En Hongrie, une situation intenable

La Hongrie a lâché prise. Comme la Grèce et la Macédoine, elle est désormais impuissante à endiguer le flot de réfugiés : elle les laisse filer vers la frontière autrichienne. Les autorités hongroises ont acheminé des milliers de migrants à bord de quelque 90 bus à la frontière dans la nuit de vendredi à samedi. Et ceux qui sont encore dans le pays sont encouragés à suivre le mouvement. «Samedi matin, la police nous a dit qu’on pouvait partir si on voulait», raconte Idrissa Kane, un Sénégalais de 22 ans, qui se trouvait au centre de réfugiés de Debrecen, à l’est du pays, depuis 10 jours. Il a aussitôt pris le train pour la gare de l’Est où il a acheté un billet de train pour la frontière autrichienne. Des centaines de demandeurs d’asile ont quitté d’autres camps et ont, eux aussi, rejoint la gare de l’Est dans la journée de samedi ; si le trafic international reste interrompu, de nombreux trains ont été mis en circulation jusqu’à Hegyeshalom, bourg frontière entre l’Autriche et la Hongrie. De là, on franchit la frontière à pied. «Train bon pour Autriche ? Légal ?», interrogeait un migrant irakien devant des affichettes écrites à la main en anglais et en arabe, mises en place par des bénévoles hongrois, et indiquant les horaires des prochains départs. Dans la gare, pas un seul agent en vue : seule une poignée de policiers affables aiguillaient les centaines de voyageurs vers les quais.

La situation devenait intenable pour les autorités hongroises, débordées: plus de 50 000 migrants sont arrivés pour le seul mois d’août en Hongrie. Vendredi, la crise a atteint son paroxysme lorsque 300 personnes se sont rebellées dans un camp de transit au sud du pays et que 1 500 réfugiés sont partis à pied vers l’Autriche. Le soir même, le gouvernement annonçait qu’il affrétait des bus. «On ne peut pas forcer les gens à s’enregistrer chez nous s’ils ne le veulent pas», reconnaissait Janos Lazar, directeur de cabinet de Viktor Orban, le Premier ministre, ajoutant : «Personne ne nous a aidés, ni l’Union européenne, ni l’Autriche, ni l’Allemagne.»

«Tests»

En vertu des lois européennes les nouveaux arrivants, qui déposent une demande d’asile dès leur entrée en Hongrie, doivent rester dans des centres de réfugiés jusqu’au traitement de leur dossier, ce qui peut prendre plusieurs mois. Mais la grande majorité de ces candidats n’a aucune envie de s’éterniser, et surtout pas dans les spartiates camps hongrois. «Je dormais par terre, et les 3 sandwiches que l’on avait par jour étaient tellement mauvais que je ne mangeais que le pain», raconte Mohammad, originaire de Syrie.

Le gouvernement hongrois a tout fait pour empêcher les demandeurs d’asile de quitter le pays, allant jusqu’à fermer la gare de l’Est dimanche dernier. Mais le lendemain, soudainement, la gare était rouverte, les policiers disparaissaient et les trains pour Vienne et Munich étaient pris d’assaut. Le lendemain, tout aussi inexplicablement, l’accès de la gare était de nouveau bloqué aux migrants. Pourquoi une telle confusion ? Une dizaine de jours plus tôt, la chancelière Angela Merkel avait annoncé qu’elle ne renverrait pas les réfugiés syriens vers le pays par lequel ils étaient rentrés dans l’UE. Alors que ces derniers affluaient en Hongrie, des médias allemands suggéraient que des trains spéciaux pourraient être mis en place entre la Hongrie et l’Allemagne. Confus, perplexe quant aux intentions du pouvoir allemand, et sans doute lost in translation, Viktor Orban a décidé d’ouvrir la gare. «Nous avons fait un test», indique une source proche du gouvernement. En 1989, c’est avec le même pragmatisme que les communistes hongrois avaient «testé» l’ours soviétique, en proposant de désélectrifier le rideau de fer pour protéger les pauvres lapins qui s’y faisaient régulièrement griller.

