L’architecte Dominique Perrault décroche le prix Praemium Imperiale

L’architecte Dominique Perrault est depuis ce jeudi lauréat du prix Praemium Imperiale dans sa discipline. On a coutume d’appeler ces prix, attribués aussi en sculpture, peinture, théâtre-cinéma et musique, les Nobel de la culture. Pas mal. Mais, interrogé la veille au soir par Libération, l’intéressé a tenu à partager son prix de façon surprenante : «C’est un prix qui célèbre aussi une époque exceptionnelle de la commande publique en France.» «Bébé de la commande publique», selon ses propres termes, Perrault n’aurait jamais décroché le projet de la BNF sans ce biais. «Je n’avais pas de parents architectes, pas d’argent, c’était impossible autrement.» En 1989, cette réalisation a marqué le début de sa carrière.

Reconnaissons que les pouvoirs publics de l’époque, le président François Mitterrand en l’occurrence, n’avaient pas froid aux yeux en choisissant pour un projet aussi énorme un jeune homme de 35 ans qui avait construit, en gros, une école d’ingénieurs à Marne-la-Vallée et un hôtel industriel en bordure du périphérique parisien. Deux bâtiments salués par la critique mais bon… Passer à 250 000 mètres carrés, s’attaquer à un symbole de la France et prendre sur la tête des polémiques entre intellectuels d’une violence inouïe nécessitait une certaine force d’âme. D’autant plus que l’édifice achevé ne va pas calmer les critiques, loin de là. Tout aura été reproché à Perrault : les livres dans les tours, le jardin dans le contrebas, l’entrée introuvable, le parvis qui glisse…

Est-ce qu’on n’avait rien compris ? Peut-être. Il faut regarder aujourd’hui dans les œuvres de Perrault l’université féminine Ewha à Séoul, en Corée du Sud. Le concept d’université «féminine» nous paraît un peu étrange mais à ce détail près, on rêverait d’aller étudier dans cet endroit. «Ce n’est pas un bâtiment, c’est un paysage», résume l’architecte.

L’établissement est enterré, on y pénètre par une gigantesque faille dans le sol, une rue principale, en somme, sur laquelle donnent les salles. «C’est à l’opposé de ce que fait habituellement un architecte en construisant des toits, des murs, explique Perrault. Mais c’est aussi ce qui permet de faire comprendre la bibliothèque.» Egalement semi-enterrée. A Berlin, pour le vélodrome et la piscine olympique, à nouveau, le maître d’œuvre aura creusé le sol.

A quoi reconnaît-on un bon architecte ? Au fait que du passé, il ne fait pas table rase. Depuis vingt ans, Perrault agrandit progressivement la Cour de justice des communautés européennes au Luxembourg. «C’est la seule institution européenne qui s’est reconstruite sur elle-même pendant trente ans.» Il y avait un édifice de 1973. L’architecte en a posé un autre en anneau, poliment, tout autour. «Ces bâtiments ont une histoire qui n’est pas une histoire de locataires», dit-il. Comprendre : ce ne sont pas de banals bureaux. On serait tenté d’ajouter que ce ne sont pas non plus les terrifiantes constructions dont les instances européennes ont constellé Bruxelles.

Dominique Perrault est l’un des architectes qui réfléchissent l’avenir de la métropole dans le cadre de l’Atelier international du Grand Paris. Il est aussi celui qui construira la gare Villejuif-Institut Gustave-Roussy de la future ligne 15 Sud du métro Grand Paris Express. Un métro qui, pour la première fois, note-t-il, «donne lieu à des préoccupations esthétiques, plastiques, à un souci de l’environnement des gares. Cela montre que l’on est en train de sortir d’une conception de tuyau autiste». Ce qui, en France, n’est jamais gagné d’avance.

Une autre Française, la danseuse Sylvie Guillem, a été couronnée lors de cette même session du Praemium. Jusqu’à présent, Jean Nouvel était le seul architecte français à avoir eu ce prix, en 2001.

Sibylle Vincendon

Homo Naledi inhumait ses morts

Les os fossile d'Homo naledi proviennent de 15 individus au moins (John Hawks. Université de Witwatersrand Une nouvelle star apparaît dans le ciel de l’histoire ancienne du genre humain. Une nouvelle espèce du genre Homo, baptisée Homo naledi, découverte dans les grottes dites de Rising Star, à 500 km de Johannesburg en Afrique du Sud.

Naledi pour « étoile » en langage Sesotho. Une espèce encore non datée, mais qui semble remonter aux origines du genre Homo de par ses caractères primitifs. Sauf qu’elle aurait déposé dans cette grotte de nombreux individus dans un geste funéraire ! Un comportement totalement inédit pour une telle ancienneté.

La découverte de cette grotte recelant des fossiles pré-humains remonte à 2013, et est due à deux spéléologues, Steve Tucker et Rick Hunter. Elle excite depuis sérieusement les paléo-anthropologues. Crâne de Homo naledi (John Hawks Université de Witwatersrand)Elle fait l’objet ce matin d’une communication de l’University de Witwatersrand, de la  National Geographic Society et du South African Department of Science and Technology de la National Research Foundation qui présente une première analyse de ces vestiges pour le moins intrigants par une équipe scientifique dirigée par Lee Berger, de l’University de Witwatersrand. Lee Berger est déjà bien connu pour la découverte d’Australopithecus Sediba (lire une note de 2011 sur ce fossile lors de la publication de l’article dans Science avec une interview de Pascal Picq). Des chercheurs de la Max Planck Gesellschaft de Leipzig participent à cette équipe.

Caractères anatomiques

Les restes pré-humains n’ont pas encore été datés (la datation est difficile, car il faut la faire directement sur les os fossiles en l’absence d’autres éléments datables et datant de leur mort), mais ils présentent des caractères anatomiques aujourd’hui bien décrits à la suite d’un workshop organisé en Afrique en mai 2014 auquel 50 chercheurs ont participé. L’abondance des fossiles – plus de 1 500 ossements découverts provenant d’au Pied d'Homo naledi (John Hawks université de Witwatersrand)moins 15 individus différents (enfants, adultes et vieux), mais avec presque tous les os d’un squelette complet – en fait d’emblée l’une des espèces fossiles de pré-humain qui sera la mieux décrite. Il s’agit d’un primate d’environ 1,50 mètres à l’âge adulte, plutôt gracile avec environ 45 kg. Une tête petite, et un cerveau de la taille d’une orange.

