé Amidala) et de Han Solo. La liaison entre les deux héros des épisodes 4 à 6 est évidente et a même été développée dans un comic de l’univers « Star Wars ». Cette thèse est appuyée par une précédente bande-annonce où la voix posée de Luke Skywalker lance, énigmatique :

La force est puissante dans ma famille. Mon père la possède. Je l’ai. Ma sœur l’a. Vous avez aussi ce pouvoir. »

# Le gentil Finn, un peu perdu

La nouvelle bande-annonce s’intéresse ensuite au personnage de Finn, interprété par John Boyega. Dans son armure de Stormtrooper, il dit n’avoir été « formé qu’à une seule chose » et n’avoir « aucune cause à défendre ». Lui aussi semble traverser une crise identitaire.

Dans ce « Star Wars 7 », les deux héros ne se définissent clairement pas comme tels. Ils vont avoir tout à prouver, et d’abord à eux-mêmes. L’histoire de Finn est, elle aussi, entourée de mystères. A-t-il été formé pour être un Stormtrooper ? Quelle est sa famille ?

La vidéo montre un vaisseau TIE Fighter, vraisemblablement de Fin, s’échouer sur la planète désertique Jakku. Est-ce ainsi que Finn va rencontrer Rey ?

# Kylo Ren, un méchant vraiment méchant

La bande-annonce fait ensuite place au méchant, Kylo Ren, interprété par Adam Driver. Lui n’a pour le coup aucun problème d’identité. Sur le pont de son vaisseau spatial, il assure que « rien ne [l]’arrêtera ». Sous son masque maléfique, il promet même à une relique de Dark Vador (son masque déformé) d' »achever ce qu'[il] a commencé ».

S’agit-il de reconstruire l’Etoile noire détruite par les Rebelles, comme le suggère la planète de l’affiche officielle du film ? S’agit-il d’écraser l’Alliance Rebelle, comme n’a pas réussi à le faire Dark Vador ? En tout cas, Kylo Ren est présenté dans une scène en train de torturer l’un des chefs des rebelles, Poe Dameron (interprété par Oscar Isaac), à l’aide de la force comme le faisait Dark Vador.

J.J. Abrams a précisé au magazine « Empire » que Kylo Ren ne sera pas un apprenti Sith (les ennemis des Jedi), mais un Chevalier de Ren, unautre groupe de vilains. Kylo Ren fait partie du « Premier Ordre », un groupe qui « admire l’Empire » selon le réalisateur et qui « perçoit le travail de l’Empire comme incomplet » et « Dark Vador comme un martyr ».

Kylo Ren devrait répondre à un maître, en la personne du Leader suprême Snoke, interprété par Andy Serkis. C’est lui qui serait le véritable dirigeant du « Premier Ordre », vu lors d’une scène où un dirigeant à l’allure hitlérienne s’adresse à une armée de Stromtroopers.

Snoke et Kylo Ren pourraient ainsi avoir une relation proche de celle qu’avait Dark Vador et l’Empereur Palpatine.

# Des combats spatiaux à tire larigot

Que serait « Star Wars » sans ses combats spatiaux ? L’épisode 7 ne dérogera pas à la règle. Les affrontements entre les TIE Fighters de l’Empire et les X-Wing des Rebelles seront de la partie. Le tout, pimenté par le passage du Faucon Millénium, le vaisseau culte du contrebandier Han Solo, joué par Harrison Ford. Les combats se multiplieront sur Jakku, sur une planète verte et sur une planète enneigée (Hoth ?).

# Han Solo raconte l’Histoire

La bande-annonce s’arrête d’ailleurs sur Han Solo. Dans l’habitacle du Faucon Millénium, le héros badass explique à Finn et Rey : « Tout est vrai : le Côté Obscur, les Jedi, ils existent. »

Une phrase qui éclaire sur l’état de la galaxie, 30 ans après « Le Retour du Jedi ». En effet, cela signifie que la force, les Jedi et le Côté obscur passent pour des mythes. On tient peut-être là l’explication et l’importance du mot « réveil » du titre de cet épisode.

Je suis persuadé que Han Solo deviendra le mentor de la nouvelle génération », estime Sébastien Galano, un fan de la franchise, sur Le Plus de « L’Obs ».

La vidéo montre ensuite Han Solo qui emmène Finn et Rey dans une sorte de temple, qui rappelle celui de la lune Yavin IV. C’est sur cette lune que les rebelles ont installé leur avant-poste, et là que Luke Skywalker décide de créer une nouvelle Académie Jedi. Serait-ce là que se cache Luke Skywalker ?

# Mais où est Luke Skywalker ?

L’éventuelle présence de Luke Skywalker dans le film reste un mystère, puisque dans aucune bande-annonce il n’apparait face caméra. Toutefois, l’acteur Mark Hamill est crédité au générique. Et une scène de la bande-annonce montre le fidèle R2-D2 aux côtés d’un homme avec un capuchon qui va poser sa main robotique sur la tête du droïde. Tout laisse à penser qu’il s’agit de Luke Skywalker, le chevalier Jedi ayant perdu sa main lors de son premier combat contre Dark Vador sur Bespin, dans « l’Empire contre-attaque ».

# Vers une nouvelle Etoile de la mort ?

La bande-annonce montre également une planète où les flammes se multiplient et où les Stormtroopers poussent des prisonniers à travailler. Ce qui reste de l’Empire s’emploierait-il à construire une nouvelle Etoile noire ? L’affiche officielle du film donne à voir Starkiller (littéralement « tueur d’étoiles ») qui s’apparente à une nouvelle version de l’engin de mort.

# L’inévitable martyr

La vidéo propose ensuite une scène inattendue : Rey pleurant au-dessus d’un cadavre. L’épopée « Star Wars » se doit d’avoir ses morts, ses martyrs. Reste à savoir de qui il s’agit. De Han Solo, son potentiel père ? Sébastien Galano rappelle sur Le Plus de « L’Obs » que les premiers films de chaque trilogie « s’est soldé par la mort » d’un mentor (Qui-Gon Jinn et Obi-Wan Kenobi). Si Han Solo endosse ce rôle de mentor des deux héros, alors il pourrait être tué durant cet épisode 7 (relançant au passage l’intérêt pour le futur spin-off sur sa jeunesse, « Rogue One » prévu pour 2018).

Il pourrait aussi s’agir de Luke Skywalker, son potentiel professeur puisque, quelques plans plus tard, on voit la princesse Leia Organa (interprétée par Carrie Fisher) se blottir contre Han Solo avec tristesse. Ou encore, il pourrait s’agir du Wookie Chewbacca (interprété par Peter Mayhew), puisqu’on a l’impression d’apercevoir de la fourrure ? Mystère…

# Bataille finale entre le Bien et le Mal

La bande-annonce se conclut sur la bataille finale entre l’apprenti Jedi Finn et Kylo Ren. Le tout avec une voix encourageant le héros à « laisser la force [l’]envahir ».

Dans cette scène, le sabre laser bleu de Finn rappelle celui d’Anakin Skywalker (avant qu’il ne devienne Dark Vador), qui est aussi celui utilisé par Luke Skywalker et perdu lors de son combat contre Dark Vador dans « L’Empire contre-attaque ».

