« Elle a quelque chose de plus », remarqua John Kennedy, désignant une affiche « Jayne Mansfield for President », à New York. En effet : la « bombe blonde » était capable de jouer du violon ou du piano, mais ce n’était (probablement) pas là le propos de JFK. Avec sa silhouette en forme de sablier, ses soupirs de chatte, ses poses suggestives et ses yeux langoureux, Jayne Mansfield fit rêver tous les pères de famille des années 1950 : elle pouvait prendre une douche sans se mouiller les pieds et servir un martini (ou deux) sur son décolleté.
Idole des camionneurs et des gays, caricature d’elle-même, la jeune femme se transforma peu à peu en personnage de cartoon, marchant à petits pas sur des mules à talons surélevés, et en inventant les « accidents vestimentaires » qui mettaient le feu aux joues de ses interlocuteurs et faisaient le bonheur des paparazzi.
D’un regard, elle pouvait transformer un digne parlementaire en bouffon bégayant ou modifier une virgule en point d’exclamation. Dans « la Blonde explosive », le film de Frank Tashlin, un livreur, tenant une bouteille de lait, la regarde : le lait se met à bouillir, et le bouchon saute.
Du rose, du rose, encore du rose
Elle se promenait dans une Cadillac rose, s’habillait en rose, avait une piscine rose, une fontaine rose et devant sa maison – toute rose – on ne comptait plus les carambolages (les automobilistes ralentissaient).
Dans les milieux du cinéma, on la jalousait (une célèbre photo avec Sophia Loren en dit long), et, chez les culturistes, on l’adorait (c’était réciproque).
Jayne Mansfield aurait voulu être considérée comme une actrice sérieuse – elle joua même dans une pièce d’Eugène O’Neill, « Mort d’un commis voyageur » –, un peu comme si Zahia était à l’affiche d' »En attendant Godot ». L’affaire fut néanmoins un succès : les spectateurs s’en foutaient du commis voyageur. Mais ils aimaient bien les scènes où l’actrice se penchait sur le bonhomme, c’est-à-dire souvent…
Les lycéens collectionnaient ses photos. Accusée de pervertir la saine jeunesse américaine, elle prétendait simplement que « la chasteté peut se soigner, à condition d’être prise à temps », et donnant ainsi tout son sens au mot « pin-up ».
De Miss Nuisette à Miss Autoroute…
Vera Jayne Palmer naît en 1933 à Bryn Mawr (Pennsylvanie), la ville la plus universitaire et la plus huppée des Etats-Unis, mais la petite fille est élevée à Dallas, la cité la plus bigote et la plus intolérante du pays. Son papa, avocat, victime d’une crise cardiaque rend son âme à Dieu, et sa maman, institutrice, se remarie rapidement. A 12 ans, la petite Jayne manifeste déjà de remarquables talents en collectionnant des petits cœurs en carton et, à 16 ans, découvre l’amour sur la banquette arrière d’une Oldsmobile.
Elle se marie à 17 ans, enceinte de trois mois. Les concours de beauté lui ouvrent la voie de Hollywood : elle est élue Miss Nuisette, Miss Pull-Over, Miss Le-Dernier-Pour-La-Route (je ne rigole pas), Miss Analgésine, Miss Contact électrique, Miss Station Service, Miss Autoroute, Miss Hot Dog, Miss Tomate du Texas, Miss Chihuahua (elle en achète quatre), et Miss Faites-moi-le plein (authentique)… Elle tente de poser pour des maillots de bain, mais ses courbes trop… courbes frisent l’attentat à la pudeur et la jeune fille est refusée. A l’époque, on ne plaisantait pas avec la morale.
« Female Jungle »
L’Amérique des fifties, obsédée par le sexe, est encagée par les ligues de décence, les comités contre la perversion, les associations de promotion du puritanisme. Et puis d’autres starlettes blondes et craquantes font leur apparition : Diana Dors, Anita Ekberg, Mamie Van Doren, Marilyn Monroe… Pour les fêtes de fin d’année, Jayne Mansfield se balade en costume de Père Noël. Les gosses aiment bien. Les papas adorent. Les mamans, pas du tout. Mais » Playboy » interviewe Jayne et celle-ci joue dans un film au titre éloquent : « Female Jungle ». C’est un nanar, elle en fera d’autres. Elle fait aussi des enfants, cinq au total.
Côté vie privée, c’est dense
C’est là que les choses se compliquent. Au cinéma, c’est simple : à part un ou deux films sympas (dont « la Blonde et moi » et « le Cambrioleur »), le reste est assez oubliable. En revanche, côté vie privée, c’est dense : Jayne Mansfield se marie avec l’un des bodybuilders de Mae West, Mike Hargitay, qui se met à la cogner. Elle se jette dans les bras d’Enrico Bomba, un producteur italien au profil de mafioso (« Il me fait l’amour comme une bête »). Il la brutalise un peu. Elle tombe amoureuse de Nelson Sardelli, un chanteur brésilien. Il la maltraite.
Elle se remarie avec Matt Cimber, un metteur en scène de théâtre qui adapte Jean Cocteau. Elle le trompe avec l’acteur Sergio Villagrán, l’acteur de « Los secretos del sexo débil » (tout un programme).
Entre-temps, elle a quelques amants connus, qu’elle fait défiler selon le système des portes tournantes : Oleg Cassini (grand couturier), Steve Cochran (acteur), Tommy Noonan (acteur), Nicholas Ray (réalisateur), Robby Robertson (pilote), Porfirio Rubirosa (playboy), Douglas Olivares (étudiant vénézuélien), Stephen Vlabovitch (bedeau), Raymond Strait (attaché de presse), Greg Bautzer (avocat marron).
Simultanément, elle se convertit au catholicisme, puis au judaïsme, flirte avec le bouddhisme, s’affilie à une secte sataniste, adopte des caniches qu’elle fait teindre en rose.
Elle sombre : alcool, pilules, came
A 30 ans, après cinq grossesses, Jayne Mansfield n’a plus les mêmes arguments de vente. Elle accepte des films imbéciles : « Les Amours d’Hercule », « la Blonde et les nus de Soho », « la Môme aux dollars » et « Mondo Balordo ». Elle sombre : alcool, pilules, came. Elle fait des tournées dans des strip-clubs de province : le Plantation Super à Greensboro (Caroline du Nord) ; le Iroquois Gardens à Louisville (Kentucky).
Minable. Elle joue dans des sitcoms à la télé, lit des poèmes dans des talk-shows, se vante de ses mensurations (117 centimètres de tour de poitrine), enregistre des disques (dont l’inoubliable « Shakespeare, Tchaikovsky & Me »), fait de la publicité pour une marque de champagne (rose, of course). En juin 1967, elle a un engagement dans une boîte de Biloxi, (Mississippi). Elle prend la route dans sa Buick Electra, direction La Nouvelle-Orléans. A deux heures du matin, la décapotable s’encastre sous un tracteur. Jayne Mansfield, le chauffeur et l’amant sont tués. Les enfants, sur la banquette arrière, sont indemnes. Elle avait 34 ans.
Peu avant sa mort, le révérend Billy Graham, le curé le plus avide de publicité des Etats-Unis, avait déploré la notoriété de pareille tentatrice :
Il est lamentable que les hommes connaissent mieux les mensurations de cette dame que le Deuxième Commandement ! »
Jayne Mansfield avait répondu :
Les hommes ? Ce sont des créatures avec deux jambes et huit mains. »
François Forestier
La semaine prochaine, dans » Sex Symbol » : Rock Hudson.