Il présente des caractères dont la qualification de « primitifs » et « dérivés » font toujours l’objet de vives discussions entre spécialistes. Homo Naledi possède des pieds ainsi que des jambes, plutôt longues, très adaptées à la marche bipède sur longue distance. Au point qu’un membre de l’équipe décrit les pieds comme « indistinguables » du pied d’un homme actuel.

Les dents et la plupart des os semblent en revanche le rattacher aux plus vieux représentants du genre Homo, voire à un genre antérieur (australopithecus) au vu de ses mains très adaptées à la vie arboricole (les doigts très courbés pour la grimpe dans les arbres et Main d'Homo nadeli (John Hawks Université de Witwatersrand)la suspension aux branches). Au total, il semble plus proche des plus anciens membres du genre Homo (Homo habilis) donc, il y a 2,5 millions d’années.

Mais le plus surprenant dans la découverte, c’est la disposition des ossements. Regroupés dans une partie très difficile d’accès de la grotte, à 30 mètres sous la surface. Exclusifs : à part quelques os d’une souris et d’un oiseau, uniquement des ossements d’Homo naledi. Aucune trace sur les os de l’action d’un carnivore qui aurait tué et dévoré ces êtres ni de charognage après la mort. Comment sont-ils arrivés là, dans une sorte de chambre qui n’a jamais été en contact direct avec la surface ? Les La chambre où les fossiles ont été trouvésscientifiques ont étudié de nombreuses hypothèses, comme un piège naturel, l’action d’un cours d’eau… aucun ne semble fonctionner. Du coup, il ne reste qu’une hypothèse plausible : un acte funéraire ! Sauf qu’un tel comportement serait complètement inédit pour une espèce aussi éloignée dans le temps et l’anatomie des néandertaliens et des hommes modernes pour lesquels ce comportement est clairement identifié il y a près de 100.000 ans au Proche Orient.

Co-existence de nombreux Australopithèques et Homos

Cette annonce vient renforcer la variété des espèces des genres Australopithecus et Homo qui ont co-existé sur une très longue période de temps, faisant de l’unicité actuelle d’Homo sapiens une exception. La plupart de ces espèces ne semblent pas avoir eu de descendants. Mais la nature des relations qu’elles ont entretenues – avec la possibilité ou non d’hybridation – demeure énigmatique. Tout autant que l’intrigante absence dans le registre fossile des ancêtres des chimpanzés et des gorilles, les espèces actuelles les plus proches des hommes.

L'équipe de spéléologues qui ont récupéré les os fossilesIntrigante, car elle conduit à se demander si elle ne proviendrait pas du « classement » plutôt que de la réalité, les paléo-anthropologues étant trop obnubilés et guidés par la volonté de retrouver le cheminement de la lignée qui conduit à l’homme actuel. Certains d’entre eux soupçonnent un biais qui ferait qualifier de « primitif » tout caractère faisant penser aux chimpanzés et aux gorilles, ce qui, selon eux (Pascal Picq notamment) constitue une erreur de raisonnement. Les chimpanzés et les gorilles sont en effet tout aussi « évolués » relativement à leurs ancêtres d’il y a 6 millions d’années – l’époque où les lignées conduisant aux hommes et aux grands singes sont censées se séparer selon la biologie moléculaire –  que les hommes actuels vis à vis de leurs ancêtres.

Lee Berger sur le site archéologique (Université de Witwatersrand)Du coup, un caractère jugé aujourd’hui primitif, comme l’adaptation à la vie arboricole, parce qu’ils le portent, pourrait tout aussi bien être un caractère « dérivé », apparu récemment dans leurs lignées. La situation est d’autant plus compliquée que les possibilités d’hybridation entre espèces non totalement séparées, avec une descendance fertile, est très délicate à mesurer ou à écarter. La proposition iconoclaste de certains chercheurs de réunir en une seule espèce, sous le nom d’Homo erectus, un grand nombre d’espèces aujourd’hui considérées comme séparées montre bien la difficulté de l’affaire.

Ce débat encore confus ne pourra être tranché qu’avec la mise au jour des ancêtres des chimpanzés et gorilles, soit sur le terrain, par des découvertes, soit… dans les collections actuelles des fossiles qui remontent à la période de séparation des deux lignées, il y a environ 6 millions d’années.

► La découverte d’Australopithecus Sediba.

► Tous les Homo seraient erectus.

D’autres notes de préhistoire sur le blog:

► Néanderthal aurait copié Cro-magnon.

► La datation à 42.000 ans d’un Cro-Magnon britannique contestée. Cette datation était évoquée dans cette note.

► Une nouvelle manière d’envisager notre ancêtre: « Cro Magnon n’a jamais fait la révolution ».

► La science sous le film sur la Grotte Chauvet.

Par Sylvestre Huet, le 10 septembre 2015

Joann Sfar : « Je suis un peu une Bridget Jones »

« Tu n’auras pas d’autre dieu que moi », tome 6 du Chat du Rabbin, et « Je t’aime ma chatte » des Carnets. Deux sorties. Deux nouveaux albums en un coup de maître du scénariste, dessinateur et réalisateur Joann Sfar. Si ces deux bandes dessinées sont très différentes, elles se rejoignent sur un point : le célibat. Les personnages philosophent sur le manque d’amour et la tristesse autour de cette solitude. Et à l’occasion de ces deux nouveautés, l' »Obs est allé interviewé Joann Sfar. Reportage.

Keanu Reeves : « Hors du boulot, ma vie est très terne »

De Keanu Reeves, on pourrait vous dire tout ce qui s’écrit depuis des années sur lui à longueur d’articles. Que son prénom en dialecte hawaïen signifie « brise fraîche sur la montagne ». Que ce n’est pas le plus grand acteur du monde (la litote en dit long). Qu’il est sympa mais si nonchalant et peu loquace en interview que bonne chance à celui qui tenterait de cerner ce que cache son doux et triste regard de moine shaolin fumeur de joints.