Boris Manenti

« La Damnation de Faust », maltraitée à l’Opéra de Lyon

On le sait : « La Damnation de Faust », ouvrage par ailleurs fort décousu, n’était qu’une évocation musicale, magnifique, géniale, du « Faust » de Goethe ; une « légende dramatique » voulue par Hector Berlioz pour être exécutée en concert. Elle n’était nullement destinée à être interprétée au théâtre jusqu’à ce que Raoul Gunsbourg, passant outre, la porte à la scène à l’Opéra de Monte Carlo, en 1893, ce qui lui valut une volée de bois vert de la part de Claude Debussy dans la revue « Gil Blas », puis dans « Monsieur Croche ».

Procédés étriqués, vieilleries modernistes

Qu’aurait écrit le compositeur du « Prélude à l’après-midi d’un faune » s’il avait eu le malheur de découvrir la mise en scène qu’a effectuée David Marton de « La Damnation de Faust » ? Et que dire en effet de cette réalisation scénique que présente l’Opéra de Lyon ? Que dire, sinon qu’elle est sans génie, sans talent particulier, et que la lecture faussement savante que livre Marton est bien plus confuse et foutraque qu’elle est convaincante ?

A cette musique extraordinaire dans tous les sens du terme, il répond non pas avec le souffle, voire le délire d’un homme inspiré, mais avec des procédés étriqués, des vieilleries modernistes, des idées alambiquées, de celles qui veulent faire passer le metteur en scène pour un intellectuel, un novateur, sinon un iconoclaste, alors qu’il paraît n’être qu’un impuissant. Impuissant à répondre à une musique qui visiblement le dépasse, et ne trouvant que d’insignifiantes parades qui sont autant de fuites devant des problèmes de mise en scène auxquels il n’a ni la stature, ni la poigne de se mesurer.

La Course à l’abîme

Une seule séquence dans cette réalisation est à la hauteur de la partition, au moment de la Course à l’abîme. Avec Laurent Naouri en Méphistophélès, au volant d’une vieille guimbarde qu’on a découverte abandonnée au pied d’un viaduc inachevé, et Charles Workman en Faust trimbalé sur la plateforme arrière, la scène, filmée en vidéo, est épique, saisissante, effroyable même. C’est une incontestable réussite, le seul instant qui puisse impressionner au sein de ce fatras. Las ! A ce moment même, l’Orchestre de l’Opéra de Lyon qui pense sans doute jouer de l’Ambroise Thomas plutôt que du Berlioz, l’Orchestre est alors dépourvu de l’énergie, de la puissance, de l’emballement nécessaires à rendre sa mesure à cet archétype du romantisme le plus noir.

Déjà vu

On s’étonnera aussi de la scénographie imaginée par Christian Friedländer, belle d’ailleurs, et pour cause : elle semble être une copie de celle conçue par Richard Peduzzi pour « Combat de nègre et de chiens », la pièce de Bernard-Marie Koltès mise en scène par Patrice Chéreau en 1983, quand ce dernier prenait la direction du Théâtre des Amandiers de Nanterre.

On y voit un viaduc, qui paraît être une bretelle d’autoroute inachevée, surmontant un paysage désertique où sont abandonnés un cheval et la vieille voiture qu’on citait plus haut. Une citation si criante ne peut pas ne pas être voulue, trois décennies plus tard… A moins d’ignorance crasse de la part de ses auteurs, ce qui est très possible, ou à moins de prendre les spectateurs pour des imbéciles, ce qui peut aussi s’envisager. Mais pour signifier quoi ?

Clones de Méphistophélès

Si l’Orchestre de l’Opéra de Lyon n’est vraiment pas renversant sous la baguette de Kazushi Ono, il n’en est pas de même des chœurs. Ils sont magnifiques, saisissants de clarté, de cohésion, formant un ensemble qui a lui seul justifie la place de première grandeur que Berlioz lui confère dans son ouvrage. Hélas, la mise en scène fige les choristes dans une raideur qui sent son avant-garde des années 1970.

Bientôt habillés à la façon de personnages du peintre Magritte, chapeau melon et pardessus noirs, plantés comme des points d’exclamation sur une feuille blanche, ils apparaissent alors sur scène comme autant de clones de Méphistophélès. Quand on ne leur fait pas ânonner des textes sur ce ton faussement scolaire si en vogue dans ces pauvres mises en scène qui se veulent didactiques autant que vengeresses en croyant crucifier le théâtre classique.

C’est ce néo-académisme que Marton croit sans doute faire passer pour de l’audace, pour une lecture engagée de « La Damnation », quand il n’est rien qu’un faisceau de laborieuses tentatives de meubler et le temps et l’espace.

Souriant jusqu’à l’ignoble

Au milieu de cet ensemble incohérent qui malgré tout dessert cruellement la musique de Berlioz, règne un Méphisto inquiétant, cynique, odieux. L’archétype du conseiller en communication d’aujourd’hui. Ou du fonctionnaire de régime totalitaire, froid, insidieux, lisse et souriant jusqu’à l’ignoble qu’on verra à la fin du spectacle se glisser nuitamment hors de l’Opéra pour accomplir d’autres méfaits dans la ville de Lyon. Dans ce rôle, aussi bon comédien que chanteur, Laurent Naouri excelle.

Et à ce jeu théâtral, il se mesure à un partenaire à son diapason. Charles Workman et Laurent Naouri sont remarquables dans leur travail d’acteurs quand, enfermés dans l’habitacle de la vieille voiture, ils partent à la conquête des plaisirs du monde. A croire que Marton serait un bon directeur de jeu théâtral.

Une certaine gaucherie qu’explique sans doute sa haute taille ne messied pas à Charles Workman dans le rôle de Faust. Sa voix, belle et douce, a cependant du mal à vaincre, dans les aigus, les terribles embûches du rôle. Et son personnage du coup n’est pas tout à fait convaincant. Quant au rôle de la malheureuse Marguerite, il ne permet pas sans doute à Kate Aldrich de donner toute sa mesure de cantatrice, même s’il la dévoile bonne comédienne. Elle chante cependant avec une voix d’une grande pureté, riche en inflexions parmi les plus tendres comme les plus douloureuses. Dans la Romance de Marguerite comme dans la « chanson gothique » du Roi de Thulé, elle est aussi belle qu’émouvante.

L’article assassin de Debussy

Reste que l’ensemble du spectacle ne rend pas grand chose et que les solistes comme les choristes ont un grand mérite à s’en sortir à leur avantage. On demeure effaré face à ces metteurs en scène qui n’ont rien d’essentiel et de clair à dire de l’œuvre dont ils se sont saisis, comme un chien se saisit d’un os. Et qu’ils le disent avec autant de prétention que d’aplomb, tout en parant la confusion de leur propos d’un fatras de propositions bâtardes ou inabouties.