«On veut l’Allemagne»

Le soir même de l’ouverture de la gare, la chancelière allemande signifiait aux Hongrois qu’ils devaient continuer à enregistrer et garder les réfugiés chez eux. Les autorités hongroises comprenaient qu’elles avaient fait fausse route et bloquaient les quais. Mais le gouvernement de Viktor Orban est largement responsable de la confusion et du chaos qui ont suivi. Il n’a jamais cherché à communiquer aux migrants. «Ils nous ont eus en nous vendant des billets de train ; ils savaient qu’on ne pourrait pas les utiliser», s’indigne Hassan, un Afghan de 25 ans. Comble de l’arnaque, le pouvoir a fait rouvrir la gare jeudi et des centaines de migrants se sont précipités à bord du premier train en partance pour l’Autriche. Mais le train était un leurre car il s’est arrêté près d’un centre de réfugiés. Se sentant trahis, les migrants ont refusé de sortir des wagons où ils sont restés près de 24 heures en criant: «Pas de camp ! On veut l’Allemagne !»«Ce gouvernement hongrois, je ne lui fais plus confiance du tout», assurait Saram Abadi, un informaticien syrien.

La Hongrie se vide vers le Nord mais au sud, l’afflux se poursuit. Samedi, la police hongroise bloquait l’accès d’un village frontalier de la Serbie à 200 Syriens et Irakiens. Au même moment, le parti d’extrême droite Jobbik manifestait devant le ministère de l’Intérieur en demandant le verrouillage complet de la frontière sud. Viktor Orban envisage d’y faire déployer l’armée. Sera-ce suffisant ? Rien n’est moins sûr. Signe du chaos dictatorial qui règne en Hongrie, le ministre de l’intérieur a choisi cette semaine… pour partir en vacances.

Le groupe Téléphone se reforme ? Non mais Allo quoi !

C’était la bonne nouvelle d’hier : Téléphone, le groupe mythique du rock français, se reformait le temps d’un concert. L’événement national aura lieu au Point Ephémère, le 11 septembre prochain, pour une poignée de 300 veinards. Certains l’avaient compris un peu en amont, lorsque Richard Kolinka, le batteur, avait porté sur sa page Facebook ce message énigmatique le 27 août :

Il y a un concert de rock, le 11 septembre au Point Ephémère, à ne pas râter. »

Excellente nouvelle en effet, puisque cela fait bientôt 30 ans qu’on l’annonce régulièrement… et que ça n’arrive pas. Récemment encore, le guitariste Louis Bertignac racontait, à la faveur d’un entretien radiophonique, qu’il avait réussi non sans mal à réunir les trois membres dans ce but. Mais à peine Jean-Louis Aubert aurait ouvert la bouche que Corine Marienneau, l’ancienne bassiste du groupe, lui serait tombé dessus :

Tu n’as jamais été le patron et tu ne le seras jamais. »

Rideau. En 2012, le producteur Gilbert Coullier avait réservé trois Stade de France, mais le projet est tombé à l’eau et Johnny Hallyday avait joué les vedettes de remplacement.

Téléphone le retour ?

Hier, sur RTL, Francis Zégut on nous annonçait donc une nouvelle historique, osons le mot. Sauf que, au risque d’éteindre le feu, de tuer l’enthousiasme béat, de passer pour des mauvais coucheurs ou d’infatigables grincheux, il nous faut le dire : c’est faux. Il n’y a pas plus de reformation du groupe Téléphone, le 11 septembre prochain, que d’apparition du Père Noël dans la nuit du 24.

Parce que le groupe Téléphone, qu’on le veuille ou non, c’est : Jean-Louis Aubert, Louis Bertignac, Richard Kolinka et Corine Marienneau. Qu’on le veuille ou non ! Historiquement, moralement, juridiquement aussi. C’est pourquoi les 300 privilégiés assisteront au concert non pas de Téléphone, mais des Insus-portables. C’est un peu drôle, pas loin du ridicule.

Les Insus tels que présentés sur le site du Point Ephémère (Capture d’écran)

Mais Corine, qui fut tour à tour la compagne de Bertignac puis d’Aubert, est depuis des lustres personna non grata au sein du groupe. Son livre confessions, « Le fil du temps », dans lequel elle énonçait quelques vérités peut-être, du moins sa vision de ses années Téléphone, avait sérieusement déplu à ces messieurs. Les femmes dans le rock, c’est les femmes dans le rap : elles sont rares, voir indésirables.

Coup marketing

Pour information, Aubert, Bertignac et Kolinka se sont déjà retrouvés sur scène ensemble, c’était au Bus Palladium au mois de décembre 2013. Axel Bauer avait sans vergogne remplacé Corine Marienneau. Le Point Ephémère ne sera qu’une resucée du Bus Palladium.