Keanu Reeves a marqué une génération. Il fallait voir l’excitation des fans ce week-end au Festival de Deauville où l’acteur était présent pour recevoir un hommage et présenter son nouveau film, « Knock Knock » d’Eli Roth (sortie le 23 septembre). Dans ce dernier, Reeves interprète un père de famille et époux modèle qui, seul chez lui durant un week-end, se retrouve la proie de deux lolitas sexy qu’il a eu le malheur d’abriter le temps d’une averse. Il est loin le Johnny Utah de « Point Break », le Néo de « Matrix », le tapin rebelle et sans cause de « My Own Private Idaho ». L’acteur, qui vient de fêter ses 51 ans, incarne désormais les pères de famille. Mais un père architecte et ex-DJ harcelé par deux bimbos chaudes comme la braise qui se transformeront, la nuit passée, en d’affreux « gremlins » fouteurs de souk. Cool un jour, cool toujours, Keanu.


Comment s’est passé l’hommage que vient de vous rendre le Festival de Deauville ?

– Très bien. Je ne savais pas de quoi parler sur scène et je me suis dit que, quitte à lancer une rétrospective sur ma carrière, autant parler de mes débuts. Et des films pour lesquels, jeune acteur, j’ai passé des auditions sans être pris. Comme « la Folle Journée de Ferris Bueller ».

Quel est le film qui a tout changé pour vous, celui à partir duquel vous vous êtes dit « ça y’est, je suis acteur » ?

– J’ai eu la chance de connaître plusieurs tournants. D’abord, avec « River’s Edge », mon premier tournage aux Etats-Unis. Un film formidable, bien accueilli par la critique, qui m’a ouvert de nombreuses portes. « Point Break », ma première incursion dans le cinéma d’action, fut aussi déterminant. C’est grâce à son succès que j’ai pu faire « Speed » par la suite. Et sans « Point Break », on ne m’aurait pas proposé « Matrix ».

Vous avez travaillé très tôt avec de grands cinéastes : Stephen Frears sur « les Liaisons dangereuses », Bertolucci sur « Little Buddha », Coppola sur « Dracula », Gus Van Sant sur « My Own Private Idaho »…

– … Ron Howard.

(Rires) Ceci dit, « Portrait craché d’une famille modèle », dans lequel vous jouez, fait partie de ses meilleurs films.

– C’est un film fantastique.

Qu’avez-vous appris de chacun de ces réalisateurs ?

– Hum ! Mon Dieu ! C’est… ! Ils ne m’ont pas donné de conseils à proprement parlé mais on apprend de l’expérience, du travail à leur côté. Avec Gus Van Sant, ce fut la première fois que je vivais en communauté avec mes partenaires. Nous habitions tous, les principaux acteurs du film, dans la maison de Gus. Il y régnait un esprit de camaraderie unique. On ne se quittait pas, c’était « la vie imite l’art ».

Il s’est dit que vous meniez une vie de débauché.

– C’était fou.

C’est-à-dire ?

– Disons qu’on s’occupait comme on pouvait.

Jusque tard dans la nuit ?

– Jusque tard dans la nuit…

Et Gus Van Sant a dû déménager parce qu’il n’arrivait pas à dormir.

– River [Phoenix, ndlr] a déménagé. Gus, je ne me souviens plus.

Vous jouiez de la musique, tentiez des expériences ?

– Ouais… Peu importe… On passait du bon temps tous ensemble. C’est comme les troupes de cirque : vous vivez comme une famille pendant un temps puis arrive le moment où vous devez vous séparer. Parfois, il se crée des amitiés et des relations qui durent au-delà ; d’autres fois, non. Mais ce moment que vous avez partagé restera toujours, et ça, c’est vraiment cool.

Je vous sens très solitaire.

– Oui. Vous savez, hors du boulot, ma vie est très terne.

Revenons à « Point Break », il paraît que la réalisatrice, Kathryn Bigelow, a eu beaucoup de mal à vous imposer auprès du studio.

– Je sais qu’elle s’est bien battue mais je ne sais pas exactement comment ça s’est passé. Je ne le lui ai jamais demandé.

Qu’est-ce qui vous a attiré dans le script ?

– Jouer un agent du F.B.I. qui s’appelle Johnny Utah, devient surfeur et voit sa vie bouleverser par les criminels sur lesquels il enquête : tout était tellement cool. J’aimais la dimension pulp de l’histoire, et son message. Et puis, des surfeurs-braqueurs de banque qui font du saut en parachute, c’est chanmé ! Bref, cela promettait un bon divertissement bien fendard. Le cinéma de Kathryn vous immerge littéralement dans le monde qu’il dépeint. Si vous saviez le nombre de personnes qui m’ont dit s’être mis au surf ou au saut en parachute après avoir vu « Point Break ».

Vous êtes la star de trois films emblématiques du cinéma d’action des années 1990 : « Point Break », « Speed » et « Matrix ». Quelle est la scène la plus risquée que vous ayez tournée ?

– Les responsables des cascades font tout pour protéger les acteurs. Je ne me suis donc jamais trouvé en situation de danger. Mais il y a quelques scènes de poursuite dans « Speed » où j’aurais pu me prendre une voiture et mourir si je n’avais pas redoublé d’attention. Sur les « Matrix », j’ai dû me coltiner certaines scènes où, accroché à des câbles, à 30 mètres du sol, je devais voler, chuter en piqué, faire un salto avant, me redresser… Des défis très athlétiques.

« Matrix », dont la mythologie mêle récit biblique, mystique new age et nouvelles technologies, est le premier film marquant de l’ère internet et digitale. Quand on voit le résultat aujourd’hui avec tous ces blockbusters gavés d’effets spéciaux numériques…

– Vous devriez plutôt blâmer « les Dents de la mer » pour ça.

Avez-vous compris quelque chose aux deux suites de « Matrix » ?

– Bien sûr. Voyons, mec ! Le monde de « Matrix » englobe tout ce qui est vivant et connecté. Il parle des entités sensibles, qu’elles soient de chair et d’os ou virtuelles. Thomas « Neo » Anderson, mon personnage, le résume bien quand l’esprit de la machine lui demande ce qu’il cherche et qu’il répond : « la paix ».

Comment vous sentez-vous dans le Hollywood d’aujourd’hui ? Vous propose-t-on de jouer dans tous ces remakes, suites et autres blockbusters de super-héros ?

– Non. On ne me propose pas de films de super-héros. Je n’ai pas tourné de blockbusters depuis longtemps.

Il y a eu « Constantine »…

– Et « 47 Ronin », qui n’a pas marché aux Etats-Unis. A l’international, les chiffres étaient meilleurs.