Si cette mise en scène est inopérante, il n’en est pas de même en revanche (on se console comme on peut) du programme présenté sous forme d’un petit livre par l’Opéra national de Lyon. On y trouve des textes remarquablement choisis, parmi lesquels une savoureuse évocation de la création, et de l’échec, de la « Damnation de Faust » en 1846, en présence du duc et de la duchesse de Nemours, évocation rédigée avec esprit par Adolphe Boschot en 1910 ; une belle analyse de la partition de Berlioz par le compositeur Philippe Fénelon; un poème de Pessoa. Et cet article assassin de Debussy sur Gunsbourg où des phrases entières s’appliquent très comiquement aux prétentions actuelles de David Marton.

Raphaël de Gubernatis

« La Damnation de Faust », légende dramatique en quatre parties d’Hector Berlioz. Direction musicale de Kazushi Ono ou de Philippe Forget. Mise en scène de David Marton. Avec Charles Workman, Laurent Naouri et Kate Aldrich, l’Orchestre, les Chœurs et la Maîtrise de l’Opéra de Lyon. Opéra national de Lyon. Dernières représentations le mardi 20 et le jeudi 22 octobre 2015. 04-69-85-54-54.

On a tourné sur la Lune

Magie d’Internet, magie du partage, magie du domaine public… Depuis que la Nasa a mis en ligne plus de 8 000 photos d’archive des programmes Apollo, renumérisées en haute définition, plusieurs internautes se sont déjà emparés de cette matière première pour donner vie aux vieilles images.

Comme toutes les images produites par l’agence spatiale américaine, et plus généralement toutes les images produites par les institutions publiques outre-Atlantique, ces photos sont dans le domaine public. Elles sont rassemblées selon les pellicules 70mm dont elles sont issues, dans autant d’albums Flickr. C’est d’ailleurs très récemment que la plateforme de partage de photos a permis de téléverser («uploader») des photos avec une licence «domaine public», et grâce à un autre acteur du domaine spatial : Flickr voulait répondre à la demande de l’entrepreneur Elon Musk, qui voulait partager librement les images de ses fusées privées SpaceX…

Le «Project Apollo Archive» sur Flickr

Le premier internaute à tirer parti des photos Apollo HD fut le vidéaste Tom Kucy. Avec l’aide de Photoshop et d’After Effects, un logiciel d’effets visuels, il a créé artificiellement un «mouvement subtil et léger pour chaque scène grâce à une technique d’animation appelée défilement parallaxe». L’image est découpée en deux couches : un avant-plan et un arrière-plan, qui bougent indépendamment l’un de l’autre, donnant l’illusion d’une profondeur. Le rythme et la musique font bien ressentir «combien l’espace est vaste», et donnent au film une ambiance très réussie.

Autre approche et autre rythme pour l’Américain Harrisonicus, qui a collé les clichés bout à bout pour en tirer un film en stop-motion. «J’étais en train de regarder le projet Apollo Archive et à un moment, j’ai commencé à cliquer très vite pour faire défiler une série de photos, et on aurait dit une animation en stop motion. Alors j’ai décidé de voir ce que ça donnerait si ça défilait tout seul.» Excellente idée, d’autant mieux exploitée que Harrisonicus a reconstitué tout un voyage de la Terre à la Lune, et l’a accompagné d’un entraînant morceau instrumental, Start Start de Built by Snow.

Camille Gévaudan

Pourquoi s’intéresser au Mali ?

Nombreux sont les pays qui sortent d’un conflit. Pourquoi alors s’intéresser au Mali ? Il y a à peine six mois que le Mali, avec le concours de l’Algérie et d’autres partenaires internationaux, a signé un accord de paix. Mais, nous le savons, ce type d’accord ne garantit jamais une stabilité sur le long terme.

Le Mali a longtemps été présenté comme un exemple pour d’autres pays africains, pour sa démocratie, son développement et son avenir prometteur. Moi-même, en tant que ministre du Développement de la Norvège, j’ai souvent considéré le Mali comme un modèle de réussite. Lorsque je me suis rendu pour la première fois à Tombouctou, j’ai été surpris par la beauté de sa culture, par la détermination de sa population et par l’histoire que nous raconte cette ville. C’est ici qu’a vécu, au XIVe siècle, l’homme réputé le plus riche de tous les temps. Mansa Musa, ayant amassé une immense fortune grâce à la production d’or, se rendit en Égypte pour y montrer sa munificence. Le Mali, autrefois véritable centre du commerce pour tout le désert du Sahara, possède une histoire culturelle unique, vivante et bien visible.

Mais en 2012, le pays se fige. Des terroristes prennent le contrôle de larges pans du territoire et ne sont stoppés par les troupes françaises et africaines qu’aux portes de la capitale Bamako. Ce pays considéré comme le pilier du développement et de la démocratie en Afrique implose en l’espace de quelques semaines. Il y a eu beaucoup d’avancées depuis. La sécurité est désormais assurée par des forces de maintien de la paix des Nations Unies. Le Président Ibrahim Keïta est arrivé au pouvoir à l’issue d’élections libres, et un gouvernement est en place. Mais la plupart des Maliens sont dans une pauvreté effroyable et les besoins en matière de développement sont immenses. Et tout est lié : pas de développement sans sécurité. Pas de sécurité sans développement.

Plus de 15 millions de personnes vivent au Mali. Dans ce pays grand comme deux fois la France, la majeure partie de la population est concentrée dans le sud du territoire. Beaucoup de ceux qui vivent dans le nord du pays pensent que le gouvernement consacre tout son budget aux régions du sud et oublie le nord. J’ai rencontré les représentants des plus grands groupes de rebelles la semaine dernière à Bamako ; ils m’ont expliqué que ce décalage est leur principale préoccupation ; ils se sentent marginalisés, et ne constatent aucun progrès.

Une telle défiance vis-à-vis de l’État fait le lit de la violence ; et certains, poussés par leur mécontentement, se tournent vers les groupes rebelles. Certains de ces groupes sont autochtones, d’autres relèvent de la mouvance islamiste internationale, d’autres encore se composent de trafiquants en tous genres. La longueur extrême des frontières de la région du Sahel les rend impossibles à surveiller. Dans cette configuration, il existe de multiples possibilités pour qu’une situation d’insécurité au Mali se propage aux pays voisins. Des personnes ont été prises en otage et toutes n’ont pas survécu. La criminalité transnationale organisée se développera dans les sociétés où la sécurité n’est pas assurée.

La situation de fragilité perdurera si la sécurité au Mali n’est pas renforcée et si le peuple malien n’a pas accès à l’emploi, à l’éducation, à l’espoir et au progrès. C’est pourquoi, lorsque les autorités maliennes ont demandé à l’OCDE si, avec d’autres partenaires, nous pouvions les aider à élaborer une stratégie de reconstruction et de paix, nous n’avons pas hésité un seul instant.

Le Mali recèle un formidable potentiel de développement dans de nombreux domaines. Le pays a la capacité d’être l’un des premiers fournisseurs de riz sur le marché régional de l’Afrique de l’Ouest. Ce pays magnifique peut réaliser des améliorations considérables dans les domaines de l’élevage, des industries extractives et du tourisme, qui est une activité déjà ancienne. Les infrastructures routières et l’éducation doivent être modernisées. Mais pour concrétiser pleinement ce potentiel, la stabilisation du nord du pays est essentielle.