Peut-être faut-il préciser, enfin, que le 20 novembre prochain, la maison de disques Warner projette toute une série de rééditions : l’intégrale des albums, un disque hommage et autres babioles à paraître le 20 novembre. Le concert « historique » du 11 septembre constitue un formidable lancement, un joli coup marketing.

Sophie Delassein

Le père d’Aylan : «Mes enfants m’ont glissé des mains»

La famille d’Aylan Shenu, l’enfant retrouvé mort, mercredi, sur la plage à Bodrum (Turquie), avait désespérément tenté de trouver asile au Canada. Sa demande avait été rejetée en juin, selon le quotidien canadien Ottawa Citizen. Selon les médias turcs, trois membres de cette famille de Kurdes syriens, fuyant Kobané, ont péri dans le naufrage d’un bateau surchargé qui tentait de rejoindre l’île de Kos : Aylan, 3 ans, son frère Ghaleb, 5 ans, et leur mère Rihanna, 27 ans.

Au total, treize personnes sont décédées dans le naufrage de deux bateaux. Le père, Abdullah, a survécu, et selon le quotidien canadien, son seul souhait désormais est de ramener leurs corps à Kobané, la ville syrienne ravagée par les combats, de les y enterrer, avant de s’y enterrer lui-même.

A Vancouver, c’est Teema, la sœur d’Abdullah, une coiffeuse établie au Canada depuis vingt ans, qui avait tenté de les faire accepter comme réfugiés. Sans succès. Le journal affirme que les autorités turques sont responsables de ce rejet, car elles auraient refusé de délivrer les autorisations de sortie nécessaires. «J’ai essayé de les parrainer, des amis et des voisins m’ont aidée en offrant des garanties bancaires, mais on n’a pas pu les faire sortir, et c’est pourquoi ils sont montés dans ce bateau», affirme Teema.

Abandon des passeurs

Selon Jenan Moussa, une journaliste de la chaîne de télé Al Aan TV basée à Dubaï, le père était barbier à Damas, puis avait fui en Turquie, mais faute de moyens pour vivre, il «rêvait d’un avenir au Canada», écrit-elle sur son compte Twitter, en affirmant tenir ses informations de différentes sources contactées à Kobané.

La famille a donc tenté sa chance. Ils se sont retrouvés sur un bateau de 5 mètres transportant douze personnes. Quand la mer est devenue mauvaise, «les passeurs turcs ont quitté le bateau, laissant les passagers à leur sort». Le navire a chaviré au bout d’une heure. «La famille s’est alors accrochée au bateau. Abdullah a essayé de retenir ses deux enfants et sa femme, mais un par un, ils ont été emmenés par les vagues», poursuit la journaliste. Le père, seul survivant de la famille, a passé trois heures dans l’eau avant d’être récupéré par les gardes-côtes grecs.

«Nous avions des gilets de sauvetage mais le bateau a subitement chaviré parce que des gens se sont levés. Je tenais la main de ma femme. Mais mes enfants m’ont glissé des mains», a raconté Abdallah Shenu à l’agence de presse Dogan, citée par l’AFP.

Photographier pour «refléter le drame de ces gens»

«Il faisait noir et tout le monde criait. C’est pour ça que ma femme et mes enfants n’ont pas pu entendre ma voix. J’ai essayé de nager jusqu’à la côte grâce aux lumières mais je n’ai pas pu retrouver ma femme et mes enfants une fois à terre. Je suis allé à l’hôpital et c’est là que j’ai appris la mauvaise nouvelle.»

La famille avait emprunté de l’argent pour payer des passeurs, mais les premières tentatives ont échoué. «La première fois, les gardes-côte nous ont arrêtés. Nous avons été libérés plus tard». La deuxième fois, «les passeurs nous ont fait faux bond et ne sont jamais venus nous chercher avec leur bateau», a expliqué Abdallah. Pour la troisième fois, ils ont, avec d’autres «récupéré un bateau et essayé de traverser seuls». Avec le résultat que l’on connaît.

Nilüfer Demir, la photographe de l’agence de presse privée Dogan qui a pris le terrible cliché d’Aylan inanimé sur la plage a témoigné sur la chaîne d’information CNN-Türk : «Quand je l’ai vu, je suis restée figée, glacée. Il n’y avait malheureusement plus rien à faire pour cet enfant. J’ai fait mon métier». Avant d’ajouter : «En les photographiant [avec le corps de son frère ndlr], j’ai simplement voulu refléter le drame de ces gens».