Justement, vous avez longtemps alterné les blockbusters et les films plus confidentiels. Parmi eux, il en est un qui n’a pas fait grand bruit mais assez singulier et précurseur dans son genre : « A Scanner Darkly » de Richard Linklater. Cette adaptation de Philip K. Dick a été tournée grâce à la technique de rotoscopie qui consiste à filmer en prises de vues réelles pour en tirer ensuite un film d’animation.

– Richard Linklater avait déjà utilisé la rotoscopie quelques années plus tôt dans « Waking Life ». L’idée de « A Scanner Darkly » lui a été inspiré par le film « Five Obstructions », où un cinéaste s’impose des règles, des restrictions pour raconter son histoire. Il y avait un lien très fort entre le sujet du film et sa forme. « A Scanner Darkly » traite la question de l’identité, de ce qui est réel et ne l’est pas… Cela rend d’autant plus cool le fait que les personnages proviennent de prises de vues réelles, dessinées et animées par la suite. Leur nature duale se retrouve à l’écran.

Quels sont vos auteurs de chevet ?

– J’ai un penchant pour les romans à base de douleur et de souffrance, mais traités avec humour. Comme chez Dostoïevski.

Dans « Knock Knock », votre nouveau film, vous interprétez un père de famille et époux modèle harcelé par deux jeunes bimbos. Le fait qu’il y a quelques années, une femme vous a accusé de vous être déguisé en son mari et de lui avoir fait quatre enfants (un procès l’a innocenté, NDLR) a-t-il joué dans votre intérêt pour ce sujet ?

– Ah oui, c’est vrai ! Cette histoire était dingue. Mais non, mon choix de faire ce film n’a rien à voir. J’ai adoré le scénario. J’ai trouvé ça bien écrit, je pensais que ce serait amusant à jouer. Et puis je cherchais à travailler avec Eli Roth.

Votre personnage dans « Knock Knock » est un ancien DJ. On sait à quel point la musique occupe une place importante dans votre vie. Jouez-vous toujours de la basse ?

– Je tape le bœuf avec des amis de temps à autres. J’ai joué dans un groupe, Dogstar, durant un moment, mais on s’est séparés en 2002.

Les goûts musicaux de votre personnage dans le film sont-ils les vôtres ?

– Non.

Vous écoutez quoi ?

– Iggy Pop et les Stooges, Pegboy, Arvo Pärt – son morceau « Spiegel im Spiegel » est fantastique. Je suis assez rétro.

Vous avez l’air sensible aux thématiques new age, aux histoires de réalités parallèles et de connexions spirituelles. Je pense à « Matrix » et « Little Buddha », bien sûr, mais aussi à un polar comme « The Gift » de Sam Raimi où l’héroïne, interprétée par Cate Blanchett, est médium.

– Ce sont les idées des réalisateurs.

Mais ce sont aussi vos choix de rôles.

– C’est vrai. Dans le film de Sam Raimi, j’interprète Donny Barksdale, un fils de p… qui bat sa femme. Un type très drôle à jouer. Pour moi, « The Gift » parle de chagrin, des différentes manières qu’ont les hommes de gérer le leur, de camoufler leur insécurité.

De quelle religion êtes-vous ?

– Aucune.

Jouer « Little Buddha » ne vous a pas orienté vers le bouddhisme ?

– Si. J’ai lu pas mal de choses, rencontré certains Rinpochés [titre désignant les lamas incarnés, NDLR], fait un peu de méditation. Mais je ne suis pas bouddhiste. Ceci dit, cette formation m’a considérablement changé. Dans mon rapport à la mort, à l’impermanence des choses, à la compassion, aux êtres et aux liens qui nous unissent. L’approche bouddhique est fascinante.

Cela vous a-t-il aidé à faire face aux épreuves terribles que vous avez traversées (sa sœur est atteinte de leucémie ; en 1999, sa compagne, Jennifer Syme, a accouché d’un enfant mort-né avant de mourir, 18 mois plus tard, dans un accident de voiture, NDLR) ?

– Un peu.

Récemment, vous êtes passé derrière la caméra en réalisant un film d’arts martiaux, « Man of Thaï Chi » et un documentaire, « Side By Side », sur la disparition de la pellicule au profit des films tournés en numérique.

– Plus le temps passait, plus j’observais sur les tournages des films dans lesquels je jouais le glissement de l’analogique vers le numérique. Au niveau du son et des effets spéciaux, bien sûr, mais aussi de l’image. L’arrivée des caméras numériques fut la dernière étape de cette digitalisation de masse. La question de la transition vers le digital me passionne. Qu’y a-t-on perdu ? Qu’y a-t-on gagné ? Aujourd’hui, tout est numérique, même le système de diffusion des films en salles. Cent ans de processus photochimique est en train de disparaître.

Quels sont vos projets ?

Je viens de tourner avec Nicolas Winding Refn [réalisateur de « Drive », NDLR]. Un type très malin et passionné. Le film s’intitule « The Neon Demon ». Je joue un manager de motel très menaçant aux côtés d’Elle Fanning.

Et qui d’autre ?

– Je ne sais pas, je n’ai tourné qu’avec elle.

Que peut-on attendre du film ?

– Aucune idée.

Y’a-t-il d’autres réalisateurs européens avec lesquels vous aimeriez travailler ?

– Bien sûr. Celui de « Snow Therapy » [le Suédois Ruben Ostlund, NDLR]. Thomas Vinterberg [« Festen », NDLR]. Et Michael Haneke.

Eh ben ! Vous aimez les histoires de familles sous tension en voie d’implosion.

– Yeah ! J’aime l’intelligence avec lesquels ces cinéastes traitent de la manière dont le quotidien peut devenir extraordinairement compliqué.

Vous n’aimez pas parler en interview ?

– Je lutte depuis toujours contre le fait d’être résumé à telle ou telle chose.

Propos recueillis par Nicolas Schaller

François de Rugy lance un nouveau parti écologiste

«Ecologistes !». C’est le nom du nouveau parti de François de Rugy et Jean-Vincent Placé, qui ont quitté EE-LV fin août et, on vous en parlait il y a quelques jours, souhaitaient créer leur propre mouvement. Le point d’exclamation dans le nom, François de Rugy y tient, comme il l’a affirmé à Ouest-France : il sert à «affirmer de la façon la plus claire et la plus simple possible notre identité d’écologiste, qui s’est un peu perdue ces derniers mois, être clair sur ce que nous sommes.»