Cette semaine, l’OCDE accueillera donc une conférence à haut niveau coorganisée avec le gouvernement du Mali et avec le soutien des amis et partenaires internationaux du pays. Nous nous réunirons afin d’aider le Mali à trouver des solutions en matière de développement et faire face aux enjeux politiques. Pour qu’un pays se développe, l’impulsion doit venir de ses dirigeants. Seuls le Président et le gouvernement du Mali peuvent nous dire, à nous les partenaires internationaux, quelle est leur vision stratégique – publique ou privée ; où ils veulent emmener leur pays d’ici vingt ans ; et ce qu’ils veulent offrir aux enfants du Mali.

L’impulsion des dirigeants, l’expérience l’a montré, est le premier ingrédient de la réussite sur le front du développement. Viennent ensuite les politiques. Le gouvernement doit faire les bons choix ; prendre les bonnes décisions, celles qui vont donner un coup d’accélérateur au développement du pays. Un pays dont les besoins sont immenses doit se concentrer sur un petit nombre de priorités. C’est là que nous, la communauté internationale, apporterons notre aide. Les ressources, pour le Mali, constituent le troisième ingrédient indispensable. Un pays ne peut pas se développer en s’appuyant uniquement sur l’aide. L’aide au développement doit servir de catalyseur, et peut contribuer à rassurer des partenaires privés prêts à investir au Mali. Mais la fiscalité et les investissements privés sont déterminants pour le Mali, comme pour les autres nations en développement. Les participants à la conférence étudieront quelles sont les possibilités de générer davantage de recettes fiscales et de développer le secteur privé. La nombreuse diaspora malienne peut être un atout pour l’investissement privé, notamment par les envois de fonds.

J’en reviens donc à ma première question – pourquoi s’intéresser au Mali ? La réponse suivante devrait suffire : parce que les enfants du Mali méritent un bel avenir. Tous les enfants maliens que j’ai rencontrés ont l’optimisme chevillé au corps. Le garçon qui nettoie votre voiture veut devenir médecin. Faisons en sorte que leurs aspirations se concrétisent et ne restent pas de vains espoirs.

Mais j’ajouterai : le monde a besoin d’un Mali stable et prospère, faute de quoi nous risquons de voir se rapprocher de nouveaux attentats terroristes. Et la criminalité transnationale organisée nous touchera un jour elle aussi. Le monde n’est plus si grand. Ce qui se passe au Mali nous concerne tous.

Erik Solheim président du Comité d’aide au développement de l’OCDE et ancien ministre de Norvège

« The Walking Dead » : dans les coulisses d’un tournage secret-défense

De notre envoyée spéciale aux Etats-Unis

Début octobre, sous le ciel menaçant de Géorgie (Etats-Unis) : le paysage nous semble étrangement familier. Quelques instants plus tôt, nous avons quitté la route de Senoia, bourgade d’un peu plus de 3.000 habitants, située à une soixantaine de kilomètres au sud d’Atlanta, pour un chemin de terre qui serpente entre les arbres. Il est midi, mais il fait déjà sombre. Au bas d’une côte, la forêt bute brusquement sur une propriété, cerclée de barbelés. Des pancartes menacent les intrus de poursuites judiciaires.

A l’entrée, un agent de sécurité en uniforme filtre le passage vers de grands bâtiments rectangulaires couleur sable. De longues caravanes blanches, des camions en piètre état, une grue et un tracteur sont garés sur le parking, devant ce qui ressemble à un entrepôt. L’ambiance est lugubre. On s’attendrait presque à voir surgir de longs corps en lambeaux, les yeux injectés de sang, au râle bien identifiable…

Mais aucun walker (zombie) à l’horizon. Soudain, l’évidence nous saute aux yeux : nous nous trouvons devant la prison où l’ex-flic Rick Grimes (Andrew Lincoln) et ses compagnons d’infortune de la série-culte d’AMC, « The Walking Dead », ont trouvé refuge pendant les saisons 3 et 4. Les murs des baraques – qui abritent les studios Raleigh – ont été repeints. La tour de garde, pulvérisée par les troupes du Gouverneur dans un des épisodes, s’est volatilisée, ainsi que les grillages autour de la prison. Mais le champ, où Rick et son fils Carl (Chandler Riggs) ont tenté de cultiver un potager, et la mare, en contrebas, sont toujours là.

Une obsession de la fuite qui frise la paranoïa

Impossible, cependant, d’aller plus loin avant d’avoir signé un contrat de confidentialité de deux pages dans lequel on s’engage à ne rien « spoiler », sous peine de verser un million de dollars à la production ! Téléphones portables et tablettes sont collectés. L’obsession de la fuite frise la paranoïa. A raison, nous dit-on. Avant la diffusion du dernier épisode de la saison 2, où Rick abat son meilleur ami Shane dans un duel désormais légendaire, des photos de l’acteur Jon Bernthal, transformé en walker, avaient circulé sur le Net, provoquant la panique de la production.

L’audience a malgré tout explosé. Car rien ne semble faire reculer les fans, toujours plus nombreux. Aux Etats-Unis, la série post-apocalyptique, qui met en scène un groupe de survivants dans un monde plongé dans le chaos après l’irruption d’un virus transformant les morts en zombies sanguinaires, bat tous les records sur le câble. Il y a un an, le premier épisode de la cinquième saison a rassemblé 17,3 millions de téléspectateurs. Du jamais-vu pour AMC, qui a réussi à dépasser les audiences des chaînes classiques avec cette série iconoclaste, adaptée de la BD du même nom, créée par Robert Kirkman et Tony Moore.

Pour le lancement de la sixième saison, le 11 octobre, la chaîne a vu grand. Elle s’est offert le Madison Square Garden à New York, avec défilé des stars sur le tapis rouge, projection de l’épisode en avant-première et discussions en présence de l’ensemble du cast. En France, les fans doivent patienter vingt-quatre heures de plus pour retrouver la série en US + 24 sur OCS Choc (chaque lundi depuis le 12 octobre).

Et ça commence très fort avec un épisode d’anthologie, qui débute là où la cinquième saison s’était terminée : Rick, le visage couvert de sang, abat un homme d’une balle dans la tête sur ordre de Deanna, la leader d’Alexandria. Après une longue errance et beaucoup d’introspection, virant parfois au bavardage ennuyeux, le groupe s’est en effet retranché dans cette petite communauté, protégée par sa haute muraille de fer, près de Washington. Mais le répit étant toujours de courte durée, de nouvelles menaces apparaissent à l’extérieur, tandis que la dissidence guette à l’intérieur.

On en avait presque oublié les walkers. « Une erreur », constate Greg Nicotero, qui a réalisé l’épisode. Longue chevelure blond cendré et barbe de quelques jours, la star du maquillage gore, passée derrière la caméra pour « TWD », affiche sa passion zombiesque sur un tee-shirt noir, pastiche de la couverture d’un album de Queen, dont il est particulièrement fier. Il a travaillé avec Robert Rodriguez, Quentin Tarantino, Frank Darabont… Mais c’est George A. Romero, le père de « la Nuit des morts-vivants » (1968), qui l’a lancé et convaincu d’arrêter ses études de médecine pour le rejoindre sur « le Jour des morts-vivants » (1985).