Agriculteurs: le gouvernement ne comble que la FNSEA

A Paris, jeudi. (Photo Edouard Caupeil)

Sur les prix, l’une des principales préoccupations des éleveurs, le Premier ministre a promis la fermeté du gouvernement, affirmant que le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, maintiendra «la pression pour que les engagements de hausses de prix annoncés par les industriels et les distributeurs soient tenus». «Tout le monde doit respecter les règles du jeu, avec une juste rémunération pour chacun», a-t-il ajouté. Enfin, sur le volet des normes environnementales, le gouvernement a décrété une «pause» dans la prise de mesures nationales jusqu’à février 2016. «Le but est d’associer très en amont les professions agricoles à la définition des mesures qui les concernent directement», a déclaré Manuel Valls, souhaitant mettre fin aux «surtranspositions» de normes françaises et européennes.

Oliver Sacks, le « neurologue romantique », est mort

Le neurologue et écrivain britannique Oliver Sacks est mort ce dimanche 30 août à New York, où il résidait. Il avait 82 ans. En février, il avait révélé qu’il souffrait d’un cancer. Le succès de ses livres a fait de lui l’un des médecins les plus célèbres du monde. Dans «l’Homme qui prenait sa femme pour un chapeau», «l’Eveil» ou «Un anthropologue sur Mars», il a réveillé le genre du «récit clinique» cher à Freud et aux médecins du XIXème siècle, et avait mis son expérience à la portée du grand public.

Dans une langue élégante et décontractée, avec un art consommé de la mise en scène et de la narration, il racontait ses patients: un peintre qui a perdu la perception des couleurs, un homme atteint d’agnosie visuelle qui ne peut identifier que des formes géométriques simples et ne peut donc pas reconnaître un visage, un chirurgien parcouru de tics qui disparaissent quand il opère.

Ces tableaux et ces portraits partent d’un dysfonctionnement du cerveau, d’un dérèglement de la machine perceptive ou cognitive. Sacks était visiblement touché par l’étrange humanité de ses patients. Avec tendresse et humour, il montrait comment ceux-ci se débrouillaient pour vivre avec leur syndrome. Et il nous apprenait beaucoup sur nous-mêmes. Marcher, sentir, voir, entendre : Sacks explique en quoi ça consiste, grâce à ceux qui n’y parviennent pas. Il appelait cela de la «neurologie romantique».

Dans d’autres livres, comme «l’Ile en noir et blanc» ou «Des yeux pour entendre», il se faisait l’ethnologue du peuple des déréglés, étudiant la culture et les pratiques collectives produites par la surdité ou les troubles visuels. Oliver Sacks s’est aussi plusieurs fois auto-étudié. Dans «Sur une jambe», il racontait les séquelles d’un accident après lequel il avait été persuadé que sa jambe blessée n’existait plus. Dans «l’Oeil de l’esprit», il parlait de ce mélanome oculaire qui lui a fait perdre la vision de l’œil droit.

Il a vendu des millions de livres à travers le monde. Il disait recevoir environ dix mille lettres par an. Il répondait systématiquement aux enfants, aux vieillards et aux prisonniers. Il restera comme l’un des hommes les plus sympathiques de nos bibliothèques. Chez lui, la science et l’art se regardaient mutuellement. Il était un de ces humanistes complets qui refusent de séparer les sciences dures et les sciences humaines. On lui tire notre chapeau.

David Caviglioli

Millénium 4: mission accomplie

Tout inconditionnel de la trilogie est sur ses gardes. Intraitable, prêt à torpiller le successeur du regretté Stieg Larsson au moindre contre-sens, dès la plus petite trahison. Et puis rien de cela n’arrive. Bien au contraire. Dès les premières pages, on sait que la mission a priori impossible consistant à donner une suite à «Millénium» et confiée à David Lagercrantz, auteur suédois réputé, est une réussite. Alors on avance dans le livre avec l’impatience caractéristique qui prélude aux retrouvailles attendues. Avec le plaisir aussi de ne pas savoir qui sera de la fête – Erika Berger bien sûr, l’inspecteur Bublanski et Sonja Modig, pour ne citer qu’eux. Passé quelques pages, le nouveau «Millénium» a déjà le pouvoir hypnotique des trois autres.