Avec un logo vert et bleu un peu surranné, le parti se veut «ouvert» : «Tout le monde est le bienvenu ! Ce qu’on veut, c’est être aussi ouvert que possible, en tant qu’organisation, et surtout du point de vue de l’état d’esprit. C’était d’ailleurs l’ambition au départ de Dany Cohn-Bendit, qui s’est complètement perdue en route.», tâcle au passage le député.

Le parti se créé à temps pour les élections régionales de décembre, où Rugy veut avoir une stratégie opposée à celle de son ancienne formation : «les stratégies d’EELV de rapprochement ou de suivisme avec la gauche de la gauche, le refus de faire barrage à la menace du Front national, c’est quelque chose qui passe très mal auprès des électeurs et d’un certain nombre d’élus», estime-t-il, «nous, ce qu’on veut, c’est que l’écologie pèse. On ne se résout pas à voir le débat politique français polarisé autour de la droite et de l’extrême droite.» Une rencontre nationale pour ceux qui sont intéressés par Ecologistes ! aura lieu en octobre.

LIBERATION

«Papa a mis Bastien dans la machine à laver»

«Il y a un gros gros problème avec Bastien. Donc si vous faites rien du tout, moi je vous le dis tout de suite, je le balance du deuxième étage. Même si je prends 15 ans de prison, je le balance.» Le message, laissé sur le répondeur des services sociaux de Seine-et-Marne, date du 24 novembre 2011. Le lendemain son auteur, Christophe Champenois, enferme son fils Bastien, 3 ans, dans son lave linge, le met en route, et le tue.

Des messages comme celui-ci, des signaux d’alerte et même des signalements officiels, il y en a de très nombreux dans la courte vie de Bastien, mort le 25 novembre 2011 à Germigny-Levêque (Seine-et-Marne). Le petit garçon lui-même, une grosse bosse sur le front, avait expliqué à une assistante sociale : «Papa a fait boum». Réaction immédiate de la travailleuse, poser la question aux parents. Qui nient, de manière assez peu surprenante.

A l’école, Bastien, qui présentait un important retard de langage, grimpait partout, se mettait sans cesse en danger. Les enseignants s’en plaignaient aux parents, qui le punissaient. La veille de sa mort, Bastien a pris le dessin d’une de ses camarades et l’a jeté dans les toilettes. Conséquence, de retour à la maison : enfermé dans le placard, les mains scotchées.

Il est impossible d’écrire tout ce que Bastien a souffert, et tout ce que les adultes ont ignoré, tant les signes de sa détresse, dans la procédure qui mène aujourd’hui ses deux parents devant la cour d’assises de Melun, semblent incessants. Son père, Christophe Champenois, 36 ans, comparaît pour meurtre aggravé. Sa mère, Charlène Cotte, 29 ans, pour complicité. Les services sociaux qui suivaient la famille depuis 2009 ne sont pas inquiétés.

Des chiffres disent un peu du calvaire de Bastien. Entre 2009 et 2011, trois appels au 119 000, le numéro de l’enfance en danger, sont passés le concernant. Une voisine raconte l’avoir vu accroché au rebord de la fenêtre avec une corde, des travailleurs sociaux témoignent anonymement. Sa grand-mère maternelle l’emmène à la maison des solidarités, à Meaux, et explique que son père le bat. Des enseignants font un signalement. Neuf «informations préoccupantes» sont répertoriés dans son «dossier».

De la part des services sociaux, «un accompagnement, pas un contrôle»

Mercredi et jeudi, les représentants des services sociaux viendront détailler à la barre les principes de leur action auprès de la famille. Christine Boubet, la directrice adjointe aux solidarités pour le conseil général de Seine-et-Marne l’a déjà expliqué à Libération en 2011, et redit depuis dans plusieurs médias : «C’est un accompagnement, pas un contrôle.» Lorsque la famille «coopère», selon le vocabulaire employé, on «travaille avec eux». Dans le cas des Champenois, la «coopération» était constatée. Ils «recevaient» régulièrement les assistantes sociales et puéricultrices, des visites dont ils étaient toujours prévenus à l’avance, et les écoutaient poliment. D’autant qu’ils espéraient faire avancer leur demande de relogement social, pour quitter leur appartement insalubre.

Mardi, une partie de la journée a été consacrée à la «biographie» des parents de Bastien. Lui, grand blond carré, en chemise rouge vif, tremble et pleure dans le box dès les premiers mots. La présidente le rabroue, lui conseille de «rester clair, dans (son) intérêt». Il ravale aussitôt ses sanglots, la voix immédiatement neutre. Charlène Cotte, en liberté provisoire après trois années de détention, est petite, en fort surpoids, habillée de noir, un chignon sur le sommet du crâne. Elle a peu de mots : «Mon enfance ? Heureuse», murmure-t-elle. Elle a grandi entre un père alcoolique et une mère dépassée, sixième de huit enfants, cinq de ses frères et sœurs ont été placés. Elle mène une scolarité floue, orientée dans une filière «entretien» alors qu’elle souhaitait «un CAP petite enfance».

Elle ne travaille pas, se met en couple avec Christophe à 15 ans. Une petite fille, Marie (1), naît en 2006. Pour Bastien, en 2008, Charlène explique qu’elle ne s’est pas «rendu compte» de sa grossesse, «peut-être parce que je savais que Christophe ne voulait pas d’autre enfant». Elle dit s’être sue enceinte au moment des contractions. Son compagnon a d’abord refusé de reconnaître Bastien. S’est ravisé, trois jours après.

Un parcours familial tumultueux 

Christophe Champenois lui est enfant unique. Son père, alcoolique, est mort d’un délirium trémens lorsqu’il avait sept ans. Il ne l’a «pas su tout de suite» : sa mère lui a dit que son père était «parti». «Tous les jours je me demandais quand est-ce qu’il allait revenir.» Christophe Champenois souffre d’un méningiome, tumeur au cerveau qui, dit-il le «rend nerveux» et le pousse à calmer ses angoisses dans l’alcool et les stupéfiants (cannabis, amphétamines, ecstasy, cocaïne). Il a arrêté tôt les études, occupé différents emplois de chauffeur ou cariste, puis vécu des allocations.