Nicotero revendique l’héritage du maître, même si ce dernier n’est pas facile à contenter. Interviewé dans un magazine américain en 2013, George Romero confiait qu’il avait refusé de tourner un épisode de la série, trop « soap opera », selon lui. Il était donc temps de remettre les pendules à l’heure, insiste Nicotero :

On a beaucoup dit que “The Walking Dead” n’était pas une série de zombies, mais une série sur le thème de la survie, dans un monde peuplé de zombies. Mais avec la nouvelle saison, il faut se rendre à l’évidence : c’est bien une série de zombies.

Les walkers n’ont donc jamais été aussi nombreux : 20 000 à l’écran pour le premier épisode, incarnés par 300 figurants, pulvérisés au pistolet de sang brunâtre. « Impossible de passer tout le monde au maquillage avant de commencer la journée », raconte le réalisateur. Si Alexandria a résisté aussi longtemps, c’est que les zombies n’avaient pas disparu.

Ils étaient juste embusqués là, aux portes de la ville… Le tournage de la sixième saison a commencé en mai. Il se poursuivra jusqu’à fin novembre. Dans la forêt, près des studios, un homme en jeans et trench-coat noir, boucles châtains et visage rasé de près, hurle dans un talkie-walkie. On a presque failli ne pas le reconnaître. Andrew Lincoln, alias Rick Grimes, autrement dit la star de la série, en tenue de ville, est venu soutenir ses deux comparses, Lauren Cohan (Maggie) et Melissa McBride (Carol), en plein combat avec trois walkers. Sa présence sur le tournage, alors qu’il a déjà assuré le doublage une semaine plus tôt, est typique de l’acteur britannique, dont le dévouement à la série en fait « le premier rôle idéal », selon Monty Simons, le responsable des cascades. Ce dernier doit le dissuader de jouer les scènes d’action les plus dangereuses car « s’il est blessé, c’est toute la production qui peut rentrer à la maison ».

Un coup de feu claque. La scène est en boîte. Engoncée dans une grosse doudoune noire, le visage pâle, Lauren Cohan tente de se réchauffer avec une tasse de café fumant. La nuit est tombée depuis longtemps. L’ampleur du phénomène « TWD » la dépasse : « Quand je me souviens des débuts, je ressens parfois des bulles de nostalgie, dit-elle. Nous n’étions encore que quelques-uns. Mais nous sommes restés proches les uns des autres. Lauren Cohan avance :

L’engouement du public tient à l’attachement des téléspectateurs pour les personnages, soumis à rude épreuve. Les enjeux sont énormes. C’est la vie ou la mort. Cette saison est magnifiquement barbare.

Les boussoles morales oscillent et chacun va devoir justifier les choix qu’il fait pour sauver la famille. » Jamais il n’y a eu autant de scènes d’action. Qu’on se rassure donc : le très sexy tireur de flèches Daryl Dixon (Norman Reedus), la féroce samouraï Michonne (Danai Gurira) et le gentil ex-livreur de pizzas Glenn (Steven Yeun) ne sont pas près de trouver le repos.

Mais pourquoi ce monde terrifiant, quand le nôtre vacille, nous fascine-t-il autant ? Greg Nicotero compare la série à un grand huit :

Vous détestez, mais vous y allez quand même.

C’est pareil avec la fin du monde. Les personnages essaient d’appliquer une certaine logique à une réalité complètement illogique. Nous essayons de rendre leur peur intelligible, de comprendre comment il serait possible de survivre. C’est assez cathartique. C’est comme quand je regarde “Titanic” dans mon canapé et que je m’énerve parce que personne n’a eu l’idée de prendre une porte et d’en faire un radeau. »

La survie d’un groupe en huis clos

Pour la productrice Denise Huth, grande fille blonde qui a prêté son visage au personnage de la femme du Gouverneur, « TWD » est avant tout un western : « C’est l’histoire de la conquête de l’Ouest. Les survivants se souviennent du monde où ils vivaient, qui ne reviendra pas. Derrière des murs, ils doivent gérer le monde extérieur et envisager comment construire un futur durable.

Mais c’est aussi un drame familial, et c’est pour cela que la série fonctionne : les spectateurs s’attachent à ces personnages. Et même si certains d’entre eux ont commis des actes vraiment horribles, ils essaient de s’accrocher à leur humanité, à ce qu’ils pensent être juste. » Depuis « Lost », « Under The Dome » ou encore « Jericho », ce n’est pas la première fois que le public se passionne pour la survie d’un groupe en huis clos. « TWD », lui, table sur une mise en scène réaliste filmée caméra à l’épaule.

Ça laisse des marques, reconnaît Lauren Cohan : « J’ai des flashs, parfois, quand je me retrouve au milieu d’une foule, ou dans un lieu complètement vide tard dans la nuit. Le corps fonctionne comme une éponge. Je vois les choses un peu plus sombrement.

Mais je sais aussi que si l’apocalypse survenait, je me battrais jusqu’au bout ! »

A Senoia, les fans se pressent dans le magasin « Walking Dead », située sur la grande rue. Cette bourgade idyllique, aux coquettes maisons en briques rouges et blanches, a servi de décor à la ville de Woodbury. Une guide assure la visite avec, entre autres curiosités, la Gin Property, construite de l’autre côté du chemin de fer et encerclée d’un haut mur en fer.

Bienvenue à Alexandria, un projet immobilier conçu par le PDG des studios Raleigh, où les heureux propriétaires d’une maison cossue, achetée entre 600.000 et 800.000 dollars, ont signé un contrat, les forçant à accepter les murs qui l’enserrent, les jardins en friche, les tournages la nuit. Et des équipes de sécurité à toutes les entrées.

« The Walking Dead – saison 6 », lundi, à 20h40, sur OCS Choc (2/16). (En multidiffusion et à la demande sur OCS GO).

VIDEO. Joël Dicker : stop ou encore ?

Avec son deuxième roman paru en 2012, «la Vérité sur l’affaire Harry Quebert», le jeune écrivain suisse Joël Dicker avait remporté un succès phénoménal: 1,5 million d’exemplaires vendus en France, prix Goncourt des Lycéens, et même Grand Prix de l’Académie française.

Il revient aujourd’hui avec «le Livre des Baltimore»(Ed. de Fallois), volumineuse saga familiale située, comme son titre précédent, aux Etats-Unis.

Mais s’agit-il d’un bon roman à énigme? Ou au contraire d’un ennuyeux pavé plombé par les clichés et l’accumulation de grosses ficelles narratives? Joël Dicker mérite-t-il qu’on l’applaudisse comme une révélation de la littérature francophone contemporaine?

Grégoire Leménager, de «L’Obs», et Jean-Christophe Buisson, du «Figaro-Magazine», ne sont pas du tout d’accord.