«Ce qui ne me tue pas» s’ouvre par un petit matin d’hiver à Stockholm. Mikael Blomkvist, toujours journaliste, toujours à la tête de sa revue d’investigation «Millénium», a trois ou quatre ans de plus que dans «la Reine dans le palais des courants d’air» (tome 3). Il est en petite forme. Il est devant sa machine à café, une Jura Impressa X7 et regarde passer un cappucino extra fort. Il a lu jusque tard dans la nuit un polar d’Elizabeth George, après un week-end passé avec un autre polar d’Elizabeth George et quelques numéros du «New Yorker», à l’abri de la pluie glacée qui s’abat continument sur la ville. L’intrigue s’égrène au fil de courts chapitres habilement ordonnés selon le calendrier – Début novembre, le 20 novembre, le soir du 20 novembre, le 21 novembre – sous un violent climat norvégien, des vents de 100 kilomètres par heure, une température à moins dix.

Mais pour l’heure, Blomkvist se passerait bien d’aller à la réunion prévue ce matin-là. Contre son avis, on vient de vendre 30% des parts de «Millénium». Un représentant du nouvel actionnariat s’est invité devant la rédaction. Le type, Blomkvist le voit déjà, son manque d’inspiration, son discours de normopathe, son envie mal dissimulée de bazarder l’héritage et les enquêteurs de son espèce, indifférents aux réseaux sociaux et à la «conversion au numérique». Faire plus jeune et plaire aux annonceurs, disent-ils. Oui, mais avec un produit de plus en plus insipide ; pas de quoi quitter son lit avec extase. En même temps, il doitbien l’admettre: son journal est menacé, les ventes chutent, les revenus publicitaires aussi. Lui-même, «Super Blomkvist» comme l’appellent encore les habitués du bistrot d’en bas de chez lui, n’a pas été foutu de faire un scoop depuis la retentissante affaire Zalachenko (Millénium 3).

C’est alors que la chance, cette composante essentielle du talent, s’offre a lui sous les traits d’un gringalet au cheveu plat qui lui donne rendez-vous au bistrot d’en bas justement. L’inconnu a les yeux explosés de ceux qui passent leur vie en tête à tête avec un écran plat. Linus, c’est son nom, a été quelques temps l’assistant de Franz Balder, autorité mondiale à la pointe du concept de la «singularité technologique», selon laquelle l’intelligence des ordinateurs dépassera bientôt celle de l’homme (concept à ce jour hypothétique, mais tout de même). Le risque en serait ni plus ni moins que la perte du contrôle de l’homme sur son destin. Or ce Balder se cloitre chez lui avec cameras de surveillance dans sa luxueuse résidence stockholmoise, complètement parano, après un passage écourté dans une start-up de la Silicon Valley travaillant sans relâche sur ces questions d’intelligence artificielle (IA). Le jeune homme craint pour la vie du savant. A l’évidence Franz Balder en sait trop, beaucoup trop.

Par ailleurs, mais sans doute est-ce lié, une inquiétante gothique à la mine sombre et aux manières discutables a fait intrusion chez Linus il y a trois jours, poussé le jeune homme sur son palier le temps d’expertiser son ordinateur et de balancer un laconique «On vous a eu», avant de disparaitre dans la nature. Lisbeth Salander n’est pas loin, dirait-on, l’affaire est sérieuse. Depuis combien de temps ne l’a-t-il pas revue? Blomkvist sait qu’elle craque régulièrement son ordinateur. C’est sa façon à elle de prendre des nouvelles. Aussi leurs retrouvailles auront-elles en préambule ce mot déposé par Blomkvist dans sa propre console à l’attention de la hackeuse virtuose: «Que faut-il penser de l’intelligence artificielle de Franz Balder ?» Ainsi démarre «Millénium 4».

Très finement, David Lagercrantz transpose l’univers de Stieg Larsson dans l’après-Snowden. Pour son scénario, le successeur a longuement consulté quelques grandes têtes chercheuses du moment, comme Andreas Strömbergsson, professeur de mathématiques à l’université d’Uppsala ou David Jakoby chercheur en sécurité au Kaspersky Lab.