Leur premier enfant, Marie «était sage, on ne l’entendait pas», raconte Charlène Cotte à la barre. «Elle ne s’est pas occupée toute seule mais… c’est un peu ça. Bastien, lui, était un enfant agité, hyperactif. Il avait peur de son père, qui le frappait. Il a mis du temps à parler, à marcher. Pour se faire comprendre, il se faisait voir. Il faisait une petite bêtise, il ouvrait un placard ou jetait un jouet, pour dire « Coucou, je suis là ».»

Le soir de la mort de Bastien, alors que ses parents sont en train de raconter une histoire de chute accidentelle dans l’escalier, Marie, 5 ans, se plante face au voisin qui a accouru : «Papa a mis Bastien dans la machine à laver», dit la petite fille. Christophe Champenois, à côté, lève la main, la menace : «Arrête de dire des conneries !» Mais Marie répète sa phrase. Elle la répétera aux secours, puis aux enquêteurs, avant que l’autopsie et les aveux de Charlène Cotte ne viennent confirmer. A la barre de la cour d’assises de Melun, un gendarme a la voix qui s’étrangle : «Je voudrais dire à Marie que, ce soir-là, elle a eu beaucoup de courage.»

(1) Le prénom a été modifié.

Ondine Millot

« Houellebecq, islamophobe par peur ou par haine, c’est de la stigmatisation »

Michel Houellebecq à Cologne, le 19 janvier 2015 (P. STOLLARZ/AFP).

L’islamophobie est une notion qui est aujourd’hui loin de faire l’unanimité. Il y a, d’un côté, ceux qui lui prêtent une valeur scientifique. Ceux-ci, qu’on retrouve par exemple du côté du Comité contre l’islamophobie, l’invoquent pour dénoncer une nouvelle forme de racisme : l’islamophobie désigne, à leurs yeux, l’attitude de ceux qui stigmatisent l’islam et ses fidèles.

Il y a, de l’autre, ceux qui, telle Caroline Forest, ne lui voient qu’une fonction stratégique : on userait du concept d’islamophobie pour limiter en fait la liberté d’expression de ceux qui veulent soumettre l’islam à une juste critique.

Dès lors, comment qualifier le sentiment de « peur » qu’exprime Michel Houellebecq à l’égard de l’islam ? Est-ce une forme de racisme, tendant à essentialiser un groupe ? Ou plutôt un regard critique envers une pratique extrémiste de l’islam ?

Il pratique à répétition l’amalgame

Pour ma part, je qualifierais les propos de l’écrivain de comportement de faible discernement. Comme une partie non négligeable de la population française, Michel Houellebecq, quand il s’exprime sur ce sujet, ne cesse de prendre l’islam comme un tout et en le réduisant à ces éléments les plus violents et excessifs, alors que ceux-ci demeurent très minoritaires.

Michel Houellebecq participe de ce courant actuel (auquel participe nombre d’acteurs politiques aussi) qui pratique à répétition l’amalgame et la généralisation, alors que l’islam en France et dans le monde est fortement différencié. Si dans la bouche de Houellebecq les musulmans forment en effet un groupe homogène, uniforme, la réalité est infiniment plus complexe.

Nous savons qu’il existe plusieurs écoles doctrinales de l’islam et des pratiques sociales et religieuses très diverses en la matière. Ainsi, les musulmans remettant en cause les principes de la République française par la violence sont infiniment rares. Bien plus nombreux sont ceux qui les acceptent et les défendent.

Dès lors, la « peur » qu’exprime l’écrivain est globalement injustifiée, même s’il ne faut pas nier, comme l’actualité le démontre, l’existence de foyers ou d’individualités potentiellement terroristes.

Une « extension du domaine de la peur »

Si la peur que Michel Houellebecq manifeste à l’égard de l’islam est objectivement assez injustifiée, elle est en revanche représentative d’une tendance lourde de nos sociétés, qui sont de plus en plus marquée par un tropisme de la fermeture, repérable dans le discours de l’opinion, mais aussi des partis, et notamment mais non exclusivement du Front national.

Actuellement, nous vivons dans un climat d’incertitude, qui amène les sociétés à pointer une série de « menaces ». La plus évidente est l’islam, pour des raisons externes à la France – situation internationale, progression de Daesh, attentats – mais aussi internes à notre pays – interrogation sur l’identité et le devenir de la France, dans un contexte de crise persistante qui mine le tissu psycho-social.

Ce climat n’est pas totalement nouveau. Une première poussée d’inquiétude est apparue dans les années 1990, sous l’effet de l’exacerbation de certaines revendications identitaires, de la guerre civile en Algérie et de la vague d’attentats qui a touché la France. Une deuxième, encore plus importante, a suivi les attentats du 11 septembre 2001, au début des années 2000.

Mais depuis 2-3 ans, nous observons à nouveau un pic très net : les Français sont de plus en plus nombreux à considérer l’islam comme une civilisation totalement incompatible avec les valeurs démocratiques de la France, ce qui n’est pas sans effet sur l’appréciation qu’ils portent sur les musulmans. Michel Houellebecq contribue à cette « extension du domaine de la peur » qui touche notre pays.

Propos recueillis par Sébastien Billard

Cyril Mokaiesh chante le panthéon des maudits

Qui les écoute parfois ? Qui les connaît seulement ? En reprenant leurs chansons, Cyril Mokaiesh rend hommage à ces « Naufragés » que furent Bernard Dimey, Philippe Léotard, Vladimir Vissotski, Stephan Reggiani, Mano Solo, Daniel Darc ou Allain Leprest. Des astres éteints, des êtres cabossés, qu’on dirait maudits, destinés à chanter dans la pénombre. Tôt disparus, pour la plupart.

L’idée de ce disque, urgent, émouvant et de très haute volée, est née de la rencontre de Cyril Mokaiesh, auteur-compositeur-interprète, et du pianiste Giovanni Mirabassi, une pointure du jazz. Les deux hommes se découvrent une passion commune pour Allain Leprest, l’une des plus grandes plumes de la chanson française de ces dernières décennies, un chanteur underground porté à bout de bras par Jean Ferrat, qui le chanta, un écorché comme on n’en fait plus, rebelle au système comme on n’en fait plus non plus. Dans son panthéon des laissés-pour-compte de la chanson, Mokaiesh réserve à cet artiste suicidé il y a trois ans la meilleure place, en interprétant deux de ses chansons : « C’est peut-être » et « Nu », ce texte inouï, le portrait d’un « naufragé de naissance » au « destin biscornu ».