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Le gonzo-journalisme appliqué à Bob Dylan

Bob Dylan a baladé des régiments de journalistes. Manipuler un interviewer semble un de ses passe-temps préférés. Il en est un toutefois avec qui sa sincérité ne souffre aucune discussion. C’est Ratso. Le sobriquet de Larry Sloman, jeune rédacteur de Rolling Stone qui couvrit la Rolling Thunder Revue, en 1975, un événement unique dans l’histoire du rock. Le groupe? Le suprême du folk-rock. Le gratin. Qu’on en juge : Joni Mitchell, Joan Baez, Jack Eliott, Mick Ronson, Roger Mc Guinn (fondateur des Byrds), etc. Une tournée totalement improvisée (dates de concert annoncées la veille, voire à la dernière minute). Montée par le Zim, destinée à remuer l’opinion, la tournée retentit deux mois. Objectif déclaré, soutenir et libérer le célèbre boxeur poids lourds «Hurricane» Carter. La justice incarcéra le Noir pour un soi-disant triple meurtre. La formidable traduction française des mémoires de Rubin Carter, Le 16e Round, existe. La victime raconte notamment dans quelles conditions il discuta longuement en prison avec Dylan, qui venait de lire Le 16e Round. Son éditeur,Les Fondeurs de Briques, sort simultanément un autre joyau : Sur la Route avec Bob Dylan, le reportage impliqué-style gonzo de Ratso sur la Rolling Thunder Revue. Comment diable Ratso a-t-il réussi à fissurer la muraille Dylan? «Mais c’est très simple!» En face de moi, dans un bar de la rue Sorbier, costar argenté, chemise noire, mocassins teintés façon zèbre, cheveux filasse jusqu’au bas du cou, bouc de pirate repenti, carure de catcheur, on dirait un pirate de L’Auberge de la Jamaïque.

Compréhension immédiate des questions, regard par en-dessous, réponse différée : on ne peut plus New-Yorkais que lui. On peut enseigner sans hésiter l’exemplaire travail d’immersion, modèle de gonzo-journalisme, dans les meilleures écoles du métier.

On dévore les 350 pages du morceau de bravoure, digne d’un roman de Hunter S Thompson, doublé de l’enthousiasme d’un John Fante. La netteté des descriptions permet de croiser au détour d’une page la précision clinique et la spontanéité d’un Henry Miller. Le livre se savoure sans discontinuer. L’affirmation m’effare. Quoi? Dylan? Une affaire «simple»? Frayer avec un personnage à côté duquel le Sphinx des Pyramides fait penser au pape François? Ratso me calme : «Les gens ne rendent pas compte combien Dylan cherche à vivre comme une personne normale. Pendant la tournée, je n’ai jamais ressenti un autre caractère devant moi que celui d’un jeune Juif du Minnesota. Simplement, il rechigne à se retrouver dans la posture de l’interviewé de service. La star se branche aussitôt sur le mode énigmatique. Si toutefois l’entretien s’intercale dans un rapport naturel, suivi, approfondi : il embraie naturellement avec des réponses limpides. Ce fut le cas pendant la tournée que j’ai couverte deux mois durant. Plus que correct, l’interlocuteur! Je me souviens d’un entretien qui se prolonge dans la froidure du soir : Dylan ôte ses gants pour me les passer. Le problème avec les vedettes? C’est le cercle de managers et de courtisans qui les entourent, dont la seule occupation revient à les éloigner de l’humanité». Joan Baez affuble Larry du surnom le jour où il se pointe cradingue-cheveux gras au motel où le groupe est descendu («You remind me a Rat So!»). Ratso, encore aujourd’hui, s’ingénie à se justifier : «Le journal ne m’offrait pas les meilleurs hôtels…»

La première écoute de Dylan jouera la fonction de révélateur. «Quand j’ai entendu pour le première fois Like a Rolling Stone, je me destinais à la carrière de comptable. J’ai pris un coup sur la tête. J’ai réalisé l’envergure du personnage. Je n’ai eu de cesse que de l’approcher.» Après le coup de massue définitif asséné par l’album Highway 61 Revisited, Ratso s’installe à Manhattan («J’ai dragué le Village de fond en comble pour le rencontrer»). Ilcopine avec le tout Greeenwich Village . Le chanteur Phil Ochs squatte son canapé. Pourquoi Dylan n’embarquera-t-il pas le protest-singer, qui se pendra chez sa soeur l’année suivant la tournée (1976)? «Ochs débordait de talent. Hélas, il n’a pas obtenu la reconnaissance méritée. Chez moi, il a tenté à plusieurs reprises de mettre fin à ses jours. Dylan n’a pas couru le risque de mobiliser un gars paranoïaque, malade, à bout (»fucked up«). Il n’en tenait pas grief à Dylan. J’ai emmené Ochs au concert final de 75 (Night of the Hurricane). Il a adoré. Vous savez, Greenwich Village regorgeait de gars sensationnels: Eric Andersen, Jack Eliott, Allen Ginsberg. Les surdoués couraient les rues. Tous adoraient Dylan».

Pourquoi Dylan adoube-t-il le jeune journaliste derrière la Rolling Thunder? «Il voulait une personne qui le respecte, qui ne tombe pas à genoux devant lui. Non mais rendez-vous compte, les comportements frisaient la folie : les fans tournaient devant sa maison pour comprendre le sens de la vie, alors que lui essayait d’élever ses gosses en paix. Le public s’est trompé. Dylan n’a jamais voulu endosser le costume de leader d’opinion. Quand le Vietnam pète à la figure des USA, le chanteur enregistre Nashville Skyline : rien à voir avec la choucroute!» Ratso devient le chroniqueur attitré de l’événement, au-delà de toute espérance. La bande de la tournée l’adopte («je tournais autour, je m’approchais des coulisses, je buvais avec eux, je faisais la fermeture...»). Le fouineur décroche même une des seules interviews existantes de Beattie Zimmerman, la mère de Dylan («comme les autres, elle s’est habituée à me voir tripoter le magnétophone»).

Ratso publie les articles dans le mensuel, s’enferme, essaie d’écrire l’ouvrage à partir de la centaine de bandes magnétiques qu’il ramène. Dépression. L’écrivain consulte. Une cure de Lithium le débloque. Dylan avale en une nuit les 350 pages du bouquin de Ratso. Howard Alk, le co-réalisateur du film sur la tournée (Renaldo and Clara), dévore le pavé dans la foulée, l’appelle, transmet le message : c’est un chef d’oeuvre! Dylan l’oblige à recommencer le montage en cours du film. A la demande de Dylan, Ratso y incarne son propre personnage dans le long (très long: 3h et demi)-métrage. Le film se soldera par un échec cuisant (Ratso, indulgent : «vous connaissez un film de cette longueur qui a marché?»). Au final, le reporter se rend compte que le groupe de la Rolling Thunder Revue l’a accepté, non plus comme rédacteur rapporté, mais intégré comme membre à part entière. Il se souvient : «chaque participant à la tournée a eu droit au bijou lors du banquet final. Je suis le seul non-musicien à qui Sara Dylan, l’épouse de Bob, a offert un collier en argent». Après lecture, Joni Mitchell l’engueule, puis se rétracte («c’est parfait Ratso, ne change rien»). Aujourd’hui, Dylan et lui s’envoient un mail par mois («Il insère toujours un trait d’humour»). Ratso n’a jamais quitté le milieu du rock. Il a composé les paroles sur quatre disques de John Cale (dont l’album entier Artificial Intelligence). Dylan aurait déclaré que On The Road with Bob Dylan. Rolling with the Thunder (le titre de la première parution, en 1978), représentait le Guerre et Paixdu Rock and Roll. Une métaphore irréfutable : Ratso y a gagné son bâton de maréchal.