Intitulé «la Fille dans la toile du web» dans les pays anglo-saxons, «Ce qui ne me tue pas» s’articule autour de la guerre silencieuse entre Google et la N.S.A., la National Security Agency, et d’autres groupuscules plus obscurs encore. Tous sont polarisés par le développement de l’ordinateur quantique, lequel marquerait l’avènement de l’AGI, l’artificial general intelligence et la perspective d’ordinateurs qui s’autoperfectionnent à un rythme fou, et dont l’intelligence pourrait devenir des millions de fois supérieure à celle de l’homme, sans qu’il soit même possible d’en imaginer les conséquences.

Dans «Millénium 4», cette compétition est elle-même surveillée par la Hacker Republic, composée de génies qui, loin de tout piratage puéril, estiment urgent de surveiller ceux qui nous surveillent:

Ils savaient tous mieux que quiconqueà quel point la N.S.A. avait gravement outrepassé ses pouvoirs ces dernières années. Aujourd’hui l’organisation ne se contentait pas de mettre sur écoute les terroristes, ou tout individu représentant un risque potentiel pour la sureté, ou encore les potentats, chefs d’Etat et autres. Il surveillait quasiment tout (…) et pénétrait de plus en plus dans la vie privée de chacun. Evidemment personne au sein de Hacker Republic ne pouvait se vanter d’être un exemple dans ce domaine. Un hacker était par définition un individu qui dépassait les bornes pour le meilleur et pour le pire (…). Aucun d’entre eux n’aimait l’idée que les piratages informatiques les plus graves et lesplus dénués de scrupules étaient commis, non par des rebelles solitaires ou des hors la loi, mais par des géants au sein de l’Etat.»

En plus de reprendre le flambeau de l’heroic piratage, David Lagercrantz active habilement un autre ressort central de la série: la fascination pour le syndrome d’Asperger de Lisbeth Salander, une forme supérieure de l’autisme perçu par le lecteur comme un surdon à la fois très enviable et totalement empoisonné. Entre en scène dans «Millénium 4» un autiste-savant de 8 ans, en l’occurrence le fils de Hanz Balder, étrange et adorable enfant absorbé par les courbes elliptiques et la factorisation des nombres premiers. (On découvre à a cette occasion que Lagercrantz a beaucoup lu Oliver Sacks et «l’Homme qui prenait sa femme pour un chapeau».) L’enfant a des tueurs d’élite a ses trousse, car son exceptionnelle mémoire photographique a enregistré ce qui n’aurait pas du l’être. Le face-à-face au cours d’une cavale nocturne mémorable entre Lisbeth et son double enfantin offre un prétexte à évoquer les jeunes années d’une héroïne devenue mutique par peur phobique de la trahison, et de faire entrer dans l’histoire sa soeur jumelle. Simplement évoquée dans la trilogie, Camilla va amplement (et macabrement) rattraper le temps perdu.

L’inquiétude collective au sujet des nouvelles technologies, de l’avènement d’un monde orwellien où les frontières entre le normal et le criminel s’estompent est telle que ce livre devrait frapper les esprits. Comme Stieg Larsson, David Lagercrantz opère avec son duo baroque à nouveau réuni une traversée radicale des apparences, dans «un monde malade, comme dit l’inspecteur Bublanski, un monde où l’individu paranoïaque est le plus sain d’esprit». Ce qui, au fond, est le fil conducteur de «Millénium».

Anne Crignon

Millénium 4. Ce qui ne me tue pas,

par David Lagercrantz,

traduit du suédois par Hege Roel-Rousson,

Actes Sud, 500 p., 23 euros (en librairies le 27 août).

A lire dans notre dossier « Millénium »

> Exclusif. Voici un extrait de « Millénium » 4

> « Je me sens complètement inutile » : les doutes de l’auteur de « Millénium » 4

> « Pour traduire ‘Millénium’ dans un secret absolu, je devais utiliser deux ordinateurs »

> Ce que nous dit « Millénium » sur le journalisme du XXIe siècle

> Stieg Larsson avait-il élucidé le meurtre d’Olof Palme?

> Enquête. Le boom du polar polaire

> Enquête. Comment est née la Milléniumania

> L’interview exclusive accordée par Daniel Poohl, ami de Larsson, auquel il a succédé à la tête d' »Expo »

> Comment « Millénium » m’a envahie, par Florence Aubenas

> Polémique. Les bourdes de « Millénium »

Migrants : à Calais, Valls veut montrer que la France n’est pas passive

Le Premier ministre, Manuel Valls, se rend ce lundi à Calais, un des lieux emblématiques de la crise des réfugiés, où sera abordée la question de la coopération avec le Royaume-Uni, avant une réunion européenne dite «d’urgence» le 14 septembre.