Chansons sombres

Des âmes esseulées, des cœurs ravagés, des silhouettes affectées à la marge faute de mieux, l’album en exhume d’autres. Comme Philippe Léotard, ce vagabond cherchant à se fuir lui-même, et qui se vivait en « poor lonesome piéton ». Comme Jacques Debronckart, un artiste à la carrière éclair et décevante, chez qui Mokaiesh a déniché « Ecoutez, vous ne m’écoutez pas » ou la diatribe d’un homme seul face à l’immensité de ses doutes et la douleur follement aiguë de sa solitude. Comme Mano Solo, le plus « connu » de tous, avec « les Enfants rouges ».

Des chansons sombres, il y en a bien d’autres dans ce disque. Elles le sont d’ailleurs toutes. Mais Mokaiesh et Mirabassi leur donnent à la fois un nouveau souffle et une intensité remarquable. Chacune ouvre sur un auteur, un compositeur, enterré vivant par le système. Ce n’est pas un disque, c’est une autre histoire de la chanson. Une mine d’or.

Sophie Delassein

♦ A écouter : « Naufragés » par Cyril Mokaiesh et Giovanni Mirabassi (Plan simple)

Climat : «La croissance verte, un nouveau mythe»

Economiste en chef de l’Agence française de développement et auteur, entre autres, de Vingt Propositions pour réformer le capitalisme (Éd. Garnier-Flammarion, 2009), Gaël Giraud était lundi l’un des intervenants du Forum Convergences, qui se tient jusqu’à mercredi à Paris sur le thème «zéro exclusion, zéro carbone, zéro pauvreté».

Participant une conférence intitulée «Au-delà du PIB : vers une définition plus intégrée de la croissance», il a souligné combien il est «fondamental» de se rendre compte que notre modèle économique actuel, basé sur la croissance du PIB, «dépend essentiellement de l’augmentation de la consommation d’énergies fossiles». Pour Gaël Giraud, mettre en évidence ce lien, «minoré par nombre d’économistes», permet de réaliser qu’«on ne peut pas continuer sur ce chemin-là et qu’il faut donc inventer un autre type de prospérité». Et ceci pour deux raisons : «la contrainte climatique et la raréfaction du flux de ressources naturelles que nous sommes capables d’extraire du sous-sol». Libération lui a posé quelques questions subsidiaires à l’issue du débat.

Vous nous dites, en substance, que nous avons peu de chances de résoudre la crise climatique si nous ne remettons pas en question la notion de croissance du PIB, donc notre modèle économique ?

Oui. Cela revient à se demander si nous pouvons faire de la «croissance verte», si nous pouvons découpler l’augmentation du PIB de celle de la consommation d’énergies fossiles, donc des émissions de gaz à effet de serre. Ma réponse est : très vraisemblablement non. Car aujourd’hui, il n’y a aucune preuve empirique montrant qu’un tel découplage est possible. Dans ces conditions, il se peut que la «croissance verte» soit un nouveau mythe, qui invite à continuer avec notre cécité actuelle. Il faut arrêter de nous anesthésier la conscience en nous disant «on arrivera à découpler un jour».

Et arrêter d’utiliser la croissance du PIB comme condition sine qua non à tout projet économique et politique. Par exemple, il ne faudrait pas que l’aptitude d’un scénario énergétique à favoriser ou non l’augmentation du PIB soit utilisée comme critère pour le rejeter ou non. Car la hausse du PIB, ce n’est plus le vrai sujet : si un projet crée des emplois, s’il améliore la balance commerciale et s’il rend les gens heureux, c’est cela qui est important. C’est juste cela, mon point de vue. Mais c’est extrêmement subversif pour une institution comme Bercy.

Car cela suppose de changer radicalement de modèle économique, voire de sortir du capitalisme ?

De sortir du capitalisme, je ne sais pas, car je pense que le débat sur la nécessité ou non de sortir du capitalisme est complètement piégé, dans la mesure où «le capitalisme», je ne sais pas ce que c’est, il y en a différentes variantes. Et comme ce débat sert souvent de repoussoir pour ne rien faire, je préfère l’éviter, il ne m’intéresse pas.

A mon avis, il faut recentrer le débat sur la transition écologique et énergétique, c’est-à-dire sur l’idée qu’il y a un processus à amorcer, un changement de «mix énergétique» pour la plupart des pays, qui doivent passer d’un mix essentiellement carboné à un mix le moins carboné possible.

Donc la vraie question, c’est «quelles sont les étapes de cette transition?». Les scénarios produits par le comité des experts du Débat national sur la transition énergétique [organisé par le gouvernement Ayrault et achevé en juillet 2013, ndlr] avaient tous en commun trois étapes. Indépendamment du mix énergétique qu’on veut pour la France en 2035, tous insistaient sur la rénovation thermique des bâtiments  –car le bâti en France est la première source de gaz à effets de serre–, la mobilité verte et le verdissement du processus industriel et surtout agricole. Là-dessus, il y a eu consensus.

Malheureusement, on est complètement bloqués par toute une série d’obstacles, intellectuels et en partie financiers, qu’on a d’ailleurs retrouvés à l’occasion du Plan Juncker. A un moment, la question de la rénovation thermique des bâtiments a été placée très haut dans les priorités du plan Juncker. Mais le sujet a été torpillé par le secteur privé financier, qui ne veut pas en entendre parler et a fait valoir que c’était compliqué à financer.


Les obstacles, c’est donc surtout un lobbying intense de tout un tas d’intérêts privés ?

Oui, il y a évidemment un lobbying assez intense de la part de l’industrie pétrolière. Mais à titre personnel, je me heurte plus au lobbying financier. Il y a énormément de capitaux en circulation sur la planète, le bon sens serait de capter une partie de cet argent pour l’orienter vers le financement d’infrastructures favorables à la transition écologique.

Or ce sont les marchés financiers, donc les investisseurs privés, qui ne veulent pas en entendre parler parce qu’investir sur les marchés financiers dans des paris d’argent sur des actifs dérivés rapporte encore 10% par an. Il n’y a aucun projet dans l’économie réelle, a fortiori pour la transition énergétique, qui rapporte 10% par an. Donc il y a un véritable bras de fer à mener entre le politique, qui devrait prendre en compte les enjeux de long terme, et les investisseurs privés sur les marchés financiers qui eux n’en ont cure et préfèrent jouer avec cet argent. Heureusement il y a quelques exceptions, quelques signaux faibles montrant un début de prise de conscience des marchés financiers quant à l’intérêt d’investir dans la transition écologique.