Bruno Pfeiffer

LIVRES

Rubin Hurricane Carter, Le 16e Round, Les Fondeurs de Briques

Larry Ratso Sloman, Sur la Route avec Bob Dylan, Les Fondeurs de Briques

« 20 ans de révolution gay » ! : Les (in)visibles

TéléObs. En 1995, vous aviez réalisé « Demain Monsieur », le film d’ouverture de la première Nuit Gay sur Canal+. Comment parlait-on d’homosexualité à la télévision ?

Michel Royer. Jusqu’en 1995, le sujet ne passait que par les émissions médicales, c’est tout dire ! Les téléfilms de l’époque, diffusés sur le petit écran avec un carré blanc, ont d’abord cantonné l’homosexuel au rôle de coupable avant de le faire évoluer vers un emploi de comique. Dans les années 1970, avec « la Cage aux folles » et le théâtre de boulevard, les rôles d’homos sont interprétés par des acteurs populaires comme Poiret et Serrault. Pour exister, le sujet passe par la moquerie et génère un certain mépris. Mais l’homme efféminé s’installe comme première figure de l’homosexualité à la télévision.

A la fin des années 1970, certaines personnalités osent pourtant aborder le sujet…

Le petit écran commence à s’intéresser discrètement à l’émergence d’une culture gay en Californie ou en Scandinavie. En France, Roger Peyrefitte, Jean-Louis Bory ou Elula Perrin révèlent leur préférence sexuelle sur le plateau de Philippe Bouvard, « Samedi soir » ou « De l’huile sur le feu ». Avec l’arrivée du sida dans les années 1980, une chape de plomb retombe sur l’homosexualité. On parle de « cancer gay« , on vit dans le drame et l’omerta. Il faut attendre les années 1990 pour que des revendications apparaissent et qu’on passe d’un silence morbide au militantisme avec Act-Up et le Sidaction.

La première Nuit Gay sur Canal+ reste-t-elle un jalon emblématique ?

A partir de là, la télévision va accompagner le mouvement. Mireille Dumas avait commencé la première à évoquer l’homosexualité avec ses invités. Jean-Luc Delarue a pris la suite et, dans les années 2000, il y a eu un nombre incroyable d’émissions sur ce thème. Mais à ce moment-là, le sujet, c’est le coming out : faut-il le dire et comment le dire.

A Canal, on le disait ?

Même dans une boîte « showbiz » comme Canal, les homos ne se déclaraient pas en 1995 parce que c’était peut-être compliqué vis-à-vis de leurs familles et qu’ils avaient peur d’être catalogués « homos de service ». Les initiateurs de la Nuit Gay, Nicolas Plisson, Alain Burosse et Joëlle Matos, avaient créé C+ Gay, une association des employés gays comme il y en aura ensuite dans d’autres entreprises.

En vingt ans, le regard porté par la société sur l’homosexualité a-t-il changé ?

Aujourd’hui, les homosexuels n’ont plus à se justifier. On ne questionne plus l’homosexualité, on questionne les homophobes.

Parmi les nombreuses personnes contactées pour témoigner, certaines ont-elles refusé de participer ?

Bertrand Delanoë n’a pas voulu s’exprimer mais il nous a autorisés à utiliser l’extrait de « Zone interdite » (M6) dans lequel il avait fait son coming out en 1998. Il n’a jamais voulu être militant de la cause homosexuelle car il craignait qu’on l’accuse d’être de parti pris. En devenant maire de Paris, il a contribué à normaliser la situation des homos. Il a pris le risque d’être caricaturé mais ça ne lui a finalement pas collé à la peau.

Laurent Ruquier n’a jamais souhaité devenir une figure emblématique. Je n’ai pas bien compris le refus de Steevy. En participant à « Loft Story », il avait inauguré quelque chose de nouveau. La télé-réalité a par la suite normalisé les figures d’homosexuels comme elle l’a fait pour les Noirs et les Arabes.

Roselyne Bachelot et Christiane Taubira, elles, se sont engagées…

Roselyne Bachelot a très tôt pris conscience des discriminations dont étaient victimes les homosexuels via les événements de Stonewall, aux Etats-Unis, qui sont à l’origine des Gay Prides. En 1999, la gauche a défendu très mollement le Pacs. A droite, c’est Roselyne Bachelot qui est devenue la figure inespérée pour mener à terme le projet. Au lieu d’essayer de convaincre les sceptiques, mieux vaut brandir un étendard.

C’est ce qu’a fait à son tour Christiane Taubira. Elle a injecté de la philosophie politique dans ses propos, elle est allée chercher les grandes valeurs et les a mises en jeu à la manière d’un Robert Badinter. Ces deux femmes défendent des convictions profondes. Mais tout au long des débats sur le mariage homosexuel, la gauche a tergiversé. Hollande a donné l’impression de ne pas assumer totalement la nouvelle loi lorsqu’il a évoqué la clause de conscience des maires. Les médias, eux, sont tombés dans le panneau tendu par la Manif pour Tous. Ils ont trop donné la parole aux opposants au mariage gay qui se sont empressés d’agiter la menace de la PMA et de la GPA.

Lors du débat sur le Pacs, Philippe de Villiers et Christine Boutin prédisaient l’effondrement de notre civilisation. En 2014, on a laissé Frigide Barjot et Eric Zemmour annoncer l’Apocalypse sans leur demander en quoi cela leur retirait quelque chose que des homosexuels se marient. Les homophobes ont un grand pouvoir de nuisance. Il n’y a qu’à entendre les propos délirants tenus par monseigneur Barbarin.

En quoi la Nuit Gay a-t-elle fait évoluer la société ?

En défendant la culture gay, Canal a eu un rôle d’avant-garde comme pour l’investigation, l’humour, le sport ou le porno. J’ai dédié le film à Alain de Greef, qui était plus rock’n roll et pin-up que gay friendly. Canal a su saisir l’air du temps, celui d’Almodóvar et de « Priscilla, folle du désert ». En 1995, la Nuit Gay a battu le record d’audience de Canal détenu par la Nuit Hallyday. Il en est resté la phrase culte de Gilles Verlant : « Merde ! Les pédés ont enculé Johnny ! »

Propos recueillis par Anne Sogno (@AnneSogno)

PMA, la ligne Taubira

« Je pense que la revendication d’accéder à la PMA pour un couple de femme est une revendication légitime […]. Il faut que le milieu politique – et je m’y inclus- ait le courage de livrer cette bataille.  » Devant la caméra de Michel Royer, Christiane Taubira engage clairement le gouvernement à rouvrir le débat sur la PMA qu’il avait abandonné au grand dam des associations LGBT. Jusqu’au vote de la loi par l’Assemblée ouvrant le mariage et l’adoption pour les couples de même sexe, la garde des Sceaux évitait soigneusement de sortir du périmètre dessiné par Matignon, affirmant que « tous les pays qui ont ouvert le mariage et l’adoption aux couples de même sexe et qui ont ouvert la PMA l’ont fait dans deux textes différents ». Au soir du vote, le 12 février 2013, sur le plateau du JT de France 2, Christiane Taubira, sans doute libérée par le devoir accompli, avait déclaré à David Pujadas que la PMA voulue par les couples de lesbiennes était une « demande légitime » et que « le gouvernement aura le souci de traiter le sujet de la façon la plus complète, la plus juste et la plus efficace possible« .