Le Premier ministre, accompagné de son ministre de l’Intérieur et de deux commissaires européens – le vice-président Frans Timmermans et le commissaire chargé des questions migratoires, Dimitris Avramopoulos – visitera notamment dans la matinée le centre d’accueil Jules Ferry, qui jouxte «la jungle» où vivent des milliers d’hommes et de femmes tentant de rejoindre l’Angleterre.

Dimanche, devant les militants socialistes en clôture de l’université PS à La Rochelle, Manuel Valls, sans renoncer à une exigence de «fermeté», avait insisté sur le besoin d’«humanité» et de «responsabilité» à l’égard des migrants. Les migrants qui «fuient la guerre, les persécutions, la torture, les dictatures, doivent être accueillis (…) traités dignement, abrités, soignés», a déclaré le Premier ministre.

A l’appel de Berlin, Londres et Paris, les ministres de l’Intérieur de l’Union européenne se réuniront le 14 septembre «pour avancer concrètement» face à la crise migratoire, alors que l’Europe peine à trouver des solutions à l’afflux de réfugiés, syriens notamment.

L’Italie, qui est avec la Grèce et la Hongrie parmi les pays où arrivent le plus de migrants, a annoncé son intention de faire de la création d’un droit d’asile européen «la bataille des prochains mois». Pour Manuel Valls, il s’agit, «en pleine crise des migrants», de montrer «que le gouvernement est mobilisé et que la France est à l’initiative avec l’Allemagne», a souligné auprès de l’AFP son entourage.

«Fermeté» sur l’immigration économique irrégulière

En contrepoint, le Premier ministre devrait toutefois afficher sa «fermeté» vis à vis de l’immigration économique irrégulière. «Face à cela, il faut des règles strictes, la plus grande intransigeance pour lutter – et je pense à Calais, et la coopération franco-britannique – contre les passeurs, les trafiquants d’espoir qui se repaissent de la misère humaine», a-t-il dit à La Rochelle.

En fin de matinée, le Premier ministre doit visiter le site d’Eurotunnel à Coquelles (Pas-de-Calais), où de nouvelles barrières visant à bloquer les migrants tentant de pénétrer dans le tunnel sous la Manche ont été installées début août, aux frais des Britanniques.

Des renforts policiers et sécuritaires ont également été annoncés dans le cadre de l’accord franco-britannique signé le 20 août par Bernard Cazeneuve et son homologue Theresa May. Manuel Valls rendra d’ailleurs visite aux forces de l’ordre dans l’après-midi, à la fin de sa visite.

Eurotunnel a dénombré jusqu’à 2 000 tentatives d’intrusion par nuit fin juillet, avec plusieurs morts au cours de l’été. Manuel Valls tiendra également une conférence de presse commune avec Frans Timmermans à la sous-préfecture de Calais à la mi-journée, avant une rencontre avec des associations d’aide aux migrants.

L’une d’entre elles, Passeurs d’hospitalité, a d’ores et déjà dénoncé dans un communiqué un «exercice de communication», visant à «montrer qu’on fait quelque chose alors qu’on ne répète que les mêmes recettes».

Cantines scolaires : 100 000 signatures pour les menus végétariens

Si la loi se faisait à coup de pétitions en ligne, cette rentrée scolaire marquerait la franche victoire du menu végétarien. A la veille des rentrées des classes, mardi, la pétition lancée par le député UDI de Seine-et-Marne Yves Jégo, qui veut rendre obligatoire l’alternative végétarienne dans les cantines, pour en finir avec ce sujet «otage de tous les extrémismes», en proposant «une porte de sortie où chacun peut s’y retrouver dignement, sans être stigmatisé» comptabilisait près de 100 000 signatures. A l’inverse, la contre-attaque de Gilles Platret, lui aussi sur le site Change.org, a récolté nettement moins de succès, et peinait à dépasser les 3 300 soutiens. Le maire de Chalon-sur-Saône avait lancé son propre texte à la suite de la pétition du député UDI, plaidant qu’une alternative végétarienne restait, au fond, une alternative, et donc soutenait les «revendications communautaristes de plus en plus fréquentes dans notre société».