Comment faire pour résoudre l’obstacle du lobbying ?

Je crois que c’est au politique d’agir. Réglementer la finance, par exemple, n’est pas si compliqué que certaines banques le prétendent. J’ai moi-même fait des propositions très concrètes dans ce sens, par exemple dans le rapport que j’ai rendu au Parlement Européen sur le coût du prochain krach bancaire en zone euro. Mais le politique lui-même se croit désarmé faute d’avoir un véritable projet de société à proposer, et qui lui serve de boussole. Or, ce projet, je crois, c’est la transition écologique.


Comment mener à bien ce projet, ce nouveau modèle de société ?

Nous avons besoin d’une vision dynamique, c’est-à-dire inscrite dans l’histoire. Ce qui suppose des étapes, une feuille de route, etc. de la transition écologique, au cœur de laquelle se situeraient les biens communs, au sens de l’américaine Elinor Ostrom [prix Nobel d’économie 2009, ndlr], par exemple. C’est-à-dire les biens destinés à tous mais dont l’usage privé peut priver l’accès à tous, comme la faune halieutique de nos océans. La pêche industrielle en eaux profondes menace de faire disparaître les poissons de nos océans entre 2040 et 2050. La marchandisation des océans n’est donc pas la solution. Il faut inventer de nouvelles institutions en charge de protéger et de promouvoir les communs.

Les négociations onusiennes sur le climat n’ont jusqu’ici pas été à la hauteur de l’enjeu et de l’urgence climatique. Peut-on espérer davantage de la COP21 –qui aura lieu à Paris en décembre–, que de la conférence climat de Copenhague, en 2009 ?

Je suis relativement optimiste, compte tenu de la prise de conscience grandissante, au sein des populations citoyennes, de la gravité des enjeux écologiques. L’encyclique Laudato Si’ du Pape François en est l’un des révélateurs, parmi d’autres. Les derniers à comprendre sont ceux qui souffrent le moins du dérèglement climatique et des dévastations en termes de biodiversité, à savoir les élites urbaines, masculines et riches. Surtout, la COP21 peut être l’occasion d’un accord international non plus seulement sur un objectif temporaire (disons, une réduction de -X% des émissions de gaz à effet de serre en 2025) mais sur un « corridor d’efforts », dont la «pente» pourra être renégociée tous les 5 ans sans qu’il soit nécessaire d’en repasser par un traité international.

Des mouvements citoyens comme le mouvement de désinvestissement des énergies fossiles ne sont-ils pas plus efficaces ?

Il faut évidemment les deux : les mouvements citoyens contribuent à sortir les élites (masculines, etc.) de leur aveuglement. Mais sans le politique souverain, c’est-à-dire sans les Etats qui siègent autour de la table des négociations à la COP21, ces mouvements citoyens sont sans moyen d’action.

Comment expliquez-vous que les économistes s’intéressent aussi peu à la question des ressources naturelles, du climat, des limites physiques de notre planète ?

Parce que l’économie néo-classique, qui est devenue dominante depuis les années 1970, est une économie hors-sol élaborée en chambre et qui confond le réel avec des contes de fée.

Coralie Schaub

Claire Chazal écartée de la présentation des JT du week-end de TF1

Sept ans après avoir remercié Patrick Poivre d’Arvor, TF1 s’apprête à tourner une nouvelle page de l’histoire, plutôt tranquille, de ses JT.  Après 24 ans de service, Claire Chazal va en effet quitter la présentation des journaux du week-end «dans les semaines à venir», annonce la chaîne, confirmant des informations de Puremedias.

Le principal motif, ce sont sans doute les audiences décevantes réalisées par les dernières éditions des JT de Chazal. Vendredi 5 août, rappelle puremedias.com, son 20 heures ne devançait plus que de 13 000 téléspectateurs celui de Laurent Delahousse sur France 2, avec 4,3 millions de regardants selon Médiamétrie. Difficile à encaisser pour TF1, surtout que la chaîne vient de subir le pire mois de son histoire (depuis sa privatisation) avec une part d’audience moyenne de 20,1% en août…

Avec ce remaniement, TF1 s’expose-t-elle à une période de soubresauts similaire à celle qui avait suivi le limogeage de PPDA aux JT de 20 heures de la semaine ? Sa remplaçante, Laurence Ferrari, avait quitté son poste au bout de quatre ans, sans avoir jamais convaincu.

A lire aussi : TF1 : les vaines heures de Laurence Ferrari.

Ici, la situation est plutôt différente. Après Patrick Poivre d’Arvor, TF1 avait installé une journaliste que les téléspectateurs de son JT ne connaissaient pas vraiment. Mais cette fois, TF1 a sans doute déjà trouvé la remplaçante de Claire Chazal, en la personne d’Anne-Claire Coudray, son joker depuis trois ans. Très appréciée du public, cette dernière partage un point commun avec Gilles Bouleau, qui a permis au JT de 20 heures de retrouver son aura d’antan : elle est, de formation, une journaliste de terrain ayant couvert plusieurs conflits.

Avec Claire Chazal, donc, c’est une nouvelle part du TF1 ancienne époque qui devrait disparaître, laissant Jean-Pierre Pernaut, aux commandes du 13 heures, seul vestige visible de l’ère Patrick Le Lay-Etienne Mougeotte. Réputée lisse, moquée souvent pour ses hésitations et sa complaisance vis-à-vis de certains puissants, comme Liliane Bettencourt en 2010, Claire Chazal n’a jamais trop dissimulé sa sympathie pour la bonne vieille droite à la française. Auteure d’une biographie d’Edouard Balladur parue alors que l’homme était bien parti, croyait-on, pour conquérir l’Elysée, elle est également déléguée syndicale CFTC.

A lire aussi, son portrait dans Libération paru en 2000 : Lisse au pays des merveilles

Reste à savoir quel sera son avenir sur TF1, Chazal étant aussi directrice adjointe de l’information de la chaîne. Et ce qu’il adviendra des couvertures de Paris Match que la présentatrice avait pris l’habitude de remplir chaque été depuis plusieurs années…

Frantz Durupt

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