Mardi 20 octobre sur Canal+, à partir de 21 heures. 20 ans la Nuit Gay !

De la grande misère au rap pour enfants: on a lu les Mémoires de Maître Gims

Certains l’adulent, d’autres s’en moquent parce qu’il se serait éloigné du rap hardcore et que, en versant dans les bons sentiments, il est devenu l’idole des enfants blonds et de leurs parents bobos. A 29 ans, Maître Gims, le rappeur aux lunettes noires, sort son autobiographie, «Vise le soleil», pour raconter posément sa vie, expliquer ce qui fait le ferment de son travail, et, au passage, répondre à ses détracteurs autrement qu’en quelques mots sur les réseaux sociaux :

Dans le rap, il y a un débat récurrent entre un tube et un classique : le tube est ce qui plaît au grand public, le classique aux puristes. […]

Je ne suis pas de ceux qui pensent que le rap devrait éternellement sentir le bitume, rester à jamais cloîtré dans un quartier, à se plaindre.»

De fait, qu’il s’exprime au sein de Sexion d’Assaut ou en solo, Maître Gims n’aime rien tant que le métissage musical :

Tout en restant fondamentalement des rappeurs, nous étions fiers de croiser les influences, de la house au reggae, en passant par la musique du monde, la pop urbaine ou la salsa.»

Il rappe, on le sait, mais il chante aussi. Résultat : des millions d’albums vendus, des Zénith à guichets fermés, l’argent qui semble couler de source et un garde du corps pour lui assurer un semblant de tranquillité face à des admirateurs nombreux et fervents. L’histoire de Maître Gims est celle d’une success story, un rêve qui s’est si vite réalisé qu’il se croit encore fragile. «Réunir plusieurs générations me paraît une belle réussite», pense-t-il. Cela durera-t-il ?

Le Zaïre, la France et les squats

Retourner d’où il vient est forcément sa hantise. Redevenir Gandhi Djuna, ce gamin abandonné par la société, promis à l’échec, pour qui la solution la plus rapide et la plus sûre eût été le deal. Il s’y est toujours refusé, même dans les pires moments, même dans les périodes les plus tendues. C’est l’histoire d’un gamin que le rap a sauvé in extremis. La misère, il a connu. Longtemps, il n’a même connu qu’elle, avec son cortège de hontes et de frustrations.

Son autobiographie fait écho à l’actualité : quand la situation est devenue trop dangereuse au Zaïre, son père, Djanana Djuna (musicien de la troupe de rumba congolaise de Papa Wemba), n’a pas longtemps réfléchi : il a emmené sa femme et leurs quatre enfants.

Mon père n’a pas demandé l’asile politique. Ils sont partis comme ça, avec un peu d’argent, mais pas assez pour faire vivre six personnes dans un pays comme la France. […] A un moment, émigrer était devenu une question de vie ou de mort.»

Là-bas, on disait qu’en France on trouvait de l’argent par terre. Ça ne s’est pas vérifié, ce n’était qu’une image. Et, très tôt, Gandhi Djuna est placé à l’orphelinat :

L’arrivée à Forges-les-Bains est restée gravée dans ma mémoire : je pleure, je pleure comme un fou, ravagé de terreur à l’idée que l’on m’abandonne.»

Le reste de sa jeunesse se passe de squat en squat, insalubres et surpeuplés. D’expulsion en expulsion. En famille d’accueil aussi. Dans ces conditions, l’échec scolaire est comme programmé. Gandhi n’en garde que des traumatismes, une période éclairée par des journées créatives au centre de loisirs : le jour où, pour le spectacle de fin d’année, il s’est mis dans la peau de Pavarotti et a chanté devant une foule conquise; le jour où il a interprété M. Jourdain dans «le Bourgeois Gentilhomme».

Je me disais que, finalement, je n’étais peut-être pas bon à rien.»

La musique va le sauver, assez tôt au fond, puisque dès le CM1 il s’inscrit à l’atelier rap qu’animent Yannick et Philippe. On y écrit, on compose, on structure ses morceaux et on écoute les artistes du moment : le Ministère A.M.E.R, Secteur Ä, NTM ou IAM. Le futur Maître Gims y rencontre JR O Chrome, avec lequel il formera Sexion d’Assaut. Mais l’aventure de l’atelier rap s’achève comme toutes les autres : descente de police, expulsion, emménagement dans un autre quartier, perte d’amis et du peu de repères qu’il avait.

Des cages d’escalier au showbiz

Pour mesurer le degré de difficulté que connaît le jeune homme, il faut lire le passage qui décrit son entrée en sixième au collège Jacques-Decour et les années qui s’ensuivent. Pour échapper au chaos qui règne dans sa famille, il passe ses nuits à errer, sans dormir, trouvant refuge dans des cages d’escalier. Le matin, devant les portes du collège, il est vidé :

Au bout d’un moment, j’en suis arrivé à un tel niveau d’incompréhension que, perdu pour perdu, j’ai commencé à sécher.

Il faut dire que débarquer en classe, blême d’épuisement, après une nuit dans la rue, en prétextant avoir laissé mon sac chez un copain et évidemment sans avoir fait le moindre devoir, ne rimait pas à grand chose.»

Le fil rouge de sa jeunesse de misère reste le rap, et les rencontres que cette passion met sur son chemin. Sexion d’Assaut, collectif qui connaîtra bientôt un énorme succès, se construit année après année. Sa foi aussi. Il n’a pas 20 ans quand il prononce la chahada, la profession de foi musulmane. Elle reste un de ses principaux repères alors qu’il est confronté à un autre fléau : la gloire.

Les pages sur l’ascension de Sexion d’Assaut, puis sur sa fulgurante carrière solo, sont assez descriptives, un rien fastidieuses. Les réflexions que Maître Gims en tire à la fin de son autobiographie ne le sont pas du tout. Ses remarques sur l’influence parfois nuisible de la presse (notamment quand le groupe a été accusé d’homophobie) sont passionnantes. Le portrait qu’il dresse de ses fans et de la vie qu’ils mènent, très amusant. La description du show-business, édifiante.

S’il gère sa marque de vêtements et son label, il s’octroie tout de même une pause en 2014, pour de nouveau dialoguer avec Dieu et voir grandir ses enfants, ces «gosses de riche» auxquels il veut inculquer la valeur de l’argent, lui qui à leur âge a souvent eu faim.

Finalement, en reprochant à Maître Gims d’être un rappeur lisse, bourré de bons sentiments, on lui reproche d’être resté Gandhi Djuna, ce migrant venu de Kinshasa dans une France qui ne voulait pas de lui. Et qui, à force de travail, est devenu l’un de ses plus spectaculaires représentants à travers le monde.

Sophie Delassein

Vise le soleil, par Maître Gims, Fayard, 240 p., 18 euros.

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