«Education au goût»

Mais en plus de porter atteinte à une «laïcité bafouée», le menu sans viande était attaqué pour son manque de soutien patriotique à la filière porcine dans la difficulté. Crise des éleveurs en toile de fond, Gille Platret accuse l’alternative de «porter frontalement atteinte à la filière française de l’élevage, qui traverse une crise sans précédent et que nous devons soutenir par une éducation au goût». Et Stéphane le Foll d’en rajouter une couche : à bout de nerfs au bout de trois semaines de crise des éleveurs, le ministre de l’Agriculture s’en est pris au député UDI en 140 caractères.

Soutenir l’#élevage français avec un menu végétarien obligatoire à la cantine : c’est le programme d’@yvesjego. Soyons cohérents !

— Stéphane Le Foll (@SLeFoll) August 17, 2015

En attendant, si Yves Jégo – n’en déplaise au maire de Chalon et au ministre de l’Agriculture – semble avoir gagné la bataille de la mobilisation 2.0, les élèves de la cité de Nicéphore Niépce n’auront plus le choix dans les cantines dès demain. Dans les faits, la question ne se pose pas encore de façon trop aiguë, puisque la mairie n’a prévu aucun menu contenant du porc jusqu’aux vacances de la Toussaint, à l’exception d’une entrée le 15 octobre. Saisi par une association musulmane, le tribunal administratif de Dijon a d’ailleurs invoqué cette raison pour rejeter un référé, estimant qu’il n’y avait pas d’urgence à statuer. Mais Yves Jégo, lui, n’en démord pas et il a annoncé le dépôt d’une proposition de loi destinée à rendre obligatoire un menu végétarien «en alternative au menu quotidien». Il a déjà reçu un large soutien politique, de son parti jusqu’aux écologistes. 

ONPC : Michel Houellebecq martèle ses reproches au « Monde »

L’écrivain Michel Houellebecq, qu’une polémique oppose au « Monde » depuis la parution d’une série de six articles cet été, a surtout reproché à la journaliste Ariane Chemin d’avoir publié sa correspondance privée, lors de l’émission « On est pas couché » présentée sur France 2 par Laurent Ruquier samedi 29 août.

Je n’aime pas du tout qu’on publie ma correspondance privée », s’est insurgé l’écrivain, martelant : « pas de photos, pas ma correspondance privée, le reste je m’en tape ».

Il a répété combien il regrettait de n’avoir pas porté plainte plus tôt, « quand des photos ont été publiées il y a dix ans » et a annoncé qu’il voyait son avocat « demain ». L’émission a été enregistrée jeudi soir.

Dans son enquête, publiée en série au mois d’août, Ariane Chemin rend public un mail que lui a adressé Michel Houellebecq, dans lequel il indique : « je refuse de vous parler et je demande aux gens que je connais d’adopter la même attitude ». Le mail est notamment mis en copie à Bernard-Henri Lévy, Michel Onfray et Frédéric Beigbeder. Houellebecq leur donne également pour consigne, si le journal venait à persister, de « porter plainte au civil ».

Après les attentats, « j’écrirais pire »

Les animateurs du talk show, Laurent Ruquier, Léa Salamé et Yann Moix, ont longuement interrogé Michel Houellebecq en présence des autres invités (Muriel Robin, François Berléand …) mais en l’absence de Christine Angot, qui a refusé de partager le plateau avec lui et s’est éclipsée à son arrivée.

Houellebecq a rendu un hommage appuyé au livre de Boualem Sansal « 2084 », qui décrit « un vrai totalitarisme islamique », tandis que son propre ouvrage « Soumission » évoque « un régime islamiste doux », a-t-il dit. A la question de savoir s’il aurait écrit différemment son livre après les attentats de janvier, il a répondu : « Ah non j’écrirais pire. »

Dans le futur, « écrire un gros livre » est « toujours mon fantasme, ça me maintient en vie », a-t-il confié.

Michel Houellebecq, un des auteurs français les plus lus à l’étranger, s’est multiplié sur la scène culturelle et médiatique ces dernières années, abordant poésie, essais, chanson, photo et même cinéma l’an dernier avec « L’Enlèvement de Michel Houellebecq » de Guillaume Nicloux, et « Near Death Experience », de Gustave Kervern et Benoît Delépine. Il a tourné cet été avec la rock star Iggy Pop un documentaire, « Rester vivant », à partir d’un de ses recueils de poésie. Il s’est confié longuement dans une série publiée cet été par le « Figaro Magazine ».

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